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Lapinos - Page 144

  • Un pionnier

    Il serait un peu naïf, sous prétexte que Christine Angot ou Amélie Nothomb sont des écrivaines rabougries et ennuyeuses, de dénigrer l'"autofiction" en général. Car c'est presque toute la littérature moderne qui ressortit en fait au genre "autofictionnesque" ; sous le manteau du "roman", il n'y a guère que des autofictions cryptées ou parcellaires - même les romans sans chair de Robbe-Grillet en disent long sur ce cas de monomanie étrange -, autant s'abstenir complètement d'en lire, dans ce cas.

    Après, la question de savoir si telle ou telle autofiction dépasse les bornes et verse dans l'obscénité gratuite ou pas, cette question-là est plus délicate. Chacun sera tenté de juger Rousseau, Balzac, Céline, Proust, Waugh, Mauriac, Bernanos, etc., en fonction de ses propres mœurs ou de son propre tempérament. On peut très bien imaginer que tel ou tel chrétien, surtout si c'est une chrétienne, se sente offusquée à la lecture de tel ou tel épisode des Confessions d'Augustin, un pionnier du genre, notamment un épisode d'avant qu'il ne se soit assagi.

    Personnellement, j'aime que l'autofiction soit aussi dépourvue de grandes déclarations idéalistes que possible. Comme la tendance de chacun à "généraliser" est inscrite dans le génome humain, disons qu'il est préférable que la "philosophie" de l'auteur ne soit pas trop apparente, qu'elle soit "retenue". Ainsi, L.-F. Céline a deux ou trois idées bien arrêtées sur la vie et le monde qui l'entoure, mais il évite de nous assommer à chaque page du Voyage ou de Mort à crédit avec des sermons. C'est aussi ce qui fait qu'on lit plus volontiers les Confessions de saint Augustin qu'une encyclique de Benoît XVI ; même si saint Augustin ne peut s'empêcher de prononcer des sermons de temps en temps, on sent le chrétien palpiter encore à près de seize siècles de distance, tandis que Benoît XVI, ce n'est qu'un rappel à un ordre plus juste, une tentative de restaurer de vieilles règles. Du coup la portée n'est pas la même. La pilule passe moins bien lorsqu'elle n'est pas dissoute dans la potion.

    *

    Ce qui est amusant, c'est que l'autofiction n'implique pas plus d'exactitude que le roman. L'exemple de Rousseau est significatif, lui qui s'aventure souvent dans des domaines, l'éducation, la politique, la musique, dont il n'a à peu près aucune expérience, et puis qui travestit allègrement la réalité de son existence, de son éducation, de ses amitiés ; il y a l'exemple de Chateaubriand aussi, qui peut passer pour un fieffé menteur, si on le confronte à une bonne biographie. C'est le jeu de compléter Bloy, Céline, Rousseau, par une bonne biographie, et de voir ce qu'il y a dans l'interstice (ou le grand écart).

    Ce qui m'a poussé à lire le petit essai que L. Jerphagnon consacre à saint Augustin, c'est une interviou où il déclarait son antipathie pour sainte Monique, la mère d'Augustin. Je me montrai curieux de savoir pourquoi ? Alors même que saint Augustin fait l'éloge de sa mère, de sa soumission à son mari païen… Mais l'argument de Jerphagnon contre Monique n'est guère étoffé, c'est quasi un préjugé. Principalement il lui fait grief d'avoir chassé la maîtresse d'Augustin et son fils, afin de permettre à Augustin, dont la carrière venait de décoller, de faire un mariage plus brillant. Et puis il reproche à Monique d'être un peu trop "dévote". Qui plus est Jerpahgnon est de confession protestante, c'est étonnant lorsqu'on sait l'importance de la "carrière professionnelle" dans les milieux protestants, leur empressement à rejoindre les rangs de la laïcité et de la démocratie la plus bigote !
    En outre, Jerphagnon essaie d'imiter le franc-parler d'Augustin, mais il consacre trop de temps à faire le catalogue de vieilles idées philosophiques gréco-latines qui, extraites de leur fondements historiques, n'ont pas beaucoup d'intérêt.

    *

    Des exemples contemporains comme ceux de Modiano, Angot ou Beigbeder, montrent bien que le roman est un peu pris au piège dans "une grande démocratie comme la nôtre". Ce piège, on peut d'ailleurs dire qu'il n'entrave pas seulement le roman, mais toutes les formes de création, ce piège se présente comme un paradoxe : chacun d'entre nous ou presque est encouragé à devenir un artiste - transformé en génie par la grâce de quelque slogan le moindre patouilleur capable de justifier ses patouilles ou son bout de pellicule avec deux ou trois phrases habiles -, dans le même temps que la société de consommation prive les individus de toutes les conditions favorables à l'épanouissement de l'art, voire de l'artisanat.

  • Repentance

    Une repentance, au sens ancien, c'est-à-dire un mea culpa : dans ma hâte à vouloir exécuter Jean d'Ormesson, tantôt, je l'ai accusé à tort d'avoir fait une publicité abusive, dans Les 1001 livres qu'il faut avoir lus dans sa vie, à une jeune écrivaine indienne, Abha Dawesar, publiée par Héloïse (sic) d'Ormesson, sa fille. J'ai confondu la donzelle avec l'une de ses concurrentes, Jhumpa Lahiri. Elles n'ont pourtant pas toutes les deux exactement le même genre de physique (Jhumpa est un peu plus racée.)
    J'avoue aussi ma méconnaissance de la littérature indienne dans son ensemble, tant que j'y suis, et que Kipling reste pour moi LE grand écrivain indien indépassé (Sur ce point V.S. Naipaul ou S. Rushdie, au moins, ne risquent pas de me contredire.)

    Jean d'Ormesson est donc seulement coupable d'avoir apporté sa caution académique à une anthologie qui n'est pas assez large pour faire place à un seul livre de Psichari, Von Salomon, Loti, ou encore Villiers de l'Isle-Adam, mais en revanche assez laxiste pour accorder un chapitre à des œuvrettes signées Amélie Nothomb, Julian Barnes, Thomas Pynchon ou Patrick Modiano.

    Oh, et puis pour être tout à fait franc, il y a pire que ce bouquin puisqu'il est en réalité presque entièrement rédigé par des profs britanniques et que les Français, de toute façon, ne lisent presque pas. Avec les Espagnols, nous sommes les plus mauvais élèves de la classe européenne dans ce domaine.

    *

    M'étant rendu dans un grand centre commercial entièrement consacré au sport afin d'y acquérir un nouveau "moule-bite", comme on dit dans le langage des piscines, j'en ressors bredouille. Lorsque j'avais acheté le précédent dans la même boutique, on y trouvait en rayon environ trois-quarts d'articles de sport pour un quart d'articles de mode ; la proportion s'est inversée dans l'intervalle ! Les ethnologues qui s'attachent à définir l'identité française auront noté ces faits, je suppose, à la fois la médiocrité des Français dans le domaine de la lecture et dans celui du sport, médiocrité qui s'incarne si bien dans le journal L'Équipe.
    À quoi sommes-nous donc bons, alors ? Dans le domaine des performances sexuelles, on peut penser que les statistiques ne sont pas fiables et que la nouvelle hypocrisie sociale qui consiste à faire état de performances sexuelles hors du commun, si possible en utilisant un vocabulaire anglais pompé sur internet, cache en fait plutôt une certaine misère sexuelle, ainsi que l'a assez bien démontré Michel Houellebecq.

    Que reste-t-il à part un premier prix de cuisine à se disputer avec nos voisins italiens ?

