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louis-ferdinand céline

  • Art et vérité

    De nouveau dans une lettre adressée à son amie d'enfance Simone Saintu (en 1916), L.-F. Céline signale que l'homme est enclin à prendre pour la réalité et proclamer tel ce qui n'est qu'illusion. Les hommes réagissent différemment face à la catharsis qui pourrait leur faire perdre leurs illusions, ajoute Céline, évoquant le cas des artistes et le sien.

    Si la question de la catharsis chrétienne n'est pas abordée par Céline directement, celle de la vérité l'est. Cela revient au même. L'hiatus entre la vérité et l'art existe bien, d'où la prohibition juive de l'art, ou l'entreprise de démolition de la culture occidentale par le tragédien chrétien W. Shakespeare. Le christianisme ôte les illusions, notamment l'illusion païenne ou sociale de "l'au-delà" ; c'est ce qui explique la subversion courante du christianisme. Bien qu'athée, Céline avait compris et le loue pour cette raison, que le christianisme est peu propice au socialisme, moyen pour les élites rusées d'entraîner avec elles le peuple vers le néant. Car les élites sont nécessairement orientées vers le néant, et tout ce qui, en matière de philosophie naturelle, conforte l'hypothèse du néant (comme l'improbable "boson de Higgs").

    Céline est du reste plus juif que de nombreux juifs qui ne se méfient pas de l'art, comme M. Proust ou J.-P. Sartre.

    Céline cite quelques vers d'Alfred de Musset dans sa lettre :

    "Quand j'ai connu la Vérité

    J'ai cru que c'était une amie

    Quand je l'ai comprise et sentie

    J'en étais déjà dégoûté -

    Et pourtant elle est éternelle

    Et ceux qui se sont passés d'elle

    Ici-bas ont tout ignoré -"

    Et Céline ajoute ceci : "Les hommes célèbres n'ont point jugé bon de poursuivre ce dangereux sentier qui fait perdre les illusions nécessaires aux enfantements - artistiques. Les cancres dans mon genre n'ont rien à y perdre, c'est pourquoi je ne saurais vous conseiller ma méthode - à vous qui êtes vierge d'abord, ce que je ne suis plus depuis presque autant que vous l'êtes, qui êtes femmes, ce que je regrette de ne point être, et qui êtes artiste surtout, ce que je ne serai jamais..."

    Il y aurait quelques commentaires à faire sur le féminisme de Céline, et celui des hommes en général, qu'on ne peut guère qualifier autrement que de "galanterie". 

  • Léopardi et l'évolution

    En même temps qu'il "prouve dieu", selon Léopardi, le suicide infirme la théorie pseudo-scientifique de l'évolution, qui contribue à la barbarie capitaliste moderne, après le nazisme, sous la forme du darwinisme social.

    Notamment le darwinisme contribue à accréditer une idée qui heurte la conscience française, celle du progrès collectif ou social. C'est probablement une idée qui fera sourire pas mal de Français, encore aujourd'hui, l'idée qui consiste à voir dans la littérature de Houellebecq, Philippe Sollers ou Marc Lévy, un progrès par rapport à Molière ou Voltaire.

    Il n'est pas difficile de comprendre que c'est la mode et le commerce qui incitent à lire Houellebecq plutôt que Voltaire, y compris dans ses ouvrages les plus médiocres, ou à perdre son temps dans les salles de cinéma.

    Et, si l'on prouve que le singe n'est pas insensible à la mode, à l'instar des Boches, on n'aura encore rien prouvé scientifiquement de l'évolution. En matière de progrès, le temps ne fait rien à l'affaire, bien au contraire ; ceux qui le croient confondent le progrès avec la danse de salon ou la musique de chambre. De là vient la comparaison du plus sérieux promoteur de la science humaine, Francis Bacon, entre la faiblesse du génie humain et l'horlogerie, qui se contente de plagier quelques principes naturels de base, connus depuis des millénaires.

    Il y a peu, j'entendais Jean-Didier Vincent, spécialiste de la psychologie des chats et auteur de cours d'éducation sexuelle pour sa fille, réclamer "qu'on en finisse enfin avec Eschyle !". S'il y a un domaine ou l'homme moderne s'avère l'égal du singe, et il sera obligé de le prendre pour un compliment, c'est le domaine du comique involontaire. Les élites républicaines, comme les élites cléricales auparavant, ne pensent d'ailleurs qu'à censurer tout ce qui les désavoue, avec une efficacité renforcée par les moyens de la technocratie.

    - Si Léopardi est aussi peu considéré aujourd'hui, au profit de moralistes tout à fait creux dont les bouquins répétitifs remplissent les rayonnages des bibliothèques municipales, c'est parce que son point de vue philosophique individualiste est peu compatible avec l'évolutionnisme. Mieux que l'Ancien régime aristocratique, la bourgeoisie libérale est parvenue, avec l'aide du personnel républicain, à maintenir le peuple à distance de l'individualisme, aussi dangereux pour les élites que la culture ou la religion, au contraire, les conforte.

    - De Louis-Ferdinand Céline, Léopardi paraît très proche (le rapprochement de Léopardi et Nitche est absurde), c'est-à-dire caractéristique de l'humanisme occidental qui place l'individu au-dessus de la société et des lois absurdes qui la régissent, comme la quête du bonheur, chiffon rouge à l'aide duquel les élites libérales (officiellement démocratiques) toréent le peuple, d'une manière plus bestiale encore que l'oppression physique des anciens bouchers. Au contraire de Nitche, Léopardi et Céline sont irréligieux, c'est-à-dire peu enclins à envisager l'homme comme une espèce, non pas parce que celui-ci échappe au règne animal, mais parce que, s'il lui appartenait exclusivement et n'était que le produit raffiné de la culture de vie ou de la génétique, il serait logique de conclure que l'espèce humaine est, de toute, la plus vile, car la moins soudée. Ou encore il serait logique de conclure que les personnes humaines les plus bestiales sont les plus estimables, alors qu'elles le sont seulement sur le terrain social, temporairement, ne marquant guère l'histoire. Louis XIV n'est plus guère qu'une vague silhouette, comparé à Molière dans l'ordre artistique, qu'il est encore possible d'aimer.

    De tous les côtés où on examine l'espèce l'humaine, le fait de la considérer comme une espèce animale perfectionnée semble absurde, sauf du point de vue religieux. Sur le plan psychologique, l'animal s'ignore moins que l'homme et ne tombe pas dans l'artifice du dédoublement de l'âme et du corps. 

