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Lapinos - Page 43

  • De Maurras à Brague

    La "voie romaine" trouve son équivalent aux Etats-Unis dans l'"autoroute 66".

    A côté de la tentative burlesque de Michel Onfray d'adapter Nietzsche aux valeurs de gauche, alors que celui-ci aurait vu dans l'alternative gauche-droite une sorte de pas de l'oie de trouffion débile de la modernité, s'est développée une tentative d'adapter Nietzsche au christianisme ; elle comporte cette difficulté majeure de faire du chantre du satanisme et de la culture de vie un penseur "chrétien".

    Essentiellement, le trucage de Michel Onfray et des catholiques romains revient au même. Dans le premier cas, il s'agit de faire passer les valeurs républicaines pour des valeurs populaires, alors même que le régime républicain moderne a mis en miettes la culture populaire pour la remplacer par une culture de masse totalitaire. Jamais régime n'aura fait subir au peuple de plus grandes avanies, ni n'aura inculqué un mensonge aussi grossier que celui de la "souveraineté populaire" et de l'égalité.

    Pour faire passer une telle couleuvre, il est nécessaire de censurer à la fois Nietzsche et Karl Marx. Les valeurs républicaines modernes trouvent appui sur la rhétorique de quelques fonctionnaires assermentés, mais non sur des penseurs indépendants.

    La tentative sous le masque chrétien, elle, consiste à adapter le christianisme aux valeurs élitistes. Pour opérer ce tour de passe-passe, Charles Maurras va s'appuyer sur l'imbécillité extraordinaire du public catholique romain, que Nietzsche a théorisée d'une manière assez précise, bien qu'il n'en identifie pas la cause exacte. On trouve d'ailleurs à l'intérieur de l'Eglise romaine, quelques cas isolés de rebelles à l'imbécillité catholique romaine, tels Léon Bloy ou Bernanos, mais qui n'en reconnaissent pas la cause non plus, moins encore que Nietzsche.

    L'antichrist Charles Maurras, sorte de résurgence de Richelieu au niveau du journalisme, ne se contente pas de faire du christianisme le complice servile et commode des crimes des nations occidentales, il échaffaude par ailleurs une idéologie qui vise à faire passer l'empire romain pour une civilisation saine et équilibrée. Même la philosophie allemande n'est pas restée figée à un niveau critique aussi bas. Pour admettre que l'empire romain est une civilisation équilibrée, il faut admettre que le totalitarisme est un humanisme, ou bien la culture des Etats-Unis autre chose qu'une métastase. Quand on nie absolument l'histoire comme Maurras, on ne peut qu'en être le cocu, une sorte de voyageur dans le temps dépourvu de lien avec la pensée française.

    Ce cocufiage et l'infâmie de Maurras ont conduit à lui coller l'étiquette de chef de file d'un groupe folklorique vaguement indécent. Le besoin d'un discours subversif de l'histoire a cependant subsisté. L'évêque de Rome ne peut pas tout faire. Il est déjà assez occupé à combattre la mafia à l'intérieur de son parti, ainsi qu'à rédiger des encycliques suggérant que la lumière créatrice n'est pas celle de Satan : il a besoin de faussaires en histoire pour l'assister dans l'entreprise qui consiste à démontrer que le christianisme est compatible avec les visées de l'élite.

    Rémi Brague a pris le relais de Maurras il y a quelques années, avec un bouquin visant à démontrer que Rome est la matrice de l'Europe, c'est-à-dire du rêve nationaliste partagé par une série de bouchers sanguinaires fameux et un conglomérat de banquiers cyniques, et qui a choisi pour le symboliser une nymphe violée par un taureau, sans doute pour signifier la barbarie ultime de ce nationalisme.

    Ce que Brague et les braguets veulent éviter, ce n'est pas tant qu'on les rapproche de Satan, auxquels ils ne croient pas et qui leur semble pure abstraction en comparaison des missiles à longue portée du pacte atlantique. Ils ne veulent pas qu'on fasse le rapprochement avec Maurras, car ce dernier n'est pas assez bcbg.

    Malgré sa compromission avec le culte solaire de Louis XIV, qui oblige à le prendre "avec des pincettes", car ce genre de compromission sert à Nietzsche pour faire la démonstration d'un christianisme entièrement animé par des faux-jetons, le théologien catholique Bossuet signale quand même que, sur la piste de Satan et du nombre de la bête (666), tous les chemins mènent à Rome.