  • Détours en France

    Excursion en province. Deux ou trois fois l'an environ, je me sens obligé d'honorer mes "vieux" d'une visite de courtoisie. Je dis "vieux" par réflexe, car depuis un an ou deux j'ai l'impression de vieillir plus qu'eux. Du coup, ça les rajeunirait même à mes yeux.
    Mon paternel, je m'entends assez bien avec lui, mais il ne tient pas en place : il y a sa nervosité naturelle, et la frustration sexuelle qui n'arrange rien, j'imagine. Comme il ne boit pas et ne fume pas, je lui suggèrerais bien de prendre une jeune maîtresse habile, comme on n'en rencontre guère que dans les bouquins de G. Matzneff, n'exigeant que des sentiments et un bijou de temps en temps : il se calmerait un peu ! Mais je n'ose pas ; je suis sûr qu'il est déjà arrivé à la même conclusion que moi depuis longtemps : les femmes sont un poids, la bagatelle a son revers… et Matzneff "brode" beaucoup trop.

    *

    La mer est bleue, le ciel est bleu, les rochers dessinent des formes bizarres, tout ça est magnifique sous le soleil, certes, mais je ne m'attarde pas trop ; la province, c'est bon pour les peintres impressionnistes.

    Léger désagrément au retour en pénétrant dans mon wagon lorsque je constate en me penchant sur mon "titre de transport" que je n'ai pas de place réservée et que je voyagerai assis "selon la disponibilité" des sièges. L'appât du gain est tel à la SNCF désormais qu'ils n'hésitent pas à vendre plus de places qu'ils n'en disposent, les salauds. Stoïque, je passe deux plombes à bouquiner debout dans la coursive, ce qui me vaut un regard admiratif de chacune des gonzesses, six en tout, qui défilent devant moi sur le chemin du bar. Mais aucune n'est vraiment jolie ou bien sapée.

    Les contrôleurs ne me réclament pas mon billet. Est-ce parce que je lis quelques morceaux choisis d'Engels dans un bouquin à couverture rouge ? J'en suis presque sûr… Merde, on devrait pouvoir lire Engels ou Marx sans s'attirer forcément la sympathie des syndiqués en uniforme de la SNCF ! Engels, lui, parcourt la province française à pieds et en dit beaucoup de bien, surtout de la Bourgogne, dont il aime l'accent, où le bon vin coule à flots et les filles sont bien mises et peu farouches… C'était avant la révolution petite-bourgeoise et les TGV qui roulent à cinq cent soixante-dix kilomètres par heure et des brouettes.

  • Largesse d'esprit

    Jean d'Ormesson se "mouille" toujours autant ; il signe une anthologie illustrée : Les 1001 livres que vous devez avoir lus dans votre vie. Après tout pour qui est bien décidé à vivre aussi longtemps que Jean d'Ormesson, 1001 livres ça ne fait jamais qu'un peu plus d'un bouquin par mois environ, c'est raisonnable…

    Aux côtés des classiques de toutes les époques et de toutes les langues - on retrouve même Waugh dans cette anthologie, aussi prisé des lecteurs britanniques que Mauriac l'est des lecteurs français, mais dont l'ironie politiquement incorrecte est assez malvenue de ce côté-ci de la Manche -, en cette brillante compagnie, donc, on est quelque peu surpris de voir figurer la jeune écrivaine contemporaine indienne Abha Dawesar, quasiment une inconnue… on est moins étonné lorsqu'on s'aperçoit que l'éditeur d'Abha Dawesar en France n'est autre que la propre fille de Jean d'Ormesson.
    Rompu à l'art de déblatérer sur un plateau de télévision et d'y jouer le rôle du "charmant vieil homme" comme pas deux, d'Ormesson répondrait sûrement que c'est parce qu'Abha Dawesar fait partie des mille et un auteurs indispensables, justement, que sa fille a décidé de la publier, et non l'inverse. Je n'ai vu d'Ormesson perdre ses moyens à la télé qu'une seule fois, le jour où Laurent Ruquier à révélé en sa présence que le vénérable académicien se torchait avec du papier-cul imprimé de fleurs de lys bleues. Malgré toute son expérience, le charmant vieil homme ne s'attendait pas à cette attaque par-derrière ET en dessous de la ceinture.

  • La mascotte anarchiste

    La mascotte de Charlie-Hebdo, le petit père Siné, répétant en boucle à la télé qu'"un bon gendarme est un gendarme mort", qu'est-ce que c'est si c'est pas du "marketing" anar ? Faut dire que le soutien de Sarkozy et de tout le gratin de Saint-Germain-des-Prés, lors du vrai-faux scandale des caricatures de Mahomet, ça n'a pas dû leur faire que du bien à Charlie-Hebdo. Et avec ça Philippe Val qui se prend pour Bertrand Poireau-Delpech ou bien Jean Daniel, Cabu dessinateur officiel de la Ville de Paris… D'ici que le prochain président propose le transfert des cendres de Cavanna au Panthéon… Les lecteurs de Charlie vont finir par se douter de quelque-chose. Pas si cons que les lecteurs du Canard enchaîné, quand même !
    (Plusieurs années de suite, j'ai eu un voisin instituteur communiste qui faisait la lecture à voix haute des titres du Canard à sa régulière tous les mercredis : « Écoute ça un peu, Claude : c'est un véritable scandaaaaale !!! ahaale… » Pas de doute, cet enfoiré jouissait dans son froc ; il lui fallait sa dose hebdomadaire de dénonciations pour vivre ; sans ça il se serait étiolé. Je parie tout ce qu'on veut que le standard du Canard enchaîné doit crouler sous les appels des délateurs, pire que le standard de la Gestapo pendant l'Occupation.)

    Siné fait donc son sketche à la télé. Faut dire qu'il s'y connaît en promo, Siné, puisque c'est dans la réclame qu'il a débuté, comme Beigbeder, Dantec ou Ardisson. Mais il n'a réussi à choquer personne sur le plateau de "France 3", ni l'historien Michel Winock, ni le porte-plume Georges-Marc Benhamou, pas même Frédéric Taddéi ; si une jeune sociologue un peu moins conne que tous ces vieux schnocks n'avait pas traité Siné de fils à papa bourgeois, le consensus aurait été total.

    D'être anarchiste, c'est pas ça qui a empêché Siné d'appeler les flics à la rescousse lorsque sa villa en Corse a été cambriolée, ni de voter Chirac en 2002. Si même les anarchistes n'ont plus aucun principe, où va-t-on ?

  • Les vacances de M. Chirac

    Publicité contre un kiosque pour une nouvelle gazette écolo intitulée Néo-Sapiens ; c’est du "marketing" élémentaire quand on s’adresse à des archéo-cons.

    Une des manchettes annonce : « L’art de la douche : le plaisir de la douche avec un minimum d’eau. » Je comprends pas ce besoin que les bobos ont de prendre des douches régulièrement, qu’est-ce qu’ils font de si salissant ?

    « Qui sera le prochain ministre du Développement durable ? » : sûrement pas moi, pourtant j’aurais des tas d’idées pour économiser le papier, l’encre et la salive, un nouveau genre de tri sélectif.

    Dans une librairie, je découvre avec étonnement qu’une maison d’édition vient de publier rien moins que deux épais volumes des discours de Chirac ?! On me dit parfois que je suis pessimiste, mais pas au point de croire qu’il y a des gens qui peuvent lire de vieux discours de Chirac.

  • Explorations

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    Depuis Mort à Crédit, il y a quelques mois, je n’ai pas lu un seul roman : la peur d’être déçu, de trouver tous les plats un peu fade en comparaison.
    Dans la réédition en "poche" du Gilles de Drieu La Rochelle, je n’ai pas dépassé la préface. Contre le reproche qui lui est fait de trop se préoccuper de politique, Drieu se défend en mettant au défi de trouver un grand auteur qui se désintéresse de la chose politique.

    Cet avis aussi - je le partage -, que la France est un pays de peintres, d’observateurs attentifs ; pas étonnant qu’elle attire autant les iconoclastes (Mais d’être d’accord avec Drieu ne me donne pas envie de lire un des ses romans pour autant.)

