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Baconian - Page 3

  • Sorbonagreries

    Ce n'est pas seulement le sérieux des commentateurs de François Bacon qui est douteux (ainsi lorsque J. Ratzinger ou M. Le Doeuff en font le père fondateur de la science polytechnique moderne pour servir leurs propagandes respectives) ; beaucoup de commentaires touchant Shakespeare sont aussi mensongers ou ridicules. Même si les deux colonnes d'Hercule de la bêtise boche que sont Freud et Nitche paraissent infranchissables, les commentaires pédants et oiseux de René Girard appartiennent à la même catégorie qui consiste à plier Shakespeare aux exigences de la science laïque moderne, qui semble toujours dire en regardant le passé : "Miroir, mon beau miroir, ne suis-je pas la plus belle ?"

    Avant de prendre un exemple précis, l'erreur en général est de qualifier le théâtre de Shakespeare de "baroque" toutes les dix lignes, sans démontrer qu'il en possède les caractéristiques. Le refus de caractériser l'art baroque est lui-même typique du savant baroque, au sens de "bordélique" (Le baroque est bas de plafond dans la mesure où il ne conçoit pas grand-chose en dehors de son architecture grotesque et de ses jeux de miroir.) Le crétin italien Stendhal, colporteur du goût pour l'opérette, Stendhal pas plus ne justifie l'étiquette de "romantique" qu'il colle à Shakespeare et qui lui va si mal.

    L'intention ou le procédé artistique de la "mimésis" que Girard prête à Shakespeare ne fait qu'accroître l'incompréhension puisque c'est un vaste fourre-tout. En admettant que l'art grec "imite la nature", expression floue : Girard feint d'ignorer que pour certains Grecs, non des moindres, la nature est double, éternelle ou corruptible. Encore faut-il préciser à quel courant Shakespeare se rattache, méditatif (disons Pythagore) ou contemplatif (disons Parménide ou Aristote) ? L'imitation conduit beaucoup d'artistes, à commencer par les musiciens, à faire correspondre ce qui, dans la nature offerte aux sens en éveil, coïncide le mieux avec la propre nature animée de l'homme. C'est à peu près ça l'art baroque ou romantique, les paysages de Constable en peinture, et Shakespeare ne correspond guère à cette "mimésis", il est beaucoup plus "sculptural" et donc classique que ça. Du crâne du héros grec Ajax, peint sous les traits d'un possédé par Shakespeare, s'échapperait s'il était brisé... de la musique. Tout laisse croire par ailleurs que Shakespeare ne croit guère au destin ; que Hamlet n'est pas dans la disposition d'esprit de s'en remettre à la Providence. Encore un signe qu'on ne peut faire endosser l'uniforme (de marin) romantique ou pré-romantique à Shakespeare. Delacroix, pourtant du même bordage libéral que Stendhal ou Girard, a mieux vu qu'eux la distance séparant Shakespeare de l'idéal musical et reproche à Shakespeare en somme de n'être pas assez "musicien".

    *

    Jean-Pierre Villquin dans l'édition 2008 de la "Pléiade" commente la pièce "Thomas More" découverte tardivement, en prétendant que l'éphémère ministre catholique d'Henri VIII est présenté sous un jour favorable dans la pièce -de façon "paradoxale" ajoute-t-il, puisque More (1478-1535) était papiste.

    Or plusieurs passages de la pièce sont très loin de présenter More sous un jour favorable :

    - un voyou, Jack Falkner, qui réclame justice à More, est éconduit brutalement (Acte III, sc.1) ;

    - plus grave, More est parjure ; après avoir obtenu la reddition d'une bande d'insurgés grâce à sa promesse de leur obtenir la vie sauve, il se dédit (un "les promesses n'engagent que ceux qui les reçoivent" avant l'heure). Et Doll, l'une des rebelles trahis par More a ces mots sarcastiques :

    "C'est un gentilhomme honnête, avisé et qui cause bien. Pourtant j'aurais loué bien davantage son honnêteté s'il avait tenu sa parole et sauvé nos vies. Les mots ne sont que les mots et ne paient pas ce que les hommes promettent avec." (Acte II, sc. 4)

    Ici on ne peut s'empêcher de penser que c'est Shakespeare qui s'exprime, ce passage dirigé contre la rhétorique et les rhéteurs n'étant pas isolé dans son oeuvre. Plus largement More incarne comme Wolsey son prédécesseur, ou Cranmer (si ce n'est Polonius même), le "pouvoir des évêques" et une forme de politique théocratique à laquelle Shakespeare n'adhère pas, conformément à une tradition chrétienne (ni particulièrement antipapiste, ni anglicane). Les Eglises anglicane, allemande, suisse, n'ont pas modifié substantiellement la pratique théocratique catholique ; elles furent bien plutôt, c'est très net dans le cas de Hobbes (qui fut secrétaire de Bacon mais ne le cite presque jamais) les chevilles ouvrières de l'endossement par l'Etat et ses institutions d'habits religieux empruntés à l'ordre pyramidal catholique (La critique de Marx consiste en partie à le démontrer en ce qui concerne l'Eglise allemande luthérienne ; le fonctionnaire, l'"homme nouveau" de la doctrine nationale-socialiste hégélienne auquel Marx et Engels opposent le prolétaire, emprunte son sacerdoce au curé catholique à travers le pasteur luthérien).

    Il est fait allusion à l'ironie "légendaire" de Thomas More à de nombreuses reprises, ironie de More qui lui a aussi valu quelques aphorismes de Bacon ; mais l'ironie ou l'humour n'est guère valorisé dans la tradition chrétienne. Hamlet le manie bien dans son semblant de folie, mais comme une arme pour se défendre contre les saillies de ses ennemis ou de ses soi-disant "amis" Rosencrantz et Guildenstern. Baudelaire remarque à juste titre que "les Evangiles ne rient pas". Encore une fois, More est le dindon de sa propre conception théocratique qui l'entraîne à accepter sa décapitation avec longanimité. Mourir crânement comme More n'épargne que son amour-propre. Ni Shakespeare ni son public n'ignorent qui plus est que la condamnation de More est le résultat d'un imbroglio sentimental et politique peu reluisant qui a déjà eu, lorsque Shakespeare rédige sa pièce, des conséquences tragiques. Pour avoir fait du remariage de son roi un élément-clef de ses intrigues, le cardinal Wolsey a été placé au centre d'une pièce de Shakespeare où celui-ci fait nettement allusion à la pourriture pourpre et écarlate qui colore dans l'apocalypse de saint Jean le pacte entre l'Eglise et le pouvoir temporel.

    *

    Autre exemple de commentaire gratuit voire ubuesque, celui de Pierre Spriet, à propos de "Troïlus et Cresside" : "Shakespeare a moins d'estime pour les Grecs que pour les Troyens.", écrit Spriet dans sa notice.

    Il semble ici que le commentateur prenne encore ses désirs pour la réalité. En effet, les rôles-titres que sont Troïlus et sa fiancée Cresside (et Troïlus est le "Troyen-type") sont brocardés du début à la fin de la pièce, leur idéal d'amour courtois en particulier, rabaissé au niveau de celui d'un cocu petit-bourgeois, qui lorsque sa dulcinée lui est enlevée pour être offerte en cadeau de compensation à Diomède, ne sait que s'incliner en bafouillant quelques stances ridicules.

    Il me semble que l'idée a dû venir à S. Freud (loin d'être le premier à l'avancer) de l'identité de Bacon et Shakespeare à cause de l'usage subtil de la mythologie grecque par ce dernier. Shakespeare n'a de fait pas manqué de remarquer que le dieu qu'adorent les Troyens, Apollon (le "destructeur") est le nom de Lucifer dans le Nouveau Testament.

    Que tel ou tel commentateur s'identifie plutôt à More, Ophélie, voire Claudius (!) n'est pas gênant en soi ; dans le cas de Nitche, qui présente le même tempérament de petite salope puritaine qu'Ophélie, c'est pleinement justifié. Ce qui est malhonnête, c'est le ton d'apparente neutralité universitaire sur lequel ce genre de commentaire est fait. Une pièce flatteuse pour More ? Paradoxe ! Et l'argument de la poésie pour couvrir cette gnose de profs lorsqu'elle est par trop incohérente. Blablabla.

    *

    Et maintenant, voici deux apophtegmes de François Bacon où l'humour de Thomas More est lui aussi évoqué.

    "Sir Thomas More n'eut d'abord que deux filles et sa femme ne cessait de prier pour avoir un garçon. Enfin elle eut un garçon, qui ayant atteint l'âge adulte, s'avéra simple d'esprit. Sir Thomas dit à sa femme :

    - Tu as prié si longtemps pour avoir un garçon qu'il en restera un jusqu'à sa mort."

    "Un barbier fut envoyé à Sir Thomas More le jour de sa décapitation, parce qu'il avait les cheveux longs, ce qui pensait-on risquait d'apitoyer plus encore la foule sur son sort. Le barbier s'approcha et lui demanda comment il lui plaisait d'être coiffé ?

    - Ma foi, mon brave (dit Sir Thomas), le roi et moi réclamons tous les deux ma tête, et tant que le cas ne sera pas tranché, je n'engagerai aucun frais dessus."

    F. Bacon, "Apophtegmes" (1624)

    Et encore ceci :

    "- More : Depuis quand portes-tu ces longs cheveux ?

