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iliade

  • Homère vu par Shakespeare

    Je lis ceci dans un manuel scolaire (par Olivier Got) :

    «N’oublions pas cependant qu’Ulysse, sans les dieux qui le protègent, ne serait rien.»

    On pourrait l'oublier, en effet, tant les personnages de "L'Iliade" et de "L'Odyssée" paraissent proches de nous, au point que certains lecteurs athées peuvent apprécier la lecture des aventures d'Ulysse et de ses compagnons, s'identifier à tel ou tel héros (l'Odyssée magnifiant Ulysse entre tous).

    Certains auteurs modernes sont fascinés par Ulysse, bien que le héros grec ne soit absolument homère,shakespeare,ulysse,odyssée,achille,troilus,cressida,pericles,eneide,poseidon,athena,olivier got,cervantès,iliadepas animé par un esprit moderne ; en effet l'homme moderne est seul, tel Rimbaud, face à son destin. Parfois, au dernier moment, sous pression, il appelle Dieu au secours, quand il n'a plus sa mère.

    La théorie d'un Ulysse épicurien, par un autre prof (Luc Ferry), m'a fait rire ; elle est si franchouillarde ! Les moines sont épicuriens quand ils ne sont pas masochistes : ils n'ont aucun besoin d'Athéna pour leur apprendre à jouir raisonnablement.

    Attardons-nous, plus que le commentaire scolaire, sur la protection divine dont bénéficie Ulysse - la déesse Athéna ; il faut préciser aussi quel Dieu s’efforce d'empêcher Ulysse de retourner à Ithaque - Poséidon.

    Mais d'abord Athéna : cette émanation de Zeus est supérieure à Zeus lui-même ; elle sort par le haut, et non par le bas, comme Dionysos.

    Un commentaire athée superficiel consisterait à dire qu'Athéna représente le triomphe de l'intelligence humaine sur la religion, sur la soumission à des dogmes. C'est en partie exact, et c'est ce qui explique l'illusion que certains "modernes" peuvent avoir qu'Ulysse est un héros "affranchi des dieux". Ulysse n'est pas passif, il n'attend pas tout de la providence comme certains dévots. Néanmoins Ulysse obéit à Dieu (le massacre des prétendants est un ordre divin).

    L'homme moderne, lui, se croit "libre" ou "affranchi", quand bien même le confort, principal gain ou victoire de la modernité, devrait inciter l'homme moderne à s'identifier plutôt aux lotophages, esclaves de leurs propres désirs. Plusieurs épisodes de l'épopée d'Ulysse illustrent que, s'il y a bien un héros qui ne se laisse pas dominer par le désir, c'est Ulysse !

    Si l'on voit dans l'homme moderne un individu décadent, "anarchiste" comme dit Nietzsche, un individu qui ne croit en rien qu'en lui-même - dans ce cas l'homme moderne se place sous la protection d'un de ces dieux secondaires de la mythologie, tel Dionysos (mortel) ou Chronos (archaïque), quand ce n'est pas carrément Hadès (froid).

    La divinité d'Ulysse se mesure aussi par rapport à l'humanité d'Achille, qu'anime un désir de gloire proportionnel à sa puissance physique.

    La déception de l’au-delà, éprouvée par Achille (chant XI), est sans doute un passage crucial de l'Odyssée ; elle indique en effet le peu de cas que Homère faisait de la religion de l'Egypte antique (religion anthropologique, c'est-à-dire entièrement spéculative). Ce passage explique aussi la guerre de religion qui opposa Platon et ses disciples à Homère et ses disciples pendant des siècles, pour ne pas dire des millénaires.

    *

    Cet antagonisme ou cette dialectique n’a pas échappé à Shakespeare ; celui-ci a fait d’Ulysse dans "Troïlus & Cressida"  un chef politique contredisant l'idéal platonicien exposé dans "La République" - un chef politique qui sacrifie son honneur personnel à l'intérêt général. C'est-à-dire un chef "machiavélique" avant l'heure (le sens véritable du "machiavélisme" est clairement exposé par Shakespeare dans son théâtre).

    "Troïlus & Cressida" renverse complètement le propos de "L'Enéide". En effet Shakespeare a vidé "L'Iliade" de son héroïsme ou de son esprit chevaleresque, tout comme Cervantès a ridiculisé cet idéal dans "Don Quichotte".

    Mais Shakespeare ne trahit pas Homère en transformant "L'Iliade" en parodie satirique. L'Odyssée souligne bien le penchant naturel de l'homme à la guerre et au pillage. Par "penchant naturel", comprenez : "homme soumis au destin" (ce que Ulysse n'est pas).