    Je vois qu’on publie un volume du journal intime de Matzneff. J’ignore tout ou presque de la production de Matzneff, comme de celle de Drieu. Je lis quelques pages. La pédophilie ne m’intéresse pas, c’est une fiction juridique, comment peut-on fonder une littérature là-dessus ? Il faut être bien persuadé de la permanence des conventions humaines… C’est le désir sexuel pour les personnes âgées qui est plus rare et susciterait plutôt ma curiosité.
    À plusieurs reprises Matzneff décrit ses rapports sexuels avec ses lycénnes chéries de cette façon à peu près : “Nous avons fait l’amour, c’était fantastique !” Une telle idéalisation du coït, ça fait un peu sourire, quand même. On dirait que Matzneff a quinze ans lorsqu’il écrit des choses pareilles. Est-ce qu’il le fait exprès ? Est-ce qu’il n’a pas peur tout d’un coup de se transformer en adulte ?
    Ce n’est pas là-dedans non plus que je ferai mon miel ; probablement faut-il être soi-même lycéenne pour goûter cette littérature pleinement et je ne me sens pas l’âme d’une lycéenne aujourd’hui… Je prends donc finalement la résolution d’achever la petite biographie de saint Augustin par Lucien Jerphagnon.

  • Rêve d'avenir

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    Si les prévisions climatiques de ce savant hambourgeois au nom barbare, Detlef Quadfasel, sont avérées, et qu'on se retrouve d'ici quelques années en France - dans notre douce France -, à se geler les miches dans un climat sibérien, la démocratie n'y résistera pas ! La chute brutale des températures aura naturellement pour effet de nous obliger à nous concentrer sur l'essentiel : manger, boire, dormir, se réchauffer et prier. Par conséquent, plus de débats existentialistes, de campagnes électorales dispendieuses, de grandes devises bien astiquées, de cinéma d'art et d'essai, voire même plus de blogues… bref tout ce qui fait le charme d'une démocratie, tous ces phénomènes de société iront trouver refuge ailleurs, hors d'Europe, dans des contrées moins hostiles…

    Les marchands de gadgets, les bobos, suivront probablement leurs idées et iront demander l'asile en Afrique noire ou en Amérique du Sud, à la recherche d'un climat tempéré. Les civilisations primitives, qui ne manquent pas d'humour, feront probablement de toutes ces ex-féministes leurs esclaves sexuelles et rejeteront les hommes à la mer ; mais peu importe, cela ne nous regarde pas… En Europe, on sera enfin débarrassé du superflu, des parasites, de Bernard Arnault et de Nicolas Hulot. Une vie plus rude nous redonnera vite le goût des valeurs morales et des choses réelles !

    Ah, je ne dis pas qu'il n'y aura pas d'inconvénients… Plonger son regard sous les jupes des filles ou dans leurs décolletés, un jour clément comme aujourd'hui, ce genre de chose ne sera plus possible… Mais, dame, il faut bien consentir à certains sacrifices, parfois.

  • Aigreurs d'estomac

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    En relisant l'extrait de Petitmangin sur mon blogue pour ôter quelques coquilles, je suis encore sous le charme de ce paysage grec. L'analogie avec le paysage français vient spontanément à l'esprit. N'était-ce pas le but de Petitmangin ? Pour le reste, les "projets" de Sarkozy ou de Madame Royal paraissent assez éloignés du tableau de cet helléniste recouvert de poussière.

    J'allume ensuite la radio : Bernard Arnault interviouvé par Jean-Pierre Elkabbach - de quoi me donner des aigreurs d'estomac pour la journée !
    Elkabbach, c'est toute l'arrogance du journaliste moderne parvenu ; un nouveau "type" balzacien. L'arrogance combinée à une bonne et loyale servilité vis-à-vis de l'oligarchie en place, récompensée par la direction d'une chaîne publique de propagande démocratique - sans téléspectateurs, sans intérêt, bref sans rien que de généreux appointements pour son directeur.

    Bernard Arnault ne vaut guère mieux. Logiquement, ce bon apôtre du "libéralisme" devrait fustiger Elkabbach pour ses liens ambigus avec le pouvoir politique et le gaspillage d'argent public que représente la chaîne parlementaire… Eh bien non, Bernard Arnault est venu dénoncer à la radio le "marxisme" des Français qui empêche la France de faire des bénéfices comme elle devrait. Désormais, les directeurs d'hypermarchés n'hésitent plus à afficher leur prétention à tracer la politique du pays. Ce Savonarole du taux de profit est tellement caricatural qu'on en rirait si ce n'était pas inquiétant. Le sens politique de ce bouffon triste est à peu près aussi sûr que ses goûts artistiques. Mais dans notre civilisation ô combien raffinée, la voix des milliardaires est d'or.

    *

    Qu'en est-il, d'abord, du "business" de Bernard Arnault ? Il est à craindre que le philistin Bernard Arnault ne soit en train de subvertir sur une grande échelle un des métiers les plus accomplis qui soit, celui d'artisan, et non de soutenir l'artisanat comme il le prétend. En effet, on peut avoir des soupçons sur des produits qui sont soutenus par un tel matraquage publicitaire, je pense par exemple aux fameux sacs Vuitton. La véritable qualité n'a pas besoin de beaucoup de publicité, le bouche-à-oreille est suffisant.
    En fait, Arnault vend l'IMAGE d'un produit français artisanal de qualité, mais en réalité ces sacs sont d'une qualité assez médiocre. Ce n'est pas l'artisanat qu'Arnault soutient, mais la canaille des publicitaires, prête à tout, au mensonge, au maquereautage, à l'exaltation de valeurs hypocrites, pour fourguer n'importe quelle camelote. L'entreprise d'Arnault est fondée sur le bluff, toute l'astuce est d'abuser de la confiance de clients qui ne regardent pas à la dépense et de leur vendre des marchandises à un coût exorbitant qui ne correspond pas à leur véritable valeur (c'est-à-dire que ces clients pourraient trouver des marchandises de bien meilleure qualité et plus élégant pour un coût inférieur.)

    *

    Ensuite, sur l'économie, Bernard Arnault a des idées de collégien. Il est bien mal venu pour critiquer Marx qui a consacré trente ans de sa vie à la micro et à la macro-économie. L'analyse de Bernard Arnault : "Les États-Unis ont le meilleur taux de croissance, donc c'est l'exemple des États-Unis qu'il faut suivre pour que la France s'enrichisse et que le nombre des chômeurs diminue.", ça relève de l'idéologie la plus pure. De façon plus réaliste, c'est surtout parce que les États-Unis disposent depuis quelques lustres d'une position politique prééminente que leur croissance est forte. Ils sont en mesure dans bien des secteurs d'imposer, non pas de proposer, l'achat de leurs produits. Un autre exemple : dans le domaine des technologies de communication, si l'internet s'est imposé alors qu'il avait été devancé par la technologie française du minitel, c'est en grande partie pour des raisons politiques aussi ; le combat du minitel était quasiment perdu d'avance.
    La solidité du dollar met aussi en confiance depuis longtemps les investisseurs étrangers, et cette solidité repose essentiellement sur des critères politiques. Évidemment, il y a d'autres raisons politiques, démographiques, qu'un économiste sérieux pourrait recenser et articuler. Tout ça pour dire que la réalité économique est très éloignée du leitmotiv de Bernard Arnault. Pour résumer, on pourrait qualifier au contraire l'économie des États-Unis "d'économie la moins libérale du monde".
    Qu'Arnault lise l'abbé Galiani ! Il a plus de deux siècles de retard dans le domaine de la compréhension des phénomènes économiques. Déjà Diderot, fasciné par les schémas anglo-saxons libéraux, avait admis de bon cœur que ses vues empruntées à certains économistes anglais avaient le mérite de la simplicité, voire de la poésie, mais qu'elles étaient un peu courtes et ne résistaient pas à l'analyse historique.