    - Falkner : Je les porte depuis ma naissance.

    (...)

    - More : Dis-moi à présent canaille depuis combien de temps tu n'es pas allé chez le barbier ? Depuis quand cette chevelure épaisse est-elle sur ton crâne ?"

    "Thomas More" (Acte III, sc. 1) (1594 ?)

    Une scène entière quasiment est consacrée à l'obsession qu'a More de la façon dont Falkner, venu le voir pour réclamer un jugement impartial, est coiffé. Ce qui est loin d'indiquer l'estime de Shakespeare pour l'utopie politique de Thomas More, dont il a été fait utérieurement par Rome le "saint patron des hommes politiques" sans tenir compte de l'avertissement de Jésus-Christ contre la tentation d'édifier le royaume de Dieu sur la terre (Je veux dire par là que Shakespeare ne manque pas d'arguments chrétiens pour contester le point de vue de Thomas More, nécessairement le résultat d'un compromis avec le paganisme.)

    Il semble donc que l'opinion en faveur de More soit surtout celle de M. Villquin, non celle de l'auteur de la pièce lui-même.

  • Identité, piège à moules

    François Bacon (pas le patouilleur anglais du XXe, le savant du début du XVIIe siècle) se définit lui-même comme un "citoyen du monde", l'un des tous premiers humanistes, donc, à porter un regard critique sur le phénomène de la mondialisation.

    Dans un petit opuscule, "La Nouvelle Atlantide", parfois raillé par des savants bien moindres que lui (Pierre Vidal-Naquet, par ex., entiché de Platon au contraire de Bacon), Bacon décrit même avec assez de précision toutes les inventions ultérieures de la polytechnique jusqu'à nous, comme pour mieux en minorer le mérite. Que sont Edison, Faraday, Bell, Von Braun, si Bacon a pu décrire à l'avance les fonctions et l'usage de toutes leurs trouvailles ? Et leur métaphysique, quand ils ont comme Poincaré ou Einstein l'audace d'en commettre une ? C'est la métaphysique du bricoleur.

    F. Bacon entend se situer au niveau d'Aristote et de son imagination et méprise par conséquent la mécanique (déductive). S'il ne les méprise, il prend les mécaniciens pour ce qu'ils sont : des bricoleurs et des téléphonistes -sans fil ou avec. L'intérêt de tel ou tel penseur des Lumières françaises pour Bacon est un intérêt pour une science radicalement différente de celle de Descartes ou Newton (Descartes est plus proche de Newton que Newton de Bacon).

    *

    "Citoyen du monde", Bacon n'en est pas moins l'esprit le plus occidental qui soit, au sens le plus complet, c'est-à-dire cosmologique aussi. Bacon est en effet astrologue plutôt qu'astronome (comme des esprits attentifs bien que peu fonctionnaires ont remarqué que Hamlet, prince de ce pays septentrional qu'est le Danemark, l'est aussi ; et pour ceux que ça intéresse, on peut trouver facilement sur internet un bref extrait d'une thèse peu académique consacrée à l'astrologie d'Hamlet par Erwin Reed en 1905. J'ai relevé moi-même d'autres éléments que Reed n'a pas vu allant dans le même sens. C'est-à-dire que la thèse de Reed infirme assez efficacement la croyance universitaire selon laquelle le propos d'Hamlet relèverait d'une coïncidence banale, ou même qu'il serait secondaire pour comprendre la pièce).

    Seul un benêt italien tel que Stendhal peut croire que le principal souci de Shakespeare est de faire partager à son public des émotions, confondant ainsi Shakespeare avec le code civil ou le code pénal, principal ressort émotionnel du cinéma yanki.

    Non, pour dire mieux, il faut dire que Bacon est astrologue CONTRE l'astronomie. On saisira mieux le caractère occidental de Bacon si on comprend que l'astrologie est incompatible avec la science pyschologique. Ce sont les Romains, puis les Allemands à leur suite ("Heil Nero !"), qui ont ajouté de la psychologie à la mythologie grecque (en France on peut citer Versailles comme foyer d'irradiation psychologique, ville nouvelle où flotte d'ailleurs encore aujourd'hui un parfum d'inceste, exactement comme aux Etats-Unis ; d'où Stendhal tient-il que Racine est moins émouvant que Shakespeare ? Il y a dans Racine de quoi émouvoir des charrettes de jeunes filles en fleurs qui se tordront la gueule à condition qu'elles aient deux sous de jugeotte, en voyant le portrait que Shakespeare a peint d'elles en Ophélie).

    Helléniste beaucoup plus sérieux, Bacon accorde à la mythologie grecque une valeur scientifique et historique, politique à la rigueur, mais pas "psychologique". Derrière le duel entre Troyens et Grecs, il y a un duel entre Apollon et Athéna, dont celle-ci sort victorieuse. Bacon place le casque d'Athéna et la colombe de l'Esprit au frontispice de ses ouvrages savants. Shakespeare fait de Troie une place-forte païenne.

    L'esprit de Bacon mérite d'être qualifié d'"esprit universel", à l'opposé de l'esprit libre-échangiste ou capitaliste qui représente l'"esprit particulier élémentaire".

    En ne choisissant pas entre ces deux esprits antagonistes, le pape qui est en partie dépositaire des trésors intellectuels de l'Occident fait le diplomate. Autrement dit c'est un lâche.


  • Bacon our Shakespeare

    I notice this concerning both Francis Bacon Verulam AND Shakespeare: they are translated by scholars as:

    -Shakespeare a Baroque author;

    -Bacon a Baroque scientist;

    Although they are obviously not Baroque at all. From the Holy Scriptures Shakespeare knows that 'time' is one fiendish operation. Roman or latin tradition of Montaigne can be qualified of Baroque style. Not Shakespeare against Roman principles and -first of them- the praise for the politics and the law.

    "Induction" of Bacon is not far away from Aristotle's 'ontology' (see 'Physics', first chapters) that consists in seeing things not throughout the prism of 'time' (Contrarily to Newton or Descartes, for instance).

    Even French Joseph de Maistre was smarter than today scholars are. De Maistre is a Christian Free-mason whose religious idea is very close to today U.S. theocratic idea ('First the State, then God': so can it be summarized). In this perspective de Maistre is the foe of both Shakespeare and Bacon, probably because he read them more acurately and noticed their common intention to pull out the sacred clothes of virtue and politics and show that 'the King is naked'. Due to his short experience in politics, Bacon knew everything about the impossible marriage between politics and science that recalls the impossible marriage of any Church with the Revelation.

    (It is rather funny to observe that Joseph de Maistre -not well loved in France because of his hate of Voltaire and the French Revolution- is praised up by Sarkozy's party again now, friends of the Atlantic Pact, BUT not too much because of de Maistre apology of torture and pain that is frightening those little kids who do prefer soft paederastic bourgeois sado-masochism.)

  • Apophtegmes

    "Le fils du ministre Bound enleva la femme d'un gentilhomme dans le Shropshire, qui vécut avec lui séparée de son mari ; quand il fut lassé d'elle, il proposa au mari de la ramener à la maison, offrant cinq cent livres en plus en guise de dommages-intérêts.

    Le gentilhomme se rendit chez Sir H. Sidney pour lui demander conseil à propos de cette offre ; il expliqua que sa femme lui promettait de se conduire différemment, et à vrai dire que cinq cent livres l'accompagneraient ; par-dessus le marché, il lui arrivait de souhaiter avoir une femme dans son lit de temps en temps.

    - Par ma foi, dit Sir Henri Sidney, ramène-la chez toi et prends l'argent ; car si elle cocufiait quelqu'un d'autre, tu devrais t'en sentir coupable."

    François Bacon, "Apophtegmes" (1624)

    Certains des aphorismes de Bacon, inspirés de faits réels, reflètent le même mépris pour le masque des conventions sociales qu'on retrouve dans la plupart des pièces de Shakespeare. De "cul" ou de sentiments il n'est guère question dans le théâtre de Shakespeare que pour en railler le principe puéril. Le ton historique et prophétique de Marx (accusé lui aussi à tort de "socialisme") est déjà celui de la Renaissance ; on peut même dire que l'intérêt pour l'apocalypse est une caractéristique de l'art de la Renaissance qui permet de distinguer celui-ci nettement de l'art baroque.

    La critique historique naît ou renaît bel et bien en Occident dans un contexte où le christianisme se "déjudiciarise". Karl Marx est certainement un humaniste beaucoup trop pointu pour ne pas l'avoir remarqué ("pointu" veut dire qu'il n'est pas un guignol comme F. Nitche, archétype de l'abruti national-socialiste et d'un paganisme de cabinet imbécile).

    La façon dont les peintres substituent la mythologie grecque aux contes païens locaux plus archaïques mélangés au moyen âge avec le christianisme, va dans le même sens. Bacon est un chrétien de la Renaissance qui s'intéresse à la religion des Juifs ou à celle des Grecs dans la mesure où elles sont aussi apocalyptiques. Il va de soi que la Renaissance ne va pas dans le sens théocratique comme le franc-maçon catholique Joseph de Maistre l'avait parfaitement pigé, prenant Bacon pour cible dans son délire nostalgique ; s'il y a un fou qui mérite d'être loué pour sa "raison horlogère", c'est de Maistre (L'histoire est ironique au point de nous montrer aujourd'hui un Tariq Ramadan plus "voltairien" et moins "ottoman" que J. de Maistre n'était au XIXe siècle : comme quoi traduire ainsi que le font les médiats les religions en "idéologies", afin de les mieux circonscrire, n'a guère de sens.)

