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  • Le Siècle des Dévôts

    J'indique souvent Malraux comme le sommet de l'imbécillité en matière d'art. On peut facilement démontrer -d'autres que moi l'ont fait-, qu'il n'y a que la rhétorique et le sophisme qui intéressent vraiment Malraux. Quel genre d'artiste, je vous le demande, peut accepter un ministère du Culte, et consentir ainsi à aligner l'art sur la fonction publique ?

    Malraux est emblématique du jugement sans appel porté par Bernanos sur les factions qui ont pris le pouvoir à la Libération, et qui ont imposé l'idée de "modernité" dans le pays le moins prédisposé à accepter cette idéologie, constitutive du négationnisme de l'histoire.

    La haine du clergé à l'égard de l'art réaliste, et sa passion parallèle pour le cinéma en revanche, s'explique simplement par le fait que l'effort vers le réalisme, en art, a pour effet de dissoudre la propagande et la foi commune dans quelque paradis artificiel. Les historiens d'art qui s'attachent au style pour écrire l'histoire de l'art s'obligent à écrire l'histoire de la propagande et non de l'art ; il faut les requalifier en esthéticiens. Leur science se moque de l'ouvrage des artistes qui entendent au contraire se soustraire au style, à commencer par Shakespeare, le moins stylé ou dévot de tous les auteurs, pour qui la fiction a une odeur de merde.

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    Chaque changement de régime politique coïncide en art avec un retour au réalisme, et la modernité avec la folie, latente, dans l'uniformité. Cela ne veut pas dire que l'artiste réaliste souhaite nécessairement le changement de régime, puisque la foi dans le changement révolutionnaire, à elle seule, indique le manque de réalisme ; mais l'art réaliste a pour effet de soulever les jupes de la religion et de dévoiler ainsi ses varices, la privant ainsi de son principal argument : la séduction.

    L'éloge de la folie dans l'art -Nitche, par exemple- trahit le ministre du culte, si ce n'est le gauleiter, dont l'effort est pour couper le peuple de l'émancipation permise par l'art, jusqu'à faire de la gastronomie, comme c'est le cas aujourd'hui, un art premier.

    Statutairement, c'est-à-dire sur le plan de la fonction publique quand ils acceptent de s'y soumettre, les artistes se retrouvent désormais dans la position d'envier les grands pâtissiers de ce monde. On peut prendre la pratique contemporaine de l'entartage de courtisans comme l'un des derniers et rares manifestes d'art populaire, et observer combien le carnaval, aujourd'hui, est encadré, dès lors qu'il ne cible plus des idoles démodées. En décrétant le peuple souverain afin de le flatter, les Républiques bourgeoises ont sapé le carnaval pour lui substituer de grandes messes sportives, ce qui revient à priver la démagogie de limites et à encourager les pulsions criminelles dans le peuple. On peut donc poser l'équation du ministère du Culte et du populisme.

    Je sursaute en lisant la prose d'un type soi-disant anarchiste ; celui-ci s'interroge s'il n'y aurait pas un retour du phénomène religieux dans la société française en ce moment ? Un retour !? La réalité est qu'en lieu et place de la neutralité religieuse républicaine, c'est la méconnaissance du principe qui anime les religions qui a été inculquée. Les exemples de dévotion et d'attachement au ritualisme de la société abondent. A commencer, je le répète, par l'argument de la modernité sans cesse répété, qui ne fait qu'exprimer un sentiment religieux.

    A commencer par la musique, synonyme de religion, qui a désormais tous les droits. Et l'imagerie pieuse, c'est-à-dire les clichés ? Ils n'ont jamais été aussi envahissants. Qui ne possède un appareil photographique, lui permettant de se fabriquer ainsi autant d'images pour conforter son narcissime, quand le soupçon lui vient que son existence pourrait bien être parfaitement vaine ?