    Il est frappant de voir à quel point le libéralisme se réfère à des théoriciens dépassés, de Malthus à Smith en passant par Kant, Rousseau, Darwin, la science a relégué tout ça depuis longtemps !
    Deux possibilités : ou Arnault est un imbécile, ou c'est un hypocrite. Une preuve supplémentaire ? On l'entend pester contre le marxisme dans la société française, mais il n'a pas un mot de protestation, ni lui ni aucun de ses confrères, lorsque le chef de l'État va jouer les représentants en Chine communiste du "business" français. Le marxisme est probablement pour Arnault une sorte de mauvais génie qui empêche le "business" de marcher à plein régime. Ce grand duc de l'économie française n'est même pas "immoral", il est proprement "amoral".

  • Trêve pascale

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    Je me suis un peu calmé contre Benoît XVI. Son voyage diplomatique en Turquie n'y est pas pour rien ; à l'idéologie allemande a succédé le pragmatisme allemand, de mon point de vue. Il faut laisser la question turque aux Allemands, ils sont mieux placés que les Français, à cheval sur leurs principes républicains, pour traiter avec les Turcs.
    Plus calmement, donc, ce qui me gêne dans l'appel de Benoît XVI à plus de rationalité, c'est son flou qui entoure son exorde. Le retour à la pensée grecque, fort bien, mais de quels Grecs Benoît XVI parle-t-il ? de Thucydide ou d'Homère ? de Platon ou d'Aristote ? de Sophocle ou d'Aristophane ? de Protagoras ou de Socrate ? Vu que les Grecs ont tout dit et presque tout inventé…

    En farfouillant aux Puces de Saint-Ouen à la recherche de la perle rare, j'ai exhumé ce petit trésor de l'Éducation nationale française d'avant la réforme libérale : Une Histoire sommaire de la littérature grecque de H. Petitmangin. Comme il en dit plus long qu'une encyclique sur l'"esprit grec", je recopie, pour préciser utilement le "néo-classicisme" du pape :

    Origine du peuple grec - On ne peut affirmer que bien peu de chose sur l'origine des Grecs.

    La légende - Les Grecs, les Athéniens surtout, croyaient leur race "autochtone", née dans le pays même. Pour expliquer la parenté des ses diverses branches, ils les disaient issues des fils d'Hellen, leur ancêtre commun.

    L'histoire - Il semble qu'en réalité le peuple grec provienne de la fusion de plusieurs races : les antiques Pélasges, qui occupèrent la Grèce continentale à l'âge de la pierre ; les Egéo-crétois, répandus en Crète et dans les Cyclades à l'âge du bronze : les Achéens, qui arrivèrent par le Nord vers le XVe siècle avant J.-C. et qui furent suivis au XIIe par un peuple de même origine, les Doriens. Quoi qu'il en soit, les Grecs étaient certainement de race aryenne et apparentés aux Italiotes, comme le prouvent surtout des analogies de religion et de langue.

    Les pays grecs - Ce qui caractérise le pays occupé par les Grecs, même à ne considérer que la Grèce continentale, c'est la variété.
    On y trouve des montagnes, rocheuses ou verdoyantes, souvent couronnées de neige ; des vallées pittoresques et riantes ; des plaines d'étendue modérée, mais fertiles ; la mer découpe dans les terres des golfes profonds ; cette mer est parsemée d'îles nombreuses qui encourageaient la navigation.
    Le climat varie aussi d'une région à l'autre ; mais nulle part il ne paralyse l'activité ou l'énergie. Un ciel pur découpe partout des horizons nets qui semblent prédisposer l'esprit à la clarté.

    La race grecque - Ces conditions développèrent harmonieusement chez les Grecs le physique et le moral.
    Au physique la race grecque est élégante, souple et robuste. Ces qualités sont encore accrues par la frugalité qu'impose la médiocre fertilité de l'ensemble du pays et par la pratique constante de la gymnastique.
    Au moral, la race grecque est caractérisée d'une part par l'énergie individuelle : c'est un peuple de bergers, de cultivateurs et de marins ; d'autre part, par la variété des aptitudes : en effet, la raison, l'imagination, la sensibilité se développent parallèlement dans le plus heureux équilibre. Grâce à cette variété et à cette harmonie des facultés, le Grec, sans jamais perdre de vue le réel et le pratique, aimera à le dépasser par la curiosité désintéressée pour aller jusqu'à l'art et jusqu'à la science. Quelques défauts menaçaient cependant le tempérament des Grecs. Leur finesse pouvait dégénérer en subtilité et leur souplesse en frivolité. Mais ces défauts ne seront sensibles qu'à certaines époques et dans certaines œuvres.

    Les idées morales et religieuses - Le progrès des idées morales et politiques se constatera dans les œuvres littéraires ; faisons seulement les remarques suivantes :
    - La morale des Grecs reste caractérisée par le sens de la mesure. cette morale n'a rien d'austère ; on pourrait bien plutôt lui reprocher des complaisances excessives pour les faiblesses de la nature humaine. Son originalité lui vient aussi de son union avec le sens de l'art. Les Grecs aiment à fondre le beau et le bien dans un idéal unique.
    - Au point de vue politique, le morcellement du pays en régions différentes a gêné chez eux l'éclosion de l'idée d'une patrie unique. Aussi l'histoire grecque a surtout à raconter des luttes entre les diverses cités. Ce fut un avantage pour la variété de l'art qui revêtit des caractères différents chez les Ioniens, plus souples et plus légers, et chez les Doriens, plus graves et plus austères.

    La religion grecque
    - La religion grecque était anthropomorphique, c'est-à-dire qu'elle tendait à représenter les dieux avec la forme et la mentalité humaines. Une telle conception religieuse était favorable aux arts, puisque la nature divine apparaissait comme une forme humaine idéalisée.
    - Le naturisme : les dieux grecs personnifiaient ordinairement des forces de la nature ; aussi la littérature grecque ne s'enferme pas dans la psychologie humaine, elle s'intéresse aux spectacles de la nature extérieure.
    - La mythologie : elle constituait une source très riche d'inspiration artistique. Ce vaste cycle de traditions qui fondait ensemble les croyances religieuses et les légendes de la préhistoire n'avait rien de rigide ni d'absolu. Le sculpteur, le peintre et le philosophe pouvaient s'en inspirer en toute liberté, aussi bien que le poète.
    - Les inconvénients : mais cette religion trop humaine manquait d'élévation morale. Elle fermait les sources les plus profondes de l'inspiration : le problème de la destinée ne se pose jamais pour les écrivains grecs païens avec cette acuité profonde et cette profondeur qui donnent un caractère si sublime à la littérature issue du christianisme.

    La famille et l'éducation
    - La famille grecque fut longtemps caractérisée par l'effacement du rôle de la femme, qui restait le plus souvent enfermée dans le gynécée. Cela a pu priver la littérature d'une certaine délicatesse, surtout dans l'expression des sentiments tendres.
    - En revanche, l'éducation de l'enfant était très favorable à la culture littéraire. La musique et la gymnastique donnaient de bonne heure au jeune grec le sens de la mesure, de la justesse et de l'harmonie. Il apprenait par cœur de longs passages des poètes, d'Homère surtout, ce qui constituait pour lui une formation à la fois intellectuelle et morale. Cette éducation se continuait par des conversations avec des personnes âgées.
    Aussi jamais peuple n'eut, dans son ensemble, un goût plus sûr.

  • Clause de conscience

    La "clause de conscience" est un des nombreux privilèges accordés aux journalistes. Elle s'ajoute à leur quasi-irresponsabilité pénale et civile, un abattement fiscal de 30 %, l'accès gratuit à pas mal de spectacles ou de musées.
    La "clause de conscience" a deux avantages : le premier, c'est des allocs-chômage en cas de démission ; le deuxième avantage, c'est que cette clause implique que les journalistes ont une conscience, alors qu'on se rend bien compte si on ouvre un peu les yeux que la plupart d'entre eux en sont complètement dépourvus et que le niveau moral moyen de cette profession est un des plus bas qui soit.

