Le capitalisme se présente à peu près comme un nouveau destin, un phénomène sur lequel le discours politique n'a pas de prise. Deux ou trois générations de Français et d'Allemands ont été bernées par le discours écologiste, et continuent de l'être puisque l'irrationalité de l'économie capitaliste interdit une gestion raisonnable des ressources humaines et naturelles. Le discours écologique se présente donc comme une ruse capitaliste.
En même temps que la critique du capitalisme a disparu du débat public, le nombre de ses victimes n'a fait que s'étendre : la classe moyenne française ne peut plus ignorer que cette économie ne repose pas seulement sur l'exploitation de travailleurs chinois, indiens, ou africains, elle a en outre des conséquences antisociales dans les pays développés. On peut traduire le large mouvement des Gilets jaunes comme un mouvement de ras-le-bol du capitalisme ; la diversité d'opinion des manifestants ne fait que traduire la diversité des sensibilités ; ainsi, les "antivax" sont particulièrement sensibles aux effets délétères de l'économie capitaliste sur la santé publique.
La critique marxiste n'a donc rien perdu de son actualité, un siècle et demi plus tard. Je viens d'en donner un exemple : elle permet de déceler facilement que l'écologie politique est une grossière supercherie ; le primat irrationnel de l'énergie nucléaire porte la marque de l'économie capitaliste ; précisons, pour les Gilets jaunes qui n'en auraient pas conscience, que le développement de l'énergie nucléaire s'accorde le mieux avec le principal irrationnel de croissance à l'infini.
Venons-en au sujet qui justifie le titre de ce billet : l'éradication par les partis populistes de la critique marxiste. Il me semble inutile de s'attarder sur la rhétorique simpliste de Marine Le Pen et Jordan Bardella, qui consiste à poser l'équation de la critique du capitalisme et du communisme révolutionnaire. Le parti de Le Pen, depuis ses premiers succès il y a une trentaine d'année, est celui des idiots utiles du Capital : le qualifier de "fachiste" serait oublier que le fachisme est une conséquence avant d'être une cause de catastrophe politique. Si la critique marxiste du roman national républicain a été censurée, ce n'est certainement pas à cause des idiots utiles du Front national.
On connaît les modalités de défense de la classe moyenne par les partis subventionnés par des oligarques pour tenir en respect la classe moyenne : elles consistent à confier le destin de la classe moyenne à la Commission européenne, elle-même sous tutelle de l'OTAN.
Les électeurs de Jean-Luc Mélenchon sont moins hostiles a priori à la critique marxiste que ceux de Le Pen ou Macron, mais ils l'ignorent absolument, pour une raison que l'on peut élucider d'emblée : J.-L. Mélenchon est d'abord le représentant de la fonction publique, et non de la classe moyenne. Cette dernière subit les conséquences de l'incapacité de l'Etat capitaliste à se réformer, que les fonctionnaires ont tendance à ignorer, comme si l'Etat capitaliste totalitaire se limitait à la police et l'armée ; la logocratie, dont G. Orwell a fait le thème central de sa dystopie, se présente avant tout comme une police de la pensée.
Le thème de la "souveraineté populaire" et du "suffrage universel", qui font partie de la rhétorique de LFI, participent de cette police de la pensée, tout comme la théorie révolutionnaire de conquête du pouvoir par les urnes, dont le cousin grec de J.-L. Mélenchon, A. Tsipras, a naguère démontré l'inefficacité.
Le parti de J.-L. Mélenchon se présente comme le principal moyen de censure d'une critique marxiste qui n'épargne pas l'Etat républicain et ses institutions bonapartistes. Le gaullisme ou la Ve République se présentent du point de vue marxiste, comme un phénomène de sclérose bonapartiste : en effet les élites françaises, autoproclamées "libérales", n'ont pas su mettre à profit la période des "Trente glorieuses" pour assouplir l'absolutisme de l'appareil d'Etat, que seuls justifiaient les désordres consécutifs à la Seconde guerre mondiale.
On a bien entendu parler de "mammouth" à propos de l'Education nationale monopolistique, mais rien n'a été fait concrètement pour la réformer. L'absence de liberté politique a été dissimulée derrière l'alternance "gauche-droite", principale cause du mouvement des Gilets jaunes, qui s'opposent à cette pseudo alternance comme "Mai 68" s'opposa au régime gaulliste.
Ce sont le plus souvent des militants de Mélenchon, abrutis par de pseudo-économistes, que l'on entend dire que "la dette n'est pas un problème" : ils sont, sur ce plan, plus capitalistes que les oligarques capitalistes eux-mêmes. En effet, si l'endettement n'est pas un problème, alors le capitalisme n'en est pas un, puisque l'endettement à l'infini EST le b.a.-ba du capitalisme financier, tout comme le "bitcoin". Il faut préciser que ce sont là deux modalités financières, à la fois extra-économiques et purement mathématiques.
Le capitalisme étatique, qui est la doctrine antimarxiste de J.-L. Mélenchon, est une sorte de cigarette dotée d'un filtre : elle retarde peut-être l'effet du cancer, mais elle a l'inconvénient de le dissimuler mieux qu'une cigarette sans filtre.
Disons pour conclure pourquoi la critique marxiste s'oppose au "partage équitable des richesses" : non seulement elle permet de comprendre pourquoi la théorie d'un Etat honnête régulant un Capital malhonnête est une leurre, mais la critique marxiste s'oppose à la théorie totalitaire du bonheur quantique, proportionné aux revenus du Capital.
L'égalitarisme n'est autre que la formulation juridique du bonheur quantique totalitaire. La critique marxiste rejoint sur ce point Orwell : l'illusion égalitariste est un mirage capitaliste - pire, un nihilisme déguisé en idéalisme : c'est le chiffon rouge agité par le toréador pour mieux planter ses dards dans le taureau : le peuple, réduit à une masse.
Bien mieux que J.-L. Mélenchon qui s'assied dessus, la critique marxiste est propice à restaurer l'esprit critique des Français, face à un régime oligarchique qui s'époumone en discours démagogiques divers et variés. La dissolution de l'Assemblée n'est pas une tactique du chef de l'Etat seul : c'est un moyen constitutionnel typique d'une institution bonapartiste, cautionnée par l'ensemble de la classe politique et au-delà. Le risque de "guerre civile" vient du sommet de l'Etat, et cela depuis Napoléon III, qui la déclencha.
Mélenchon et ses militants antifachistes romantiques feraient mieux de se souvenir que, si les massacres de la Commune de Paris sont imputables à Napoléon III et aux industriels qui le soutenaient, la Commune était vouée à l'échec, un échec dont le petit peuple de Paris a payé le prix, exactement comme la ligne de défense ukrainienne paie le prix de la rivalité sinistre entre le bloc russe et le bloc OTAN.
Les Gilets jaunes ont montré l'exemple bien plus utile d'une résistance passive aux injonctions de l'oligarchie et ses employés. En participant aux élections européennes, les partis de Le Pen et Mélenchon ont rétabli la Commission dans ses droits et piétiné la défiance utile répandue par les Gilets jaunes.
Mélenchon et Bardella se plaignent des maléfices d'un système qu'ils contribuent à alimenter : ils entraînent une partie de l'opinion publique sur le terrain de la tactique électorale où l'oligarchie et ses employés n'ont de cesse d'entraîner les Français.