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  • L'amour du neuf

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    Dans le domaine de l’art, les préjugés ontologiques triomphent aussi. Distinguer un bon tableau d’une croûte, c’est pas si évident que ça. Un peu d’attention, un peu de patience sont requis, et de savoir faire la part des effets de pinceau de ce qui tient à la capacité d’observation et d’abstraction plus ou moins originale du peintre. On sait l’insistance de Picasso à développer cette capacité d’abstraction jusqu’au foutage de gueule. Mais à trop se foutre de la gueule de ses clients, Picasso a versé dans le parisianisme, il s’est égaré. Il a perdu l’amour-propre indispensable à l'artisan.
    La logique a été poussée jusqu’au bout, d’ailleurs. Picasso transformé en marque de bagnole, quelle belle parabole pour décrire l’art contemporain !

    J’ai rien contre Picasso en particulier, il a un bon esprit de synthèse, mais vu que Picasso a reçu une formation académique, il est d’autant plus apte à servir d’argument décisif. Il faut donc remettre Picasso à sa place. Picasso c’est le “chaînon manquant” du blabla sur l’art contemporain. Il n'a pas une tête de chaînon manquant, d’ailleurs ?

    Pour aplanir cette difficulté, la difficulté d’acquérir un certain discernement en matière de peinture et de sculpture, on a préféré décréter que tout ce qui est neuf en matière d’art est admirable. C’est un critère plus maniable, il suffit de regarder l’étiquette. Et tous ces esprits faibles qui sévissent dans la critique d’art de vous expliquer benoîtement que Titien préparait le terrain à Matisse, ou Ingres celui de Picasso. La “nouveauté” chez Titien n’est que la conséquence de son labeur acharné et pas la cause, bien sûr.

    « Les hommes ont un besoin de nouveauté qui les refroidit promptement sur les beaux ouvrages » dit Delacroix. Déjà le “public” commence à gouverner, Delacroix est en pleine tourmente. Delacroix c’est le chant du cygne, mais il sait quand même encore de quoi il parle. Lui-même s’est laissé séduire par la “nouveauté” de Constable. Au-delà de leurs génies propres, ce qui unit Delacroix, Géricault, Ingres, Decamps, c’est de devoir affronter la modernité. Ce ne sont en rien des artistes “expérimentaux”, comme dit la critique imbécile des gazettes, mais plutôt des artistes “désarçonnés”. C’est leur extra-sensibilité d’artiste qui les fait frissonner devant la menace de l’industrialisation et de la production de masse.

    Et aussi cette réplique fachiste de Delacroix : « Mais où sont donc vos Phidias ? Où sont vos Raphaëls ? »

  • Phidias, Raphaël et Millet

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    Je ne conteste pas l’autorité de Catherine Millet dans le domaine du cul, de la bite et du vagin. Je n’exclus même pas d’approfondir ma connaissance des mœurs contemporaines en feuilletant son autobiographie dessalée quand j’aurai fait le tour d’auteurs plus urgents.
    Mais je vois en rayon que Catherine Millet a aussi pondu un petit traité sur l’art contemporain. Un point de vue ontologique, j’imagine… Ça sent la thèse à plein nez : débandade, donc. Madame doit avoir une maîtrise d’histoire de l’art, ce genre de papelard qui vous pose une gonzesse. Comme quoi baiser et étudier c’est pas incompatible.

    Sans trop s’attarder, mais comme le bouquin est juste à portée de main, allons-y, disons que le discours de C. Millet a le mérite d’être moins obscur que celui de Jean Clair. Pour C. Millet, les adversaires de l’art contemporain, eh bien ce sont tout simplement des fachistes. Eh bé, comme ça au moins c’est plus clair. Transparent, même. On peut presque deviner dans quelle fac Catherine Millet a appris l’art contemporain de tenir des raisonnements aussi limpides.

    On sait bien d’où vient la force de pénétration des idées de gauche dans la société audio-visuelle et pourquoi elles se transportent aux quatre coins de la planète à la vitesse de la lumière.
    L’égalité, le progrès, le suffrage universel, le féminisme, les cimetières pour chien, le mariage des homos, c'est parce que ces idées sont stupides qu'elles sont parfaitement adaptées au monde moderne. C'est plus facile de faire gober au plus grand nombre que ces niaiseries sont frappées au coin du bon sens.
    Au bon sens traditionnel, tiré du fruit de l’expérience transmise de génération en génération, on a substitué le bon sens moderne, de gauche, dont le but est de faire le maximum d’écho dans la caverne démocratique, peu importe si c’est complètement idiot et si ça provoque des éboulements.

    Prenez l’idée coulante de métissage, par exemple : c’est du niveau du raisonnement d’un gosse qui, voulant faire un bon gâteau, pense qu’en additionnant un maximum d’ingrédients délicieux, il obtiendra le meilleur résultat. Mais cette idée de métissage est néanmoins typiquement le genre d’idée propre à séduire des types comme Fogiel, Ardisson, Ruquier… et leur public.