    Si, au cours de cette campagne électorale, la crise morale et politique que nous traversons n'est pas évoquée publiquement, au profit de futilités comme l'adoption par des couples homosexuels, l'augmentation du SMIC ou la définition de l'"identité nationale", ce n'est pas avant tout la faute des hommes politiques, mais bien celle des journalistes et de ceux qui les écoutent.
    Que font les journalistes ? Ils orchestrent l'affrontement idéologique entre les Français, leurs fournissent des boucs émissaires, publient des sondages. Les bobos peuvent bien faire la fine bouche quand on parle de sondages, il est évident que les sondages sont un rouage essentiel du système démocratique français, un facteur de légitimation important de l'oligarchie au pouvoir.

    *

    Un long reportage récemment diffusé par le service public sur la crise du logement en France m'a paru caractéristique du rôle de propagande néfaste joué par les journalistes. La démocratie n'a rien à envier au communisme ou au nazisme quand il s'agit de manipuler les masses.

    Pour "dénoncer" la crise du logement et son ampleur, le reportage se concentre autour de l'exemple d'un couple de petits fonctionnaires parents de deux jeunes enfants et vivant dans un appartement de 58 m2 dans le XIXe arrondissement de Paris. Revenus : 3000 euros net par mois. Cette famille rêve de vivre dans 70 m2 ; ils ne veulent pas s'éloigner trop de Paris. Ils ne trouvent rien correspondant à leur souhait à moins de 1900 euros par mois. Et le reporter de crier au scandale et de faire crier au scandale ce couple de "mal-logés". La France est probablement le seul pays au monde où une telle situation peut être présentée comme étant scandaleuse à des téléspectateurs mal réveillés.

    Les autres témoignages à l'appui de cette démonstration sont brefs et plus que douteux, tel ce garçon de café qui vit sous une tente, malgré des revenus qui excèdent 1000 euros par mois, et qui dit qu'il a dû quitter l'hôtel qui lui coûtait trop cher (40 euros/jour), et qu'il s'est retrouvé "à la rue", "sans même un sac de couchage !". Qu'est-ce qu'il faut pas dire pour émouvoir dans les chaumières… Il n'avait pas les moyens de s'acheter un sac de couchage, peut-être ?
    On nous montre aussi des familles africaines qui vivent à six ou sept dans vingt ou trente mètres carrés et attendent un logement social de la Ville de Paris. Quel Africain s'attend à vivre autrement que dans la promiscuité lorsqu'il franchit la Méditerranée pour venir travailler en France ? D'ailleurs ces gens ont la dignité de ne pas se plaindre. Ah, si, ils se plaignent que les SDF du Canal St-Martin, grâce à une poignée de bobos médiatiques, leur soient passés devant alors qu'ils faisaient la queue, eux, depuis sept ou huit ans.
    Le témoignage d'un agent immobilier appelé en renfort pour pester contre l'injustice sociale ne manque pas de sel non plus : les agents immobiliers sont bien entendu les premiers à bénéficier de la hausse excessive des prix de l'immobilier !

    Le but visé par les "reporters" du service public était de se faire passer pour des chevaliers blancs, de se donner bonne conscience à peu de frais en criant "haro sur le proprio". Ce faisant, les médias ne font qu'aggraver les difficultés de ceux qui n'ont pas de carte de presse et ont plus de mal à se loger. Face à la pression de lois sociales dictées bien souvent par les médias, les propriétaires s'adaptent ; ils se sont déjà adaptés en faisant de plus en plus appel à des agents mercenaires qui se chargent de la louer pour leur compte et appliquent des règles encore plus strictes qu'avant. Ou bien les propriétaires liquident leurs biens immobiliers, investissent dans des garages, louent à des sociétés.
    Quiconque connaît un tant soit peu Paris voit bien que petit à petit le Paris populaire se vide, les immigrés, les ouvriers, les employés en sont chassés par la racaille des journalistes, des publicitaires ou des techniciens du cinéma. Au lieu de s'en prendre aux propriétaires, on aimerait que ces valeureux journalistes, toujours prêts à dégainer leur déontologie, s'en prennent plutôt aux grand capital qui finance leurs activités.

  • Les 12 travaux de Lapinos

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    Le comble, c’est de manquer de clarté lorsqu’on entend dénoncer l’obscurantisme. Le reproche m’a été fait d’être illogique, par exemple, lorsque je mets Kant et les "existentialistes" dans le même panier avant de les balancer à la mer lestés de plomb. Je me suis senti comme l’arroseur arrosé…

    J’insiste pour faire de Kant le premier “grand nul” de la philosophie moderne, symboliquement. Nulle fonction ET nul style. À l’aide de la raison pure, on peut démontrer que l’homme n’existe pas - belle phénoménologie en vérité ! Cela rappelle les théologiens les plus pervers du Moyen-âge.

    Kierkegaard, Heidegger, tous les "existentialistes officiels" n’ont fait que bâtir au-dessus de ces fondations le château de cartes spéculatif et relever à leur tour le défi lancé à la réalité par Kant.
    Quant à la morale tirée de la raison pratique, concrètement, si je peux dire, c’est celle du bobo, du journaliste. Or ce discours éthique inconsistant, on nous le sert en entrée, en plat de résistance, et au dessert ! Il faudrait dire “merci” en prime ?

    Bien sûr, c’est pas cette philosophie dans le vent qui a enfanté le système démocratico-capitaliste, c’est au contraire l’état de désagrégation sociale où l’économie capitaliste nous a fait tomber qui est particulièrement propice à la prolifération de la mauvaise herbe. Les sophistes grecs entendaient mettre la rhétorique à leur service. Nos sophistes, eux, de gauche comme de droite, Onfray ou Finkielkraut, même au plan de la rhétorique, ne valent pas tripette. À vaincre sans contradicteurs, ils triomphent sans gloire. Il y a toujours eu, même dans l’Union soviétique, des volontaires pour tenir le rôle, pas forcément très gratifiant, de “penseurs officiels” du régime. Plus belle la vie ! ou Onfray, c'est la même idéologie. Finkielkraut, lui, sa philosophie, est plutôt dans cet insupportable navet : Amélie Poulain.

    Ce n’est pas seulement la fragilité et la médiocrité des principes économiques libéraux, l'essayiste Jacques Généreux “oublie” que les propagandes socialiste, féministe, athée, démocrate-chrétienne, patronale ou syndicale (les syndicalistes français ne font que réclamer une meilleure répartition des richesses au sein du système capitaliste, quand Marx combat l'oppression sociale), tendent à discréditer, censurer, diffamer, saboter toute pensée qui contient des ferments de "solidarité", toute pensée qui va à l'encontre de l'atomisation du monde occidental - que cette pensée soit catholique, musulmane, marxiste ou royaliste…

    C’est parce que la nature a horreur du vide que les petits systèmes de pensée individuels font florès.

  • Totems et tabous

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    Je le dis franchement aux fidèles de la religion laïque qui passeraient par là, l'art sacré républicain provoque parfois une réaction de dégoût esthétique chez les catholiques. Tous ces fétiches, toutes ces devises, cette statuaire grandiloquente, ces superstitions, ces monuments… à force donnent un haut-le-corps, d'autant plus en période électorale où on nous rebat les oreilles du matin au soir de sermons laïcs, de cérémonies républicaines, de sondages d'opinion. En Union soviétique, au moins, aux confins de l'empire, on pouvait échapper à la propagande. Chez nous, il n'y a guère qu'au beau milieu des monts pelés du Larzac ou des landes dépeuplées du Finistère intérieur qu'on peut se recueillir et prier un autre Dieu. Et encore risque-t-on d'y tomber sur un militant de José Bové !
    J'admets avoir été bien reçu chez des militants de José Bové, un jour où il faisait froid et que je grelottais, je n'avais pas mangé depuis deux jours, ils m'ont ouvert la porte de leur logis, ils m'ont servi une omelette au lard et aux champignons inoubliable, ils m'ont fait faire le tour de leur plantation de cannabis et m'ont enseigné l'art d'élever cette plante capricieuse… mais qu'est-ce qu'ils ont pu me casser les couilles avec leur prêchi-prêcha égalitaire, et Untel s'en met trop dans les fouilles, et blablabla, la barbe.