    Tous les gadgets technologiques activent une fonction religieuse essentielle, et sans laquelle il n'y a pratiquement pas de religion possible : la croyance dans une âme séparée du corps. Sondez l'âme d'un tueur en série ou d'un soldat, et vous y retrouverez cette dichotomie. Un charlatan moderne, qui se fait passer pour un "mage" auprès de ses fidèles, énonce à juste titre que le paradis est au coeur de l'inconscient. Ce qu'il oublie de dire, c'est que cet inconscient est entièrement hypothétique, d'une part, et d'autre part qu'il reflète chez ceux qui s'y soumettent une pulsion religieuse dans laquelle on reconnaît aisément l'effet secondaire de la technocratie. Un mécanicien ou un juriste sera le plus persuadé de l'autonomie de l'âme, puisqu'il fabrique des machineries ou des systèmes sur ce modèle.

    A ce niveau d'aliénation consentie, il est possible d'admettre les robots dans le genre humain. A ce niveau, le mage ou le programmateur a tout pouvoir de manipulation. C'est ce qui rend d'ailleurs les hommes plus réticents à la psychanalyse que les femmes : ceux-ci ont une meilleure conscience du caractère de viol, rituel dans le meilleur des cas, que l'intrusion du psychanalyste dans l'âme du patient constitue. On peut dire que la patiente du psychanalyste a raté ses noces avec la vie, et que le médecin de l'âme, s'il est honnête et efficace, lui permettra de faire de nouvelles épousailles.

    On se situe là encore, bien sûr, sur un terrain religieux. La raison qu'ont les hommes d'être réticents au mariage comme à la psychanalyse est même historique : à l'origine, le mariage n'est pas conçu principalement pour eux. L'Eglise catholique romaine est sans contestation possible l'institution qui a le plus oeuvré en faveur du féminisme, en "christianisant" cette institution païenne, ce qui a eu pour effet de soumettre les hommes à un principe auquel ils n'étaient pas soumis auparavant, dans la religion païenne. Achille, qui incarne chez Homère une religion existentialiste démodée selon cet historien, a le choix entre le mariage et le bonheur d'une part, ou la guerre et la gloire de l'autre ; sans hésiter il choisit la seconde alternative, qui lui permet de s'accomplir en tant qu'homme.

    L'idée que les femmes sont plus pures et chastes que les hommes, contredisant parfaitement la mentalité païenne voire juive, qui identifie les femmes au sexe, cette idée est le produit de l'idéologie catholique romaine, dans la continuité de laquelle s'inscrit l'éthique républicaine. Bien sûr il n'est plus question de vanter la chasteté des femmes, suivant la littérature cléricale la plus médiocre, mais plutôt l'indépendance sexuelle de la femme, aussi hypothétique que la chasteté féminine dans un monde régi par l'argent : ce changement ne tient qu'à des raisons économiques, et au fait qu'on ne capture pas les mouches avec du vinaigre.

    Enfin, à ceux qui ne sont pas convaincus par mon propos de la mise entre parenthèses de l'histoire au cours du XXe siècle (forcément provisoire), tous régimes politiques confondus, et l'aliénation religieuse que ce phénomène implique, j'aime bien en faire "la preuve par Cabu". En effet, je tiens ce caricaturiste pour le plus éloigné de la fabrique d'images pieuses, dites encore d'Epinal, à quoi l'art moderne s'applique au contraire, avec un scrupule religieux qui force parfois le rire, puisque Louis XIV en personne l'aurait trouvé beaucoup trop conventionnel pour l'agréer. Bien qu'abstraits et faits pour méduser le peuple, les jardins de Lenôtre sont une coupure moins grande entre la culture populaire et celle de l'élite que les colonnades tronquées de Buren.

    Bref, Cabu, tout en faisant une part bien moins grande à la religion et aux conventions, ne semble pas voir l'obscénité religieuse des valeurs républicaines qui l'environnent, un peu comme s'il ôtait ses oeillères pour dessiner, et faisait l'âne tout le reste du temps. Pire, il participe aux attaques contre l'islam, dont le principal objectif n'est pas d'attaquer l'islam, selon moi, mais d'affirmer la liberté d'expression, de la poser comme un dogme. Alors même qu'il est difficile de faire de la religion musulmane en France, autre chose qu'une contre-culture. Le besoin d'une contre-culture se fait sentir dans les jeunes générations, dès lors que le culte dominant ne donne plus satisfaction, c'est-à-dire qu'il ne joue plus son rôle rassurant. Comment peut-on faire passer les caricatures danoises de Mahomet pour une double manifestation de la liberté d'expression et de la critique religieuse ? La tactique ressemble à s'y méprendre à celle qui consiste pour les Etats-Unis à ménager la possibilité d'un "choc des cultures", manière moderne de prêcher la croisade, sous le couvert de l'étude sociologique. Il n'y a pas que la guerre qu'on prépare sous couvert de la paix, mais aussi la mobilisation générale, à quoi sert la culture.

