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georges orwell

  • Orwell ou Jésus-Christ ?

    Je sais que le rapprochement entre l'auteur de "1984" et Jésus-Christ peut surprendre ; ce d'autant plus que Georges Orwell était athée, et que rien ne laisse penser qu'il aurait renié son athéisme.

    Les chroniques de Georges Orwell publiées dans la presse laissent paraître ce qu'il pensait des principales religions encore actives en Europe : le catholicisme, l'anglicanisme et le protestantisme. Son opinion n'est pas très éloignée de celle d'un autre socialiste, Karl Marx, qui les assimilait plus ou moins au folklore, un siècle plus tôt. La culture religieuse de Marx est sans doute plus étendue que celle d'Orwell ; adolescent, Marx rédigea des sermons qui dénotent d'une bonne connaissance de la Bible et des évangiles.

    Si les connaissances de G. Orwell sont plus superficielles dans ce domaine, cela vient peut-être de l'anglicanisme, qui a la particularité, comme le catholicisme, d'avoir été une religion d'Etat ; je parle au passé aussi en ce qui concerne le Royaume-Uni, car la monarchie britannique est désormais assimilable elle aussi au folklore. Les quatre ou cinq dernières années ont montré à quel point le souverain britannique et le pape jouent un rôle mineur, aussi bien sur le plan politique que spirituel. Le pape François et Charles III d'Angleterre n'estiment pas forcément que la Guerre froide est une bonne chose, mais ils se gardent bien de contredire ouvertement la stratégie guerrière de l'OTAN. Le pape hésite peut-être, car la politique occidentale fait courir le risque de catastrophes humanitaires de grande ampleur dans le tiers-monde, où vivent la plupart des catholiques.

    Orwell est tout de même assez cultivé pour ne pas ignorer que la culture européenne a été marquée de façon indélébile par le christianisme, et qu'il est lui-même le produit de cette culture. En tant qu'Européen, Orwell sous-estimait ou ignorait le dynamisme des sectes chrétiennes américaines.

    Un fait remarquable, à propos d'Orwell, et qui m'a fait dernièrement fait penser à ce rapprochement apparemment incongru avec Jésus-Christ, c'est  son isolement - à commencer par son isolement au sein du mouvement socialiste, qui sous l'influence du communisme est devenu peu à peu, au XXe siècle, "le parti de l'Etat". Il y a quelque chose de mystique, de non-pragmatique, dans l'Etat moderne, que G. Orwell a parfaitement synthétisé dans "1984". Le citoyen-socialiste d'Océania accepte de se soumettre à Big Brother au-delà du raisonnable, car celui-ci est investi de l'espoir d'un monde meilleur. Big Brother n'est pas un Etat pragmatique, c'est un Etat érotique.

    Or Jésus est un prophète juif, tellement isolé parmi les Juifs que le clergé juif complota pour qu'il soit jugé comme anarchiste et exécuté. Les apôtres eux-mêmes se cachèrent, car ils craignaient d'être arrêtés et mis à mort. La plus grande hostilité ou le plus grand mépris vis-à-vis d'Orwell,  on le retrouve chez des intellectuels assimilables à une sorte de clergé socialiste.

    Mais surtout l'idée de ce rapprochement m'est venue à propos d'une réflexion d'Orwell sur le totalitarisme et la mentalité totalitaire, assez précisément définie par lui comme le renoncement à "la vérité objective". Il serait naïf de croire, dit Orwell, que l'on peut se tenir à l'écart du phénomène totalitaire. Dans "1984", O'Brien ne permet même pas que Winston Smith et Julia puissent penser contre.

    Autrement dit, il n'y a pas de position neutre, aucune posture de méditation transcendantale qui permette de se tenir réellement à l'écart de l'Histoire. Si vous avez déjà nagé dans les eaux vives d'un fleuve, vous avez dû atteindre cette immobilité qui consiste dans l'équation momentanée de vos forces et de celle du fleuve ; mais, à la longue, on ne peut que rejoindre la rive au prix d'un effort surhumain, ou se laisser emporter par le fleuve, comme la masse est conditionnée à le faire dans un régime totalitaire. Il n'y a que deux mouvements réels possibles.