    Pour que les athées comprennent que leur art n'est pas aussi "universel" qu'ils ont l'habitude de l'estimer, ils doivent faire cette comparaison avec la production catholique dite "sulpicienne", l'effet que peuvent leur faire ces statues "kitsch", fabriquées en série, ou cette peinture trop "léchée", imitée d'Ingres, mais dépourvue de tout ce qui fait le talent d'Ingres, une féminité à la fois lourde et sensuelle.
    Certes, les laïcs peuvent revendiquer David, mais David est surtout un bon portraitiste. C'est-à-dire qu'à l'exception notable de son "Marat", où la foi du martyr républicain est magistralement rendue, l'art religieux de David n'est pas très vivant. De fait on ne peut mettre sur le même plan les "Noces" de Vélazquez et le "Couronnement de Napoléon" qu'à condition d'avoir une connaissance… approximative (j'ai failli dire "démocratique") de l'art pictural. À tout prendre, "Le Radeau de la Méduse" est un morceau d'art sacré bien supérieur. Le désespoir fou de ces condamnés au néant des abysses, qui tendent les bras vers l'horizon presque vide… à côté de ce morceau d'anthologie, "L'Être et le Néant" de Sartre, quelle piètre expression !

    J'ose le dire, s'il n'y avait pas David, je placerais l'art démocratique à peu près au même niveau que l'art nazi.

    *

    Alors, au milieu de tout ça, le panthéisme de Nicolas Hulot est assez divertissant. On a beau se sentir éloigné des civilisations primitives, le panthéisme n'est jamais très loin. Même si la société capitaliste s'interpose largement entre l'homme et la nature, évidemment cet écran est artificiel, la société, aussi "high-tech" soit elle, ne fait pas le poids face aux forces de la nature, et l'homme ne peut tout à fait en perdre la conscience.
    L'angoisse existentielle, que la surabondance de biens de consommation ne parvient pas complètement à étouffer, pousse de façon cyclique les citoyens vers le panthéisme. Il ne s'agit pas en cette circonstance du panthéisme de Rousseau, beaucoup plus poétique, ni de celui de Diderot, beaucoup plus grec, non, c'est un panthéisme qui a des causes essentiellement psychologiques.

    Ce qui permet de parler de "poussée de fièvre religieuse panthéiste", c'est que si Nicolas Hulot est certainement au courant de la théorie climatique et des indices du Hambougeois Detlef Quadfasel, par exemple, la plupart de ses ouailles n'en ont même pas entendu parler. Ils font entièrement confiance à un animateur de télé, quelques présentateurs vedettes, voire d'"éminents" éditorialistes, comme le fruste dévôt fait confiance au prêtre qui lui parle de la vie éternelle. C'est la foi du charbonnier. J'ai fait cette expérience de demander à un disciple de Nicolas Hulot de m'expliquer comment le réchauffement dû à l'effet de serre pouvait provoquer pardoxalement un refroidissement de l'Europe jusqu'à atteindre une température sibérienne, et il m'a regardé avec l'air d'un catéchumène à qui on se mettrait à causer transsubstantation. Alors que c'est à la portée de tout le monde, la théorie de Quadfasel, en gros.
    Ce n'est pas un hasard non plus si le discours de Hulot est complètement infecté de malthusianisme, et qu'il est par conséquent complètement "régressif", ce n'est pas seulement parce que Hulot n'est qu'un vulgaire animateur télé.
    Même s'ils ne représentent plus qu'une part infime de l'opinion publique, les catholiques ont une réaction face à cette ferveur parfaitement logique. Évidemment leur foi en Dieu, dominant les forces de la nature, les protège contre la peur de l'apocalypse. Et puis les chrétiens sont habitués à une morale qui réprouve le gaspillage, il suffit de se rappeler Jésus, qui après que les pains sont distribués à la foule, insiste pour que l'excédent soit soigneusement réservé.
    Le discours démocratique de Nicolas Hulot, qui évite autant que possible la morale, c'est le "tri sélectif" (ça sonne un peu nazi comme expression), nos oreilles ne sont pas faites pour ce langage.
    Et puis il y a une tradition scientifique encore vivace qui permet aux catholiques de voir que les harangues de Hulot sont tout ce qu'il y a de plus confus, au moins, au plan des sciences humaines et des sciences de la nature - et même des sciences politiques. Il apparaît clairement aux catholiques, je ne parle pas évidemment des imbéciles démocrates-chrétiens, compromis jusqu'au cou, que pour prendre des décisions impopulaires, rapidement, comme le réclame Nicolas Hulot, nul régime n'est moins bien adapté que le régime démago-capitaliste.

  • Le haschish du peuple

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    On peut penser que l'"identité française", le mieux placé pour la définir, ça serait un étranger ayant vécu dans son pays assez longtemps, puis en France. Cela suppose une certaine curiosité de sa part, évidemment, et aussi de la sincérité, sans être trop naïf. En effet, on voit bien qu'un Français de souche comme moi, ou un fils de métèque comme Sarkozy - au sens de la démocratie athénienne -, manquent forcément de recul pour juger de ce que c'est qu'un Français, au plan ontologique.
    Il vaudrait mieux donc interroger un immigré malien (à condition qu'il ne soit pas manipulé par "SOS-Racisme"), ou encore le Roi du Maroc (à condition qu'il ne soit pas manipulé par Chirac), par exemple. On pourrait aussi demander à des Bruxellois ou des Wallons, généralement ils connaissent bien la France.
    Peut-être que le portrait que ces gens brosseraient de nous nous déplairait ? Forcément, les critiques de l'étranger ne sont pas toujours bien accueillies par les indigènes, même dans un pays tel que le nôtre où on pousse l'antiracisme assez loin. La susceptibilité est-elle un élément typique de l'identité française ?

    *

    Trêve de plaisanterie. D'un concept bénin, comme celui de l'identité française - l'avenir dira si c'était un bon slogan -, rien n'empêche d'obliquer vers des notions objectives.
    Il est bien plus intéressant de se demander quelle est la RELIGION française, la nouvelle, celle qui a remplacé l'ancienne petit à petit. Car il n'est pas besoin d'être un grand "sociologue" comme Marx ou comme Simone Weil, comme Balzac ou Evelyn Waugh, pour voir qu'un pays ne peut se passer d'une religion. Sans cet opium, la souffrance morale de la population serait insupportable, la cohésion sociale véritablement menacée.

    Mettons de côté l'islam, très minoritaire en France, même s'il est de mieux en mieux vu dans la population d'origine africaine de se réclamer du Coran, mais c'est en partie pour faire de la provoc' ; mettons aussi le catholicisme de côté, puisque 3 % seulement des Français d'origine catholique se disent "pratiquants" désormais.

    Concentrons-nous plutôt sur la religion dominante qui unit les 90 % de Français qui restent.
    Évidemment, le terme même de "religion" est rejeté par une partie de ces Français, athées ou agnostiques, vu qu'il n'appartient pas à leur vocabulaire. Objection de pure forme. On retrouve bien :
    - les prêcheurs de la démocratie (Tous les philosophes de la télé, les présentateurs des actualités, les éditorialistes du Monde, les instituteurs, etc.) ;
    - les dogmes démocratiques intangibles ("L'homme descend du singe", "La femme est l'égale de l'homme", "Les Américains ont sauvé la démocratie", etc.) ;
    - les célébrations démocratiques (Le "14 juillet", les scrutins avec tout le rituel des sondages, le journal de 20 h, la coupe du monde de foot, etc.) ;
    - les saints démocratiques (Dreyfus, Zola, Jaurès, Che Guevara, Zidane, Jean Moulin, etc.) ;
    - les mythes démocratiques, comme dirait Lévi-Strauss ("La Prise de la Bastille", "La Résistance française au nazisme", etc.) ;
    - la morale démocratique ("Ne fume pas", "Mets une capote", "Verse de l'argent au sidaction et aux Restaus du cœur", "Brosse-toi bien les dents", "Mange cinq légumes pas jour", etc.) ;
    - les docteurs de l'Église démocratique (Voltaire, Rousseau, Zola, Michelet, Sartre, Littell, etc.)…
    La religion démocratique a même ses hérétiques, qu'on aimerait bien faire griller à petit feu, mais on doit se contenter de leur faire des procès en sorcellerie. Houellebecq est un de ces hérétiques - une sorte de Galilée du XXIe siècle.