  • Lettres mortes

    Je ne vois pas quel homme de lettres peut disputer à François-René de Chateaubriand la couronne d'écrivain français le plus putassier de tous les temps ? Pas même Sartre, qui tenta de lui disputer un bout de trottoir. Les augustes académiciens, rentiers du Satan-trismégiste Richelieu ? Aucun ne sait rouler du cul comme Chateaubriand. Le branlement du bicorne fait tout au plus suinter quelques jeunes filles prépubères, clientes de Michel Déon ou Jean d'Ormesson.

    La littérature de Chateaubriand est la mieux faite pour les hommes privés de bordel, parce qu'ils n'en ont pas les moyens physiques, ou bien parce qu'une épouse vigilante, afin de ne pas se retrouver expropriée, leur tient la bride. Stendhal pourrait jouer le même rôle, avec son antichristianisme de sous-préfet, n'était son physique porcin, qui le relègue derrière Rimbaud sur le macadam.

    "Tout est sexuel" dit Freud, sans doute pour se venger d'être incapable d'écrire une seul phrase avec style, et de devoir se contenter d'un amour télépathique avec sa fille. Encore faut-il préciser que, dans la culture moderne, seuls la guerre et les charniers, les bordels d'antan où les putains crevaient massivement, traduisent une sexualité bourgeoise assumée ; le reste du temps, le sexe est "rentré", comme le dard de certains insectes. La manière de tuer du bourgeois trouve son pendant exact dans sa manière d'aimer. Tuer, pour le bourgeois, ne relève plus de l'art mais du jeu. On pense aux manières du chat, cette bestiole identifiable aux moeurs modernes.

  • Eloge de la faiblesse

    Contrairement à l'affirmation de Nitche, il n'y a pas d'éloge de la faiblesse dans le christianisme, faute de quoi le dieu des chrétiens serait effectivement un calcul irrationnel, comme la démocratie.

    Nitche lit les évangiles sans jamais se départir de son élitisme. Effectivement, dans l'ordre naturel et le droit qui en découle, l'homme d'élite est plus puissant. Aussi démocratique soit le monde moderne officiellement, le culte de la personnalité n'a pas fléchi d'un iota. Mais le christianisme ne tient aucun compte de l'ordre naturel et du droit qui en découle. Du point de vue de l'élite et de ce qui la justifie, nécessairement le Christ ne peut qu'être un homme faible ou suicidaire, entêté à mourir plutôt qu'à vivre pleinement.

    Ici, Nitche a sans doute tort de mettre dans le même sac les Romains et les Juifs, et de les féliciter pour leur assassinat dans les règles, au bénéfice de l'ordre public. En effet, si les Juifs avaient pris le Messie pour un homme faible et suicidaire, on peut penser qu'ils n'auraient pas réclamé son exécution.

    La faiblesse est représentée dans les évangiles par le jeune homme riche, qui au contraire occupe la position la plus enviée sur le plan de l'espèce. C'est-à-dire par l'attachement à la nature et au monde qui la reflète avec plus ou moins d'intelligence. Le jeune homme riche ne peut pas briser le cercle de ses usages. Le pauvre, que Nitche appelle faible, est plus près de la porte étroite de sortie du monde, en quelque sorte. C'est pourquoi Molière nous montre l'antéchrist Don Juan s'efforcer de retenir le pauvre à l'intérieur du cercle.

    L'effort surhumain accompli par Nitche est pour sortir d'un monde moderne sur le point de s'écrouler. Mais le chrétien n'a que faire de l'écroulement du monde - là encore, contrairement à ce que prétend Nitche, il n'en est pas actionnaire.

  • Surhomme et évolution

    "... Car il ne faut pas sous-estimer le chrétien : le chrétien, faux jusqu'à l'innocence, surpasse le singe, et de loin - eu égard au chrétien, une fameuse théorie des origines de l'humanité devient pure amabilité..." F. Nitche

    En vertu de sa théorie du sous-homme chrétien, hypocrite et efféminé, et de sa théorie du surhomme nitchéen, le porte-parole de Satan ne gobe pas la théorie de l'évolution. Le surhomme nitchéen agit bien en vertu de la nature, mais d'une manière consciente, dont seul l'homme se montre parfois capable, lorsqu'il est capable de prendre du recul par rapport à la société.

    Le transformisme est un préjugé socialiste. On trouve en outre chez Nitche la même observation scientifique que chez Alphonse Allais : les hommes les mieux adaptés à la société moderne sont les escrocs.