    Or le Messie, de la même façon, explique qu'il n'y a pas deux voies possibles, et que ceux qui ne sont pas avec Lui sont contre Lui.

    Peut-on imiter, suivre Jésus-Christ sans même s'en rendre compte, en étant "athée" ? La parabole du "bon Samaritain" indique que oui : le Samaritain n'était pas Juif, mais se comportait comme un Juif aurait dû le faire s'il avait compris que la Loi de Moïse n'était aucunement un privilège.

    "Nombre de gens se consolent avec cette idée maintenant que le totalitarisme, sous une forme ou une autre, est visiblement en plein essor dans toutes les parties du monde.

    (...) Pourquoi cette idée est-elle fausse ? Je passe sur le fait que les dictatures modernes, à la vérité, n'offrent pas les mêmes échappatoires que les despotismes à l'ancienne, et sur l'affaiblissement du désir de liberté intellectuelle qu'entraînent probablement les méthodes éducatives des systèmes totalitaires. Mais la pire des erreurs, c'est de s'imaginer que l'être humain est un individu autonome. La liberté secrète dont on est censé pouvoir jouir sous un régime despotique est un non-sens car nos pensées ne nous appartiennent jamais entièrement. Les philosophes, les écrivains, les artistes et même les savants n'ont pas seulement besoin d'encouragements et d'un public, ils ont aussi besoin de la stimulation constante d'autrui. Il est pratiquement impossible de penser sans parler avec quelqu'un. Si Defoe avait vraiment vécu sur une île déserte, il n'aurait pas pu écrire "Robinson Crusoé". D'ailleurs, il n'en aurait pas eu envie. Supprimez la liberté d'expression et les capacités créatrices se tarissent. (...)" G.O. (1944)

  • Orwell et la "crise sanitaire"

    Article corrigé (4 févr. 2022) sous forme de fichier pdf à lire ici.

  • Orwell ou Shakespeare

    A qui me fait remarquer que Georges Orwell fut un écrivain visionnaire, je réplique qu'Orwell a près de quatre siècles de retard sur Shakespeare ; "rétro-visionnaire" paraît donc mieux adapté.

    Comparés à Shakespeare, tous les poètes occidentaux paraissent "modernes", c'est-à-dire producteurs d'ouvrages de circonstance, voués au rebut, suivant cette vérité éternelle que le temps commence d'abord par frapper de ses rayons ceux qui croient malin de lui réclamer des dividendes.

    Bien qu'il ne se passe pas un jour sans qu'un professeur complote d'assassiner Hamlet une bonne fois pour toutes, Shakespeare demeure, bien plus contondant qu'Orwell, une pierre dans la botte de l'oppresseur, le genre de caillou dont Goliath ne croyait pas devoir se méfier.

    Beaucoup mieux qu'Orwell, Shakespeare montre que l'oppression s'accroît du faux savoir livresque, autrement dit de la "culture", n'interdisant pas la lecture, mais rendant au contraire obligatoires les ouvrages les plus vains -tout ce qui relève de la psychologie-, passion qui trahit l'onanisme des intellectuels ; la grande majorité des lectrices ne fait que boire comme du petit lait le foutre de curés ou d'enfants de choeur, croyant ainsi se fertiliser la cervelle. Les imbéciles, chez Shakespeare, sont presque toujours des ecclésiastiques (Polonius, Thomas More, Erasme), sachant la contribution majeure de l'intelligentsia catholique aux divertissements psychologiques. La foi et la raison totalitaires sont inscrites pour Shakespeare dans le plan des hommes depuis le jour où un homme, Jésus, est parvenu à échapper à la condition humaine, privant le clergé et la culture de toute fonction, et même la fonction de sa fonction.