Déphilosopher (2)
On peut se demander d’où vient qu’avec aussi peu de personnalité les philosophes ont quand même réussi à quitter le “no man’s land” qu’ils n’auraient jamais dû quitter ? Pourquoi ils ont autant de disciples dans nos grandes démocraties ?
À la télé, au musée, dans les journaux, au bistrot, au boulot, partout, pas moyen d’y échapper ! Dans le métro ? C’est vrai que les gens sont trop pressés pour philosopher, dans le métro. À cet égard, le métro est préférable au taxi. À condition de pas lire les pubs sur les murs… À croire que les publicitaires sont tous des types qui ont raté leurs études de philo. Pour une pub rigolote, combien de pubs consternantes, de jeux de mots vaseux ?
Je crois qu’il faut remonter pour piger au malentendu qui entoure la philosophie. La philosophie apparaît très savante et très compliquée aux jeunes esprits. C’est pour eux comme de la littérature pour les “grandes personnes”. Il n’en est rien, évidemment. La philosophie est très simple. Il suffit d’avoir la clef. Derrière la porte, c'est à peu près comme un gros castel néogothique, de grandes salles vides et froides…
Ou, si on préfère, l’image du jeu de construction. Les philosophies s’emboîtent les unes dans les autres. La phénoménologie dans la critique de la raison pure, l’existentialisme dans la phénoménologie, pour former des constructions audacieuses, toujours au ras du sol, bien sûr. De là aussi le goût des enfants pour la philo. Entre le gamin qui lit Kant et celui qui lit Harry Potter, il n'y a pas une différence énorme. Juste une question de snobisme.
Comme si les moqueries paternelles n’étaient pas suffisantes pour me vacciner, j’ai eu Nietszche comme prof de philo. La même coupe de cheveux, les mêmes moustaches, les mêmes sourcils broussailleux ! Une imitation presque parfaite… Sauf que lorqu’il sautait dans son petit coupé sport décapotable à la fin du cours pour épater les gonzesses, ça donnait une image un peu incongrue du superhomme nitchéen (1) à ses élèves !
« Qu’est-ce qu’il resterait de la philosophie si on la traduisait en langage normal ? » a dit un poète-philosophe mineur du XXe siècle pour minorer. J'aime bien les bons mots moi aussi, mais le résultat de toutes ces années d'insouciance à l'égard de la manie de philosopher, c'est que la jeune génération paie les pots cassés. On est envahi par la philosophie, jusqu’aux greniers du Vatican !
Si ça continue comme ça, je suis condamné à brève échéance à passer mon temps sous l'eau, à la piscine, où les philosophes, enfin, se taisent…
(1) Je crains que ce patronyme barbare ne finisse par me rendre dyslexique, aussi l'écrirai-je désormais Nitche, à la manière française.