  • Symbole de chasteté

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    Visitant le Louvre avec des confrères, me raconte un pote prof d’histoire, rendus devant les Giotto racontant la vie de saint François d’Assise, il est un peu surpris de devoir se coltiner d’expliquer l’histoire des stigmates. Avec des élèves de terminale, ça l’aurait pas étonné, mais là…

    Cette anecdote me fait penser qu’il y a chez Hazan une nouvelle collection de bouquins d’art qui permet aux ignares de l’Éducation nationale de comprendre la peinture précontemporaine de manière intelligente, c’est-à-dire sans idéologie. C’est facile de faire le malin devant un Picabia, un peu moins devant un Giotto. Hem, à vrai dire je ne me fais aucune illusion contrairement à mon pote sur les dispositions d’esprit de ces gens-là. Mon pote, j’ai beau lui conseiller de ne jamais leur tourner le dos, il ne m’écoute pas, il pense pouvoir les convaincre. Le jour où il se retrouvera devant un tribunal avec une plainte déposée contre lui pour racisme parce qu’il a cité l’Empereur Manuel II en cours d'histoire, il pigera peut-être, ça lui apprendra à jouer les saints François (Xavier).

    Dans La Nature et ses symboles, je relève la notice du lapin :

    « Le nom latin du lapin, “cuniculus”, est dû à sa propriété de creuser de nombreux “cuniculi”, “galeries souterraines”.
    Étant un animal très prolifique, il est considéré comme un symbole de lascivité, et, surtout à partir de la Renaissance, il figure dans les représentations de scènes amoureuses comme un emblème de la volupté.
    Dans l’iconographie religieuse, il peut prendre une signification positive : un lapin blanc aux pieds de la vierge fait sans doute référence à la chasteté ou à la victoire sur les passions.

    « Les bestiaires médiévaux citent parfois une autre propriété du lapin ou du lièvre : ces animaux peuvent courir extrêmement vite en montée si bien qu’ils réussissent à échapper à leurs poursuivants. Cette caractéristique a été interprétée comme une image de l’homme qui se tourne vers Dieu pour échapper aux tentations démoniaques.

    « Toujours dans l’iconographie religieuse, le lapin peut aussi avoir une signification négative. Par exemple, dans certaines représentations de saint Jérôme au désert, il ferait référence aux passions et aux tentations coupables que le saint doit chercher à vaincre : en effet, saint Jérôme lui-même, dans une lettre à Eustache a avoué que jusque sous le soleil brûlant du désert il avait été tourmenté par le souvenir des plaisirs de sa jeunesse. »


    Comme quoi il faut se méfier des interprétations univoques très à la mode aujourd’hui. Les peintres médiévaux faisaient la part belle aux animaux. Plus tard la pensée “schématisante” des philosophes dont nous avons hérité chassera un peu le merveilleux de la peinture.

    C’est marrant parce qu’il se trouve justement que je suis assez rapide à la course en côte. Le terrain que je perds sur le plat, je le rattrape dans les côtes. San Francisco est une ville où je peux semer n’importe qui, par exemple.
    Il faut donc que je m’attende à devenir en blanchissant un symbole de chasteté pour mon entourage.

  • Sous pression

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    Dans Métro, quotidien officiellement gratuit, il y a ce baromètre qui me permet de mesurer la santé mentale de mes concitoyens - du “peuple” comme certains disent sans rire.
    En effet, tous les jours Métro pose une question en rapport avec l’actualité à des quidams dans la rue qui ne se font pas prier pour répondre vu qu’on est en démocratie.
    La bêtise des questions posées excuse peut-être un tantinet les sondés, mais ne fait pas moins d’eux de la chair à médias.

    Jeudi 21 septembre, à la question : « Que vous inspire l’agression des CRS ? », Thibault, 23 ans, étudiant en anglais, répond :
    « Je pense que si j’avais été là, j’aurais fait la même chose que les jeunes. Il y a deux camps, les policiers sont dans un camp ; moi dans l’autre. »

    Voilà un étudiant qui a parfaitement bien appris sa leçon d’histoire. C’est pas certain qu’il saura un jour la réciter en anglais, mais on ne lui en demande pas autant.

    On ne lui demande même pas, d’ailleurs, s’il se fait chouraver son i-pod ou ses lunettes de soleil de bobo (fumées saumon), de pas aller porter plainte chez les flics. La révolution est une cause qui vaut que l’on ne s’arrête pas à des détails moraux de ce genre.

  • Tous pourris ?

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    Pim, tu t’adresses à moi comme si j’ignorais que Le Pen lui aussi a été condamné en justice, à l'instar de Strauss-Kahn, Emmanuelli, Juppé, tout le reste de la bande… comme si je vivais pas au cœur de ce ramdam médiatique assourdissant. Il y a même des bédés pour expliquer aux enfants que Le Pen est un vilain, Pim…

    D'ailleurs n'es-tu pas toi-même plus proche de Le Pen que je ne le suis ? Ton “tous pourris” ne fait-il pas écho au sien ? En réalité, cette dialectique du “tous pourris” n’est pas très intéressante. Le Pen a beau jeu de dire qu’il n’a jamais piqué dans la caisse commune, lui, puisqu'en réalité on lui en refuse la clef. Mais ton “tous pourris” à toi, Pim, est un peu facile aussi. Il ne permet pas plus de comprendre la faillite actuelle du système, pourquoi il paraît impossible de redresser la direction : « C’est pas au Royaume de Danemark qu’il y a quelque chose de pourri… », je ne me lasse pas de cette formule de Blondin.