    Compte tenu au contraire du culte des conventions sociales et de la famille dans les peuples germaniques, on comprend que S. Freud ou F. Nitche aient été mal placés pour comprendre Shakespeare et en donnent parfois une interprétation qui flirte avec le grotesque (Claudius, boiteux et incestueux, est beaucoup plus proche, par exemple, du tyran Oedipe, que Hamlet ne l'est.)

    L'occasion de remarquer aussi le décalage entre la théologie de Luther, tout de même imprégnée d'esprit humaniste, et la religion de la bourgeoisie allemande qu'on a appelée "luthéranisme" mais qui s'avère beaucoup plus proche du christianisme mondain de Port-Royal. Je ne suis pas sûr de pousser le paradoxe trop loin en disant que l'illuminisme et la gnose à la mode chez les derniers cathos français qui subsistent est plus près de Rimbaud que de Luther.

    "Une femme soupçonnée par son mari de le tromper et pressée par lui très durement de questions lui fit une brève réponse, protestant vivement qu'elle ne savait pas plus de quoi il voulait parler que l'homme sur la lune. Il se trouve que le capitaine du navire nommé "La Lune" était son amant."

    "Il y avait un jeune homme à Rome qui ressemblait beaucoup à César-Auguste ; celui-ci l'apprit, et le jeune homme convoqué une fois devant lui, Auguste l'interrogea sur le point de savoir si sa mère avait jamais vécu à Rome ? Il répondit :

    - Non, monsieur, mais mon père oui."

    François Bacon, Ibid.

  • Bacon notre Shakespeare

    "Le conseil adressa une remontrance à la reine Elisabeth relative aux complots ourdis en permanence contre sa personne ; notamment un homme venait d'être appréhendé le soir même, apparemment très dangereux et suspecté de projeter un assassinat ; on lui montra l'arme supposée du crime. Et par conséquent on conseillait à la reine de moins sortir prendre l'air, ainsi exposée, comme elle en avait l'habitude. Mais la reine répondit qu'elle préférait mourir plutôt qu'être mise en prison."

    F. Bacon, "Apophtegmes", 1624.

    Le totalitarisme est bien sûr indissociable de cette haine récurrente dans le peuple vis-à-vis de la personne censée le représenter. La solution qui consistait autrefois à prêter des pouvoirs divins au monarque, au prix du blasphème dans les royaumes chrétiens, cette solution a été remplacée peu à peu par des escouades de gardes du corps dans les régimes dits "démocratiques", où l'on fait logiquement plus confiance au rempart humain qu'au rempart divin.

    J'avoue avoir sursauté l'autre jour en apprenant la libération après sept ans de prison ferme, sans aucune grâce présidentielle, de Maxime Brunerie, le jeune nationaliste qui avait tenté de descendre Chirac avec une carabine de foire. Sept ans ! Autant dire que si la conception du pouvoir a quelque peu changé depuis Bacon et Elisabeth, il n'en est pas moins sacré aujourd'hui qu'hier. La réponse d'Elisabeth fait de Chirac une vraie fiotte, soit dit en passant. Mais Delanoë paya d'un coup de couteau son courage de monarque "élisabéthain".

    "Le Sieur Nicolas Bacon, alors Garde du Sceau d'Angleterre, reçut la visite de la reine Elisabeth en sa demeure de Gorhambury ; elle dit :

    - Milord, comme votre maison est petite ! Sa réponse :

    - Madame, ma  maison est comme il faut, c'est vous qui m'avez fait trop grand pour quelque maison que ce soit.

    F. Bacon (Ibidem)

    Nicolas Bacon fut Garde des Sceaux avant que son fils François ne le devienne à son tour plus tard. Ceux qui ont émis l'hypothèse d'une filiation entre la reine Elisabeth et François Bacon, fait baron Verulam puis vicomte de Saint-Alban, insistent notamment sur le fait que ce dernier, bien que peu doué pour les affaires publiques, dont ses écrits traduisent même le dédain, fut néanmoins appelé au service du régime par la reine Elisabeth, avant d'être écarté par de plus roués que lui. Ce qui est certain, c'est que le théâtre de Shakespeare comme les écrits scientifiques et historiques de Bacon révèlent une très bonne connaissance de l'histoire d'Angleterre, particulièrement riche en troubles religieux et politiques.

    "Les représentants de la religion réformée, après le massacre qui eut lieu à Paris le jour de la Saint Barthélémy, négocièrent la paix avec le roi, la reine-mère, et quelques autres membres du conseil.

    De chaque côté on s'entendit sur les différentes clauses du traité. Le contentieux persistait à propos de la sécurité, la manière de l'assurer. Après le rejet de plusieurs motions, la reine-mère dit :

    - Est-ce que la parole d'un roi n'est pas une sécurité suffisante ? A quoi l'un des députés répondit :

    - Non pas, madame, par Saint Barthélémy !"

    F. Bacon (Ibidem)

    Le commentaire scolastique de Michèle Le Doeuff, qui n'hésite pas à faire de Bacon un adepte du continuisme judéo-chrétien sous prétexte que celui-ci a lu l'Ancien Testament est parfaitement grotesque. D'une manière générale, le fait de ranger Bacon ou Shakespeare comme cela est fait régulièrement dans tel ou tel parti religieux "catholique", "anglican", etc., n'a de sens qu'au plan de la religion laïque actuelle elle-même, qui ignore à peu près tout du christianisme comme en témoignent les gaffes répétées des représentants de la religion de l'Etat, dont le souci n'est pas d'abord scientifique, mais d'établir leur propre religion réactionnaire (par rapport au christianisme). On peut citer l'exemple des préjugés de Claude Allègre, plus clergyman que savant, dans ses bouquins, à peu près aussi grossiers que ceux du "biologiste" anglais Richard Dawkins.

    L'adéquation entre les différentes théologies chrétiennes et les différents partis chrétiens n'existe pas dans les faits, mais seulement dans l'idéologie laïque consolidée en religion de l'Etat au XIXe siècle. Autrement dit, le catholicisme aujourd'hui, qui n'est plus qu'une sorte de syncrétisme, de mélange de folklore chrétien et de principes laïcs, n'a rien de commun ou presque avec le catholicisme de Dante, celui de Thomas d'Aquin, pas plus que les luthériens n'envisagent de prendre encore au sérieux les malédictions de Luther à l'encontre des commerçants allemands qui osent sacrifier aux lois du marché plutôt qu'à Dieu, qui perturberaient bien trop de plans si elles étaient entendues.

     

  • Bacon notre Avant-garde

    "La commission du trésor incita le roi Jacques Ier, afin de soulager son budget, à déboiser certaines de ses propriétés, arguant que celles-ci étaient à l'écart des routes, non près d'une des demeures du roi, pas même en voie d'accroître son gain - forêts dont il ne pourrait donc avoir ni us ni plaisir.

    - C'est que, répondit le roi, croyez-vous que Salomon eût l'usage ou le plaisir de chacune de ses trois cent concubines ?"

    *
    "La reine Elisabeth, le lendemain de son couronnement (c'est la coutume d'élargir des prisonniers lors de l'intronisation d'un prince) se rendit à l'église ; puis à la chambre haute où l'un de ses courtisans qu'elle connaissait bien lui présenta une requête. Devant un grand nombre de courtisans, il fit son siège d'une voix forte, assurant que quatre ou cinq prisonniers par ces temps bénis méritaient plus que d'autres d'être élargis : les quatre évangélistes et l'apôtre saint Paul, longtemps "bouclés" dans une langue étrangère, comme s'ils étaient en prison, de sorte qu'ils ne puissent converser avec le commun des hommes.

    La Reine répondit très gravement que le mieux était au préalable de s'enquérir auprès d'eux afin de savoir s'ils voulaient être élargis ou pas."

    François Bacon, "Apophtegmes" (1624), trad. Lapinos.

    Elisabeth, deuxième fille du roi Henri VIII-Tudor monte sur le trône d'Angleterre et d'Irlande en 1558. Le père de François Bacon, le ministre Nicolas Bacon est-il ce courtisan que la reine "connaissait" bien dont parle François Bacon, lui même appelé plus tard à jouer le rôle de conseiller de la même reine ? Certains ont même émis l'hypothèse que François Bacon n'était autre que le fils illégitime de la reine, né d'un amour avec son courtisan Nicolas. Si c'était le cas, cela signifierait que le premier des monarques absolus d'Occident, modèle du genre, aurait engendré le savant le plus acharné contre le pouvoir temporel, au point d'exciter encore la haine de Joseph de Maistre, tenant d'un christianisme plus ottoman encore que celui de Soliman, deux siècles plus tard ?
    Aussi adepte de la théocratie J. de Maistre soit-il, il faut lui reconnaître la capacité de situer Bacon convenablement dans la tradition humaniste de la Renaissance qu'il exècre, et non comme le pape Benoît XVI aujourd'hui ou l'université française laïque d'en faire le père de la polytechnique moderne ou Dieu sait quel mensonge historique de cet acabit.
  • No problem play

    La charité n'a ni mesure ni raison. Et la foi est une coupe de Pandore, remplie de vices et de noms de blasphèmes. Ce n'est pas Dieu mais Lucifer qui connaît tous les plans de la vertu (Lucio). Lire "Mesure pour mesure" c'est sacrifier un peu moins au dessein de Satan.