  • De Céline à BHL

    Il y a un côté Tintin ou Bardamu chez BHL, mais en plus riche. Je me rappelle avoir entendu un jour ce curé expliquer que la fortune bien pleine et carrée n'empêche pas le talent littéraire, contrairement au préjugé, et donner quelques exemples (que je n'ai pas pris la peine de vérifier). Alors, je n'avais pas pu m'empêcher de penser que, si ce millionnaire distribuait tous ses millions d'un coup, il se retrouverait certainement dans la situation d'avoir, enfin, quelque chose à dire. Lui ou Beigbeder ; mais Beigbeder n'a pas le côté Tintin, plutôt Bécassine ou Gaston Lagaffe.

    Et puis c'est à peu près la seule chance pour les curés riches, en France, de n'être pas honnis. L'homme de gauche, curé moderne, doit faire gaffe à ça, sinon il ne sert à rien. Le problème de DSK n'est pas tant d'être soupçonné de viol, que de l'avoir commis dans un hôtel de luxe, dans le cadre de son métier de "banquier des pauvres".

    Pour Céline, tous les Juifs sont des pharisiens. Pour BHL aussi. Mais ce qui est, dans le cas de Céline, le fait de l'ignorance ou de la licence poétique, est un calcul dans le cas de BHL. C'est un vieux truc des religions de se prévaloir de leurs martyrs pour le besoin de leur propagande : elles le font toutes ; on appelle ça la "victimologie", désormais. Même la religion athée ne s'en prive pas. Plus un discours religieux est sincère, moins il fait appel à la victimologie ; pour les chrétiens, c'est impossible, puisqu'ils implorent la fin du monde, ne trouvant dans cette vie qu'une maigre consolation, en quoi Louis-Ferdinand Céline juge le christianisme bien réaliste et peu propice à tendre des pièges au peuple en lui faisant miroiter le bonheur ou la démocratie. 

     

  • La Religion des Français

    On croit souvent que les Français, comparés aux Yankees ou aux Allemands, sont sans religion...

    La religion des Français est de se méfier de l'argent, le plus rassurant des dieux. Spéculer, c'est avoir la foi. L'argent, moins réjouissant que le vin. Ah, j'ai observé des gens riches : ils ne jouissaient même pas, ou peu, de la seule sécurité, qu'un sale cauchemar suffisait à chasser.

    - "Mais qui sont ces serpents qui sifflent sur nos têtes ?" Même Racine, le dévot Racine, a conscience de la part de l'argent et des banques dans le culte du langage et de l'inconscient collectif, propre aux païens.

    Un Français veut dire de quelqu'un qu'il est un salaud antisémite, par exemple, il dit : "Ce type-là (Louis-Ferdinand Céline) aime l'argent."

    Français veut dire sincère. Vous connaissez beaucoup d'hommes riches sincères ? L'homme d'avoirs ne se connaît pas lui-même. Il ignore ce qu'il vaut. Il peut toujours aller se faire psychanalyser, comme une femme allemande, ça n'y changera rien. L'argent est un peu comme le mariage démocrate-chrétien : un idéal d'asthmatique.

    Les Français râlent toujours. Quand ils n'ont pas d'argent, contre la vulgarité de ceux qui en ont. Quand ils ont de l'argent, parce qu'ils savent qu'ils n'ont que dalle. Les Français râlent toujours, parce qu'ils n'ont pas la culture de vie, propre aux religions qui se prosternent devant le veau d'or.

    François Fillon peut aller se faire voir aux Etats-Unis, avec son enrichissement sans cause de néo-nazi chrétien, qui confond dieu avec Satan. Et se faire rebaptiser Bernard, comme le moine de sinistre mémoire, buveur de sang au lieu du vin.

  • L'Intellectuel

    Encore un peu, et il sera aussi mal vu en France de prétendre appartenir à l'étrange corporation des "intellectuels" qu'à celle des trafiquants d'armes. A cette dernière, même Serge Dassault n'ose pas dire qu'il appartient (sans doute pour ne pas filer la honte aux démocrates-chrétiens qu'il emploie dans ses organes de presse). Serge Dassault préfère justement une tournure plus intellectuelle : "Artisan de la défense nationale".

    Le fossoyeur François Fillon est très loin d'innover lorsqu'il tente d'inculquer à ses concitoyens le goût de l'Allemagne, dévoilant ainsi le transparent mobile de sa caste coprophage. L'intellectualisme et le trafic d'armes, c'est l'Allemagne. Du moins celle à laquelle les meilleurs esprits français se sont opposés, avant que les trafiquants d'armes ne minent le terrain qui leur était le plus défavorable. Dernièrement, Louis-Ferdinand Céline. Français, lisez Louis-Ferdinand Céline : si les intellectuels le détestent autant, c'est sûrement qu'il a quelque chose à dire. Pourquoi les Bretons n'auraient-ils pas le droit de lire l'écrivain qui les a le plus dissuadés de servir de chair à canons républicains ? J'entends bien qu'il n'y aura bientôt plus de guerres, grâce aux soldats de la paix, mais dans ce cas pourquoi tous ces canons, et si peu d'intellectuels pour les servir, hormis BHL ?

    Pourquoi BHL ? Dès qu'un poète allemand ou républicain - c'est la même chose - voit le bout d'un sceptre ou d'un canon, il se pâme. La boîte à fantasme se met en marche. Les poètes boches écrivent la fleur au stylo, comme les jeunes bidasses partent à la guerre, la fleur au fusil, ENCOURAGES PAR LEURS MERES (c'est une remarque très loin d'être anodine, car on retrouve chez tous les amoureux du canon une dévotion pour leur mère, comment dire... d'un genre spécial.) Le plus beau poème du poète-trafiquant d'armes Rimbaud, et les autres à côté ne valent que dalle - bouquets pour des gonzesses -, c'est quand la petite gouape Rimbaud appelle sa mère au secours, sachant très bien que la salope ne lui en sera d'aucun. Fini la bohême et la branlette au clair de lune, Rimbaud écrit comme un petit rossignol qui couine quand on l'écrase d'un coup de talon.

    BHL est prêt à réinventer toute l'histoire de France, et le judaïsme par-dessus le marché, pour pouvoir approcher un guerrier de près. Je m'étonne que tous les médecins boches freudiens, férus de cas cliniques, se soient pas aperçus que BHL débloque complètement. Peut-être que la cause est simplement chimique, après tout, et le remède pas si compliqué ?

    Pascal Boniface a écrit un bouquin, "Les Chiens de Garde", où il pointe du doigt quelques intellectuels du doigt. Je déplore ce bouquin, qui n'est qu'un règlement de comptes entre intellectuels, voire une opération de blanchiment du système républicain, analogue à celle de Mélenchon, quand c'est tout le système qui est pourri, et non une brochette d'intellectuels qui commencent à sentir le roussi, comme BHL ou Caroline Fourest, belles gueules d'aboyeurs du PAF qui à force d'aboyer, forcément, commencent à être un peu distendus. Chez les intellos comme chez les loups, il y a un alpha, prédestiné à se faire bouffer par l'oméga.