    Si l'on veut comprendre pourquoi il n'y a pas de blasphème dans le christianisme, à tel point que Jésus et les apôtres sont traqués comme des blasphémateurs, la réponse est simple : il n'y a pas de culture chrétienne possible. Autrement dit le christianisme, contrairement à la plupart des religions ou des cultures, ne justifie pas le chrétien. Comme Job se plaignait à son dieu qu'il se montrait bien peu secourable et coopératif, comparé à d'autres dieux païens (sur le modèle desquels la Marianne du culte républicain est copiée), les chrétiens pourraient interroger leur dieu afin de savoir pourquoi il se manifeste aussi peu, par comparaison à la puissance nucléaire ou la sécurité sociale de tel ou tel Etat gigantesque, si la réponse n'était pas écrite noir sur blanc dans le nouveau testament, d'une manière qu'on peut résumer ainsi : ce qui nous rassure finit toujours par nous tuer.

    L'invincibilité de la religion et celle de la mort sont identiques. Défier la mort ou la religion revient au même. Le calme, le luxe et la volupté que promet la culture, n'ont jamais régné que dans les cimetières.

    Si le serpent figure la culture de vie païenne dans la Genèse, c'est-à-dire la religion, comme certains peintres de la Renaissance l'ont bien compris, c'est bien sûr qu'il ne peut pas exalter autre chose que l'éthique ou la vertu, principes les mieux faits pour éprouver la jouissance. Montrer le revers de la médaille (la rançon de la chute), aurait dissuadé Adam et Eve de se frotter à l'épreuve de l'incarnation. Quel médecin avouera à son patient qu'il ne fait que retarder le moment de sa mort, pour la raison la plus religieuse possible, c'est-à-dire parfaitement obscure.

    Si Samuel Johnson attribue l'invention du libéralisme au diable, c'est précisément parce que le libéralisme, sur le plan psychologique, inculque la culture de vie comme jamais auparavant aucune religion ne l'avait fait, persuadant ceux qui le subissent qu'ils sont déterminés par la vie, quand c'est dans un puissant mouvement macabre que l'économie libérale trouve son impulsion. Le libéralisme est con comme un toubib. Si le libéralisme a triomphé du nazisme et de l'empire soviétique, c'est pour la raison qu'il est un socialisme plus puissant, qui dissimule mieux les devoirs qu'il impose en échange des droits qu'il accorde. Mais Satan n'en demeure pas moins maître de ce genre de pacte.

  • Tradition française

    Par où la moindre sacralisation de la politique et de la nation est visible dans la tradition française : aussi dans le fait que les humoristes français sont plus intelligents que les hommes politiques qu'ils brocardent. Il n'y a d'ailleurs pas véritablement de frontière entre la politique et la satire politique en France : Le Pen est-il vraiment un homme politique, ou est-il d'abord un humoriste ?

    Parfois on peut même se demander si le rôle principal des politiciens, en dehors de la gestion des affaires courantes, n'est pas d'inspirer les caricaturistes (sachant que la ménagère de moins de cinquante ans qui fait le ménage tous les jours aura en général de la gestion des affaires courantes une très haute opinion : il y a de la part de la ménagère, pour les hommes politiques, comme une sorte d'attrait homosexuel (cf. le score élevé de Sarkozy en Alsace-Lorraine aux dernières présidentielles, région de ménagères exemplaires).

    Ainsi la personnalité d'Honoré Daumier domine dans l'histoire de France celle de Louis-Philippe et sa gueule de fruit défendu. Et Sarkozy interroge Cabu pourquoi il le dessine avec des petites cornes, même si la foi d'un humoriste comme Cabu dans la politique est sans doute beaucoup plus grande que celle de Daumier naguère.