    Il conviendrait d'ailleurs de dire que les anti-évolutionnistes, sous l'étiquette du "créationnisme" ne sont pas "chrétiens" mais "nitchéens" : ils conçoivent dieu comme un démiurge. Sur le plan de la science physique, Nitche se réfère en partie à Aristote. C'est la métaphysique, c'est-à-dire l'indication dans la Genèse qu'il y a une forme de connaissance supérieure au savoir éthique et à la vertu sataniques qui empêche les juifs et les chrétiens de croire dans le darwinisme. La philosophie de Nitche n'est pas totalitaire comme les philosophies milléranistes à l'arrière-plan de l'évolutionnisme, qui se servent de la biologie afin d'ouvrir le plan de l'avenir à l'infini.

    Plus généralement il faut dire que l'histoire de la science moderne est une grossière propagande, exactement comme l'est l'histoire de l'art moderne. L'ouvrage de fonctionnaires payés pour démontrer le progrès social. 

  • Modernité

    Le truc de la modernité a le don de séduire d'abord les peuples arriérés. Je prends toujours l'exemple du Japon dans ce cas-là, tant cette nation a conservé le sens de l'honneur. Il semble qu'aucun apôtre français n'est jamais allé au Japon enseigner à ces butors que l'honneur est l'apanage des cocus. N'était le besoin des Japonaises de se reproduire, elles auraient transformé depuis longtemps les Japonais en eunuques serviables. Le soleil passe pour le dieu japonais, mais on dirait que c'est plutôt la lune rousse.

    La modernité est la pacotille que le colon offre au peuple qu'il colonise, l'alcool qui permet aux fermiers yankees d'exterminer les Indiens, l'opium des gentlemen britanniques pour endormir les Chinois. Le retard des Allemands et des Italiens sur le terrain de la modernité les a privés d'empire colonial.

    Nitche a théorisé la domination du sous-homme dans le monde moderne. Marx non plus n'est pas "moderne", car cela suppose d'être un ayant-droit de l'impérialisme.

  • L'art moderne

    Rechercher l'originalité, c'est rechercher la folie. C'est ce qu'on exige des artistes aujourd'hui, afin qu'ils remplissent un rôle social. Beaucoup sont assez cons pour se laisser faire.

    En général, ce sont les mêmes clowns qui affichent leur mépris pour l'art religieux. Observez les grimaces d'Einstein sur certains clichés : c'est le signe d'un esprit original défaillant. Si la psychiatrie était une science sérieuse, elle mettrait en garde contre le relativisme d'Einstein. C'est un moine qui m'a fait comprendre l'imbécillité d'Einstein quand j'avais dix-sept ans ; il n'était pas plus sérieux, mais sa maîtrise de la rhétorique et des syllogismes lui permettait de piger à quel petit jeu ce fameux Boche joue. Un prestidigateur le comprendra aussi : attirer l'attention sur un détail, et le tour est joué.

    L'artiste ou le savant moderne est un enfant de la balle, qu'il finit parfois par se tirer dans la caboche pour en finir. La décapitation des élites est finalement une question de santé publique. Lorsqu'une élite est massacrée par le peuple, elle ne fait que payer un ou deux siècles d'irresponsabilité d'un seul coup. C'est ce qui ne colle pas dans la doctrine de Nitche : il ne veut pas admettre, contrairement à Shakespeare ou Molière, que la décadence touche d'abord les élites. L'analogie est entre le peuple et la matière, et entre les élites et l'âme, et le chaos vient de l'âme. Ce n'est pas le problème des apôtres si les élites se sont emparé du christianisme et l'ont retaillé à leur cote, ouvrant ainsi le néant sous leurs pas. Quel besoin a Dante de s'appuyer sur la religion truquée de Virgile ?

    A part ça Nitche est le moins original qui soit. Il imite de bons imitateurs de la nature. C'est ce qui isole Nietzsche du monde moderne. Il n'est pas assez complexe. Ainsi Deleuze fait de Nitche une pelote compliquée à dénouer. Il trahit complètement l'esprit de son maître. On voit que pour Deleuze, la nature n'est pas assez humaine. Il manque à l'arbre, accrochée à la branche, la corde tissée avec des doigts d'homme pour pouvoir se pendre. Nitche aurait flanqué la paperasse de Deleuze au feu, comme Don Juan botte le cul de Sganarelle.