    Boniface ne va pas plus loin que chialer contre la télé. Ce sont de braves intellectuels républicains qui ont cautionné la télé et vanté le potentiel de cet outil pour éduquer le peuple (Simone de Beauvoir). Les chrétiens savent qu'elle est parfaitement démoniaque, et pour ainsi dire "canonique" comme toutes les armes. Qui va croire que c'est Goebbels qui a inventé la propagande, en dehors de gamins exposés imprudemment à la télé ? La télé ne rompt pas avec les valeurs républicaines, elle les prolonge. En particulier la propriété qui est au coeur du régime républicain terroriste, c'est-à-dire propagateur de l'angoisse par tous ses faisceaux. BHL et Fourest sont des intellectuels parfaits et non imparfaits. Il n'y a rien à redire. La République est un régime de droit allemand qui tend à réduire la critique à néant. Même Castro a fait son autocritique. Vous croyez Jospin ou Juppé capables d'autocritique ?

    La République française n'est pas moins coercitive que la monarchie française ne fut. Il n'y a QUE des intellectuels républicains à dire le contraire. La République s'impose d'une manière plus subtile, mais qui n'est pas moins aliénante, qui fourgue le confort comme étant la paix, alors qu'il n'est qu'une détente de l'esprit.

    Ah oui, pour ceux que ça intéresse, disons les intellectuels qui doutent de l'intellectualisme, au lieu de cette foi débordante répandue y compris chez des donneurs de leçons d'orthographe qui savent à peine le français (Finkielkraut, qui emploie des tournures à la Alphonse Allais sans s'en rendre compte), E. Orsenna qui croit que la littérature française est un somnifère, etc. : le remède à l'intellectualisme est connu, appliqué par Marx ou Céline : quitter la fonction publique sans plus tarder ; c'est ce que les collabos n'ont pas su faire tant qu'il était encore temps : décrocher.

     

  • Céline contre Nietzsche

    Le moyen moderne mis en place par les élites pour asservir psychologiquement les classes laborieuses et impuissantes s'appelle la "culture". L'acteur culturel est un commissaire politique en temps de guerre économique larvée. Le terme de "culture" suffit à deviner le calcul religieux.

    Le procédé habituel de la culture est quasiment d'ordre culinaire, puisqu'elle procède par l'amalgame des contraires. On pourrait prendre aussi pour emblème de la culture une poterie ; un cratère pour la civilisation grecque, un vase d'aisance pour la civilisation libérale. En effet l'art de vivre justifie l'amalgame. Citons trois dissolvants de la culture :

    - Celui du Christ, qu'il nomme "amour" ;

    - Celui de Marx qu'il nomme "critique" ou "histoire" ;

    - Celui de Francis Bacon alias Shakespeare qu'il nomme : "mythe".

    Contre ces trois dissolvants, la culture tente de s'imperméabiliser par le vernis. Le code civil et la cryptographie mathématique sont les moyens de vernissage les plus efficaces.

    +

    Défaisons maintenant un amalgame que j'ai souvent constaté entre Nitche et L.-F. Céline, bien qu'on peut d'emblée constater la sympathie naturelle des "acteurs culturels" pour Nitche, au contraire de L.-F. Céline qui est réprouvé, ou qu'on s'efforce de réduire au style, c'est-à-dire au silence du mobilier (la comparaison de Céline avec Proust atteignant le comble du ridicule).

    - La haine de Nitche à l'encontre des juifs, des chrétiens et des anarchistes/communistes est justifiée de façon rationnelle par le fait que le judaïsme, le christianisme et l'anarchisme sont des messages ou des doctrines antisociales. Les juifs ne reconnaissent pas d'autre "chef d'Etat" que dieu, déléguant son pouvoir à Moïse, dont le premier souci est de dissuader les "juifs charnels" du culte païen du veau d'or. La vérité poursuivie par Marx n'est pas une matière sociale, la quête identitaire un pur attrape-nigaud du point de vue marxiste ("Facebook" ou le livre des morts). Rationnel sur le plan moral, Nitche ne l'est pas sur le plan historique, lorsqu'il accuse juifs, chrétiens et anarchistes de corrompre la société. Pour cela il faudrait que la démocratie, honnie de Nitche, soit effective ; or, bien que ce soit le rôle de la culture de prétendre qu'elle l'est, seuls les actionnaires de la démocratie le croient. Rationnel Nitche sur le plan moral, mais non au regard de l'histoire.

    - Pour Céline tous les juifs sont des pharisiens, ou bien tous les pharisiens -c'est-à-dire tous les clercs-, sont "juifs". Raison pour laquelle il traite le pape de "juif", Churchill, etc. Il y a pour Céline, effectivement dans la lignée de Rabelais ou Molière, Shakespeare, une sorte "d'ennemi intérieur", et cet "ennemi du peuple", c'est son clergé, dont il récuse jusqu'au mode d'expression (de même que les pamphlets de Rabelais étaient dirigés contre l'université). Le style de Céline est donc celui du démolisseur, loin du style opiacé distillé par Proust. Il y a d'ailleurs ici une leçon culturelle à tirer, qui contredit radicalement l'élitisme méprisant de Nitche, à savoir que la culture populaire est plus solide que celle du clergé et sa cuisine moderne. Ici Céline rejoint Marx et son constat que le parasitisme du clergé ou le culte de l'art sont la principale cause de pourrissement de la civilisation, notamment occidentale, qui se distingue par les fréquentes métamorphoses de son clergé. 

    - C'est sur le plan moral que Céline est moins rationnel. Nitche rejoint le bouddhisme par le sado-masochisme qu'il prône, c'est-à-dire l'acceptation d'une existence nécessairement faite de joies et de douleurs mêlées (on voit déjà ce type d'orientalisme poindre chez Pangloss-Leibnitz, et il n'a rien à voir avec l'intérêt ou la découverte de l'Orient). Nitche déteste le christianisme, qui ne fait pas place à la joie. Céline au contraire en fait l'éloge, ayant parfaitement compris l'usage de manipulation du peuple derrière l'idée de bonheur. C'est au contraire l'invitation à regarder la mort en face qui lui plaît dans le christianisme. Là où Céline se trompe, c'est qu'il n'y a pas plus de culture de mort dans le christianisme que de culture de la joie ou de la vie.

    Le christianisme méprise les lois de la biologie, pourrait-on dire. Joie et mort ne sont du point de vue chrétien que des artifices ou des accidents. Contre la culture de mort : "Laissez les morts enterrer les morts." dit le Christ. Contre la culture de vie, la dissuasion de prendre comme Judas son désir pour la réalité en s'attachant à la valeur du sang et de la chair.

    Le Christ méprise d'autant plus les lois de la biologie que c'est le procédé de la morale, du droit et de la politique de les sublimer, disposant ainsi l'homme au carnage.