  • Bacon our Shakespeare

    Commenting upon Shakespeare today scholars are giving him their own Philistine prudishness and silliness. Feelings are driving to ultimate black holes and shit; the Tragedian does know it and let the virtue on one side. "Measure for measure" is about how believing in virtue and power, under the Devil's sun (see Lucio's wink), is a tragedy -not a comedy- for little kids.

    How can scholars forget Hamlet's telling to Ophelia to go to the nunnery? How can they forget what happen to Rosencrantz and Guildenstern who are themselves scholars? Fiction is good for the Physiologist or the Christian gasteropod (French R. Girard explaining -what a scoop!- that 'Hamlet' is not about revenge).

    It is thus useless to blame Shakespeare for his lack of psychology as some patriotic poet or hired scholar did. For stupid German S. Freud, Hamlet is Oedipus although Claudius is obviously the Tyrant whose power is based on incest as politics in general (says Oedipus' fable). German philosophy is able to condemn everybody to death penalty except the body of law that has nobody: what proves Freud one more time.

    How do we have to understand Shakespeare when Shylock is ruling? That is the question.

    "Phoenix and Turtle", part of "Loues Martyr" (1601) was translated in French by F.-V. Hugo (son of famous poet) who does not underline the aristotelician physics -or ontology- enough, that the author does apply to the Revelation, especially in the "anthem" part, second one.

    But I chose to present last part first before because of its simplicity. Due to the Baroque cancer where we are now in its last phasis, central part of Shakespeare's praise song is more difficult. Thinking out of time is what Baroque cancer prevent. Sole play of time as a murderer along Shakespeare's theater is enough to recognize a christian materialist thinking. Shakespeare is seeing theocracy that was coming as the effect of Lucifer's power in the history, beyond Hercule's columns.

    Christian free-mason J. de Maistre was right when he saw Shakespeare and Francis Bacon as ennemies of his turkish idea of christianism, satanic fantasy of a coming back of Louis XIVth bloody kingdom. Maistre is maybe wiser here than Voltaire who did not love Bacon enough and neglected him to much for stupid mathematics of I. Newton.

    It is not scientific to ask wether if Shakespeare is catholic or not. For sure on one point he does think as Dante Alighieri or Luther that the marriage of the Church (Gertrude) with civil power (Claudius) is the worst thing. But both English Church and the Catholic one were representing this betraying at this time. It is thus wiser to see a link between Queen Elisabeth and King Claudius than between Queen Elisabeth and Queen Gertrude. Therefore Shakespeare is more 'trinitarian' than recent roman popes themselves are.

    LAST PART III:

     

    THRENOS

    "BEAUTY, truth, and rarity,

    Grace in all simplicity,

    Here enclosed in cinders lie.

    Death is now the phoenix' nest;

    And the turtle's loyal breast

    To eternity doth rest,

    Leaving no posterity:

    'Twas not their infirmity,

    It was married chastity.

    Truth may seem, but cannot be;

    Beauty brag, but 'tis not she;

    Truth and beauty buried be.

    To this urn let those repair

    That are either true or fair;

    For these dead birds sigh a prayer."

    Glory for the Phoenix, salvation for the Turtle, symbol of christian sionism and holly spirit, can we sum up here. See what glorious warriors of Troy are for Shakespeare ('Troilus and Cressidea': just dummies.)

    TO BE CONTINUED

  • No problem play

    Charity has no reason nor measure that is for eternity. And faith is a Pandora's vase full of iniquities and blasphemies. Not the Lord but Master Apollyon's (Lucio) do know the map of virtue from the beginning. Read "Measure for measure" is giving less to his Time and more to his Life. I praise Shakespeare our prophet against blood systems that are soul systems.

  • Gentilhommes d'hier et d'aujourd'hui

    "M. Bettenham disait que les hommes vertueux sont comme certaines plantes ou épices qui ne donnent leur odeur délicieuse tant qu'on ne les coupe ou les broie."

    "Un gentilhomme se rendit à un tournoi tout en roux-orangé, et se battit fort mal. Le lendemain il revint en vert, et ce fut encore pire. L'un des spectateurs en interrogea un autre : pour quelle raison ce gentilhomme a-t-il changé ses couleurs ? L'autre répondit qu'il devait sûrement avoir remarqué que le gentilhomme en vert s'était moins bien battu que le gentilhomme en roux-orangé."

    "Il était un peintre qui se fit médecin. Là-dessus, quelqu'un lui dit ; tu as bien fait ; auparavant les défauts de ton oeuvre étaient apparents, désormais ils sont invisibles."

    François Bacon, "Apophtegmes" (1624).

    Le troisième apophtegme illustre, mieux que le dédain pour la médecine perpétué en France par Molière, la défiance de l'humaniste chrétien vis-à-vis d'un art "physiologique" qui constitue un terrain favorable à l'ésotérisme et au culte des démons. Le médecin de Molière est parfois en costume noir et coiffé d'un chapeau conique ("corne" du diable figuration du "cône" ou du "faisceau" lumineux indique Bacon par ailleurs). Dans sa hiérarchie scientifique, Bacon relègue d'ailleurs la médecine comme les mathématiques au rang d'arts subalternes.

    Prophétique Bacon ici à double titre puisque la science transformiste darwinienne, un des dogmes fondamentaux de l'opium national-socialiste, est au XIXe siècle un des principaux vecteurs de réintroduction de l'archaïque fatalisme romain, croyance liée au culte des morts et qui favorise l'aliénation de l'individu à des spectres tels que la nation, la patrie, l'Etat, l'entreprise, l'université, etc.

    La dégradation du christianisme en religion d'Etat, la tournure dite "janséniste" en France, mène d'ailleurs à un christianisme perméable à l'idée de prédestination (tout à fait satanique sur le plan chrétien, et dont les pascaliennes jongleries de Jean Guitton constituent le terminus obscurantiste).

    Fait historique vérifiable, la réintroduction de l'idée païenne de destin (rétrograde non seulement par rapport à l'humanisme de la Renaissance mais également par rapport à Homère ou Aristote !), cette réintroduction par le biais de la psychologie, la biologie, l'architecture canonique, etc., a pour contrepartie la dissolution d'une démonologie telle que celle développée par François Bacon, indissociable de sa dialectique historique, distincte à la fois de la crainte médiévale du diable et de la négation baroque. C'est si vrai que, détruisant les arcanes de la religion bourgeoise et le cycle vicieux capitaliste, afin de restaurer la dialectique scientifique, Karl Marx est entraîné à qualifier la bourgeoisie capitaliste et ses principes de façon quasiment "balzacienne" voire "homérique", à la démasquer derrière sa mystique spécieuse.

    -Destruction de la théologie par l'Eglise d'une part, de la science par l'Etat d'autre part, suivant le même fonctionnalisme anthropologique. L'union de la vertu et de la puissance au service de la mort, apparence qui se résout en une fraction pour le suppôt en vice et en impuissance.

    Prophétique aussi Bacon parce que l'esthétique nationale-socialiste ou capitaliste, l'art totalitaire des foirails d'art contemporain peut être défini comme un art "organique" ou "femelle". On retrouve d'ailleurs dans la valetaille employée à valoriser le patrimoine de Pinault & Arnault, parodies de mécènes inaptes à causer intelligemment d'autre chose que de tennis ou de football, la même gnose ésotérique que chez le médecin de Molière ou son bourgeois gentilhomme.

    Non sans rapport avec la médecine, on observe que la religion laïque de l'Etat s'est emparée de la psychologie, moyen de sidération efficace comme jadis la confession auriculaire dans le christianisme puritain médiéval ou janséniste. Bien que dénuées de tout fondement scientifique, ces pratiques de sourciers laïcs sont désormais intégrées dans le processus judiciaire (La confession auriculaire avait bien sûr elle aussi un aspect judiciaire en dépit du "Tu ne jugeras point".) : on peut faire avaler que la pseudo-science freudienne a pour effet d'atténuer la condamnation et de soulager le prévenu, en réalité ce cléricalisme-là a pour but de dédouaner l'Etat de ses tares flagrantes. La vraie vocation du sourcier laïc est de forger le "responsable mais pas coupable" du fonctionnaire d'Etat AUSSI BIEN QUE du Capital, dont la seule initiative est le "hold-up" permanent.

    *

    A propos du deuxième aphorisme, les couleurs orange et verte sont comme les couleurs pourpre, écarlate ou noire, des couleurs liées aux diable dans l'esprit de la Renaissance. Il faut se garder concernant Bacon de transposer sur lui sa propre fantaisie comme fait largement l'université aujourd'hui. Si parler du diable est aujourd'hui y compris dans les conclaves romains un peu comme parler d'une corde dans la maison d'un pendu, l'humanisme de la Renaissance ne connaît pas ce genre de tabou.

  • De modèle à Hortefeux

    "Bresquet, bouffon de François Ier de France, tenait le compte des imbéciles dans un calepin avec lequel il amusait le roi, lui disant toujours son motif d'y inscrire Untel.