    Encore une fois, laissons les règlements de compte au Canard enchaîné, - enchaîné à ses indics, bien sûr. Le seul titre rentable de la presse française dépend du bon vouloir des flics ! Je sais pas si t'as déjà vu ça, Pim, la salle de rédaction d'un canard, les coups de fil incessants pour dénoncer tel ou tel anonymement.

    Je suis quand même satisfait, Pim, que tu me fournisses le prétexte de parler du plus grand baratineur, du plus grand hypocrite, du plus grand démagogue français contemporain, je veux parler de Jean-François Kahn. Ce type, patron de presse depuis des lustres, vient d’écrire un “pamphlet”, il appelle lui-même ça un “pamphlet”, cette espèce de journaliste-orchestre bouffon, on se pince en l'entendant ! Et ce “pamphlétaire” est naturellement invité sur toutes les chaînes de télévision pour faire de la réclame pour son bouquin et son torchon Marianne, pour se livrer à son petit sketche de pamphlétaire approuvé par le CSA. Faut être un sacré crétin de bobo endoctriné par la télé pour gober un sketche pareil.

    Les hommes politiques ont toujours piqué dans les caisses pour se payer des châteaux, des tableaux, offrir des bijoux à leurs maîtresses, de Fouquet à Roland Dumas en passant par Talleyrand. Évidemment, je préférais l’époque où les politiciens avaient du goût, la Pompadour avait quand même plus de classe que Christine Dévie-le-Joncgourd, mais le problème n’est pas là. Ce qui est inédit, c’est cette sorte d’aristocratie de journalistes assez incultes et complètement irresponsables, cette corporation dont justement Jean-François Kahn est un représentant infatigable.

    Juppé au moins, lui, aussi prétentieux soit-il, a payé ses micmacs d'une année d’exil au Canada. Ça a l’air de rien comme ça, mais personnellement c’est le dernier endroit de la planète où j’aurais envie d’aller passer un an, le Canada (et je dis pas ça à cause de Dantec).
    Les journalistes peuvent continuer de débiter leurs discours démagogiques, leurs contrevérités, de toucher des pots-de-vin, de se renvoyer l'ascenseur, de bidonner des reportages, de faire subventionner leurs torchons qui n’intéressent plus personne, d'attiser les émeutes, ils sont IN-TOU-CHABLES. Même les magistrats, eux-mêmes intouchables jusque-là, les redoutent depuis que la télé peut les clouer au pilori.

    Jean-François Kahn accuse les hommes politiques d'être coupés de la réalité. En réalité, la responsabilité des journalistes est énorme, on a basculé de la propagande directement dans la mythomanie. Le problème n'est pas tellement que les hommes politiques soient coupés de la réalité et tiennent des discours démagogiques, ça c'est un slogan de journaliste ringard, les gens réagissent plus normalement dans la rue face à un homme politique que face à un journaliste. Le problème c'est que les Français sont complètement désinformés les uns sur les autres, dressés les uns contre les autres par les médias qui attisent la guerre civile, qui divisent pour mieux régner.

    Il est logique que les militants marxistes antipubs soient incapables d'évaluer correctement ce problème des médias modernes et de leur influence néfaste. En bons marxistes, ils savent discerner les causes économiques et pointer du doigt la dépendance de la presse vis-à-vis des grands industriels. Leur démonstration que le quotidien Le Monde est un faux quotidien payant, un vrai gratuit, par exemple, est imparable. Mais ces militants marxistes sont empêchés par leurs œillères idéologiques d'aller au-delà de ce préambule, de comprendre les causes politiques et historiques, même la coïncidence des dates ne leur met pas la puce à l'oreille. Ils sont efficaces pour lutter contre la pub, à un contre cent, bien sûr, mais incapables d'imaginer des solutions pour faire sauter le verrou. Et pour cause…

  • Théorèmes

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    Je sais bien que Houellebecq ne publie pas de bouquin, cette année, mais on va quand même pas parler de Yannick Moix !?
    Il y a Angot, aussi. Au moins, elle, elle me fait marrer. J’ai vu presque tous ses sketches. Le dernier sur sa naissance à Châteauroux était très drôle, mais difficile à raconter ici, c’est au-delà du “non-sense”. Elle est beaucoup plus drôle que Bigard.
    Est-ce qu’il existe un dévédé des sketches de Christine Angot, un zapping, quelque chose comme ça ? Il y a certains sketches que je reverrais bien. Elle restera, Angot, contrairement à Bèguebédé ou Lola Pille : parce qu’elle est vraiment trop, Angot !

    À propos de Houellebecq, deux trucs m’amusent. Comment il a réussi à se mettre tous les médias à dos rien qu’en disant qu’il trouvait les Allemands plus sympas que les Français. C’était très fort. Très intéressant aussi. Ça en dit long sur le chauvinisme des Français, leur immobilisme, encore plus cons que les Français de 1920 qui avaient, eux, quelques petites raisons d’avoir de tels préjugés.
    Bien sûr, la presse a été choquée aussi par les réflexions misogynes ; ses vannes sur la médiocrité de la civilisation musulmane ont fait sauter au plafond les militants antiracistes - mais St-Germain-des-prés, assez anti-arabe dès qu’il se sent vaguement menacé, a fini par trouver ça plutôt drôle. Le coup des Allemands plus sympas que les Français, c’était très bon.