  • Courrier des Lecteurs

    louis-ferdinand celine,lapinos

    (Je reproduis ici le courrier des lecteurs, ma rubrique dans le fanzine "Au Trou !?" (14)

     

    Le précédent numéro dédié à L.-F. Céline nous vaut des commentaires plus nombreux. Un lecteur nous apprend qu'il a commencé de lire Céline au service militaire, incité par le fait que cet auteur figurait, en compagnie de K. Marx et du programme du NSDAP, à l'Index de la « grande muette ». Il se souvient même d'un petit caporal lui intimant l'ordre de cesser de lire "Le Voyage".

    Le programme du parti nazi était-il trop pacifiste ou, au contraire, trop belliqueux pour le Haut Commandement ? On ne le saura jamais, vu que les censeurs lisent peu, se fiant plutôt à la rumeur publique ; les thuriféraires procèdent exactement de la même façon que les censeurs, d'ailleurs, ce qui fait que la gloire littéraire va, sans coup férir, à des écrivains médiocres ou nuls, mais qui comblent les attentes de la société en matière de style.

    L'artiste loué par son époque en est nécessairement la victime plus ou moins consentante, au parfum de cadavre exquis. Cette nouvelle espèce d'art original, qualifié de « contemporain », est l'équivalent de l'eucharistie pour les vieux catholiques. La métamorphose opérée lors de la messe et la consécration de l'art contemporain sont deux procédés semblables (donc violemment concurrents). L’ayant compris, on aura pigé le décalque de la magie par l’anthropologie.

    Présence durable de Céline, malgré les efforts de la censure en divers sens : pourquoi ? Nul n'incarne mieux que lui, en fin de compte, la figure récurrente de l'artiste écartelé entre le Christ et Lucifer, rôle presque « surjoué » par Baudelaire précédemment. Cette posture est caractéristique de l'artiste (dont l’art n'est pas seulement un phénomène de société) dans l'Occident, disons « moderne », par opposition à l'Occident « historique » d’avant, jusqu'à Shakespeare (dernière figure d'artiste à assumer pleinement la posture christique, notamment dans « Hamlet », comme A. Dürer ou Dante avant lui).

    Disons-le autrement : Céline hait les victimes ; il ne veut surtout pas en être une. C'est son côté anarchiste. D'autre part, il brigue quand même la gloire, dont Homère a montré qu'elle broie nécessairement ceux qui la recherchent et l'obtiennent, à commencer par le plus puissant et le plus glorieux de tous : Achille. Ce deuxième aspect est l’aspect socialiste, vil, de Céline, par où il se montre capable d'aboyer avec les chiens.

      La « question juive » récurrente n'est qu'un prétexte partisan pour censurer Céline (et, accessoirement, pour l’encenser). Avec plus de recul, on peut penser que Céline aurait été assez lucide pour voir que l’asservissement des juifs par les nazis est sur le modèle de l’asservissement de l’homme par la femme ; en particulier à cause de la position virile assumée pleinement par le judaïsme. S’il y a une religion masculine, plus encore que l'islam, c’est bien le judaïsme ; insolubles dans l’Etat, les juifs, à cause de leur refus de la loi naturelle. D’ailleurs, sachant le suicide de Hitler, c’est-à-dire son holocauste, logiquement Céline se met à le haïr, en tant que victime.

     

    Un autre lecteur nous demande, sarcastique, pourquoi notre caricaturiste a dessiné six doigts à la main droite de Céline ?

    - Est-ce qu'on l'a forcé à suivre la ligne du journal, alors qu'il pense dans le fond comme tout le monde que Céline est un monstre ? Question transmise à Zombi, celui-ci répond :

    - D'où peut venir ce flux de ponctuation un peu ronflant chez Céline, si ce n'est d'un sixième doigt ? Mozart est bien plus monstrueux que Céline, puisqu'il n'écrit que des signes de ponctuation. 

     

  • Céline et Marx

    "Bulletin célinien" du mois de mars dédié à la correspondance de Céline, écrivain français mi-nazi, mi-communiste, mi-anarchiste, mi-libéral, tout ce qu'on voudra sauf lèche-cul, ce qui lui vaut l'admiration spontanée de tous les enfants, exactement comme pour Guignol, tandis que la ménagère de plus de cinquante ans applaudit non moins spontanément le Gendarme et sa trique, et garnira plutôt sa bibliothèque de romans de Frédéric Beigbeder et d'encycliques de Benoît XVI.

    Le risque à trop sonder le corpus de Céline à la manière d'un chirurgien ou d'un grammairien du XVIIe siècle est de finir par se retrouver au même point que le ténia à grosses lunettes que Céline conchiait. Mathématiciens et insectes n'aiment rien tant que la vieille peau et les cadavres multicolores. On ne mesure pas la charité d'un écrivain avec un thermomètre.

    Là où Céline se montre le plus nazi et le moins communiste, c'est dans sa propre pente pour la médecine, reine des "arts libéraux" désormais. Le nazisme ou le libéralisme sont en effet indissociables -au plan métaphysique-, de la physiocratie ou de la biologie (On a tort, parlant de "métaphysique des tubes", de ne pas penser assez au gros côlon et à toute la mélancolique qui en sort.)

    *

    Citée deux fois par Céline dans sa correspondance, l'analyse de Marx : "Les juifs s'émancipent dans la mesure où les chrétiens deviennent juifs." (sujet dont Marx était parfaitement qualifié pour parler, étant lui-même le fils d'un juif "émancipé"*), m'a fait penser à Simone Weil, pour qui se convertir au catholicisme romain en partant du rejet du judaïsme aurait été un peu comme se précipiter de Charybde en Scylla. Idem quand j'ai entendu un rabbin juif extrêmement talmudique à la télé l'autre jour définir Dieu comme "peut-être" : j'ai sursauté en pensant à Pascal, tant cette théorie de l'"adverbe divin" m'a parue sortie d'un traité du bon usage de la langue française tel que le XVIIe siècle satanique les adorait. Je me demande si Tariq Ramadan, assis à côté dudit rabbin, n'a pas été choqué comme moi d'une telle martingale à propos de Dieu ? D'autant que j'ai cru comprendre que Ramadan connaît bien Voltaire, qui fait remarquer ici que Pascal a tendance à se prendre pour Dieu lui-même.

    Difficile en effet de ne pas regarder le pape aujourd'hui comme une sorte de juif errant, le bouc émissaire de tous les ratages retentissants et sanglants du capitalisme... ou comme une tête de Turc. A sa place, la goutte qui ferait déborder le vase, qui m'amènerait à me remettre en question, c'est d'être soutenu en France par Frigide Barjot, demi-mondaine à peu près aussi étrangère au christianisme que Jacques Duquesne dont elle cherche à piquer la place, sachant pertinemment que se mettre au niveau des andouilles démocrates-chrétiennes ne lui coûtera aucun effort, sauf peut-être de porter une jupe moins courte à la télé passé soixante balais (et encore).