    Shakespeare a lui-même doté l’Angleterre d’une épopée homérique – "Périclès, Prince de Tyr". On comprend que le public anglais l'ait beaucoup appréciée ; si l'Angleterre est la plus athénienne des nations européennes, c'est en grande partie grâce à Shakespeare.

    Shakespeare s'est efforcé de surpasser Homère ; il ne s'est pas contenté de l'imiter sans le comprendre, comme Virgile - d'ailleurs l'épopée métaphysique ne peut être semblable, en 1600, à ce qu'elle fut plusieurs siècles avant Jésus-Christ. Ce faisant Shakespeare ne trahit pas Homère, comme le théâtre de Racine qui transforme la tragédie antique en drame psychologique bourgeois.

  • Ulysse contre Achille

    En réponse au commentaire de Fodio ("Les femmes gémissaient ; mais sous prétexte de gémir sur Patrocle, c'était chacune sur son propre malheur". Pour l'aspect misogyne d'Homère. Zeus soutient les Grecs effectivement contre la majorité des autres dieux, il me semble. Pourtant c'est par amour pour Achille ; tu me diras que ce dernier meurt assez pitoyablement, mais comment expliquer cette préférence de Zeus pour Achille ?) :

    Il faut comprendre l'Iliade et l'Odyssée comme un ensemble, un diptyque. La religion d'Ulysse est une alternative à celle d'Achille.

    A cet égard "l'Enéide" de Virgile est une régression. L'Enéide fonde un culte national assez creux, une anthropologie et non une théologie. Cette précision est utile, s'agissant du rapport entre Homère et Shakespeare, dans la mesure où ce dernier fait table rase de la culture latine occidentale, qui repose sur la filiation entre les nations modernes et Troie ou Rome.

    Autrement dit, si Achille est bien le héros de l'Iliade et le chéri de Zeus, c'est Ulysse le héros de Homère et son favori. Achille témoigne d'une religion radicalement différente de celle d'Ulysse. Homère indique que Achille est en proie au déterminisme religieux, son ressort est psychologique, tandis que Ulysse, lui, au contraire, est libre ; autrement dit, Homère indique que la voie de la sagesse n'est pas un chemin naturel. Cela est probable en raison de la déception d'Achille aux enfers, qui serait disposé à échanger toute sa gloire, en définitive, contre la vie, c'est-à-dire la possibilité d'un meilleur choix.

    On pense d'ailleurs ici à la diatribe de Francis Bacon contre les soldats, aux yeux desquels ne comptent rien que le vin, les femmes et la musique. Bacon sait d'ailleurs parfaitement que, sans leurs soldats, les nations ne sont rien, ce qui implique du point de vue culturel d'encourager systématiquement le militarisme ou le militantisme (l'intellectuel moderne "engagé" n'est que le masque du prêcheur nationaliste, c'est-à-dire du pourvoyeur de charnier).

    L'expression d'une sagesse ou d'une spiritualité contre-nature de la part d'Homère, outre la misogynie, permet de discerner en lui un "tragédien juif". Homère ouvre une brèche dans la philosophie naturelle, c'est-à-dire le culte égyptien ou oedipien.

    Ce qui déclenche la colère de Platon, c'est la promotion par Homère de la conscience religieuse individuelle à travers Ulysse, incompatible avec le culte providentiel païen archaïque. Platon est plus moderne que Homère, parce qu'il est plus archaïque. Homère, lui, énonce une théologie qui n'est en principe pas tributaire du temps, et qui a le défaut, du point de vue élitiste ou platonicien, de n'être d'aucun usage sur le plan politique ou éthique.

    - De la même manière, on pourrait dire que dans le théâtre de Shakespeare, du moins pour les tragédies situées dans l'ère chrétienne, tous les personnages de Shakespeare confessent la foi chrétienne. Comme il se doit, selon la doctrine catholique romaine, les rois et les princes d'Occident sont, comme Achille est le chéri de Zeus, les favoris de dieu, portant sur eux les insignes de la foi chrétienne. Il n'est pas moins vrai qu'aux yeux de Shakespeare, ce type de culte providentiel est nécessairement païen et satanique. "Mon royaume pour un cheval !" : Shakespeare révèle en l'occurrence la véritable nature du culte des potentats occidentaux, et pourquoi ils sont les moins bien placés pour comprendre le sens spirituel de l'histoire.