    Et puis ce qui est amusant aussi, c’est cette histoire que raconte Nabe dans son dernier bouquin à propos de Sollers qui n’a pas vu venir le succès de Houellebecq. En gros, Sollers pose l’axiome selon lequel il est impossible d’avoir du succès en librairie aujourd’hui sans écrire des trucs qui plaisent aux femmes puisqu’elles représentent quatre-vingt pour cent des lecteurs ; et comme Houellebecq est misogyne, assez abstrait, politiquement incorrect, ses bouquins sont condamnés d’avance. Raisonnement cartésien, rien à dire. On connaît la suite, les centaines de milliers d’exemplaires vendus, essentiellement achetés par des gonzesses, donc. Et Sollers, le plus grand préfacier de la littérature française, sans doute, mais dont la veulerie est quasi-légendaire (On connaît la chanson : (« Avec sa gueule de Tartuffe, de moine errant, de patron grec, et ses cheveux tout plein d’argent… lalala »), Sollers se rallie bien sûr à la cause de Houellebecq.

    Au-delà des histoires de clones chiantissimes, ce mystère me titille. La théorie de Chardonne, également éditeur, c’est que le succès est imprévisible en littérature. Il a lui-même fondé sa maison Stock sur le succès inattendu en France du récit d’un pilote allemand après guerre, Pilote de Stukas. Pourquoi les femmes se sont-elles mises à lire Houellebecq contre toute prévision. Est-ce :

    1. Parce que les femmes, de plus en plus masculines, ont désormais des goûts qui se rapprochent de ceux des hommes.
    2. Parce que les femmes sont restées dans le fond majoritairement plutôt masochistes et que les propos sadiques de Houellebecq les ont excitées, incitées à acheter le livre.
    3. Pour une troisième raison qui m’échappe.

  • Fanatisme

    Voilà encore que je me fais traiter de “fan de Houellebecq” dans un courriel. Non, franchement, Houellebecq et ses romans paraphilosophiques n’ont pas grand-chose pour me botter. C’est Houellebecq-l’acteur que j’admire, sa façon de ridiculiser l’intelligentsia, avec assez de sang-froid. Je suis admiratif d’un type qui est capable de garder son calme une demi-heure face à Laure Adler, par exemple, et je parle pas des jambes de la gonzesse, largement exagérées par les mitterrandolâtres. Dans ce domaine-là je ne trouve pas que Mitterrand ait eu le goût très sûr, d’ailleurs. Que pouvait-il bien trouver à Catherine Langeais, Anne Pingeot ??

    Houellebecq réussit à faire passer un peu d’air frais dans ce cul serré qu’est devenue la France. Il montre sa bite sur la Place des Droits de l’Homme en plein jour et les flics n’arrivent pas à le choper. Un peu comme Le Pen. À cette différence que Le Pen ne ridiculise pas l’intelligentsia, il la terrorise plutôt. Le journaliste qui va interviouver Le Pen, il a les foies en montant sur le plateau, la trouille de se prendre une vanne qui va le griller définitivement. Je parle pas d’Elkkabach ou de Duhamel, Elkkabach et Duhamel, ces vieux briscards, sont ridicules à chacune de leurs apparitions et ça les empêche pas de continuer d’engranger des points-retraite en toute sérénité. J’étais assis l’autre jour à côté de Duhamel dans le bus, j’avais l’impression d’être assis à côté d’une caricature de Daumier - ou de Dubout. Il a quand même réussi à passer la porte, mais de justesse.

    Il n’y a que Tapie qui soit monté à l’assaut de Le Pen la fleur au fusil. Ah, Tapie, je le regrette celui-là, la terreur des jospinistes, des strauss-kahniens et des fabiusiens, tous ces gens gris qui nous empoisonnent la vie.
    Mais j’ai peur qu’il ne revienne pas, Tapie, qu’il préfère troquer sa candicature contre un arrangement fiscal. Ce type a l’air d’avoir le sens de la famille avant tout. Encore une fois, c’est dommage, je l’aurais bien vu en bouffon de la reine, la reine Ségolène, ralliement au second tour, il n’est écrit nulle part que les reines n’ont pas besoin d’un bouffon, elles aussi, pour faire rire le peuple.

    Dans le succès de Le Pen et de Tapie, évidemment, il y a beaucoup de ça, ils rentrent dans le lard des privilégiés de la télé et de la radio, qui couvrent les émeutes dans les banlieues bien au chaud dans leurs petites limousines de fonction les poches pleines de biffetons pour acheter leur tranquillité, et ça fait plaisir à voir.
    Pendant longtemps, on a brandi l’argument majeur que Le Pen et Tapie étaient bien incapables de gouverner la France, mais l’accumulation des bourdes commises par Mitterrand et Chirac font que cet argument a un peu perdu de son impact…

    Mais je m’égare, je voulais parler de Houellebecq et je parle de Le Pen et de Tapie. Tant pis, on verra demain.

  • Cauchemar au chocolat ?