    Quand l'empereur Charles Quint, confiant dans la noblesse de coeur de François, traversa la France pour aller mater la rébellion de Gand, Bresquet l'inscrivit dans son calepin. Le roi lui demanda pourquoi. Il répondit que la cause était que Charles, après avoir fait subir au roi de France les pires vexations qu'un prince endura jamais, n'en continuait pas moins de se fier à lui.

    - Dites Bresquet, fit le roi, que diriez-vous si vous le voyiez s'en retourner dans l'autre sens comme s'il se promenait tranquillement à travers l'Espagne? Et Bresquet de répondre : auquel cas je l'ôterais de mon calepin et vous y mettrais."

    François Bacon, "Apophtegmes" (trad. Lapinos libre de droit sauf pour capitalistes pédérastes.)

  • Apophtegmes

    "Il était un roi de Hongrie qui prit sur le champ de bataille un évêque, l'emmenant en captivité ; là-dessus le pape lui adresse une admonestation pour la raison qu'il avait violé un privilège de la sainte Eglise et capturé un de ses fils.

    Le roi fit parvenir par ambassade au pape l'armure de l'évêque avec ce seul commentaire écrit : 'Vide num haec sit vestis filii' : Voyez comment désormais votre fils s'habille."

    *

    "Alphonse d'Aragon avait coutume de dire que la vieillesse pour en faire l'éloge qu'elle était le mieux en quatre choses : le bois vieux meilleur pour le feu ; le vin vieux à boire ; les vieux amis en qui faire confiance ; et les vieux écrivains à lire."

    *

    "On l'a dit d'Auguste et de même pour Septime Sévère ensuite : tous deux accomplirent un nombre infini de méfaits à leurs débuts, et un bien infini pour finir ; de sorte qu'ils n'auraient jamais dû naître ou bien ne jamais mourir."

     

    François Bacon, "Apophtegmes" (Trad. Lapinos libre de droits sauf capitalistes pédérastes.)

  • L'Amour de Shakespeare

    S’agissant de Shakespeare, il faut se garder de l’indécrottable niaiserie sentimentale qui est le trait dominant de la bourgeoisie et de sa science scolastique depuis le XIXe siècle. Les sentiments conduisent au merdoiement ultime ; et le tragédien le sachant maintient sa dialectique à distance de la police des moeurs. La prude salope Ophélie peut aller se faire voir au couvent, comme une bonne "fille à papa". Romance est bonne pour le physiologiste ; mieux vaut dire carrément pour le gastronome et sa méditation digestive, le chrétien gastéropode.

    Aussi est-il parfaitement vain de reprocher à Shakespeare son "manque de psychologie" comme tel ou tel poète nationaliste/thésard appointé s'est permis. Les thésards, dans Shakespeare, sont Rosencrantz et Guildenstern, et on sait ce qu'il advient d'eux enfin.

    Le poème "Phénix et Colombe", partie du "Martyre d'amour" ("Loues Martyr" - 1601) dont la traduction méritoire de François-Victor Hugo ne souligne pas assez l'aristotélisme ou l'"ontologie" shakespearienne appliquée à l'apocalypse, se compose de trois parties. Je choisis d'en présenter d'abord la dernière (Oraison, "Thrène"), dont l'arrière-plan théologique est le plus aisé à traduire. Avant de revenir au début du cantique et à sa partie centrale la plus ardue à expliquer, compte tenu du cancer baroque en phase terminale où nous sommes, la conversion définitive de l'Eglise romaine à des "valeurs actuelles" parfaitement sinistres.

    Le rôle d'assassin dévolu au temps dans l'oeuvre de Shakespeare permet à lui seul de reconnaître une pensée matérialiste chrétienne ; ça empêche de faire de Shakespeare un auteur baroque et de le mêler au culte bourgeois de la musique, des horloges, de la balistique et des miroirs, sans compter le concile "tridentin". Le franc-maçon Joseph de Maistre a vu juste en marquant Shakespeare comme un ennemi de son christianisme ottoman ; grâce soit rendue à de Maistre pour une sincérité dont ses héritiers, adeptes d'une théocratie chrétienne en apparence plus molle, parfaitement narcissique mais non moins meurtrière, sont incapables aujourd'hui. L'avantage des cercles délimités par le compas de de Maistre, c'est qu'ils sont nets.

    Shakespeare peint dans "Troïlus et Cresside" Ajax en héros diabolique ; du crâne fendu d'Ajax jaillirait de la musique. Nul hasard chez Shakespeare.

    III. ORAISON ("Thrène")

    "Beauté, Vérité et Excellence, la Grâce en toute simplicité, dans ces scories sont incluses :

    La mort désormais est là où niche le phénix ; tandis que la poitrine de la loyale colombe repose bel et bien dans l'Eternité.

    Sans laisser de postérité : non pas à cause de leur infirmité, mais du mariage dans la chasteté.

    La Vérité peut paraître sans être ; la Beauté triomphe, mais ce n'est pas elle. Vérité et Beauté peuvent être enterrés.

    A cette urne laissons se rendre ceux qui sont, ou beaux, ou vrais ; murmurons pour ces oiseaux morts une prière."


    La gloire pour le phénix, le salut éternel pour la colombe du sionisme chrétien. Shakespeare, rompu aux sciences naturelles comme aux Saintes Ecritures reprend le symbole de la colombe, oiseau incarnant l'Esprit chrétien de sagesse charitable, déjà présent dans les écrits prophétiques juif ou grec en tant que tel. Persée vainqueur de la Méduse est ainsi représenté sur certains cratères antiques, escorté d'une colombe. Athéné, plus souvent associée à la chouette et sa vision nocturne, l'est aussi parfois à une colombe ; le pouvoir de retourner la tête de Méduse contre ses ennemis est d'ailleurs offert par Persée à la déesse qui incarne l'esprit de Zeus.

    Shakespeare fait certainement partie des humanistes jusqu'à Voltaire inclus qui pensent que les Grecs, d'une manière ou d'une autre, ont élaboré une religion dont l'imaginaire provient largement de l'Ancien Testament, prophéties apocalyptiques incluses. Le plus sérieux de ces savants humanistes est François Bacon puisqu'il jette les bases historiques de cette thèse, tout en énonçant une des plus anciennes théories de la dérive des continents (C. Darwin s'y serait rallié à la fin de sa vie, ce qui si cela est vrai implique la mort du darwinisme dans l'esprit de Darwin lui-même, car il n'y a pas hormis celle d'Aristote de science naturelle moins radicalement opposée à l'idée de transformisme et de progrès par mutation, la mutation étant pour Bacon, ontologiquement et symboliquement, un fait statique.)

    Le phénix, lui, oiseau du Sud (l'emblème du Mexique, par exemple, et qui signifie "rouge sang", "écarlate") est pris comme un symbole luciférien en raison de son rapport avec le soleil (Apollyon est le nom de l'ange de l'abîme, Abaddon en hébreu) et de son pouvoir mythique de régénération dans le temps. Le culte du soleil et la pratique des sacrifices humains dans l'Antiquité comme dans les religions du Nouveau Monde ont été rapportées aux humanistes de la Renaissance dont l'eschatologie ne peut se passer de cette géographie. Est-il besoin d'insister sur le fait que l'esprit de la Renaissance que Shakespeare exprime est à mille lieues de l'existentialisme nazi, du cartésianisme ou du christianisme antitrinitaire du dernier pape ?

    La régénération dans le temps est bien sûr liée à l'engendrement et à la postérité. Les sonnets ont pu être traduits parfois comme l'incitation par Shakespeare à la procréation de tel ou tel hypothétique amant !!! Alors que la strophe invite à la chasteté, à l'imitation du Christ ou de la vierge Marie ; on peut aussi citer l'Apocalypse de saint Jean, principale source d'inspiration de l'auteur du chant ("Et ils chantaient comme un chant nouveau devant le trône (...) et nul ne pouvait apprendre ce cantique, si ce n'est les cent quarante-quatre mille qui ont été rachetés de la terre. Ce sont ceux qui ne se sont pas souillés avec des femmes, car ils sont vierges. Ce sont eux qui accompagnent l'Agneau partout où il va." Ap. XIV, 3 ; ces cent quarante-quatre mille qui ont leur place au ciel sont précisément appelés "martyrs" dans la vision de l'évangéliste.)

    Le culte du temps, s'il est un des aspects essentiels d'une philosophie germanique nazie que Joseph Ratzinger n'hésite pas à recycler (le sinistre Hans Küng a publiquement invité son confrère à adopter totalement l'anti-histoire de Hegel - Hitler excepté), ce culte est interprété -au-delà de Shakespeare- par la science de la Renaissance comme étant démoniaque et lié au débordement d'âme animiste, facteur de superstitions et de croyance païenne dans la métempsycose.

    L'antimonachisme de Shakespeare, à la suite de Rabelais, indique qu'il impute aux clercs le retour en force de l'animisme. Difficile pour nous qui sommes contemporains du pacte entre la religion républicaine "laïque" et les églises chrétiennes, objets d'un mépris croissant et proportionnel au nombre de "paroissiens" qu'elles comptent, de comprendre que l'Eglise pour les humanistes qui la critiquent est devenue une puissance séculière, et que c'est cet aspect qu'ils combattent le plus vigoureusement ; d'autant plus difficile que la scolastique laïque tente de faire croire que la religion de l'Etat actuelle est héritière de l'humanisme "via" la Révolution française, hypothèse parfaitement chronologique et absurde, renforcée par la muséographie boche de Freud, Nitche, Panofsky ou Malraux, suborneurs de l'art dont l'astuce consiste à assimiler l'art de la Renaissance à l'architecture jusqu'à aboutir au plus pédérastique fétichisme que le Capital se charge de fourguer à l'aide de sa vaseline médiatique et de ses petits caporaux éditorialistes.