    *

    Bien sûr, les athées de gauche diront qu'ils n'ont pas le même credo que les athées de droite ou les déistes du centre, mais quelle religion ne connaît pas des schismes et des chapelles ? On pourrait aisément définir un PGCD, mais la dialectique marxiste me paraît plus intéressante.
    Prolongeons cependant encore la symétrie entre les religions de nos aïeux et la nouvelle religion démocratique/athée/laïque. Sur le plan psychologique, un catholique éprouve de la pitié pour un athée, privé de Dieu, poursuivant des idées chimériques. C'est mon cas, lorsque je suis en présence d'un athée sincère/véritable, ce qui je dois dire ne m'est arrivé que très rarement en France, plus souvent aux États-Unis, sans doute c'est dû à l'organisation différente de la religion d'État yankie, une organisation plus "protestante", moins jacobine.
    Chez le fidèle athée, on retrouve la même pitié, en théorie, pour le musulman ou le catholique pratiquant : « Pauvres gens, pensent-ils, ils sont si persuadés que lorsqu'ils mourront et seront déversés directement dans le Néant, ils seront immanquablement très désappointés ! » ; ou, vis-à-vis des musulmans : « Pauvres gens, ils ont l'air si convaincus de trouver de jeunes vierges au Paradis d'Allah que lorsqu'ils ne verront qu'un grand trou sans fond, ils regretteront de ne pas avoir construit une vie de couple adulte et responsable, d'égal à égal, et souscrit à un crédit immobilier sur trente ans ! De jeunes vierges, tss, tss, ça n'est vraiment pas sérieux… »

    Il est parfaitement logique que les fidèles de la religion dominante soient moins bien informés des religions minoritaires et que leurs remarques soient un peu plus… naïves. De même que l'esprit critique et la dialectique sont beaucoup moins à leur portée, beaucoup plus "dérangeantes".
    Après la thèse, il faut passer à l'antithèse, puis faire la synthèse. J'ai parlé de la morale, des dogmes, des mythes, des prêtres, mais pas de Dieu lui-même (ni de l'art). C'est volontaire, je gardais Dieu pour la synthèse. Qui joue le rôle de Dieu dans la religion démocratique ? Ça manque peut-être un peu de rigueur comme méthode, mais je préfère vous laisser deviner.

  • En rase campagne

    Un des rares côtés amusants de cette campagne présidentielle, à laquelle les blogues ne font que donner encore plus d'épaisseur démagogique, c'est les citations des candidats. La démocratie exige quand même un vernis culturel minimum.
    Sarkozy déclare à Ségolène qu'elle n'a pas le monopole de Jaurès. Mais il hésite encore à citer Maurras pour piquer des voix à Le Pen. Frédéric Mistral serait une solution intermédiaire, d'autant plus que le régionalisme est à la mode.
    Le Pen, lui, frime en citant La Fontaine en vieux français. Il pourrait aussi citer Engels, qui a fait de beaux compliments à la France, mais les journalistes risqueraient d'insinuer que Engels était un officier SS. Le Monde a bien attribué un jour une citation de saint Jean à Adolf Hitler - deux abonnés avaient protesté.

    Besancenot évite de citer Marx, sa culture c'est plutôt "Pif gadget", pas facile à assumer en public - ou Tintin, mais Tintin est beaucoup trop facho…
    Bayrou, lui, c'est le successeur de Chirac, il évite de faire des citations, c'est déjà assez difficile de maîtriser son élocution comme ça. Il préfère laisser dire qu'il a écrit un bouquin sur Henri IV, qui prouve qu'on peut retourner sa veste avec panache. Bayrou c'est le candidat "poule au pot", il devrait se faire photographier la bouche pleine sur ses affiches, en train de banqueter avec des potes. C'est peut-être le carême qui le retient ?

    Pour défendre son slogan d'identité française, Sarkozy cite Lévi-Strauss. Ça c'est classieux, Lévi-Strauss, voilà que Sarkozy drague les bobos maintenant ? Il sait vraiment plus où il en est, notre "Candide à la présidentielle". J'entends parfois Ségolène se faire traiter de Bécassine. Même moi je n'oserais pas causer à une femme comme ça, surtout une femme qui porte le tailleur comme Ségolène, misogyne mais pas goujat. Se méfier de Bécassine - elle a les pieds sur terre, elle.

    Bien sûr l'identité française ça ne veut rien dire, c'est indéfinissable, un sujet de querelle infini. Jettez cet os à deux ontologistes, sûr qu'un an après ils le remâchent encore. Sarkozy veut draguer les électeurs de Le Pen, mais il les connaît mal, il se goure, il ne sait faire que du Mégret, c'est peu.
    Lévi-Strauss s'intéresse à des tribus primitives, sans archives historiques, circonscrites, homogènes racialement, qu'il est plus facile de saisir globalement qu'une grande nation "historique", et malgré ça les comparaisons et les conclusions de Lévi-Strauss restent schématiques.

    La preuve que l'identité française est un gadget de publicitaire, c'est que je n'adhère a priori à aucune des valeurs prétendûment françaises dont Sarkozy se réclame. Pourtant, dans la réalité, on est tous les deux Français, nos mœurs, nos goûts, ne diffèrent certainement pas beaucoup. Peut-être même préfère-t-il le cassoulet au goulash, comme moi ?
    Les avocats et les énarques ont vraiment le don d'inventer de ces bidules complètement inutiles ! Si Ségolène promet un peu de rigueur féminine, un peu moins de philosophie, je suis prêt à voter pour elle au second tour.

  • À la passoire

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    À côté de la production de petits romans rédigés par des avatars d'Anna Gavalda, destinés à satisfaire le marché des midinettes qui lisent la presse féminine, comme aucun mec ne veut lire ce genre de truc, il y a la production d'essais sérieux pour les cadres dynamiques de trente à cinquante piges. Les mecs aiment les trucs sérieux. Il y a ce côté-là dans le marketing de Johnatan Littell, un côté « Tout ce que vous voulez savoir sur la Choa et que vous n'osez pas demander à votre prof. ou à votre grand-père résistant », ou : Les Camps d'extermination pour les Nuls.

    L'empilement d'essais politiques, économiques, philosophiques, est donc vertigineux. Mais si on pouvait passer toutes ces spéculations à la moulinette, puis à la passoire, combien d'idées originales resterait-il ? L'"UFC-Que Choisir" se contente de dénoncer les arnaques dans les paniers à provisions, les excédents de colorants, conservateurs et arômes artificiels divers dans les yahourts et les confitures, les étiquettes mensongères. Qui ne vit pas seulement de yahourts et de confitures peut s'en plaindre… Toute cette "littérature" est excessivement fadasse quand elle n'est pas toxique.

    Prenons tout de même l'exemple, pris au hasard ou presque, de la thèse de Jacques Généreux. Généreux est prof à Sciences-po. et fabiusien. D'où le titre chiant et orgueilleux de sa thèse : La Dissociété. Bon, c'est toujours moins bénin que La Société du spectacle, comme slogan. Il n'y a plus que ce guignol de Sollers à se réclamer encore de Guy Debord à ma connaissance, et quelques journalistes soixante-huitards attardés dans Libé.

    Jacques Généreux, aussi paradoxal que ça puisse paraître pour un fabiusien, est "antilibéral". Tâchons de voir quand même s'il y a moyen de tirer parti d'un essai aussi casse-couilles (Ne serais-je pas finalement un de ces mecs qui aiment qu'une gonzesse ou un essai qui a toutes les apparences du "sérieux" leur casse les couilles ? J'ai un doute existentiel tout à coup.)