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    « Pendant longtemps, la décadence de l’Occident resta masquée aux yeux de l’opinion publique par le rideau de fumée du discours politique optimiste répandu par la télévision dans 99,9 % des foyers.
    Les exploits technologiques accomplis par les États-Unis donnaient l’illusion d’un gain de temps et d’espace, d’un progrès. De fragiles gadgets suffisaient à combler les rêves du plus grand nombre.

    « Au début du XXIe siècle, néanmoins, le voile ultra-résistant de la propagande commença à se déchirer. Il n’est jusqu’au plus abruti des cinéphiles, prostré dans l’obscurité et le vacarme d’une salle de cinéma, qui ne pouvait sentir l’odeur de la gangrène. C’était comme si les premiers attentats perpétrés par Ben Laden à New York avaient entamé l’inoxydable arrogance du monde occidental. On mentait encore, certes, mais c’était plus par habitude qu’autre chose, désormais.

    « Le cœur n’y était plus, la retraite approchait pour les collaborateurs du régime. Ils semblaient fatigués de leurs propres contorsions intellectuelles pour démontrer la mort de Dieu, l’innocuité de la démocratie, pour essayer de justifier l’art contemporain, bref, tout le cinoche. Ils aspiraient sans doute désormais à se consacrer entièrement à leurs collections de timbres-poste.

    « En prenant un peu de recul sur le territoire des beaux-arts sinistré, aux mains des iconoclastes, on ne pouvait s’empêcher de penser à la formule de Spengler selon laquelle la décadence intervient lorsque l’âme d’une civilisation est arrivée au bout de ses possibilités. Dans le domaine précis de la littérature, on était allé jusqu’à intenter des procès d’intention à des cadavres. L’emprisonnement d’un écrivain, méthode maladroite, avait été remplacé par l’autocensure, qui ne risquait pas d’émouvoir des consciences atrophiées.
    À la vie intellectuelle libre des siècles passés, les éditeurs avaient substitué ce qu’on appelait la “rentrée littéraire”, une fois par an d’abord, puis tous les trimestres.

    « Ces rentrées littéraires sont quelque chose d’assez difficile à imaginer… Il faut se représenter les écrivains en écoliers soucieux avant tout de plaire à leurs maîtres, débordant d’enthousiasme servile.
    Seule la mémoire astronomique des ordinateurs a conservé en mémoire cette litanie de pseudos interminable : Adrien Zeller, Lola Pile, Yannick Moix, Zoé Delaume, Patrice Poivre-d’Armor, Marie Nothombe, Eric Beigebédé, etc., etc., ces promos entières d’écrivains qui rendaient poliment leurs copies à l’heure en s’efforçant de ne pas être hors sujet avaient déjà sombré dans l’oubli moins de dix ans après.
    Qui voudrait aujourd’hui enquêter sur ce phénomène ne retrouverait que des premiers prix de fayotage, une génération de faiseurs s’improvisant écrivains à la sortie de "Sciences-po". ou de "Sup de co.-Lyon". Tout ça pour le confort de voir leurs noms écrits noir sur blanc dans la case “bénéficiaire” d’un premier chèque d’avance… puis d’un deuxième, jusqu’à faire de ces devoirs de vacances une vraie profession ouvrant droit à une retraite républicaine. Si on a retenu le seul nom de Michel Houellebecq, c’est juste parce qu’il était cet élève qui, du fond de la classe, jetait des boulettes sur le prof. Et les filles applaudissaient devant tant de mâle audace. Après il fut viré de l’école.

    « On aurait sûrement stupéfait Yannick Moix, pour prendre un nom dans cette liste au hasard, si on avait voulu lui retirer le droit d’étaler complaisamment ses petites blessures narcissiques, de jeter ses parents en pâture au public ou je ne sais quelle autre obscénité, si on lui avait dit que n’ayant pas le tiers du quart du talent de Céline ni même de Rousseau, il était préférable qu’il s’épanche en privé… Mais la photo dudit Moix, que je viens de retrouver grâce à un moteur de recherche, m’incite tout à coup à être indulgent avec ce pauvre type au physique simiesque. Le moins qu’on puisse dire c’est qu’il n’a pas été gâté par la nature. Il arrive qu’un enfant ne pardonne jamais à ses parents de l’avoir fait aussi laid et qu’il n’ait de cesse de se venger de cette infortune en… »


    Là-dessus je me réveille en sursaut, soudain, en plein milieu de la nuit dernière, complètement hirsute. Qu’est-ce qui m’arrive, moi qui dors si bien d’habitude !?
    En cherchant à s’enrouler autour de mon cou, mon bras heurte le Siècle de 1914. J’ai dû m’endormir dessus. Ça doit être Venner qui m’a réveillé. C’est toujours mieux que de dormir seul. Ah, cette bouteille dorée retrouvée dans une des poubelles de mon immeuble n’est peut-être pas non plus complètement étrangère à ce cauchemar. Intrigué par cette flasque encore vierge, je l’avais remontée dans ma cuisine. J’avais dû casser le goulot pour pouvoir l’ouvrir, probable que c’est pour ça qu’on l’avait jetée. C’est une sorte de liqueur brune au chocolat. C’est suisse, un peu bizarre. Est-ce que c’est ça qu’on appelle “kaluah” ?