    Pas de propos moins antisémite que celui de Marx, donc, qui consiste à détruire à la fois l'identité juive et l'identité chrétienne en montrant qu'une religion chrétienne et une religion juive peuvent coïncider, indépendamment de toute idée raciale. On est là à l'opposé du grotesque procès en antisémitisme intenté à Simone Weil cinquante ans après sa mort par des fonctionnaires kafkaïens, ou encore de la fantaisiste tentative récente de BHL d'inventer une sorte de judaïsme talmudique catholique (universel).

    *Un esprit antimarxiste pourrait faire remarquer que Voltaire en était déjà là bien avant, à comparer les deux calottes et à les trouver identiques. Alors il faut dire que l'intérêt de Marx est très loin de se limiter à la question judéo-chrétienne.

     

  • Pin-pon !

    Rectification : Jean Ferrat n'était pas communiste, il était stalinien. La poésie comme la musique est un genre essentiellement païen et Shakespeare est le seul à l'époque moderne à hisser la poésie au niveau de la vision prophétique. Marx n'a aucune complaisance pour le paganisme, en particulier le paganisme romain qui incarne depuis toujours dans le christianisme la puissance de Satan. On peut dire que pour un communiste, l'art pompier (ou "pompidolien") c'est la poésie, du petit zizi à la grande lance à incendie (Baudelaire).

    Pourquoi Louis-Ferdinand Céline est-il le seul à qui on fait payer sa licence poétique ? C'est d'autant plus curieux qu'il n'a jamais léché le cul d'un dictateur avec autant d'application qu'Aragon, Eluard, Claudel, Malraux... femelles dont l'attention se cristallise sur un "homme providentiel" (de son côté le christianisme libéral n'a pas hésité à instaurer le culte du pape).

    Il faut préciser que l'homme dit "providentiel", dans la religion existentialiste nationale-socialiste à laquelle les poètes n'ont pas peu collaboré, ce dernier est en quelque sorte "la reine des abeilles" au sommet de la pyramide. Les Romains n'ont curieusement retenu des Grecs que leur part égyptienne, pythagoricienne : foi et raison ; il vaut mieux dire foi OU raison d'ailleurs, car pour un Romain ou un Germain, la foi équivaut à la raison.

    L'explication est que Céline est le plus antisocial, non pas au sens de l'anarchiste mais au sens où il n'est pas loin de comprendre la société comme la cause principale de l'aliénation et du crime, comme "le gros animal". Or le monde préfère les poètes et les chanteurs, dont il n'a pas à redouter le conformisme. Pas plus qu'un philosophe nazi un chanteur stalinien n'a idée de ce qui se situe au-dessus du bien et du mal.

  • Rompre à la Céline

    Je recopie quand même finalement la lettre de Céline que je préfère dans sa correspondance. Lettre de rupture d'avec sa femme Edith, qui devait être une emmerdeuse comme la plupart des femmes bretonnes, ce qui pousse les Bretons qui ne se résignent pas au simulacre du coït entre hommes, vers l'alcoolisme ou un suicide moins lent.

    Moi, la Chine, je la trouve terrible à cause de la Bretagne, où j'ai fait mes études : cas d'évolution extrêmement brutal de la barbarie paysanne vers la barbarie polytechnique et l'enrichissement sans cause ; tout ce qui n'est pas chrétien ni communiste, les Bretons l'adorent : les kermesses, la Fête de l'Huma., l'alcool donc, bien sûr, mais aussi la mer, la religion, les télécommunications, les mathématiques, le cinéma, la République laïque, tous les "gens de robe" en général, les médiats, le journalisme, la sodomie, les défilés militaires, les arbres généalogiques, les blasons, le pognon, l'humour, les jeux de hasard, les contes sataniques... Si je devais plaider au Jugement dernier pour Céline, je dirais : "Mon Dieu, mais Céline est né Breton !"

    Lettre de rupture de Céline, exemplaire de sincérité et de retenue. Moi qui n'ai aucun style et suis prêt à emprunter la moitié de la tunique de n'importe quel écrivain pourvu qu'il ne parle pas un langage ésotérique allemand ou oriental dissimulant son néant intellectuel, je serais bien incapable, hélas, d'écrire une lettre aussi belle :

    "(...) Il faut que tu découvres quelque chose pour te rendre indépendante à Paris. Quant à moi, il m'est impossible de vivre avec quelqu'un - Je ne veux pas te traîner pleurarde et miséreuse derrière moi, tu m'ennuies, voilà tout - ne te raccroche pas à moi. J'aimerais mieux me tuer que de vivre avec toi en continuité - cela sache-le bien et ne m'ennuie plus jamais avec l'attachement, la tendresse - mais bien plutôt arrange ta vie comme tu l'entends. J'ai envie d'être seul, seul, seul, ni dominé, ni en tutelle, ni aimé, libre. Je déteste le mariage, je l'abhorre, je le crache ; il me fait l'impression d'une prison où je crève. (...)" (1926)

    On comprend ici pourquoi Céline domine Proust ou Sartre, Chardonne : que le pédéraste est celui qui ne peut pas vivre en dehors des jupes d'une femme, trop faible pour faire un artiste. Adam n'a pas su dire merde à Eve et il est ainsi tombé sous sa coupe. On imagine mal Michel-Ange ou Shakespeare "mariés". La théorie d'un Shakespeare "marié" me paraît une plaisanterie. Je ne suis pas loin de croire les femmes capables de se consacrer à une cause moins petite qu'elles, les premières à se croire "à l'origine du monde" quand elles n'ont fait qu'engendrer les mondanités, les cas de Simone Weil ou de Jenny Marx, Rosa Luxembourg, exceptionnels. Thérèse de Lisieux ? 1/ Rien n'est plus confortable ni fait pour rassurer qu'un cloître ; 2/ Elle ne parle que de sa papounet et de ses poupées, dont personnellement je n'ai rien à foutre, pas plus que des biscottes de Proust ; 3/ Des sado-masochistes comme Thérèse de Lisieux j'en croise plein quand je traverse le quartier de Pigalle.

  • Correspondances

    Le service de presse d'un pote me permet de feuilleter la correspondance de Céline parue en "Pléiade" récemment. Je déconseille de l'acheter. C'est assez comme ça que le contribuable subventionne les maisons d'éditions françaises par l'intermédiaire des achats des bibliothèques municipales, s'il faut en plus donner des thunes personnels à Gallimard !