    Quant aux "oiseaux morts", le lien dans la sagesse des Anciens entre le vent et la puissance de Typhon, facteur des tremblements de terre selon Aristote, ce lien n'incite pas Shakespeare en dehors de la colombe ou de l'aigle à regarder les oiseaux comme des créatures liées à l'Esprit saint. Une pénétration plus forte de la pensée matérialiste d'Aristote, distingué de Platon (L'université aujourd'hui qualifie de "néo-platonicien" un savant comme François Bacon qui rejette Socrate et Platon en tant que porteurs d'un paganisme presque aussi ésotérique que celui de la secte pythagoricienne !) implique que la Renaissance accorde au symbolisme une valeur scientifique plus grande qu'aux signes mathématiques (dont la svastika est un résumé plus-que-parfait). Comme la poésie charrie des éléments mathématiques, le genre tragique que Shakespeare préfère repose au contraire sur une physique matérialiste. Le tyrannie au cours des siècles est aussi indissociable des mathématiques qu'elle l'est de la musique, langages qui exaltent tous deux la vertu et la puissance, une harmonie factice qui dissimule le chaos et l'entropie spirituelle. Les "trous noirs" cinématiques ne font que refléter le néant de l'âme de ces fonctionnaires du culte de soi-même. On ne calcule des "théories des cordes" que pour mieux aller se pendre...

    Pour la science baroque, l'éternité est remplie du sifflement des astres. Pour la Renaissance au contraire, le requiem n'est pas le fracas des instruments de l'hystérique Mozart, qui feront le régal du bourgeois. Mais revenons au début du cantique :

    I.

    Que l'oiseau du plus sublime cantique, sur le seul arbre d'Arabie, soit le héraut triste et trompette pour les chastes ailes obéissant à son appel.

    Mais toi, strident messager, nuisible annonciateur de Satan, augurant la fin de la fièvre, de cette troupe ne t'approche pas !

    Proscrit soit de cette assemblée tout volatile au plumage tyrannique - hors l'aigle, sa plume royale, qui garde la règle sévère de ces obsèques.

    Que le prêtre en surplis blanc sache de cette musique funèbre être le cygne devin de mort, de peur que le requiem ne perde son droit.

    Quant à toi, corbeau triplement archaïque que fabrique le genre noir, avec le souffle que tu donnes et reprends, retourne plutôt à nos convois funèbres.

     

    C'est le "Cantique des cantiques" de Salomon qui est évoqué d'emblée ("Oui, tu es belle, mon amie ; oui, tu es belle ! Tes yeux sont des yeux de colombe." Cant. I,15) ; ou encore : "Lève-toi, mon amie, ma belle, et viens ! Car voici que l'hiver est fini ; la pluie a cessé, elle a disparu. Les fleurs ont paru sur la terre, le temps des chants est arrivé ; la voix de la tourterelle s'est fait entendre dans nos campagnes ; le figuier pousse ses fruits naissants, la vigne en fleur donne son parfum. Lève-toi mon amie, ma belle, et viens ! Ma colombe, qui te tiens dans la fente du rocher, dans l'abri des parois escarpées." Cant. II,10).

    - L'arbre d'Arabie renvoie, lui, à l'olivier dont la colombe dans la Genèse ramène une branche à Noé après la défaillance du corbeau. L'olivier est fréquemment associé dans l'Ancien Testament au pays de Canaan. On pense là encore bien sûr à Athéné et au fait que l'olivier est lui aussi symbole de l'Esprit (le palmier a été évoqué par certains commentateurs, mais Shakespeare précise le "seul" -sole- arbre d'Arabie et le palmier pousse sous toutes les latitudes).

    - L'intérêt de la Renaissance pour les écrits prophétiques, que ses plus grands peintres ont traduit en peinture, a poussé certains humanistes à rapprocher le dialogue entre le sage Salomon et son épouse aux yeux de colombe, de la femme de l'apocalypse de saint Jean, épouse du Christ. La "mariolâtrie" du XIXe siècle assez largement satanique, et celle qui l'est plus encore de la bourgeoisie gaulliste qui n'hésitent pas à mettre le Nouveau Testament au service de son dessein nationaliste, ont conduit à interpréter nombre d'oeuvres médiévales ou renaissantes comme des représentations de Marie, la servante du Seigneur, là où l'épouse du Christ est représentée (typiquement lorsque celle-ci est revêtue par Jésus son époux d'un vêtement blanc, symbole de la pureté et de la virginité des élus à la veille de la seconde résurrection).

    - L'aigle accompagne non seulement saint Jean, "fils du Tonnerre", mais Zeus, que l'humanisme chrétien incorpore fréquemment comme le Dieu de l'Ancien Testament à sa théologie chrétienne. Les autres oiseaux symboles de tyrannie : coq, paon, etc. sont pris par Shakespeare pour des oiseaux qui, jusque dans leurs couleurs, évoquent le diable (A. Hitchcock s'est-il inspiré de Shakespeare ?).

    - Le corbeau, oiseau vain depuis la Genèse et sa substitution par une colombe, symbolise dans l'imaginaire chrétien la synagogue de Satan et un clergé temporel dont le pouvoir repose sur le monopole d'ensevelissement des morts. Certain spécialiste de la religion romaine a pu écrire aussi que l'aigle romain est en réalité un corbeau, ce qui est plausible compte tenu du goût des Romains pour le carnage, les pompes funèbres et les divertissements macabres. Il est en outre prêté au corbeau comme au phénix la vertu de renaître trois fois dans le temps.

    - Le cygne, dans lequel le christianisme romantique (Villiers de l'Isle-Adam) a pu voir un symbole de la poésie étranglée par la bourgeoisie industrielle, Shakespeare en fait un symbole du prêtre annonciateur de la fin du temps.

    Vient ensuite l'antienne, où Shakespeare développe une théologie que Léon Bloy essaiera en vain de relever au XIXe siècle, malgré l'hostilité du clergé à toute théologie extra-sulpicienne. Le "Pilate XV" de Léon Bloy précède notre "Pilate XVI" et ses conférences face à des parterres de notables plus compromis les uns que les autres dans la prostitution capitaliste baptisée "valeurs actuelles", le christianisme social de Mauriac bâti sur un noeud de vipères. Cette eschatologie se concentre sur l'étrange propension de Lucifer à parodier le Christ. Tous les deux sont dits "porteurs de lumière" dans les saintes écritures et "étoiles du matin". Le coït est dit "amour" bien qu'il soit plutôt appétit ou possession. Il est logique que le prolongement de l'accident du temps ait entraîné Shakespeare à élucider ce mystère qui laisse l'apôtre des Gentils lui-même perplexe et constitue la toile de fond de l'histoire ("C'est pourquoi l'homme quittera son père et sa mère pour s'attacher à sa femme, et de deux ils deviendront une seule chair." Ce mystère est grand ; je veux dire, par rapport au Christ et à l'Eglise." Eph. V,31-32)

    II. ANTIENNE

    "Ainsi aimèrent-ils comme doublon, l'être étant présent mais en un seul. Deux personnes, aucune division. Le nombre ici dans l'amour anéanti.

    Coeurs scindés, mais non encore écartés ; un vide, mais pas d'espace visible entre la colombe et sa maîtresse. Mais en eux il y avait un étonnement.

    Ainsi l'amour entre eux brillait-il tel que la colombe pouvait voir brûler son droit dans le regard du phénix. Chacun était le moi de l'autre et réciproquement.

    Le principe ravageur était donc que la personne n'était unie ; deux noms pour une seule nature. Mais ni une ni double n'étant appelée.

    La logique elle-même brouillée voyait la division s’accroître de la multiplication par cette double négation commune."

    [Il ne faut pas s’étonner de lire dans Shakespeare des sentences qui paraissent sonner comme une condamnation prophétique du capitalisme en tant que poésie luciférienne ; il n’est pas en cela un homme très différent de Dante Alighieri, déjà lui-même témoin scandalisé trois siècles auparavant de la corruption de l’Eglise et sa collusion avec le pouvoir politique entre les mains des marchands de Florence. On n’est pas loin de l’attitude de Ben Laden vis-à-vis de l’Arabie Saoudite aujourd’hui, de ses chefs religieux et politiques qui compromettent l’islam dans le trafic d’armes avec les nations occidentales impies… à cette différence que Shakespeare comme Dante va en chrétien se tourner logiquement vers les écrits prophétiques ; car comme dit le chancelier François Bacon : « La prophétie est comme l’histoire. » Dans le sens de l'opposition par Shakespeare de la logique matérialiste au rationalisme luciférien, voir aussi les sonnets n°69 et 144.]

    "Le simple fut si bien composé, qu'elle se lamenta : "Comment un couple peut-il simuler la concorde de l'unité ?"

    L’amour a sa raison mais la raison aucune, si elle s'avère être ce qui peut causer la perte.

    L'oraison ci-dessous est dédiée à la Colombe et au Phénix, co-divinités et astres d'amour, formant le choeur de la scène tragique."