  • Marcel Aymé est mort

    Dos à dos, un vieux militant de la CGT et un jeune CRS. Le premier sirote sans gêne un Coca-Cola frais et se marre bruyamment en direction de ses camarades. Il jouit sans retenue de tout ce boucan insolent, la grosse sono qui débite de la musique pop, les canettes vides qui roulent dans le caniveau d’une rue de Paname.
    Il est midi. Pigalle et le repos du militant syndicaliste ne sont pas loin, à deux pas d’ici. Si seulement cette brave Gisèle était pas au chômedu et avait pas insisté pour l’accompagner à la manif, il se serait bien tapé une petite Russe, quitte à entamer son pouvoir d’achat ! « ‘Chier, à quoi ça tient le paradis, quand même… »

    Le flic, lui, sourit à l’idée de toucher une prime pour une matinée passée à mater les culs bien roulés des petites bourgeoises qui défilent dans ce quartier privilégié. Il bombe le torse, on sait jamais, des fois qu’une des poupées s’intéresse à lui…
    Car le cégétiste, c’est tout ce qu’il y a de plus prévisible et confortable pour un CRS, ils savent manœuvrer ; il transpirera même pas aujourd’hui. Il pense pas encore aux putes. Il n’a que vingt-trois ans, il préfère l'amour.

    L’été jette ses derniers feux. Un bobo parisien se faufile prudemment entre les deux costauds. Il ne songe qu’à en profiter au maximum, tant que ça durera. Son mot d’ordre à lui, c'est : « Ne surtout pas faire de politique. »

  • Dagen et le centaure

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    Au courrier, une coupure du Monde découpée pour moi par un vieux pote. Une bafouille de Philippe Dagen, le critique d’art de l’ex-quotidien de référence des Français* à propos d’une expo. Géricault qui s’est tenue à Lyon.

    Compte tenu de ce que Baudelaire dit du caractère des Lyonnais, j’hésite toujours à me rendre à Lyon (« Lyon, ville de comptoirs, ville bigote et méticuleuse… »), mais j’avais quand même feuilleté le catalogue de cette expo., avide d'y découvrir quelque reproduction inédite.

    J’ai trop d’admiration pour Géricault pour ne pas réagir à l’article de Dagen. D’abord au titre - Géricault, peintre expérimental -, qui tend à assimiler Géricault à tous les baltringues qui se disent “artistes expérimentaux” pour dissimuler leur absence d’expérience dans un domaine précis en dehors de l’escroquerie aux bourgeois. Dagen est trop sournois pour ne pas l’avoir fait exprès. Ou trop conditionné, peu importe, je me fous de Dagen en particulier. Je passe en vitesse sur la justification hâtive et journalistique de cet adjectif “expérimental” collé sur le blaze de Géricault, Dagen et les commissaires tirant argument du fait que Géricault a traité des sujets très variés, ce qu’on peut dire d’à peu près tous les peintres de son temps.

    La seule chose que je partage avec Dagen, c’est l’intuition que Géricault aurait pu être LE peintre essentiel de son époque s’il n’était pas mort si jeune, dépasser Delacroix, Ingres, Chassériau… Pour le reste, pour tout ce qui est de la démonstration, ce n’est qu’une grossière réduction de la peinture au produit d’une époque sommairement décortiquée. Réduire Géricault à un intello (de gauche), il faut le faire !

    Il est grand temps de nettoyer les écuries d’Augias de la critique ! Tant qu’on entendra que le son de cloche marxiste, il n’y aura pas de renaissance possible – hypocrites thuriféraires de l’art contemporain qui par derrière collectionnent les dessins anciens ! (Que ces gens soient dépourvus de scrupules en public ne les empêche pas d’avoir des intuitions en privé et de fourguer leur camelote "expérimentale" à des crétins pleins aux as.)

    Comparons le peintre avec un assassin : comme on explique aujourd’hui le geste d’un assassin par les circonstances, le “contexte social”, on réduit la peinture à un produit historique. C’est probablement la plus sotte des manières de juger l’assassin comme le peintre, de les transformer en éponges. Ce qu’un gugusse comme Dagen ne supporte pas, en réalité, c’est que la peinture de Géricault soit en grande partie mystérieuse, énigmatique. Le mystère n'empêche pourtant pas la critique de faire honnêtement son travail.

    Je crois que c’est ça qui fait une des différences essentielles entre un Baudelaire et un Dagen : chez Baudelaire, il y a toujours le respect du peintre.

    *D’après un sondage récents, les Parisiens font désormais plus confiance aux quotidiens gratuits qu'au Monde.

  • Trop vieux ?

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    De loin ces grappes d’adolescentes qui s’étreignent à qui mieux-mieux, rient, bondissent sur place en faisant voir leurs nombrils et leurs espérances de poitrine, tout à la joie des retrouvailles et des commérages partagés, c’est un spectacle plutôt réjouissant. De plus près, néanmoins, mes élans pédophiles se trouvent freinés par l’avalanche de grimaces, de tics de langage et les gestes incontrôlés de ces fillettes auto-affranchies.
    Vous vous gratterez la moule en public avant la rentrée 2010, mesdemoiselles, c’est un vieux con qui vous le dit ! Sauf si d’ici-là des couilles vous ont poussé, conformément aux lois de l’Évolution !