  • Molière et l'antéchrist

    Molière a brossé un portrait prémonitoire de l'antéchrist : Don Juan. Tout Nitche est dans le personnage de Don Juan. Nitche aurait rêvé de mener la vie de Don Juan ; ne le pouvant pas, à cause des bâtons que sa mère et sa soeur lui mettaient dans les jambes, il a couché les pensées de Don Juan sur le papier.

    Une nonne ne renoncera au voile et à s'enfermer dans le château de l'âme pour faire plaisir à son papa pour rien au monde... sauf l'amour de Don Juan. Ah, si Don Juan pariait sur dieu, plutôt que de faire son La Rochefoucauld ! Mais Don Juan sait que les paris ne sont ouverts qu'à la table de Satan ; c'est lui qui distribue les atouts.

    Molière a brossé aussi un portrait prémonitoire du démocrate-chrétien : Sganarelle. Bientôt la démocratie-chrétienne réclamera des gages à Satan, si elle n'a pas déjà commencé.

  • Surhomme à quatre pattes

    "Qu'il est petit, Nietzsche, depuis qu'en Allemagne tous les garçons de boutique sont devenus nitchéens."

    R.-M. Rilke

    Le mérite des garçons de boutique, c'est qu'ils n'écrivent ni thèses sur Nitche, ni romans nitchéens - ils ne font pas de films nitchéens.

  • Déphilosopher

    F. Nitche rétablit le primat de Satan sur la philosophie. Pratiquement l'effort des exégètes les plus récents de Nitche consiste à amputer cette notion, que seuls les penseurs fachistes ou nazis, dans un contexte de crise des valeurs modernes (fiduciaires, essentiellement), ont été capables d'assumer à peu près (Drieu La Rochelle, D'Annunzio, E. Pound, Heidegger, etc.).

    La clique "judéo-chrétienne" se montre en ce domaine la plus sournoise, adoptant deux tactiques convergentes, dont le but est de préserver les droits du philosophe à élucider les évangiles. La première tactique consiste à laïciser Nitche ou à le banaliser, ce qui revient à peu près à prendre le public pour un ramassis d'imbéciles. La seconde tactique, adoptée par l'évêque de Rome dans sa dernière encyclique ("Lumen fidei"), consiste à opposer à l'antichristianisme de Nitche les arguments idéologiques de Hegel, en occultant que le mysticisme juridique totalitaire de Hegel a été deux fois dénoncé comme une imposture - d'une part par Nitche lui-même, de l'autre par K. Marx.

    L'apostasie spéciale de J. Ratzinger consiste à occulter que l'hégélianisme n'est pas seulement une philosophie compatible avec les pires atrocités du point de vue de Nitche, mais également du point de vue chrétien, dès lors qu'il se rattache un minimum aux évangiles. A l'intercession de l'esprit et de la parole divine, Hegel substitue la notion, démoniaque, du providentialisme, garant de la plus grande passivité religieuse des masses populaires. S'il cède parfois à la démarche philosophique, Augustin d'Hippone n'aurait pu voir dans l'hégélianisme qu'une subversion équivalente à celle à laquelle l'empire romain procéda pour christianiser l'empire - il n'est besoin que de lire la "Cité de Dieu" pour s'en rendre compte. Que branlent les séminaristes catholiques en leurs séminaires ?

    Toute volonté humaine dépend de la puissance naturelle satanique, selon Nitche, qui dénie ainsi toute notion de la vérité aux religions animistes ou à la banale détermination psychologique moderne. L'amalgame sans fondement consiste de sa part à assimiler le christianisme à une religion animiste. A quoi l'animisme moderne se rattache-t-il, une fois le lien essentiel rompu avec Satan, proclame Nietzsche ? A cette détermination propre à l'homme qu'est la mort.

    Mais le judaïsme ou le christianisme ne disent pas le contraire. En effet, ils situent le début de la volonté comme pensée, nitchéenne ou satanique, à la chute d'Adam et Eve. La connaissance du bien et du mal, même la plus authentique ou objective des prêtres de Satan, implique la soumission de leur volonté à ce dernier, c'est-à-dire au destin selon la profession de foi de Nitche. On trouve là l'explication de l'interdit juif ou chrétien de l'art. Contre la mort, l'art ne peut rien. La résignation à la mort, attribuée au christianisme par Nitche, ne l'est pas. Elle indique une faiblesse et une soumission accrue aux effets du destin. L'anthropologie moderne rapproche l'homme de l'insecte, mais comment faire du christianisme et du judaïsme les sources de l'anthropologie moderne, quand elles sont, entre toutes les religions, les moins anthropologiques, puisqu'elles n'ouvrent pas droit à l'art ?