    La véritable "théorie de la relativité" que Shakespeare élabore dans ce passage n'est pas surprenante dans la mesure où une telle théorie est déjà présente dans la "Physique" d'Aristote (déjà sous-jacente au poème de l'Alighieri, dont la Béatrice n'est autre que "l'Eglise des bienheureux" elle aussi, et non une vulgaire donzelle dont Dante se serait entiché). Il a fallu tout le culot du philosophe nazi Heidegger et de sa secrétaire très particulière Hannah Arendt pour inclure le matérialisme d'Aristote aux spéculations de la philosophie boche luciférienne, alors même que la "Physique" d'Aristote représente à peu près la négation de la culture italo-boche. Il ne paraît pas inutile de souligner que la trahison du matérialisme d'Aristote est passée par la philologie de traduction en traduction superposées, juxtaposées, comparées, ressuscitant ainsi la gnose médiévale moisie.

    Chaque mot semble pesé dans cette opposition de la foi et de la raison luciférienne à la charité et à la logique véritable de l'Esprit. Dans cette opposition de l'amour vertueux, légal mais fatal, à l'amour-vrai, don de l'Esprit. Cette théologie inspire aussi les "Sonnets". Et renvoie aux réactions divergentes entre Hamlet et Horatio -ange ou démon ?- face au spectre sur le chemin de ronde d'Elseneur, au milieu de la nuit.

    L'étonnement ("wonder"), que l'on retrouve aussi chez Dante, entre la colombe et sa maîtresse, fait allusion à : "(...) Je vis cette femme ivre du sang des saints et du sang des martyrs de Jésus ; et, en la voyant, je fus saisi d'un grand étonnement. (...) Et les habitants de la terre, dont le nom n'est pas écrit dès la fondation du monde dans le livre de la vie, seront étonnés en voyant la bête, parce qu'elle était, qu'elle n'est plus, et qu'elle reparaîtra. Ap. XVII, 6-7-8." L'épouse du Christ est décrite sous des jours très différents dans l'Apocalypse, y compris sous les traits d'une putain (La Gertrude d'"Hamlet" ; Dante dans son "Enfer" : "A vous, bergers, mirait l'Evangéliste, quand la putain qui sied dessus les eaux avec les rois lui parut s'enivrer..."). L'étonnement est pour le pêcheur d'hommes Jean, fils de Zébédée, de voir l'épouse du Christ en si mauvaise posture.

    La "scène tragique" est bien sûr l'histoire, pour Shakespeare comme pour Eschyle ou Homère. Il faut pour déblatérer à propos de la fin de l'Histoire comme le cuistre moderne/antimoderne, n'y être jamais entré.


  • Bacon as Shakespeare

    Certaine interprétation officielle du poème de Shakespeare "Turtle & Phoenix" comme exprimant le désir homosexuel ou bisexuel de son auteur suffit à jeter le discrédit sur les théories ayant cours dans l'université concernant Shakespeare. Celui-ci n'était certes pas ignorant des cent figures -non pas trois ou quatre-, de la perversion sexuelle, mais les sonnets excèdent largement le niveau mi-génital mi-sentimental qui est le sommet actuel.

    Erreur similaire des critiques qui reprochent à Shakespeare de manquer de psychologie dans certaines pièces. Quel peut-être l'intérêt de la pédérastie ou de la psychologie en tant que telles pour un auteur tragique ? Même Molière, qu'on peut plus facilement accuser de chercher le comique, ne se comprend pas en dehors de sa volonté de peindre des archétypes. Sans quoi Molière serait Coluche.

    Le même genre de galéjade circule d'ailleurs aussi sur Michel-Ange, dont le dessein est parfois confondu avec le mobile de crétins hystériques et superstitieux tels que W.A. Mozart ou R. Wagner, dont les tempéraments pédérastiques sont certainement plus facile à démontrer que celui de Michel-Ange, tant la musique en général, baroque en particulier, pue l'inceste, le sado-masochisme et la superstition (Il ne faut pas oublier que A. Hitler a possédé des foules de femelles et de bidasses à la façon d'un chef d'orchestre, et que tout regain de totalitarisme s'accompagne d'une déferlante de notes de musique.) Si Ajax avait le crâne fendu nous dit Shakespeare (in : "Troïlus et Cresside"), Ajax que Shakespeare prend soin de décrire comme un suppôt de Satan -tout plein de potentiels-, il en sortirait... de la musique. L'hyper-légalisme totalitaire se reflète dans la musique, pratique dont les conventions sont serrées comme des boulons. Déteint-elle sur l'art... elle engendre la peinture stalinienne de Kandinsky.

    Bien que les commentaires d'Henri Suhamy (Pléiade/"Dico. Shakespeare") présentent un caractère de sérieux et d'utilité minimum (ne serait-ce que par rapport à la phraséologie judéo-chrétienne de S. Freud ou R. Girard), on peut douter de la capacité de Suhamy, voire de sa liberté à présenter la théologie de Shakespeare telle qu'elle est. Une théologie dont la cohérence indique que l'auteur n'a pas laissé le hasard s'insinuer dans son théâtre (que les pièces de Shakespeare aient été écrites rapidement n'est pas preuve qu'elles sont "à l'improviste").

    *

    "En plein XVIIe siècle encore, alors que la plupart des grandes pièces du théâtre élisabéthain et jacobéen avaient déjà été écrites, Sir Francis Bacon ne se persuadait-il pas que l'art sérieux du théâtre avait été manifestement négligé dans l'Angleterre de son temps ? Heureusement, la plupart des praticiens, dont Shakespeare, continuèrent d'obéir à leur instinct, plutôt qu'à Aristote tel qu'on l'interprétait à l'époque." Quelques lignes seulement de la préface d'Anne Barton (éd. Pléiade, 2002) permettent de mesurer l'épaisseur du préjugé scolastique actuel. Il faut comprendre ici entre les lignes que Miss Barton, derrière le masque de la neutralité universitaire, cherche à démontrer indirectement que Shakespeare ne peut être Bacon parce que Shakespeare ne gobe pas Aristote (on trouve la démonstration exactement inverse chez d'autres thésards que le matérialisme du Stagirite n'a rien à voir avec celui de François Bacon).

    Contre Miss Barton :

    - Primo, Francis Bacon est lui-même très peu "élisabéthain" ou "jacobéen", n'ayant trouvé chez Elisabeth ou Jacques que très peu de "répondant" à sa doctrine de rénovation de la sagesse antique, et ce malgré les efforts du savant pour la présenter avec diplomatie. De Bacon, les savants du XVIIe siècle n'ont rien retiré qu'un slogan tronqué, laïcisant ce qui ne l'est pas chez Bacon. C'est tout juste si Hobbes, quelques années plus tard, évoque dans ou autour de sa doctrine du Léviathan -et pour cause !- le théâtre de Shakespeare ou la science de F. Bacon, dont il fut pourtant le secrétaire.

    - Deuxio, si le désir exprimé par Bacon de voir l'Angleterre se tourner plutôt vers Homère, les fabulistes et les auteurs tragiques grecs et abandonner les spéculations et les mythes trop abstraits et décadents de Platon et des platoniciens, si ce désir a peu été suivi d'effets, on ne peut pas dire que Shakespeare fut le plus mauvais élève de Bacon car :

    - Tertio : les pièces de Shakespeare sont truffées de références subtiles à la mythologie (d'où part la tragédie grecque elle aussi), à l'instar de la peinture italienne de la Renaissance, et non pas seulement de références bibliques et chrétiennes. Aristote est même cité au conseil des sages et des rois achéens dans "Troïlus et Cresside" et, ô, coincidence bizarre, Aristote interprété d'une manière très baconienne, non à la manière d'un péripatéticien encapuchonné (Shakespeare affirme constamment sa défiance vis-à-vis des scribes puisque ses traîtres et salauds portent souvent la bure ; sa sévérité n'est non moins grande que celle de Dante Alighieri vis-à-vis des clercs simoniaques et compromis avec le pouvoir temporel.)

    Du reste le regard porté sur la morale par Shakespeare -dans "Measure for Measure" notamment-, renverse la doctrine de la "philosophie naturelle" ou du "droit naturel" chrétien puis laïc, avec l'intention manifeste de tourner en ridicule cette doctrine médiévale (ressuscitée par la science baroque), intention caractéristique de la pensée matérialiste (la vraie, pas celle d'Epicure ou de quelque pythagoricien moisi gobant une théorie "des éléments").

    Dans la mesure où se fier à la vertu est certainement ce qu'il y a de plus hasardeux pour un penseur matérialiste comme Aristote ou Bacon, qui ne détestent rien tant que le destin ou la perspective, postulés par l'âme dans la physique, l'assertion de Miss Barton selon laquelle Shakespeare aurait laissé libre court à son "instinct" relève de la plus pure fantaisie universitaire ; à tel point qu'on a envie de dire à cette Barton d'aller plutôt se faire voir dans un couvent.

  • Eyes for eyes

    "Eyes for eyes" dans le sonnet 24 que je traduis sans m'écarter volontairement par "yeux pour yeux" est-il une allusion à "oeil pour oeil" et à la morale juive que Shakespeare utilise souvent comme repoussoir ? Ce n'est pas impossible, vu que Shakespeare dénonce les limites et dévoile les soubassements de la morale, devançant en cela Fourier ou Karl Marx... de plus de deux siècles !

