En réponse au commentaire de Fodio ("Les femmes gémissaient ; mais sous prétexte de gémir sur Patrocle, c'était chacune sur son propre malheur". Pour l'aspect misogyne d'Homère. Zeus soutient les Grecs effectivement contre la majorité des autres dieux, il me semble. Pourtant c'est par amour pour Achille ; tu me diras que ce dernier meurt assez pitoyablement, mais comment expliquer cette préférence de Zeus pour Achille ?) :
Il faut comprendre l'Iliade et l'Odyssée comme un ensemble, un diptyque. La religion d'Ulysse est une alternative à celle d'Achille.
A cet égard "l'Enéide" de Virgile est une régression. L'Enéide fonde un culte national assez creux, une anthropologie et non une théologie. Cette précision est utile, s'agissant du rapport entre Homère et Shakespeare, dans la mesure où ce dernier fait table rase de la culture latine occidentale, qui repose sur la filiation entre les nations modernes et Troie ou Rome.
Autrement dit, si Achille est bien le héros de l'Iliade et le chéri de Zeus, c'est Ulysse le héros de Homère et son favori. Achille témoigne d'une religion radicalement différente de celle d'Ulysse. Homère indique que Achille est en proie au déterminisme religieux, son ressort est psychologique, tandis que Ulysse, lui, au contraire, est libre ; autrement dit, Homère indique que la voie de la sagesse n'est pas un chemin naturel. Cela est probable en raison de la déception d'Achille aux enfers, qui serait disposé à échanger toute sa gloire, en définitive, contre la vie, c'est-à-dire la possibilité d'un meilleur choix.
On pense d'ailleurs ici à la diatribe de Francis Bacon contre les soldats, aux yeux desquels ne comptent rien que le vin, les femmes et la musique. Bacon sait d'ailleurs parfaitement que, sans leurs soldats, les nations ne sont rien, ce qui implique du point de vue culturel d'encourager systématiquement le militarisme ou le militantisme (l'intellectuel moderne "engagé" n'est que le masque du prêcheur nationaliste, c'est-à-dire du pourvoyeur de charnier).
L'expression d'une sagesse ou d'une spiritualité contre-nature de la part d'Homère, outre la misogynie, permet de discerner en lui un "tragédien juif". Homère ouvre une brèche dans la philosophie naturelle, c'est-à-dire le culte égyptien ou oedipien.
Ce qui déclenche la colère de Platon, c'est la promotion par Homère de la conscience religieuse individuelle à travers Ulysse, incompatible avec le culte providentiel païen archaïque. Platon est plus moderne que Homère, parce qu'il est plus archaïque. Homère, lui, énonce une théologie qui n'est en principe pas tributaire du temps, et qui a le défaut, du point de vue élitiste ou platonicien, de n'être d'aucun usage sur le plan politique ou éthique.
- De la même manière, on pourrait dire que dans le théâtre de Shakespeare, du moins pour les tragédies situées dans l'ère chrétienne, tous les personnages de Shakespeare confessent la foi chrétienne. Comme il se doit, selon la doctrine catholique romaine, les rois et les princes d'Occident sont, comme Achille est le chéri de Zeus, les favoris de dieu, portant sur eux les insignes de la foi chrétienne. Il n'est pas moins vrai qu'aux yeux de Shakespeare, ce type de culte providentiel est nécessairement païen et satanique. "Mon royaume pour un cheval !" : Shakespeare révèle en l'occurrence la véritable nature du culte des potentats occidentaux, et pourquoi ils sont les moins bien placés pour comprendre le sens spirituel de l'histoire.
Autrement dit, Homère part d'un poème religieux ou d'un thème nationaliste classique, comparable à l'Enéide ou à "Star Wars", dans lequel il introduit la critique, c'est-à-dire l'ingrédient qui a le don de faire voler en éclats la culture. Shakespeare se comporte de la même façon par rapport à la culture médiévale, mélange de paganisme et de christianisme.