    Autrement dit, Homère part d'un poème religieux ou d'un thème nationaliste classique, comparable à l'Enéide ou à "Star Wars", dans lequel il introduit la critique, c'est-à-dire l'ingrédient qui a le don de faire voler en éclats la culture. Shakespeare se comporte de la même façon par rapport à la culture médiévale, mélange de paganisme et de christianisme.

  • Homère, tragédien juif ?

    Homère est-il un tragédien juif comme je le soutiens ? Homère et Shakespeare ne partagent-ils pas à travers les siècles la volonté de faire voler en éclats la culture, c'est-à-dire l'athéisme ?

    Le savant chrétien Francis Bacon a bien conscience, ainsi qu'il l'explique dans ses "Essais", que parler d'athéisme à propos de l'antiquité est un anachronisme.

    Nous voulons parler ici d'athéisme au sens du "cléricalisme", c'est-à-dire la captation du "phénomène divin" par tel ou tel clergé, assortie de la définition de dieu par ce clergé, afin de servir les intérêts d'une élite politique. L'histoire des hommes est émaillée de tels complots. Le complot des juifs pharisiens est sans doute le plus connu. Mais le "Hamlet" de Shakespeare est fait pour rappeler l'épisode du prophète Daniel et du complot déjoué des prêtres babyloniens.

    On peut comprendre ce conflit en termes profanes, puisqu'il oppose de la même façon la technologie et la science. En effet, il est fait état dans les deux cas d'une même prétention scientifique -les régimes technocratiques modernes en ont même fait le "nec plus ultra" de la conscience humaine-, mais la réalité de l'histoire des sciences est celle d'un conflit entre la science technique et les savants.

    L'hostilité de Platon à Homère est donc la première piste. Derrière l'accusation typiquement cléricale d'impiété visant Homère et les mythes homériques, y a-t-il de la part de Platon une volonté plus profonde de défendre le culte égyptien antagoniste de la religion de Moïse, c'est-à-dire cette philosophie naturelle à laquelle est associé par les prophètes chrétiens le nombre de la bête 666. La foi juive de Homère pourrait expliquer sa relative impiété vis-à-vis des figures du zodiaque. Il convient de parler d'impiété relative, car "L'Iliade" n'est pas un pamphlet. On peut penser que le récit de "L'Iliade" vise plutôt le dévoilement complet d'un culte, partiellement occulté par le clergé chargé de sa diffusion. Ainsi le lecteur en sait plus long en lisant "L'Iliade" que le héros Achille du fait de son initiation. Le destin de Troie est celui de l'homme civilisé, ou qui se croit tel, béni des dieux mais non du dieu de Moïse.

    Au plan civil, Platon juge Homère indécent : mais précisément la religion de Moïse et le christianisme ne tiennent pas compte du plan civil, qu'ils décrivent comme une impasse.

    De même, du point de vue de Shakespeare, la culture est l'instrument principal du négationnisme de l'histoire, et donc du salut.

    On peut voir dans la constance des clercs et philosophes platoniciens à travers les âges à vilipender Homère, une preuve supplémentaire de la profondeur de cet antagonisme ; y compris lorsque ce culte platonicien/pythagoricien opère sous couvert du christianisme, comme c'est le cas en ce qui concerne Dante Alighieri, étrangement guidé par un prêtre du culte romain ennemi à travers le paradis, le purgatoire et l'enfer, et théoricien d'un culte impossible, analogue au culte mahométan.

     

  • Guerre et rhétorique

    "Moderne" et "démocratique" se dit aussi de la guerre sans merci que l'homme se livre en ces temps avancés où nous sommes rendus. L'hypocrisie et le cynisme contemporains feraient presque passer la guerre de Troie pour un match de rugby courtois.

    Mais, derrière le tissu de rhétorique afin d'accommoder la guerre à l'idée de progrès, les caractères restent les mêmes : il faut encore des types avides de gloire et obéissant au destin comme Achille pour trucider. On reste toujours aussi sourd aux cassandres qui prévoient que la technocratie mène au pire. La femme demeure toujours symboliquement l'enjeu de la guerre, c'est-à-dire que les actes de guerre sont commis par des féministes, ou des imbéciles dont l'éloge du sexe dissimule un comportement prédateur.

    De mauvais critiques estiment qu'il y a de la part d'Homère dans l'Iliade une esthétique de la guerre. C'est ne pas voir qu'il y a au contraire dans la guerre moderne et démocratique une part de laideur rhétorique extraordinaire. Ce n'est donc pas parce que la guerre moderne est un bourbier infâme de mots et de justifications anthropologiques hypocrites que Homère fait briller la guerre.