    L'idée que la prostitution (de Cressida) est le revers de la médaille du mariage paré d'atours romantiques (désiré par Troïlus), Fourier ne l'a pas inventée ; sa typologie des cocus remonte à la guerre de Troie et à l'interprétation du récit mythologique d'Homère par Shakespeare ("Troïlus et Cressida"). Shakespeare situe dans le camp troyen l'exacerbation sentimentale la plus grande, tandis que deux ou trois Achéens sont pris pour illustrer la bêtise guerrière, Ajax au premier chef (Shakespeare utilise même la symbolique démoniaque pour peindre Ajax).

    Il est important de bien comprendre que, pour Bacon, la mythologie ne s'oppose pas à l'histoire, bien au contraire ; la traduction de l'histoire en archétypes, méthode proche de la peinture d'Histoire, est pour Bacon plus féconde que la chronologie et la gnose chronologique ; la méthode de l'archétype révèle mieux la signification profonde de l'histoire. De là viennent la force persistante d'Eschyle, Sophocle... tragédiens souvent anihilés désormais par des mises en scènes censées épater le bourgeois et lui en donner pour son argent. Ce n'était pas le cas dans les années cinquante, désormais lorsqu'un type d'un milieu modeste peut se payer une place de théâtre, ce n'est plus pour aller voir Sophocle ou Shakespeare mais Guignol. Même si je suis sans doute trop sympa avec les années cinquante, vu qu'avec Brecht, Giraudoux, Cocteau, Montherlant, on est déjà en plein sac.

    Le modèle-type de la gnose chronologique est fourni au XIXe siècle par la doctrine nationale-socialiste de Hegel (gnose luciférienne), que la propagande laïque, effaçant la mémoire des crimes atroces de Napoléon autant que possible, maquille en spéculation philosophique honorable (en Allemagne où le national-socialisme est tabou, Hegel est quasiment proscrit). Les héritiers de la gnose de Hegel, que ce soit Nitche ou Freud, René Girard, interprètent tous d'ailleurs la mythologie grecque, qui nous parle déjà de progrès historique, sur le plan génital ou moral. Homère est plus historique que Lévi-Strauss ou Nitche ! Nitche, c'est Ophélie dans "Hamlet".

    Marx et Engels, qui atteignent quasiment le niveau de l'archétype grâce au matérialisme, rejoignent pratiquement la science de Shakespeare. En tenant compte de ce que les démons ont changé de nature, et la science de mode d'expression (hélas !), on discerne en effet chez Marx et Engels une démonologie comparable à celle de "L'Iliade" et de "L'Odyssée". Bacon n'a pas attendu Dumézil ou Jean-Pierre Vernant pour, dans la "Sagesse des Anciens", éclairer les dessous de la mythologie grecque, bien plus affriolants que ceux de la mythomanie de Lévi-Strauss, cette vieille mégère laïque.

  • Tranchant double

    "Mon oeil joue le peintre et place la substance de Votre beauté dans le tableau de mon coeur ;

    Mon corps est comme un cadre qui l'englobe.

    Que la perspective soit l'art du meilleur peintre,

    A travers laquelle on pourra reconnaître le talent du peintre

    A trouver où Votre véritable dessein gît,

    Latent dans mon théâtre,

    Dont les croisées sont pourvues du vitrail de Vos yeux.

    Maintenant voyons quelles bonnes révolutions "yeux pour yeux" a donné :

    Mes yeux ont peint Votre forme et Vos yeux sont pour moi les fenêtres

    De mon for, par lesquelles, réjouissant dès l'aube, le soleil mène à Vous contempler jusqu'au milieu ;

    Jusqu'à présent les yeux habiles, avides de gloire,

    Peignent -mais les seules apparences-, ignorant le coeur."

    W. Shakespeare, Sonnet 24 (trad. Lapinos)

    La difficulté à traduire Shakespeare tient à ce que son art participe de la vision et d'une science exacte des corps animés et inanimés. La langue anglaise de Shakespeare, souple et peu conventionnelle à l'instar de la langue grecque d'Aristote, se prête mieux à la peinture qu'aux litanies funèbres ; à l'érotisme de la science plutôt qu'au sado-masochisme sentimental (Que le thème du poème "Le Phénix et la Colombe" soit romantique est peu probable étant donné la requalification des sentiments amoureux par Shakespeare en prurit de la politique - et vu que le phénix est dans l'esprit de Shakespeare un oiseau démoniaque. François Hugo a fait une effort louable pour ne pas donner dans la guimauve et la traduction hystérique qui conduit à voir des pédérastes partout dans l'oeuvre de S. Mais l'oeuvre de Shakespeare recèle une métaphysique encore plus cohérente que celle que François Hugo dévoile partiellement.)

    Donc la langue de Shakespeare ne se lit pas de gauche à droite, elle est faite pour provoquer l'imagination et l'intelligence comme le dessin, non la rêverie. C'est la raison pour laquelle, faute d'un outil adéquat, le théâtre français ne parvient jamais à retrouver comme Shakespeare la formule apocalyptique des tragédiens grecs, même si Molière exploite dans son "Festin de pierre" le thème de la double face du diable (Don Juan-le séducteur/Sganarelle-le dévôt) cher à Shakespeare. Sans oublier que, question d'anticléricalisme, Shakespeare n'est pas en reste sur Dante Alighieri.

    *

    Plus moderne que l'allemand, le français l'est moins que l'anglais. Peut-on ainsi vraiment aimer Montaigne ET Shakespeare ? A moins de préférer les momies aux êtres de chair comme Proust, cela paraît difficile. Il faut choisir.

    Etant donné la profession de foi géocentrique d'Hamlet, l'importance de la forme sphérique en peinture à la Renaissance, les pièces de Shakespeare étant représentées en outre au théâtre du "Globe", je discerne un clin d'oeil au coeur du sonnet 24. Où j'ai mis "théâtre", un autre traduit par "échoppe", faisant référence à l'atelier du peintre. Je ne crois pas tant personnellement que Shakespeare file la métaphore du peintre de bout en bout mais qu'il révèle plutôt le secret de son théâtre et qu'il est, d'une manière différente de Christophe Colomb, lui aussi un "révélateur du globe".

    Et Miranda dans "La Tempête" :

    - O, wonder!

    How many goodly creatures are there here!

    How beauteous mankind is!

    O brave new world

    Thas has such people in't! Et Prospéro son mage de père de répondre :

    - Tis new to thee.

    "Brave new world" : cette expression reprise par A. Huxley comme titre de son (médiocre) "best-seller" a été justement interprétée comme une allusion au "Nouveau Monde" découvert par Christophe Colomb. Précisément ce monde n'était pas neuf pour François Bacon, auteur de la "Nouvelle Atlantide" et plein d'éloge pour la "sagesse des anciens". Bacon tient que l'Atlantide a réellement existé, et croit dans la valeur historique du témoignage de Solon dans le "Timée" de Platon ; Bacon passe même par le mythe des Atlantes pour expliquer le peuplement de l'Amérique (à noter que les vestiges d'une cité engloutie ont été découverts au large de Cuba où Bacon situe le territoire des Atlantes.

    *

    Il ne faut pas entendre "perspective" ici au sens que lui donnent parfois les muséographes et les archéologues allemands, qui correspond plutôt à la peinture académique et plate de Vermeer, non pas à la peinture de la Renaissance dans laquelle la "perspective" -au sens contemporain- joue un rôle secondaire d'effet spécial dans les grandes compositions ; perspective si secondaire que dans son architecture même, Michel-Ange s'en soucie peu, et lorsqu'il s'en préoccupe, c'est en tant qu'illusion d'optique, pour en jouer ou bien atténuer ses effets. L'idée de la perspective aujourd'hui est inspirée du BTP et des cabinets d'architecture et ne correspond en rien à la mentalité du peintre de la Renaissance.

    Sonnet 24 à rapprocher du "Novum Organum" de François Bacon (aphorisme 9, Livre II) :

    "(...) Ainsi la recherche des formes qui (par leur nature assurément et conformément à leur loi propre) sont éternelles et immobiles, constituera la métaphysique ; la recherche de la cause efficiente, de la matière, du progrès latent, du schématisme latent (toutes choses qui concernent le cours commun et ordinaire de la nature et non les lois fondamentales et éternelles), constituera la physique. Et on leur subordonnera respectivement une science pratique : à la physique, la mécanique ; à la métaphysique la magie (le mot étant épuré), que je nomme ainsi en considération de la largeur de ses voies et de son plus grand empire sur la nature."

    L'empirisme n'est pas ici, on le voit, l'empirisme néo-pythagoricien Galilée ou Descartes, Newton, dont beaucoup d'expériences sont entièrement théoriques, comme les prétendues expériences de Galilée sur la tour de Pise, complètement fantaisistes, ou sa balistique ridicule fondée sur des boulets lancés dans des gouttières ; l'expérience prônée par Bacon est ancestrale et n'a rien à voir avec le gadget technique ou balistique, les conventions algébriques ésotériques de Huygens ou Descartes. L'orgueil laïc est tel qu'au lieu d'écarter carrément Bacon, ce que la place qu'il accorde à la magie par rapport à la physique ou la mécanique oblige n'importe quel commentateur honnête à faire, ou de réserver un traitement à part à Bacon dans l'histoire des sciences, il est NECESSAIRE dans la religion laïque que Bacon soit le père de la science moderne, contre la lettre même de sa démarche scientifique.