    Dans la grande chienlit française, sociale-démocrate et gaulliste, les maisons d'éditions qui auraient pu jouer un rôle de résistance sont gravement impliquées. Autrement dit, si j'ai plus de mal à trouver telle ou telle pièce de Shakespeare dans ma bibliothèque que la dernière merde signée Dominique de Villepin en hommage aux nains de la poésie française ou aux boucheries de Napoléon, c'est la faute aux éditeurs.

    D'ailleurs quand d'aventure je me promène au Quartier latin, avec ses petites bourgeoises féministes déguisées en putes, j'ai l'impression de me promener dans Berlin. Céline lui-même était sans doute plus près de vouloir foutre le feu au Quartier latin, de botter le cul à tous les vieillards décatis du Quai Conti qui donnent l'impression de n'avoir jamais ouvert un vrai livre. Dans un sabir extrêmement compliqué à piger -plus slave que français-, la Carrère-d'Encausse met bien un peu d'ordre dans les causes et effets de la révolution bolchevique, pour mieux dire ensuite à la télé le contraire de ce qu'elle dit dans ses bouquins et lécher le cul du tsar Nicolas, personnage aussi inutile que Pie XII, et beaucoup plus dangereux.

    *

    Retour à la correspondance de Céline : la correspondance est un genre de littérature plutôt barbant qui plaît surtout aux collectionneurs (il faut que je redise à mon pote que les collectionneurs vont en enfer directement, ils retournent à la poussière sans passer par la case du purgatoire qui n'existe pas). Bonnes ou mauvaises, les intentions sont nulles pour un artiste comme pour un chrétien, et c'est surtout de ça dont une correspondance est faite, de chatteries et de voeux. Le chrétien qui croit que ses prières vont le sauver croit que Dieu qui a envoyé son fils pour sauver l'humanité attend un hommage ou un coup de chapeau. D'ici que les démocrates-chrétiens décident de canoniser Dieu pour le remercier, il n'y a pas loin. Et encore faudrait-il justifier pourquoi le Dieu des chrétiens n'a RIEN fait pour sauver les Juifs des camps nazis.

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    Tiens, profitons-en pour soupeser l'antisémitisme de Céline... Curieusement, d'une certaine façon on peut dire que l'antisémitisme de Céline est plus chrétien que celui de Bloy. L'idée de Bloy que les Juifs incarneront l'archaïsme jusqu'à l'éclatement du Temps n'est pas très cohérente ; disons plus nettement qu'elle épargne trop la calotte chrétienne, bien que ce ne soit pas le travers principal de Bloy d'épargner les cochons, y compris les cochons portant soutane. "Synagogue de Satan" écrit l'apôtre, et synagogue se traduit par "Eglise" au sens large.

    Céline est plus proche de l'anticléricalisme de Voltaire, pour qui le personnel politique comme le personnel religieux font obstacle au progrès. Voltaire est tellement en décalage avec l'époque que nous vivons que c'est aux "Témoins de Jéhovah" que le christianisme de Voltaire fait le plus penser, c'est-à-dire une sorte de protestantisme honnête parfaitement démodé aujourd'hui. Un truc bizarre cependant chez Céline : il semble détester les Juifs tout d'abord à cause de leur faiblesse, puis change d'avis après la victoire des anglo-saxons, et se met à mépriser surtout les chrétiens allemands et français. Céline a lui-même un côté juif et féminin, moins marqué que Nitche, mais n'empêche.

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    Incroyable la façon dont Céline, pourtant cent fois moins misogyne que moi, excite les femmes à s'embourgeoiser (c'est-à-dire à se prostituer encore plus), à se jeter dans le filet de la famille, des gosses, bref de la grande truanderie sociale, dans tout ce qu'il craint pour lui-même comme une lèpre. Ici Céline est plus près du tchador que de Voltaire.

    En fait Céline veut sauver les autres malgré eux, et ça n'est pas chrétien. Le Christ, lui, n'a jamais contraint personne à le suivre. Pas la moindre séduction dans le Christ. C'est la raison pour laquelle toute propagande signale le diable. Ce cornard de Pie XII qui a osé faire l'apologie de la télévision est parfaitement scandaleux ! La mare dans laquelle cette petite salope puritaine d'Ophélie va se jeter n'est autre que le néant ou l'enfer.



  • Kulture de mort

    La Kulture n'est rien d'autre que le masque bourgeois de l'ignorance. Proust, madame Bovary, le bourgeois gentilhomme ou Adolf Hitler sont "cultivés". On ne saurait insinuer poison plus mortel dans l'oreille d'un gosse d'immigré que cette idée saugrenue de "culture française". La Kulture n'est utile que dans les dîners mondains, sur les plateaux de télé ou pour meubler un appartement avec goût ; la culture, c'est la binette du parvenu.

    Même le plus romain et discipliné des humanistes français -mettons Montaigne- ne manquerait pas assez d'esprit critique pour cautionner ce costard cartésien cousu de fil blanc, pour ne pas piger que la culture est nécessairement "à géométrie variable" comme les sophismes de l'atomiste Einstein, c'est-à-dire entièrement soumise au principe de la mode. Ainsi le moderne devient "antimoderne" lorsque le train de la modernité est passé, et retournera ainsi de suite sa veste en temps utile.

    N'est véritablement "cultivé" aujourd'hui qu'untel qui connaît les derniers avatars du cinéma hollywoodien et les dix plus gros tubes du Top 50. Ce que le bourgeois ne supporte pas dans la contre-culture, c'est qu'elle lui succède. Laissons les académiciens atteints de gâtisme, confits dans leur mémoire de collectionneurs, pleurer devant le vide-grenier de la culture française.

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    Un conseil simple qu'on peut donner à un gosse d'immigré, puisque c'est la seule voie de l'intelligence qui lui permettra de s'affranchir du football et des corvées que les libéraux cyniques et fainéants lui infligent : se cantonner aux oeuvres de la Renaissance française et européenne (disponibles gratuitement sur Google). Gain de temps assuré lorsqu'on a autre chose à foutre que convertir le temps en argent ou lire des romans de Flaubert après Flaubert, ce qui revient pour une demoiselle à continuer de porter des robes à cerceaux.

    Louis-Ferdinand Céline lui-même, mis au ban par la bourgeoisie pour n'avoir pas assez passé de temps à lui lécher la sainte fente, aurait donné tout son ouvrage de moine cistercien défroqué contre deux vers de Shakespeare. Voilà l'esprit critique français, on ne peut plus empreint d'abnégation.

    Proust l'a dit, pourquoi le bourgeois bouffe de tout et n'importe quoi, et montre plus de vigilance sur le point de la gastronomie ou la façon de se faire enculer que dans les questions spirituelles : il croit ainsi obtenir naïvement un délai. Ce faisant il ne fait que vivre à crédit, et cette vie-là est comme une mort. La seule puissance que le diable accorde à ses sujets, c'est d'anticiper leur mort.