    Le libéralisme et sa puissante propagande, sa presse parfaitement servile (que l'on compare avec la presse jusqu'au début du XIXe siècle et l'intense niaiserie contemporaine ; et la pédérastie de Zemmour est très loin d'être isolée.) ont fait table rase du christianisme et du communisme, d'où venaient principalement auparavant l'hostilité à l'utopie politique, qu'il s'agisse d'un Reich de mille ans, de l'évolution vers l'homme bionique, de la dictature géodésique et polytechnique de J. Attali, etc.

    On en est même au point assez incroyable d'importer des auteurs nazis ou néo-nazis en France, de Nitche en passant par Heidegger, Arendt Adorno, alors même que les lumières allemandes ne sont qu'une copie des lumières françaises, rarement à la hauteur en dehors de Goethe ou Schiller, et que la France dispose de son lot d'écrivains préfachistes ou fachistes beaucoup plus talentueux que la pédale Nitche, de Chateaubriand à Barrès en passant par Proust, Chardonne, Brasillach, quel besoin de s'encombrer comme Onfray de cette philosophie de corps de garde "made in Germany" ?

  • Tous des Talibans

    Si la gauche était à gauche elle dirait : "Nous sommes tous des Talibans et des Afghans !", compte tenu du soutien logistique que l'armée française s'apprête à fournir aux cow-boys yankis et à leurs frappes chirurgicales.

    Au lieu de ça elle vote sans hésiter pour la guerre civile en Afghanistan. Car sans les médias, la gauche n'existerait pas. Il n'est jusqu'à l'antimilitariste Cabu dans "Charlie-Hebdo" qui ne soit d'avis qu'il faut châtier les "fous de Dieu" Talibans dans leur propre pays.

  • Frayeurs de bobos

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    Ce qui me frappe chez le dessinateur Cabu, une des rares “valeurs actuelles” que j’admire, c’est son anachronisme. Son talent, dans le lignage de Daumier, Bofa, Caran d’Ache, Sennep, “par-delà gauche et droite”, est anachronique. Son héritage et ses références : Homère, la Bible, bref la littérature universelle - anachroniques aussi.
    Ce travail acharné et patient pendant des lustres, deux ou trois idées par jour dressées sur le papier, "sur le métier chaque jour remettez votre ouvrage", ça non plus n’est pas commun de nos jours où les artistes et les philosophes bricolent des formules comme un magicien sort des lapins de son chapeau à double-fond ; à notre époque où les publicitaires - Andy Warhol, Beigbeder, Séguéla, Sarkozy -, tiennent le haut du pavé (au royaume des démocrates-crétins…)

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    Il y a donc un principe d’honnêteté chez Cabu. L’anachronisme de ses idées politiques, en revanche, participe de la médiocrité ambiante. Il faut qu’il dessine avec des œillères pour ne pas voir que "les mollahs, les curés et le Front-National" (belle synthèse des frayeurs bobos !), n’ont aucun pouvoir chez nous.
    Le ministre de l’Intérieur Sarkozy à la barre des "accusés" de "Charlie-Hebdo", c’est tout un symbole que Cabu a "oublié" de dessiner. Sarkozy était d'ailleurs plus à sa place dans cette parodie de justice en faveur des immondes cochons danois que Cabu et Charlie-Hebdo.
    Le meilleur des mondes, c’est fait, on y est, les forces du mal, les mollahs, les curés et le Front-national, ont été réduites à néant, Cabu n’a plus qu’à se taire et à mourir en paix !

    Selon Marx, pour que les idées acquièrent de la force, il faut qu’elles sortent des cénacles et des clubs élitistes pour se propager dans toutes les couches de la société. Les bobos peuvent dire merci à Charlie Hebdo pour ce travail de diffusion de leurs idées. Et surtout merci à Cabu, étant donné que ses comparses, le “rasoir” Philippe Val en tête, n’ont pas le dixième de son talent.

    Mais après tout Goya lui-même n'était-il pas un "salaud" ?
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