    Je constate dans l’escalator que la mode des strings s’accroche et je ne peux pas m’empêcher de prêter une oreille au semblant de conversation des deux spécimens qui me précèdent. « T’sais pas, on est allés au parc Astérix ET à Disneyland avec mes parents, c’était TROP bien !!! »

    En vingt secondes, comme je les poursuis encore un peu dans la rue, la plus volubile des deux va le répéter quatre fois : “Trop génial”, “trop bien”, “trop top”, et même “trop” tout court…
    La jeune génération ne se contente plus des trucs “très excitants” - les choses “super géniales” paraissent minables aussi désormais, faut que ça soit “trop” pour que ça soit “bath”. Moi, quand c’est “trop”, je dégueule. Ces pucelles, elles, se gargarisent avec le superflu. Vu l’énergie que les boutonneux du sexe d’à côté dégagent, on peut quand même craindre des lendemains (matin) qui déchantent.

    Si je conclus qu’après le trop-plein il n’y a sans doute plus que du vide et que la société de consommation est un stade ultime, soit on va me dire que je cause comme Philippe Muray, ce qui ne me fera pas plaisir, soit que comme tous les vieux cons j’aimerais bien que le monde s’arrête en même temps que moi, réflexion pas beaucoup moins désagréable. Donc j’aime mieux la boucler.

  • Houp-houp-houp !

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    Je confesse que je suis un peu jaloux de ces vieux briscards, Constantin Copronyme et Philippe Billé, de leur science des oiseaux. À leurs chants, ils savent reconnaître le pipit farlouse, le bruant-ortolan, le traquet pâtre, le geai des glands… C’est de la poésie pure, ça, ces noms exotiques, ces plumages, le vol papillonnant de la huppe fasciée (Et non pas la huppe fasciste, malgré sa livrée un peu ostentatoire, hypothétique emblème d’un parti réactionnaire caché dans un vallon de la Combraille).

    J’ai toujours rêvé, me promenant de conserve avec une donzelle par les petits chemins de campagne, de la méduser avec ce truc de la science des oiseaux. « Pipipipipipipipi !! »… « Eeeh, t’as pas entendu ce trille ? Ça, c’est la sitelle torchepot de la ferme du Buisson qui fait son nid, ma caille ! » Il y a encore des gonzesses qu’on appâte à la poésie.

    Vous me direz, pourquoi ne pas pallier l'ignorance avec un peu d’imagination, pourquoi ne pas inventer, tout simplement ? Pour peu que la donzelle soit de la ville ou banlieusarde - y’a d’ailleurs bézef de jolies filles dans la Combraille désormais -, elle y verra que du feu. « T’as entendu ce sifflement ma poule ? Hmm, c’est un écalard railleur si je ne m’abuse… Tends donc l’oreille un peu, il risque de remettre ça ! »
    Avais-je des scrupules naguère à truffer mes dissertations de fausses citations pour piéger mon prof de philo ? Evidemment non. Mais je m’en voudrais de tricher avec la poésie des noms d’oiseau, c’est pas pareil.

    Je suis juste bon à reconnaître les oiseaux marins, le pétrel fulmar, l’huîtrier-pie, le fou-de-bassan, mais ça n’a pas le même charme, je trouve, ces piafs sont trop voyants et leurs cris trop stridents.

    Dans le même genre, il y a le truc des étoiles dans le ciel, que j’ai un peu oublié mais qu’un vieux trappeur avait commencé de m’apprendre. C’est bien pour frimer aussi. Ça me rappelle cette fille qui ressemblait à Ornella Mutti et qui dégoisait un peu moins stupidement qu’elle. Quand je la raccompagnais chez sa mère au crépuscule, elle se serrait contre moi, vu qu’elle n’était pas rassurée dans l’obscurité et qu’une hulotte dans le quartier en rajoutait dans les hulements de cinéma. Et je la prenais par le cou pour l’aider à voir le double v de Cassiopée ou le Baudet.

    Je me demande quand même si elle s’en foutait pas un peu, de mon Baudet. La première fois que je l’ai serrée contre moi, elle m’a dit qu’elle aimait bien mon odeur. « Tu sens la forêt, Lapinos… » Ah, ah, je crois bien que c’est le meilleur dans les relations entre un homme et une femme, ces réflexions incongrues qu’elles lâchent de temps en temps et qui nous surprennent (J’imagine que nous devons nous aussi les surprendre involontairement)… Au vrai, je devais sentir la cigarette froide et je n'avais pas pu me laver pendant quinze jours (Depuis cette saillie flatteuse d’“Ornella”, je répugne d’ailleurs à prendre plus d’un bain par semaine.)

    J’avais treize ans de plus qu’elle mais en déclarai seulement sept. J’abusais ainsi la fille mais la mère m’envoya un gendarme, le sien, pour faire un esclandre et la récupérer… Je me demande si je ne pourrais pas trouver une photo d’“Ornella” sur internet pour voir comment elle a vieilli ?

    Merde, je serais pas en train de virer nostalgique, moi, à force de lire les blogues de ces deux vieux briscards !?