  • Partage de minuit

    Si Céline avait du style et seulement du style, il serait entièrement nazi, puisque la trame est nazie, tandis que la transparence est communiste.

    Mais les nazis qui se reconnaissent dans le "Voyage au bout de la nuit" -quel beau titre allemand, à la fois juif et chrétien-, doivent se résoudre à laisser leur part aux communistes, "Mort à crédit", où la mécanique du Léviathan bourgeois, à base de petites échoppes, de martingales et de contrats de mariage blanchis à la chaux, finit par montrer ses cornes.

    Aucune arche gothique ne repose sur un seul pilier. Le paradoxe est non seulement dans l'ironie, mais également dans l'architecture. C'est ainsi que le diable habite le Panthéon, au coeur de Paris.

  • Vol de cacouacs

    Comment se fait-il que la vie de Justine Lévy ou celle de Frédéric Beigbeder nous emmerde ? Tandis que les vies de Voltaire, de Jean-Jacques Rousseau ou de Louis-Ferdinand Céline nous passionnent ? Beau sujet de dissertation si le baccalauréat servait à quelque chose.

    On peut passer par "Jacques Le Fataliste", petit bijou de la littérature janséniste, pour le comprendre. Comment ça, Diderot, janséniste ? Eh bien oui, pas seulement à cause de l'éloge de la fatalité, du destin, de la fortune, "Fata Morgana", divinité sacrée du "saint Empire romain germanique", ce "Titanic" qui n'en finit pas de couler ; mais aussi janséniste par la volonté de rendre moral ce qui s'allie le moins à la morale, à savoir l'art. L'attentat baroque contre l'art, Diderot le prolonge.

    Mais revenons à "Jacques". Son créateur voulut y poser l'identité du destin et de dieu ; ce faisant, il n'a fait qu'illustrer ce qu'est un mauvais romancier. On pourrait dire que l'existentialisme n'est qu'un mauvais roman (en attendant de n'être qu'un mauvais rêve). L'effort pour restaurer quelque vieille ruine gothique et l'exposer dans un intérieur bourgeois. L'existentialisme est un conservatisme allemand : Ratzinger aussi bien que Sartre. Hélas, trois fois hélas, l'existentialisme est bien d'abord camelote chrétienne.

    Voltaire, Rousseau comme Céline ne valent que par leur tentative désespérée d'échapper au destin, partition que les fayots du premier rang, Frédéric ou Justine, se contentent d'exécuter comme des violoneux imbéciles.




  • Petite bibliothèque

    Alain Badiou traite Sarkozy de "barbare". Je dois avouer qu'en ce qui me concerne, les goûts littéraires de Sarkozy ou de son conseiller ne me paraissent pas les pires du moment ;

    - Leibnitz, dont Badiou se délecte bizarrement, est le plus dévôt théoricien judéo-chrétien qui soit et sa théodicée plus proche de Staline ou Jacques Attali que de Karl Marx. Il n'y a guère que Blaise Pascal qui est plus animiste que Leibnitz, à se faire inhumer avec un livre de pensées !

    D'une manière générale AUCUNE pensée matérialiste sérieuse et un tant soit peu hiérarchisée, que ce soit celle d'Aristote, de Marx, de François ou de Roger Bacon, toutes confessions confondues par conséquent, n'est dissociable d'une critique des mathématiques, du syllogisme et de la rhétorique. Par ailleurs, il n'est aucun Léviathan ni totalitarisme, qu'il soit apollinien comme la dictature militaire napoléonienne, ou dionysiaque comme le capitalisme en phase finale, qui n'utilise les mathématiques comme outil d'asservissement. La "loi naturelle" dans le nazisme est figurée par la svastika, plus mathématique encore que l'hexagone gaulliste ou le pentagone yanki, le compas et l'équerre maçonniques, etc.

    Louis-Ferdinand Céline, que Sarkozy déclare apprécier, est donc plus communiste que Leibnitz. Surtout "Mort à crédit", non seulement à cause de son titre balzacien, mais aussi du fait que le personnage de Courtial des Pereire incarne l'anarchiste capitaliste possédé par la polytechnique. Ainsi, le gaullisme qui donne envie de dégueuler tout ceux qui l'examinent de près, a mis la France au bord de la banqueroute de cette façon, en s'appuyant sur des aliénés dans le genre de Courtial des Pereire. Lorsque je veux démontrer à des amis que le gaullisme est démoniaque, je prends toujours l'exemple de Courtial des Pereire dont la folie et la cupidité évoquent le patronnat démocrate-chrétien -"social", ça va de soi, pour mieux enculer ses employés.

    - J'avais trouvé aussi plutôt gonflé de la part de Sarkozy d'offrir un exemplaire de Bernanos à Benoît XVI en visite, vu que le courage de Bernanos souligne la trahison des clercs démocrates-chrétiens, à commencer par le pape boche après le pape pollack, que l'on n'a jamais entendu se prononcer clairement CONTRE les robots, mais plutôt en leur faveur. Dans le domaine scientifique, Jean-Paul II a propagé des mensonges hénaurmes, et le désert scientifique profite aux robots.

    - "La Princesse de Clèves" est un des bouquins qui déshonore l'esprit français, le premier volume d'une collection Harlequin qui n'en finit pas, malgré et à cause de Mme Bovary qui continue de faire le succès de ce genre de "littérature de style". On ne voit pas bien l'intérêt en effet pour les fonctionnaires des services -privés comme publics, d'ailleurs-, qui sont assez "politiquement corrects" comme ça, de lire Mme de La Fayette par-dessus le marché.

    Là où je tiens à prendre mes distances en revanche avec les goûts littéraires du président, c'est à propos de Clint Eastwood, rasoir cul-terreux qui ne fait que transposer le bovarysme et le clèvisme au milieu des bovidés du "Far-West". Qu'il lui fourgue toutes les médailles pour vieilles badernes et les rubans qu'il veut, Sarkozy, c'est pas un problème, on sait ce que vaut l'honneur du bourgeois capitaliste, mais dire que les films de Clint Eastwood sont "Trop géniaux", alors qu'ils sont à se décrocher les mâchoires d'ennui, quelle démagogie ! Même moi qui n'ai pourtant pas une gymnote dans le cul comme Sarkozy, je suis incapable de tenir plus de cinq minutes en place devant un savon d'Eastwood.

    Mais c'est sans doute pour caresser l'électorat lepéniste dans le sens du poil que Sarko. s'est fendu d'un éloge de l'Inspecteur Harry et pour rien d'autre.

  • Fin des cons ?

    L'idée grotesque de "fin de l'histoire" qu'on entend souvent aujourd'hui dans la bouche de tel ou tel philosophe de plateau télé ressemble à une sorte de nazisme au rabais, plus "petit-bourgeois" encore que l'hitlérisme qui fit rêver Céline ou Drieu La Rochelle un temps d'"ordre nouveau" plus honnête opposé au mercantilisme.