    Ce que Nitche met à jour n'est pas le christianisme, mais la négation de la révélation et de l'eschatologie par certains clercs au profit de l'éthique. Ce n'est pas un phénomène de subversion propre au monde moderne. Dans le livre de Daniel, on peut voir que les prêtres babyloniens avaient inventé une même ruse et détourné la religion païenne à leur profit. Beaucoup plus récemment, c'est ce que la psychanalyse fait, bien que Freud l'oppose au judaïsme comme une science véritable, accusant Moïse d'inventer de toutes pièces la religion juive au profit de quelques brigands, poussant ainsi la négation de l'histoire plus loin encore que Nitche. L'athéisme de Freud, qui ne va pas jusqu'à honorer Satan comme Nitche, permet l'usage de la psychanalyse à des fins éthiques. L'inconvénient du credo satanique de Nitche est qu'il constitue une incitation bien trop puissante à devenir soi-même par soi-même, c'est-à-dire sans intermédiaire clérical. Le satanisme jette une lumière beaucoup plus crue sur les méthodes de l'esclavagisme bourgeois moderne.

  • Déphilosopher

    Pour le besoin d'un petit bouquin sur le satanisme, je relis Nitche (eh oui, on a le droit de prendre Nitche au sérieux). Le principal mérite de Nitche, c'est que ce n'est pas un intellectuel, mais un artiste.

    L'intellectualisme part d'un complexe d'infériorité, physique le plus souvent, que l'intellectuel compense par la rhétorique. On voit le cas d'hommes du peuple, plus vigoureux, qui veulent se donner des airs raffinés en apprenant l'art de la rhétorique : les conséquences en sont le plus souvent dramatiques. On m'a rapporté le cas d'un type, entré aux Beaux-arts, fruste, presque brutal, venu d'un bled paumé de la campagne française. Son art était par conséquent beaucoup plus naturel et plus puissant que celui de ses condisciples parisiens, bercés avec Proust, Flaubert, Tintin et Milou, depuis l'enfance. Seulement pas moyen pour ce type fruste de devenir moderne, c'est-à-dire subtil, pour plaire aux dames et aux professeurs, assez choqués par le style direct du type. Du coup le brave gars, ça l'a tué, il n'a pas tardé à se suicider. Dans son milieu, mieux valait ne pas être artiste, et à Paris il lui fallait être moderne -l'impasse.

    La production intellectuelle conserve la marque du complexe. Tandis que l'artiste, lui, selon la méthode de Nitche, tente de surmonter la faiblesse. Dans le monde moderne, les derniers artistes sont comme des lions, domptés par des intellectuels malingres, plus rusés. Aujourd'hui on conseillerait à un type bâti comme Michel-Ange de passer un CAP de tailleur de pierre.

    Satan n'aime pas beaucoup les intellectuels. La force des intellectuels tient dans le parasitisme. Sacré problème que la mort de l'art, du point de vue de Satan. Quand chacun devient sa propre idole, suivant le culte identitaire masochiste, il y a péril en la demeure de Satan.

  • Nazisme et satanisme

    Dans les documentaires moralisateurs sur le nazisme et Hitler, celui-ci y est fréquemment comparé au diable et à Satan, y compris par des personnes qui ne se déclarent pas croyantes, mais rationalistes. L'éthique, quelle que soit sa couleur locale, scinde les comportements en deux, bons ou mauvais ; par ces documentaires il s'agit de diviser la conscience. Cela donne bonne conscience de penser que Hitler est le diable, et mauvaise conscience qu'il n'est qu'un homme ordinaire. Le raisonnement éthique présente une analogie avec le raisonnement algébrique binaire.

    La conscience historique s'affranchit du raisonnement éthique - Shakespeare, Marx -, afin d'élucider ce qui dans l'histoire traduit un mouvement libre de la part de l'homme, et non un mouvement instinctif, caractérisé par la banale détermination binaire relativiste. Un homme doté d'une conscience éthique se satisfaira assez facilement du raisonnement évolutionniste, qui se heurte à la conscience historique. Le déterminisme biologique incite à penser l'histoire en termes de statistique ou de cycles économiques, c'est-à-dire à nier l'histoire par principe, pour tout ramener à la politique, contexte où comme l'indique Aristote, l'homme se comporte de façon à peu près identique à l'animal (travail, famille, patrie).

    Hitler et le nazisme, involontairement, ont servi de base à l'éthique la plus indéfinissable qui soit. Elle constitue un facteur d'aggravation de l'irresponsabilité des élites dirigeantes occidentales et un pas supplémentaire vers le nihilisme.

