Le combat d’Alain Soral et de son comparse Dieudonné contre le puissant lobby sioniste est un exemple de bravoure ; mais Don Quichotte ne manque pas de courage non plus…
Le lobby sioniste est-il un moulin-à-vent ? On peut penser en effet que ce groupe de pression n’a pas d’autre grain à moudre que l’antisionisme, quoi qu'il semble exercer une surveillance rapprochée de la classe politicienne ; mais avant de développer cet argument, je voudrais expliquer en quoi le propos d’Alain Soral rejoint celui de George Orwell, et en quoi il s’en éloigne.
Je ne crois pas trahir le propos de Soral en le résumant ainsi : le divorce de la société contemporaine avec la logique a des conséquences catastrophiques sur le plan moral. Orwell ne dit pas autre chose quand il énonce, par exemple, que « le football est l’école de la violence » : cinquante ans plus tard, il apparaît nettement que le football est une vitrine de l’esclavagisme capitaliste.
Orwell montre, dans « 1984 », les efforts extraordinaires de Big Brother pour maintenir la masse des citoyens au niveau de la violence, c’est-à-dire très largement au niveau du réflexe. L’éthique totalitaire est entièrement concentrée, selon Orwell, dans la personnalité morale de l’Etat (Big Brother) : bien qu’il soit parfaitement corrompu aux yeux de l’homme honnête, l’Etat totalitaire est un concentré de Vertu pour le citoyen lambda. Placez-le devant le plus abominable des crimes commis par l'Etat totalitaire, il ne voudra pas vous croire, ou lui trouvera une justification.
Plus nettement que Soral, Orwell met à jour cette éthique totalitaire, indiquant en premier lieu qu'elle est puritaine. Le vice moderne est déguisé en pureté : pureté du désir, pureté de la violence, pureté du droit, pureté de la révolution, pureté de la démocratie, pureté du néant, que le clergé totalitaire a érigé en Dieu pour le petit peuple, à travers diverses formules malignes.
Plus précisément que Soral, Orwell définit le raisonnement totalitaire, corrupteur de la morale publique, comme étant le paradoxe. Les intellectuels ont substitué le paradoxe au bon sens commun OU, ce qui revient au même, ils ont substitué la novlangue à la logique scientifique (on trouve des traces de cette substitution au niveau de l’épistémologie de Karl Popper et son fameux paradoxe digne de Big Brother : "Ce qui compte en science, ce n'est pas de découvrir mais de chercher.").
C’est sur ce dernier point que Soral et Orwell divergent, et que ce dernier est plus utile. En effet « 1984 » incite à considérer la production dans le domaine des sciences humaines de la seconde moitié du XXe siècle comme une contribution à la Novlangue, c’est-à-dire comme nulle et non avenue.
Pour qui a étudié un tant soit peu K. Marx, c’est sans doute sur le plan de la science économique que cette observation est la plus facile à faire : les économistes sont des imposteurs, chargés de dissimuler que l'économie capitaliste est un monstre qui échappe à ses concepteurs derrière des formules mathématiques épatantes, comme les médecins du temps de Molière masquaient leur ignorance derrière des formules latines.
Sur le plan sociologique, l’avènement de la femme-objet, masqué derrière l’argument de l'émancipation de la femme occidentale, est déjà inclus dans les prédictions de Marx dès la fin du XIXe siècle ; celles-ci annoncent la réification de l’être humain sous l’effet du capitalisme, de sorte que le libre-échangisme marchand sera aussi observable sur le plan des rapports sexuels humains.
Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que l’éthique capitaliste fasse de la lutte contre la famille paysanne patriarcale un objectif, et cela bien que l'organisation familiale a été dissoute en Occident et ne perdure plus que dans quelques petites sectes évangélistes aux Etats-Unis ; la citadine occidentale s’émancipe donc contre la paysanne turque ou sénégalaise, tandis que le tourisme sexuel prospère.
En résumé, Alain Soral propose de se doter d’une conscience politique à l’aide des derniers développements de l’anthropologie et de la sociologie, tandis qu’Orwell conçoit la conscience politique contre une anthropologie qui ne fait qu’ajouter quelques mailles à la théorie du "monde complexe" des intellectuels. La fonction de l'EHESS est de dissoudre l'Histoire dans les sciences sociales.
Quant au lobby sioniste, il n’a pour ainsi dire aucun rapport avec les Juifs en général, et il n’a pas même de rapport avec Israël : en cela c’est bien un moulin à vent qui, pour tourner, a besoin d’opposants, comme l’antisémitisme d’Etat iranien a besoin du sionisme pour tourner. Si j’étais Juif, je m’opposerais forcément au sionisme dans la mesure où il dénature la Loi de Moïse, mais comme je ne suis pas plus Juif que Karl Marx, je me contente de m’opposer à la démocratie-chrétienne, qui dénature l’Evangile (ce que les chrétiens ont pour coutume d’appeler satanisme).
Contrairement à ce que proclame Alain Soral, la Loi de Moïse a bien une vocation universelle. Que les sionistes détournent la Loi pour forger avec une théocratie, selon le procédé de l'islam, n’est pas le problème de Moïse. Les sionistes ne font là que ce que les nationalistes catholiques firent avant eux, avec l’odieux slogan de la France, « fille aînée de l’Eglise », qui non seulement ôte au Christ sa prérogative, mais qui fut utilisé pour mobiliser des soldats chrétiens contre d’autres soldats chrétiens au cours d’une guerre civile abominable.
Le Livre de l’Exode raconte dans quelles circonstances le peuple Hébreu s’est affranchi de la Loi. Cette explication est toujours d’actualité, si l’on considère que le lobby sioniste est largement tributaire d’un pacte insensé passé avec les Etats-Unis, pacte qui repose sur les mots.
Jeter Moïse avec l’eau du bain sioniste, comme le fait Alain Soral, n’est pas sérieux.
Commentaires
SI je comprends bien, vous pensez que Soral est peut-être trop focalisé contre le lobby sioniste et que cela stérilise quelque peu sa lutte ? Je pense aussi que Soral est parfaitement conscient que la loi de Moïse est universelle (et qu'elle préfigure déjà le Christ) mais ce qu'il dénonce est l'instrumentalisation tribale qu'en a fait une certaine lecture du judaïsme.
- C'est d'abord la croyance dans le progrès de la sociologie, de Max Weber à aujourd'hui, qui est soralienne et non orwellienne. Le sionisme est purement idéologique du point de vue orwellien, et n'a donc aucun intérêt : l'histoire de la construction de la nation israélienne ne peut être extraite du contexte de la mondialisation et de la Guerre froide.
Le sionisme n'a pas plus d'intérêt que le fachisme : ce ne sont là que des drapeaux que l'on agite pour mobiliser les soldats. L'étude de l'idéologie fachiste n'est d'aucun intérêt pour comprendre la 2nde Guerre mondiale.
Le dessein secret de la sociologie au XXe siècle, exactement comme celui de la pseudo-science économique, est d'étouffer l'histoire.
- Dans une longue interview récente (sur Youtube), Soral n'explique pas, comme vous faites, l'instrumentalisation tribale (selon le Christ elle est cléricale) de la Loi, mais bien le contraire, que le judaïsme est tribal et exclusif.
Soral n'a pas l'air de se rendre compte que c'est l'islam qui est une interprétation tribale de la Loi, mais aussi le catholicisme (si l'on considère la dynastie des Capet et celle des Valois comme une tribu, sans parler des Médicis et des Borgia).