    La "fin de l'histoire" perpétue en effet le mépris de la polytechnique nazie pour toute forme d'art ou de dialectique, à commencer par la dialectique historique. De la folie destructrice grandiloquente de Napoléon ou Adolf Hitler, il semble qu'on est passé à une sorte de "Pourvu que ça dure !" bobo, renonciation de la bourgeoisie à chevaucher au-devant de la mort. Contrairement à Don Juan qui ne craint pas de croiser le fer, Sganarelle, lui, préfère croiser les doigts. La "fin de l'histoire" est juste la relève de Don Juan par la grenouille de bénitier Sganarelle.

  • Créationnisme

    Je suis persuadé qu'Alphonse Allais joue aussi un rôle dans la formation de L.-F. Céline. A. Allais est aussi sous le signe du caducée.
    Lectures d'enfance ne comptent pour rien. Ainsi, pour moi, le "Savant Cosinus" de Georges Collomb (alias Christophe). Sans lui aurais-je reconnu dans Darwin ou Poincaré l'idée fixe diabolique ?

    "Ce remarquable ouvrage est rempli d'aperçus nouveaux autant que philosophiques. Il est, à la fois, instructif et moralisateur.
    Instructif, parce qu'à chaque pas le lecteur est invité à fouler les plantes-bandes de la science pure et à en extraire une masse de conséquences pratiques et variées, si tant est qu'il soit possible d'extraire une conséquence d'une plate-bande !"


    Avertissement de Christophe précédant un pamphlet plus féroce et plus ancien que celui de Céline contre Courtial des Pereire.

  • Le Procès Céline

    Formule bancale de l'expert P. Alméras à propos de Louis-Ferdinand Céline dans son dernier recueil d'articles : "Ce qui fait l'écrivain Céline, c'est moins l'importance de ce qu'il dit que la façon dont il le dit, et beaucoup moins ce qu'il dit que ce qu'il a extirpé du non-dit." Qu'est-ce que c'est que ce charabia proustien ? D'autant qu'Alméras s'échine par ailleurs à prouver que Céline est un thésard raciste...

    Est-ce à dire que la littérature d'entre deux guerres est raciste mais que seul Céline ose avouer et son penchant et le mettre en équation ? Non, le vrai fossé est entre pauvres et riches, pas entre noirs et blancs, et ça Céline le sait bien, il a assez poussé sa charette et celle de sa mère pour le savoir. Céline n'est pas si différent de Marx : contre les banques juives aussi bien que les hommes d'Eglises au service des cartels, et toute la valetaille en uniforme.

    Au vrai c'est le caractère apocalyptique de la littérature moderne, quel que soit son registre, qui fait sa valeur. Et cet extrait de Céline cité par Alméras prouve que Céline comme Balzac ou Marx est apocalyptique :

    "L'Amérique, c'est Carthage en beaucoup plus brut, plus arrogant, plus pourri."

    Les points d'exclamation, les signes de ponctuation en veux-tu-en-voilà, c'est le côté maniaque de Céline, son côté Homais. Nul n'est parfait.

  • Le style nazi

    Il n'est pas difficile de démontrer que la littérature de l'officier Ernest Jünger, son stoïcisme de corps de garde, est plus représentative du "style nazi" que la littérature de Louis-Ferdinand Céline.

    Rien de commun entre Jünger et Céline. Ce dernier brise la monotonie de la langue française, précisément en passe d'étouffer sous les rapports algébriques et juridiques dont les ratiocinages débiles de Jünger, Heidegger ou Nitche, portent la marque.

    Proust déjà, son accumulation de propositions subordonnées et de syllogismes creux, avait un parfum de cercueil et annonçait la mort par asphyxie de la prose française. Céline l'a ressuscitée in extremis (La comparaison du style de Céline avec le "jazz" est d'ailleurs complètement inepte.)

    D'ailleurs pourquoi la droite saumon et la gauche caviar s'entendent-elles pour faire porter à Céline ou à Le Pen plutôt qu'à cette baderne insipide de Jünger, ou encore à l'âne Martin Heidegger, la petite dinde Arendt, le chapeau de l'antisémitisme et de la collaboration ? Cette petite énigme historique n'est pas bien difficile à résoudre.

     

     

     

  • Au bout de Céline

    Comme il paraît à peu près impossible de maintenir Céline hors de l'Université, des bibliothèques et des librairies, la tactique consiste à l'ensevelir sous les préjugés divers et variés, afin qu'il soit au bout du compte comme Proust, parfaitement digeste, accessible aux vierges farouches et aux vieillards gâteux. On mastiquera juste les passages où Céline dépeint les résistants comme des branquignols et des lâches. Encore un peu de patience, dans quelques années on ne lira plus qu'Harry Potter !

    D'où l'exigence de redéfinir Céline. Cerné par les bourgeois nazis hypocrites, c'est un nazi sincère au contraire. Il a commis aux yeux des bourgeois le crime suprême : il a dit ce qu'il pensait, sans détours. Lui-même d'ailleurs s'en est voulu de tant de sincérité : ce n'est pas hygiénique.

    Les quelques "inconditionnels" de Céline (Le Bulletin célinien, par exemple, du Belge Marc Laudelout) se recrutent parmi les bourgeois héritiers de Flaubert, une espèce en voie de disparition. Bourgeois ils sont et ils resteront, mais de peur de mourir d'ennui, sous le poids des conventions, ils ne peuvent s'empêcher de sortir la tête de temps en temps de leur carapaçon. En somme, les vagues, ils se réjouissent comme des gosses que Céline les fasse à leur place.

    Quant aux bourgeois entiers, eux, les héritiers de Sartre, Camus, Malraux, ou qui s'en réclament, ils sont moins naïfs et le fait qu'on puisse, à travers Céline, les démasquer, ça les rend blêmes.

    Pourquoi un communiste préfère-t-il un nazi sincère à un nazi hypocrite ? Parce qu'un communiste n'a pas pour principe de fuir la vérité, bien au contraire.

    *

     La seule info que j'ai pu tirer de cette gazette douteuse, Lire, et de ce numéro spécial consacré à Céline, c'est ce jugement de l'auteur de Mort à crédit sur Balzac, que j'avais oublié, et qui est révélateur lui aussi : "Balzac n'a pas de style." Le jugement d'un romantique sur un classique. En réalité ce n'est pas qu'il n'y a pas de poésie chez Balzac, c'est plutôt qu'elle n'est pas ostentatoire. Ce qui est "abstrait" dans la littérature de Balzac, exactement comme dans la peinture classique qu'il aimait, c'est Balzac lui-même. Balzac n'est pas aussi énigmatique pour un bourgeois que ne l'est la peinture de la Renaissance, mais presque.