"Le suicide prouve Dieu." Léopardi
J'ai déjà écrit sur ce blog comment la pensée de Léopardi réduit à néant la doctrine athée de Nietzsche, qui doit être comprise comme un néo-paganisme, c'est-à-dire comme une "culture de vie" (le mot "culture" ne fait pas partie du vocabulaire chrétien) différente du nihilisme athée contemporain (qui repose surtout sur l'argent, et que l'on peut définir sommairement comme une "culture du hasard").
Il importe de comprendre pourquoi Léopardi a tenté de se suicider, ce qui n'était pas seulement un moyen de mettre fin à la souffrance inhérente à la condition humaine ; les amis de ce poète italien ont écrit que cette volonté n'était pas teintée d'amertume, ni de misanthropie - en quoi elle était d'autant plus surprenante.
Bien qu'il fût malade et difforme (à l'inverse de sa poésie), la mélancolie de Léopardi ne venait pas tant de sa maladie, qu'il avait apprivoisée, que de sa difficulté à se résoudre à l'absurdité de la vie, qui est comme une blessure ouverte pour un homme de science, bien que la parole divine contribue largement à refermer cette blessure ; contrairement à l'estomac d'un imbécile, celui d'un homme de science ne se rassasie pas avec des paradoxes.
Face à cette absurdité, que les religions superstitieuses ou absurdes ne font qu'accroître, resserrant encore plus l'étau de la condition humaine, Nietzsche propose une forme de conciliation, un moyen terme, à savoir l'Art ; un art qui, contrairement à la tendance moderne, vise avant tout la jouissance (l'art moderne est plus religieux, qui vise la démonstration). C'est pourquoi Nietzsche a proclamé l'art supérieur à la science, sachant ou devinant que celle-ci n'ouvre pas droit à un compromis. Pour Nietzsche il n'importe pas tant de triompher de l'absurdité de la condition humaine (suivant l'invitation de Jésus-Christ), que de s'en accommoder de la meilleure manière, en quoi l'art pur consiste.
D'une certaine façon, on peut dire que Léopardi a moins craint de s'exposer à la métaphysique que son homologue allemand Nietzsche, pour qui la vertu et la jouissance qui en découle furent d'abord une question de survie, avant de devenir un système et une doctrine utopiques (le nazisme a prouvé qu'ils l'étaient), dans la mesure où il ne suffit pas de nier les choses métaphysiques pour qu'elles soient privées d'effet.
A l'inverse, Léopardi a démontré l'absurdité et le paradoxe de la quête de jouissance, sans pour autant nier que l'homme ne soit contraint de se soumettre à cette quête.
Cela n'a pas empêché Léopardi, paradoxalement, de produire une poésie plus belle et limpide que celle de Nietzsche, et de se raffermir grâce à elle.
- De la même façon nous pouvons dire que "le suicide de la civilisation occidentale prouve Dieu", car l'Occident est écartelé entre des aspirations aussi contradictoires que la jouissance et la liberté, dieu et l'humanité, etc.
Au chrétien les preuves de dieu ne manquent pas plus qu'au païen, en raison de l'histoire qui se déroule sous ses yeux.