  • Recopié

    Pendant ma retraite chez les moines, j’ai eu le temps de recopier une page de Louis Veuillot dans la bibliothèque. Veuillot (1813-1883), c’était le directeur de L’Univers, l’ennemi juré de Victor Hugo, pour ceux qui ont quelques notions d’histoire du XIXe. Mais n’importe, c’est une page où Veuillot raconte comment il s’est marié.
    J’ai un peu hésité avant de le recopier cette fois-ci sur mon blogue, vu que c’est un peu long, mais je trouve ce récit exemplaire. On est très loin des sermons actuels des psys et des curés sur la communication dans le couple. Tant mieux, car s’il y a bien un truc qui me dégoûte, c’est le “glamour catholique”, comme je le répète souvent à ma cousine Sophie qui fait bien sûr semblant de pas piger ce que je veux dire et qui écarquille les yeux.

    « Je me suis marié à trente-deux ans, un peu par hasard, comme tout le monde. Deux abbés, dont l’un connaissait ma future et un peu moi, l’autre moi et un peu ma future, avaient arrangé cela avec les parents de Mathilde Murcier, très petits bourgeois de Versailles, fort simples chrétiens. Ils me dirent que ce mariage me convenait, je me laissais faire. Dans le fond, il me convenait fort, mais eux, ni moi, ni elle, n’en savaient rien. C’est l’ordinaire.

    La jeune fille, âgée de vingt et un ans, n’était ni riche, ni laide, ni sotte, ni mal élevée. Rien de marquant. Elle avait de l’esprit, mais je n’en savais rien. On ne le sait jamais. Il était simplement visible qu’elle avait des habitudes de piété et une grande modestie. Mais qu’est-ce que cela devient ? Rien ne me fixait là-dessus. On lui donnait quarante mille francs ; j’avais six mille francs d’appointements et un millier de francs de dettes, ce n’était pas de quoi vivre. Son nom de Mathilde ne me plaisait pas. Je n’étais nullement pressé d’aucun côté. Néanmoins, je bâclai l’affaire pour en finir. J’avais alors dans la tête qu’il fallait se marier à trente-deux ans et toutes mes réflexions me démontraient qu’on se marie sans savoir ce qu’on fait, et que le plus sage était de s’en fier à la prière.

    Au moment de conclure, il m’était venu, cependant, une inquiétude plus forte. La grand-mère, celle qui faisait la dot, vieille marchande enrichie, n’était décidément pas à mon gré. Elle était fière de son argent, commune, grognon ; elle trouvait que sa petite-fille se mésalliait, car enfin elle appartenait au commerce, et moi, je n’étais qu’un journaliste, profession non classée. Cela ne lui allait pas. Elle avait mille fois raison, mais je ne voulais pas qu’elle me le fît trop voir. Comme je ne manquais pas de faire aussi des réflexions assez brisantes, je pris l’occasion d’une parole un peu trop vive qui lui échappa de trop bon gré et je brisai.
    M. Murcier vint chez moi le lendemain avec une figure triste et me dit que sa fille était désolée. Je lui dis qu’elle oublierait cela ; qu’elle n’avait pas eu le temps de me voir assez pour concevoir tant de chagrin, et qu’elle verrait bientôt qu’elle n’avait pas perdu grand-chose.
    - Il ne s’agit pas de vous, me dit-il simplement ; c’est le linge.
    - Comment, le linge ?
    - Oui, le trousseau est acheté, marqué à votre nom. Les couturières de Versailles savent le mariage, tout le monde le sait : vous comprenez l’effet que produira la rupture ! Que dira-t-on ? Je fis un geste pour montrer que je n’y attachais point d’importance.
    - Oui, reprit le bonhomme, cela vous importe peu à vous ; mais pour nous ce n’est pas la même chose, nous sommes désolés.
    - Eh bien, lui dis-je, si Mademoiselle votre fille y tient, nous ferons le mariage. Il m’importe beaucoup qu’elle n’ait point à souffrir à cause de moi. Seulement, je suis forcé d’exiger qu’elle se marie sans dot.
    - Je ne vous comprends pas, dit-il.
    - C’est votre belle-mère, dis-je, qui fournit la dot, et je ne veux rien recevoir d’elle qu’elle ne m’ait fait des excuses. Pour Mlle Mathilde, cela ne la regarde point. Elle pleure, allons tout de suite la consoler, et marions-nous.

    « Nous allâmes sans désemparer à la gare de Versailles ; si le train n’avait pas dû partir immédiatement, peut-être que la réflexion serait survenue et aurait encore brouillé nos affaires ; car tout cela était bien précipité. Nous arrivâmes. Mathilde et sa mère étaient à déjeuner, nous entrâmes sans crier gare. Elle avait vraiment l’air fort affligé. Mais ma présence disait tout et dissipait toute crainte des couturières. Mathilde ne dit rien, mais en me voyant, elle me jeta un regard si reconnaissant et si content que je ne l’ai pas encore oublié. En ce moment-là, je fus délivré de ma plus grande et plus constante préoccupation depuis qu’il était question de mariage ; je me sentis amoureux (…) Le mariage eut lieu peu de jour après. »


    Louis Veuillot

    Chaque fois que j’entends au milieu des décombres un de ces raseurs d’évêques ou d’éditorialistes catholiques se gargariser avec la “doctrine sociale de l’Église”, je pense à Veuillot, à sa verve et à son franc-parler d’homme du peuple.