Les idéologues ont tendance à balayer l'argument de nature d'un revers de la main. Ainsi le propriétaire balayera d'un revers de la main le fait qu'il n'y a pas de propriété durable dans la nature. De même les personnes sentimentales balayeront du revers de la main le fait que la nature soit pure de ce type de comportement, assimilable à une tare physique sur le plan naturel.
On associe trop systématiquement le nazisme et le communisme à l'idéologie, alors que c'est la culture bourgeoise qui rompt le plus radicalement avec la réalité, et qui donc est la plus idéologique ; cet excès d'idéologie est d'ailleurs ce qui a assuré la suprématie dans l'ordre politique à la bourgeoisie ; le triomphe de cette dernière, le moins naturel qui soit, sur le nazisme et le communisme, a eu lieu aussi sur le terrain de la propagande.
Il vaut mieux aujourd'hui se situer du côté du rêve que de la réalité quand on part à la conquête du pouvoir ; se priver du rêve en politique aujourd'hui reviendrait à se priver du machiavélisme au temps de la Renaissance - tenir un discours raisonnable n'est plus de mise sur la scène politique.
Le christianisme, lui, ne balaie pas exactement l'argument de nature du revers de la main pour poser l'existence de dieu ou de l'amour, c'est-à-dire de phénomènes métaphysiques ou surnaturels ; il donne à la puissance naturelle le nom de Satan, et, si l'on veut bien prendre le temps de lire l'apocalypse de Jean et les épîtres de Paul, décrit un satanisme "évolutif", changeant d'aspect au cours du temps qui sépare l'humanité du jugement dernier. Paul de Tarse prophétise un satanisme de la fin des temps, très différent de la culture païenne antique décrite par Nietzsche comme LE satanisme authentique.
La nature s'interpose donc du point de vue chrétien entre l'homme et le salut ; la nature n'est pas balayée d'un revers de main, mais bien conçue comme un obstacle difficile à surmonter : "Il y a beaucoup d'appelés et peu d'élus" signifie bien la soumission à la culture de vie de la plupart des hommes.
On peut donc décrire l'idéologie bourgeoise moderne comme un christianisme superficiel (ce que Nietzsche ne fait pas) ; ce christianisme superficiel, au niveau de la culture, correspond à peu près au discours de l'Eglise catholique, matrice de la culture occidentale moderne, quoi qu'en disent certains athées.
De ce point de vue, Tocqueville a raison de dire que les Etats-Unis d'Amérique sont une sorte d'Eglise catholique "bis". La culture américaine perpétue en effet le discours judéo-chrétien superficiel de l'Eglise romaine. On peut d'ailleurs observer que, dès lors qu'un catholique commence de creuser sa foi, au lieu de s'en servir comme une bonne femme de justification à ses actes les plus banals, dès lors Satan a le don d'apparaître, tandis que le discours catholique ou la culture germanique "judéo-chrétienne" procèdent à son déguisement. Baudelaire, Bloy ou Bernanos sont des exemples de catholiques moins superficiels, dont la sincérité et l'effort pour approfondir leur foi fait apparaître Satan. Chez le "catholique ou le chrétien moyen", prototype de l'homme voué par le Christ à l'enfer, comme par hasard Satan n'existe pas, ou seulement sous la forme d'un tabou, d'un interdit anthropologique.
Et l'écologie dans tout ça ? Il est frappant d'observer à quel point le discours écologiste moderne est idéologique, c'est-à-dire à quel point l'argument de nature est refoulé par ceux qui se réclament de la nature et d'une meilleure gestion de celle-ci. Comment en effet concilier démocratie et écologie ? Féminisme et écologie ? Egalité et écologie ? Même la théorie probablement incohérente de l'évolution ne permet pas de fonder un tel écologisme, parfaitement ubuesque, faisant la promotion d'idées catastrophiques sur le plan écologique, tout en les condamnant à travers l'appel au "respect de la nature". Cette même incohérence se retrouve dans le nazisme, très proche de l'écologisme puisque mettant en avant le symbole d'une philosophie naturelle. L'aspect de l'idéologie moderne l'emporte dans le nazisme sur la revendication écologiste du bonheur symbolisée par la svastika.
Le sentiment du citoyen moderne lambda d'être assimilé ou assimilable à la machine ou au robot vient probablement de là - du fait que la pensée a été réduite à l'idéologie dans les temps modernes, et du fait que, si un robot ne pense pas, il n'en pas moins capable de réflexion et d'émettre des idées.