    L'attitude du Vatican vis-à-vis du nazisme est la plus équivoque possible, et avec la repentance l'Eglise romaine a donné à l'éthique judéo-chrétienne un tour plus absurde que jamais. Il s'agit d'une démarche juridique institutionnelle, dépourvue du plus petit lien avec le message évangélique. L'Eglise romaine s'est comportée là comme la firme Volkswagen a fait pour continuer de vendre des voitures sans heurter la bonne conscience de sa clientèle. Probablement les athées éprouvent dans cette affaire la même délectation que le juge d'un tribunal d'inquisition. Quel que soit le côté par où on l'aborde, cette procédure sent la tartufferie à plein nez.

    On peut s'étonner que le Vatican, peu avare de sermons et d'encycliques, n'ait pas cherché plutôt à élucider le caractère satanique du nazisme, c'est-à-dire à se situer sur un plan théologique, et non de justification éthique parfaitement inutile.

    Sur le plan idéologique, le nazisme est un mélange contradictoire de nitchéisme et d'hégélianisme. C'est-à-dire d'un satanisme pur, tel qu'il est proposé par Nitche, et d'un mouvement hégélien moderne, une "culture de mort" et un "nihilisme" tels que Nitche décrit l'hégélianisme. On constate que l'arrière-plan scientifique de l'eugénisme darwinien nazi comporte aussi cette contradiction.

    Autrement dit, le nazisme est un satanisme nitchéen dans sa partie la plus spirituelle et dépourvue de solution éthique ou politique adaptée au monde moderne, et hégélien dans sa partie opératoire, celle où le nazisme entre en concurrence avec d'autres nations occidentales. L'aspect satanique seul permet de distinguer le nazisme des régimes totalitaires concurrents, soviétique et capitaliste. Le nitchéisme fait l'originalité du nazisme, mais sur le plan moral et politique il est des plus banals, dans la continuité de la culture de mort occidentale depuis le moyen-âge. Un nietzschéen fera ressortir l'aspect de morale "judéo-chrétienne" hégélienne sous-jacent au nazisme (ainsi que l'a fait Drieu La Rochelle, par exemple), tandis qu'un tenant de l'éthique judéo-chrétienne pointera du doigt l'aspect satanique.

    Le Vatican est donc dans une position où il ne peut pas fournir une explication chrétienne, ni même historique, sans rompre avec l'éthique judéo-chrétienne bourgeoise, à laquelle Hegel prête un sens millénariste, ramenant ainsi la fonction mystique du droit au niveau du tribalisme et du culte identitaire. Le millénarisme démocratique des institutions occidentales avec lesquelles le Vatican collabore est impossible à fonder ailleurs que dans l'idéologie hégélienne. D'où l'insistance des cacouacs modernes à répéter en boucle que la philosophie allemande est le summum du raisonnement philosophique, thèse qui se heurte au scepticisme des Français les moins disposés à prendre la religion des élites pour argent comptant.

    La philosophie des lumières françaises elle-même n'est présentée aux Français que comme un mouvement de pensée préliminaire à l'hégélianisme, alors que ce que l'hégélianisme traduit, exactement comme l'empire napoléonien sur le plan politique, c'est une sclérose de la pensée des Lumières, la définition à partir de celles-ci d'une logique totalitaire. L'hégélianisme laisse le champ libre à l'expérimentation anthropologique de l'homme sur l'homme, telle que Shakespeare l'illustra avec le personnage de Shylock et sa livre de chair humaine en gage.

    L'hégélianisme définit l'élément passif féminin de la culture occidentale en phase terminale, c'est-à-dire la tendance au nihilisme et l'abstraction religieuse la plus froide. On peut prendre l'art de Dali comme l'un des meilleurs exemples de cette tendance macabre : plastiquement irréprochable, nul sur le plan érotique. Les derniers poètes communistes, plus nietzschéens que marxistes, Picasso notamment, introduisent le dernier élément positif dans la culture occidentale, c'est-à-dire les dernières formes qui ne soient pas entièrement passives et anthropologiques, bien que le motif d'ensemencer la culture soit de la part de Picasso inconscient et animal. C'est d'ailleurs la détermination sexuelle et psychologique de la culture qui explique que le judaïsme, et plus encore le christianisme selon l'accusation de Nitche, soit pur de tout mouvement culturel.

