Un lecteur catholique peut trouver étrange que Les Temps modernes, revue dirigée par Claude Lanzmann, “adoube” la théologie de Benoît XVI dans son numéro d’avril-juillet 2007. L'article est signé Jean-Claude Milner et intitulé avec une balourdise qui se veut humoristique "La Science, combien de divisions ?"
Jean-Claude Milner en quelques pages, sous le prétexte de critiquer l’ouvrage de Benoît XVI Jésus de Nazareth transforme Benoît XVI en une sorte de vicaire de la "religion de la Choa", ni plus ni moins.
Au deuxième degré, cet article qui se veut tout ce qu’il y a de plus sérieux a donc un côté burlesque. Au premier degré, il devrait, il doit heurter les catholiques - accessoirement les juifs orthodoxes pour qui la bible a une valeur plus grande que les films de Claude Lanzmann.
Le plus choquant n’est pas que Milner “tire la couverture à soi”, mais bien qu’il puisse trouver dans la théologie de Benoît XVI des arguments pour pouvoir procéder à cette récupération, pour transformer l’universalisme chrétien en particularisme ; la religion de la Choa est en effet une religion très très particulière.
P. 334, § 2, un extrait qui révèle le mélange de morgue, de préjugés et de burlesque involontaire qui caractérisent les propos de Milner :
"Le Pape fait preuve de courtoisie à l'égard des grandes religions du monde ; il fait mine de n'en mépriser aucune, mais cela se ramène à de la pure et simple diplomatie. Le judaïsme, lui, ne relève pas de la diplomatie, mais du respect. (...)"
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Hélas si Benoît XVI n'est pas si fumeux que ne l'était Mgr Lustiger, tout de même, il donne prise à ce genre de prose.
Jean-Paul Sartre n’est pas cité par Jean-Claude Milner, mais le rapprochement s’impose avec Benoît XVI. Leurs philosophies, à l’un comme à l’autre, sont très ambiguës. En dernier ressort, Sartre est apparu comme le prophète de l’égotisme bourgeois, ce n’est pas pour rien qu’il est le pape de la Rive-gauche, mais son idéalisme bourgeois est néanmoins traversé par le mot d’ordre communiste d’”engagement”.
De son côté Benoît XVI ne fait qu’opposer à ce qu’il appelle le “rationalisme” un autre idéalisme, et non pas une méthode concrète. Il jette le bébé avec l’eau du bain, la science avec le positivisme.
Et les sources d’inspiration de Benoît XVI et Sartre sont à peu près les mêmes ?
A son cocktail d'humanisme cartésien et de marxisme, Sartre additionne une dose de gnose médiévale, la muflerie philosophique d’Heidegger. Il refuse de faire le tri entre le bon grain et l’ivraie, ce qui n’est ni très marxiste ni très humaniste.
L’idéalisme de Benoît XVI vient aussi de la philosophie allemande, de cette philosophie allemande romantique qui n’est pas sortie de l’obscurité du Moyen-âge et qui a donné des philosophes aussi décadents que Kant, Heidegger et Nitche, incapables d’émettre sur des sujets concrets autre chose que des niaiseries ou des préjugés, notamment des préjugés racistes. Les préjugés racistes doivent être condamnés pour ce qu’ils sont, non pas de la méchanceté mais de la bêtise. La bêtise de Kant, celle de Heidegger ou de Nitche ne doivent rien au hasard, pas plus que leur succès public.
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Il ne serait même pas étonnant que Benoît XVI protestât contre l’interprétation de Jean-Claude Milner ; de la même manière on peut être sûr que Sartre aurait protesté contre la métamorphose des Temps modernes en une sorte d’organe de la religion de la Choa, frisant souvent le rocambolesque, comme lorsqu’un universitaire yanki, Francis Kaplan, exécute Simone Weil parce qu’elle refuse l’érection de la Choa en culte et s’oppose à ce qu’on fasse d’elle une juive, parce qu’elle ne croit pas au déterminisme racial et ne veut pas d’autre religion qu’une religion humaniste et universelle.
Dans le dernier numéro des Temps modernes, un commentaire de la citation de Bernanos : « Hitler a déshonoré l’antisémitisme », est un sommet dans la mauvaise foi, le but étant bien sûr de faire de Bernanos par tous les moyens un crétin comme les autres.
Les temps modernes en définitive sont donc, au propre comme au figuré, le tombeau de la science humaine, qu’il faut ressusciter, contre des gugusses comme Milner ou Kaplan, contre Sartre, et contre Benoît XVI si c’est nécessaire. Si l’Occident ne le fait pas, ce sont les Russes communistes et orthodoxes qui s’en chargeront à notre place. Ils ont déjà du mal à dissimuler le mépris que nos fétiches leur inspirent.