    Le propos d'Homère est bien plutôt de souligner le fondement guerrier de la culture. De sorte qu'il n'est aucune culture qui ne prenne sa source dans la violence, non seulement la culture grecque : s'il en était une, Homère serait périmé depuis longtemps.

    Un homme de culture est fondamentalement bestial, voilà ce que veut dire Homère en substance dans "l'Iliade". C'est la raison pour laquelle les chrétiens sont tentés de voir en Homère un tragédien juif, en raison de son mépris pour la culture, caractéristique de Jésus-Christ et des prophètes. Comprenez qu'on ne peut fonder une culture sur l'interdiction absolue de tuer figurant dans les tables de Moïse. La meilleure preuve en est du saccage systématique par les hommes de cultures chrétiens ou juifs à travers les millénaires de la mythologie chrétienne ou juive qui recèle ce mépris de la culture.

    Ce que Homère entend "par-delà la culture", c'est-à-dire n'étant pas soumis à la loi du destin, il nous le dit dans "L'Odyssée".

  • Grec contre latin

    "(...) Mais après la Réforme, il fut confirmé que le latin était le langage de l'Eglise catholique, et le grec celui de la culture protestante (sans compter, bien sûr, les langues vernaculaires dans lesquelles la Bible protestante était traduite). Le concile de Trente (1545-1563) interdit aux catholiques la lecture des Bibles grecque et hébraïque, sauf dans le cas de chercheurs spécialement autorisés, et aux yeux de l'Eglise de Rome l'étude du grec devint synonyme d'hérésie. En conséquence, plusieurs savants hellénistes furent condamnés au bûcher en 1546 pour "offense à la foi" par le catholique roi de France François Ier, en dépit de la royale dévotion aux arts et aux lettres. Dans les pays protestants, par contre, l'étude du grec était encouragée assidûment et, jusque dans les colonies protestantes, le grec devint un élément du cursus scolaire ordinaire. En 1778, par exemple, le recteur Hans West ouvrit à Christiansted une école où l'on enseignait aux enfants des planteurs les oeuvres d'Homère et d'autres poètes classiques. Ne pas connaître le grec devint, dans les pays protestant, un signe d'ignorance. Dans Le Vicaire de Wakefield, roman d'Oliver Goldsmith datant de 1766, le recteur de l'Université de Louvain, un sot, s'en vante en ces termes : "Vous me voyez, jeune homme, je n'ai jamais appris le grec, et je ne pense pas qu'il m'ait jamais manqué. J'ai eu la coiffe et la robe de docteur sans le grec ; j'ai dix mille florins par an sans le grec ; je mange de bon appétit sans le grec ; et, bref... ne connaissant point le grec, je ne crois pas qu'on y trouve quelque bien."

    Cette opposition eut des conséquences considérables : à partir du XVIIe siècle, Homère fut étudié avec rigueur dans les universités anglaises, allemandes et scandinaves, alors qu'en Italie, en Espagne et en France on le négligeait au profit de Virgile et de Dante. (...)"

    (Alberto Manguel, L'Iliade et l'Odyssée)

    Avec Shakespeare, le plus grand helléniste britannique, l'orientation de l'Angleterre est nette vers le grec. Sans la traduction et la compréhension d'Homère, l'Occident n'aurait pas connu la tragédie. Elle se serait limitée au drame bourgeois et du carnaval dionysiaque, à l'opéra pour les bonnes femmes et les officiers de cavalerie.

  • Mythomane

    Pour l'idéologue Lévi-Strauss, 'L'Iliade' et 'L'Odyssée' sont des récits mythologiques. Pour un communiste ou un catholique, c'est au contraire Homère qui incarne la Science et Lévi-Strauss le mythomane laïc.

    La détresse intellectuelle du régime laïc est telle qu'on n'attend même pas que le biscornu Lévi-Strauss ait passé l'arme à droite ou à gauche pour décharger des monceaux de couronnes de fleurs sur sa dépouille étique. Gageons que le bonhomme d'Ormesson aura droit au même charivari, et toute l'absurdie capitaliste à sa suite, qui mange déjà les pissenlits par la racine.

    La Science s'arrête là où la mystification laïque commence. Les portraits de Monsieur Lévi-Strauss père présentent un certain intérêt ; les spéculations de son fils aucun. La fameuse et pompeuse 'structure' de Lévi-Strauss a pour effet de tout aplanir.