    Si Shakespeare ne désacralisait pas entièrement l'art, il ne serait même pas capable, comme Nitche en raison du lien satanique qu'il entretient avec la nature, de prévoir le pourrissement de la culture occidentale, en raison de l'usage intensif qui en est fait désormais par les élites de sidération des masses, qui explique l'infériorité de la valeur de la production artistique contemporaine en comparaison de la spéculation monétaire. Dali avait d'ailleurs bien compris l'équivalence de l'art moderne le plus macabre avec la valeur monétaire. C'est également la posture des autorités éthiques, définissant le cadre juridique de l'art, qui est la plus cynique.

     

     

  • Récidivistes

    Tandis que le code pénal s'efforce de dissuader les criminels de la récidive, les intellectuels y sont au contraire encouragés par le code moderne.

    Réflexion que je me fais en voyant de nouveau en librairie un bouquin d'Antoine Compagnon, cacouac entre les cacouacs, et auteur il y a quelques années de l'essai le plus débile et confus qu'on puisse écrire sur le thème de la modernité. Le niveau d'abrutissement général jusqu'où les élites françaises ont conduit la France serait sans doute moindre si les intellectuels s'appliquaient le principe de précaution, à la manière de La Bruyère, consistant à laisser mûrir son ouvrage une bonne vingtaine d'années avant de le publier.

    Même la manière de BHL de resserrer les boulons de la modernité, avec l'opiniâtreté d'un mécano allemand dévoué à son engin est moins pénible, car plus transparente. BHL a pigé que la propagande passe d'abord par la cinématographie et la télévision, et que c'est sur ce terrain qu'il convient avant tout de donner un semblant de cohérence à l'argumentaire moderne, qu'aucun artiste, philosophe ou savant ne cautionnera, étant donné le but poursuivi par l'art moderne de rendre justice à la médiocrité.

    Maître Bernard (je le surnomme ainsi étant donné la coïncidence de sa méthode avec celle de Bernard de Clairvaux pour subvertir le christianisme et, déjà, l'ouvrir à la modernité), maître Bernard s'étonne de l'animosité à son égard, alors même que, contrairement à Aragon, Sartre ou Eluard, il n'a encore sucé la bite d'aucun tyran sanguinaire, et sa bouche demeure pure. La réponse est pourtant simple : les Français demeurent assez hostiles aux curés et à leurs sermons. De même les encycliques pontificales sont vaines, dans la mesure où elles ne rencontrent que l'assentiment du patronat démocrate-chrétien, convaincu d'avance de la sainteté de cette rhétorique parfaitement creuse. Tant que l'évêque de Rome ne porte pas atteinte à la vulgate démocrate-chrétienne, il reste un idiot utile dans son habit de lumière, significatif du culte solaire.

    Nitche n'a pas tort montrer le caractère catastrophique de l'anthropologie moderne. C'est assez risqué de la part des derniers évêques de Rome de convoquer Nitche, ou même de la part de BHL de simplement l'évoquer. Car l'anthropologie et l'art modernes ne pèsent pas bien lourd au regard de la métaphysique artistique de ce latiniste accompli, qui n'hésite pas à révéler l'origine satanique de la culture de vie latine.

    C'est sur la cause de l'anthropologie ou du nihilisme moderne que le raisonnement de Nitche est erroné et celui de Shakespeare-Bacon, au contraire lucide. Le mirage hégélien ou "judéo-chrétien" ne peut faire autrement -et il ne fait pas autrement que s'appuyer sur la science physique de la lumière solaire. On peut dire que la rhétorique moderne est un miroir magique. L'anthropologie moderne répond à la nécessité d'exploiter la lumière solaire. Sur le plan totalitaire de l'exploitation, la physique d'Einstein est valide et confortée, comme un dogme technocratique. Sur le plan du culte solaire, elle est fausse et prive l'homme de la conscience, au profit de l'exploitation. Mais la physique d'Einstein, aussi bien que la rhétorique de Hegel, sont absolument dépourvues de lien avec le judaïsme ou le christianisme. Le sacrifice de la volonté de puissance satanique n'est pas tant au profit des "faibles", selon Nietzsche, que des élites judéo-chrétiennes. De même la démocratie, sur le plan politique, qui ne trouve aucun appui dans le christianisme, et que les masses populaires n'ont jamais réclamé, ni dans l'absolu, ni encore moins suivant la formule d'un étatisme ou d'un nationalisme renforcé.

  • L'Intellectuel

    L'intellectuel est un philosophe qui, s'appuyant sur le monde, éprouve le besoin de justifier celui-ci.

    Apparue un peu avant, cette espèce a commencé de proliférer au XXe siècle.

  • Genèse

    Si la sagesse n'était pas aussi difficile, le monde n'existerait pas.

  • Bacon, Shakespeare & Nitche

    "Je ne suis qu'un homme. Mais j'ai déjà vécu plusieurs vies à travers d'autres hommes, et de toutes leurs expériences, les pires comme les meilleures, j'ai su tirer des leçons. Parmi les habitants de l'Inde j'étais Bouddha, en Grèce Dionysos - je me suis incarné dans Alexandre et César, ainsi que le poète Shakespeare, lord Bacon."

    F. Nitche (lettre à Cosima Wagner)

    Nitche fait subir à l'histoire et à Shakespeare-Bacon le même traitement qu'il inflige à l'univers. Il n'en garde que ce qui le conforte.

    Shakespeare est un historien trop prophétique pour confondre le moine-théologien du moyen-âge et son bagage philosophique platonicien avec l'apôtre Paul.

    Plutôt que de se réincarner, Nitche aurait mieux fait, pour ne pas mourir bête, de lire ce que dit Bacon de ce sacré Dionysos. A savoir, fait historique, que c'est tout juste si Dionysos figure au panthéon des Grecs. Il semble que Dionysos fut trop humain pour ça.

    Il semble que Nitche-Dionysos n'a pas lu "Jules César" non plus, ni d'autres pièces de Shakespeare les plus dissuasives pour la nation anglaise d'imiter le modèle romain, dont les chrétiens savent qu'il est le plus satanique. Tout l'effort de Shakespeare est de montrer que la culture chrétienne médiévale n'a rien de chrétien. 

    Bien sûr Shakespeare n'est pas plus "moderne" que Nitche, mais en principe il n'y a que les imbéciles et les spéculateurs qui le sont.

  • L'Intellectuel

    Ce que l'intellectuel nous dit d'une chose nous en apprend plus sur l'intellectuel que sur la chose. Les bibliothèques publiques sont désormais garnies aux deux tiers de biographies subtiles, mal classées dans les catégories de l'art ou de la science.

  • L'engagement politique

    Je n'ai relevé de tout Sartre et de sa morale de trousseur d'étudiantes nunuches qu'une seule phrase raisonnable : "Les couvreurs prennent plus de risque que les intellectuels."

  • Ophélie

    Si Shakespeare expédie "ad patres" la ravissante Ophélie sans trop de périphrases, c'est pour bien nous montrer que toutes les personnes sentimentales s'appuient sur le néant, et que leur folie et leur suicide n'est qu'une question de secondes, de minutes ou d'années.

    Victime de la mode et des sentiments se comptent par milliards dans les charniers de l'Humanité, vieille putain dont les anthropologues sont amoureux, comme Laërte l'est de sa soeur : dans le seul but de se montrer sous son meilleur profil.

    Tout le cinoche en son honneur ne sauvera pas la divine Humanité.

  • Politique, jamais plus

    N'écoutez pas les vieux barbons qui prônent l'engagement politique pour parer aux faillites du système. Il n'y a là que des vieux tocards nostalgiques d'âges d'or rêvés, ou des publicitaires d'un futurisme débile. Ce que les vieux barbons veulent, c'est empêcher les jeunes gens de vivre à présent.

    Ils comptent sur les générations futures pour empêcher ce qu'ils ont permis, autorisé, cautionné, ce avec quoi ils ont temporisé toute leur vie, en particulier la censure. Si l'on essorait leurs discours plein d'emphase sur l'engagement politique, il n'en sortirait qu'un vieux jus sentimental de fils à maman sur le déclin.

    Le fait est que des idéaux, il y a en beaucoup trop, et qu'on croirait l'Occident un parterre de vieilles filles la gueule pleine d'éthique et de radotages.

  • Dialogue avec l'Antéchrist

    L'Antéchrist maudit le monde moderne au nom de Satan. Les apôtres maudissent le monde tout court au nom de la parole de Dieu.

    Les allégations de Nitche qui tendent à attribuer au judaïsme et au christianisme l'anthropologie moderne ne reposent sur rien. L'anthropologue n'est qu'un actionnaire du monde, caché derrière de grandes phrases, dont aucune n'a une signification chrétienne.

    L'idée que le monde moderne trimphera de Satan n'est pas chrétienne non plus. Il faut chercher le sens de l'histoire ailleurs que dans les sornettes psychologisantes de Nitche.