    Bien qu'il ne s'agisse pas à proprement parler d'une "révélation", J. Généreux s'attache longuement à démontrer que le libéralisme ne repose sur aucune pensée cohérente, solide. Le substrat de l'idéologie libérale, l'idée de responsabilité individuelle ne rime à rien, qu'elle soit teintée de poésie chez Rousseau ou carrément délirante chez Nitche. Sans la société l'homme n'est rien. Le plus abstrait des philosophes existentialistes, concentré de toutes ses forces sur son égotisme, a un besoin criant des autres. Pas plus que l'égalité, la liberté ou la fraternité, la "responsabilité individuelle" n'a de sens précis.
    On peut le dire autrement : les analyses micro-économiques de Ricardo ou de Smith, sans les corrections et la synthèse macro-économique de Marx, ne sont qu'un outillage abstrait. C’est volontairement que j'introduis Marx, car Généreux a tendance à l’écarter arbitrairement, or la pensée de Marx inclut la sienne et va bien au-delà dans la démonstration de l'oppression moderne.

    *

    Là où Généreux est peut-être utile, c’est lorsqu'il décortique la propagande libérale, qui impose comme des évidences ou des principes certaines tartes à la crème comme la progression constante du progrès technique, le caractère immanent des "lois du marché", le caractère inéluctable de la mondialisation, etc., tartes à la crème qu'on balancerait volontiers dans la poire des libre-échangistes Sorman ou Plunkett, s'ils étaient à portée de tir.
    Le procédé, qu'il soit conscient ou non, consiste à faire passer des lois économiques secondaires pour des principes de portée universelle. C'est l'idée de "liberté des échanges commerciaux", défendue par les Yankis, COMME UN PRINCIPE MORAL, liberté des échanges que les Yankis n'appliquent pas eux-mêmes.
    Comme la France baigne un peu moins dans le jus de l'américanisme que l'Allemagne ou le Royaume-Uni, Sarkozy a compris qu'il valait mieux adapter son discours de campagne. On ne se fait pas élire Président de la République comme on se fait élire Président du Medef. Mais globalement l'idéologie libérale a vaincu l'idéologie communiste, c'est un fait.
    Là où Généreux est malhonnête, c'est qu'il tente d'exonérer le PS de cette victoire de la propagande libérale, alors que le PS en est largement responsable, à commencer par Fabius, avant Strauss-Kahn.

    *

    Et puis ce que Jacques Généreux ne dit pas, c'est que ce combat idéologique a évidemment promu toutes les philosophies kantiennes ou existentialistes, athées ou chrétiennes, de la plus stupide à la plus raffinée, non pas MALGRÉ leur inanité, quel usage peut-on faire d'Heidegger ou de Kant, je vous le demande ?, mais justement À CAUSE de cette inanité même. En des termes plus crus : y'a pas plus facile à enculer qu'un existentialiste ; les philosophes existentialistes ont inventé la "philosophie pour s'accomoder de toutes les infâmies morales." Triomphe de Nitche, de Kant, de Heidegger (Alors même qu'il était encarté au parti national-socialiste !), de Sartre, de Freud, de Picasso - bref de tous les Grands Nuls. Leurs actions valent même plus cher désormais que celles de Voltaire, Diderot ou Rousseau, c'est dire…

    Simultanément, on tente de discréditer toutes les formes de pensées religieuse, politique, sociale, depuis cinquante ans ; l'acharnement est évident contre le catholicisme (Effacé le syllabus de Pie IX, par les catholiques eux-mêmes, sous la pression), mais aussi l'islam (Caricaturé par des philosophes à la solde des médias, tel Redeker, au nom de la liberté), et même Marx, dont le discours politique et social représente aussi un danger pour l'idéologie libérale. On tente même dans l'Université d'enfiler à Bloy ou Claudel des costards de dreyfusards, de transformer Baudelaire en antimoderne ou en proto-punk, de faire passer Péguy pour un hussard de la République. Tout ce qui unit ou dépasse doit être aplani. La moindre des choses de la part d'un socialiste comme Jacques Généreux, ça serait d'admettre que les socialistes ont été en France LES PREMIERS à ouvrir la route à l'idéologie libérale.

  • L'exemple musulman

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    En voyant la minorité musulmane protester avec vigueur il y a quelques mois contre les insultes de Robert Redeker, ce catholique rénégat, aussi dégoûtant, aussi vindicatif qu'un athée, j'ai été jaloux, j'avoue… Quand les évêques français osent-il s'élever contre les insultes contre la religion catholique, qui reviennent régulièrement dans les médias, la presse, la télévision, le cinéma ? Quand ? Pratiquement jamais !
    Au contraire, les évêques défendent le principe de la "liberté d'expression" - on croit rêver, dans un pays où la publicité contrôle la presse à 90 % et où les médias n'ont jamais été aussi inféodés à un groupe restreint de grosses sociétés, quand on entend dire que la liberté d'expression est menacée par les musulmans ! On a ainsi pu observer récemment que Le Monde, qui soutenait Lionel Jospin lors des dernières élections, a complètement changé de ligne politique pour se mettre en conformité avec le discours de Sarkozy, sans changer de direction ! Un tel revirement aurait été impensable au XIXe siècle où il ne s'agissait pas seulement pour les journalistes de faire du remplissage entre deux encarts publicitaires.
    Honneur donc aux musulmans qui montrent l'exemple aux catholiques, très minoritaires eux aussi désormais, et généralement plus lâches.

    J'ai encore été jaloux ce week-end en apprenant l'ouverture de la première banque islamique au Royaume-Uni ! Pendant que les musulmans ouvrent une banque conforme à leurs principes, avec prohibition des taux usuraires, du découvert, des crédits immobiliers à très court terme, pas de comptes rémunérés, pas de thésaurisation, des investissements limités dans des entreprises respectant la morale musulmane… bref, pendant que les musulmans agissent sur le terrain social, que font les cathos ? Que dalle, ils se gargarisent de blabla théologique, ils n'hésitent pas à financer avec leur propre argent des chaînes de télévision ou des groupes de presse ennemis. Qu'ils l'ignorent ou qu'ils s'en foutent, ça revient au même.

  • Le code Rousseau

    Sur la mentalité des femmes de la toute fin du XVIIIe, la correspondance entre Beaumarchais et sa jeune maîtresse Amélie Houret de La Morinaie est éclairante (Maurice Lever et sa femme Évelyne se sont occupés de sa publication après qu’elle fut exhumée dans une vente aux enchères publiques en 2005.)

    Certes, chez Amélie, ce n’est pas encore le féminisme qui imprègne les rapports du couple bourgeois moderne, mais c’est une étape. Il me semble que les idées féministes ont transité par cette sorte d'amour courtois exprimé dans le discours de la maîtresse de Beaumarchais, courtoisie un peu différente de celle du Moyen-âge. À ces calembredaines, Beaumarchais réplique presque invariablement, lorsqu'il réplique, par des propos "épicés" - pas de temps à perdre en vaines homélies.
    De cet amour courtois il reste quelque résidu dans la doctrine de l’Église moderne sur le couple ou dans certains films d'Hollywood qui exploitent la nostalgie du public. Comme cet amour courtois suppose forcément que la femme et l'homme assument des rôles un peu contrastés, les vrais féministes en avance sur leur époque ont relégué ces oripeaux romantiques au grenier ; ils se réclament plutôt de l’hédonisme, cet hédonisme que Michel Onfray veut mettre à la portée des classes populaires, ce qui implique une juste baisse des tarifs de la capote anglaise et des SMS.

    Pour apprécier à sa juste valeur morale le petit extrait que j’ai recopié ci-dessous d’une lettre d’Amélie, il faut savoir que la Comtesse de la Morinaie était une sorte de putain de luxe, une séduisante petite brune aux yeux bleus, pas très richement mariée, qui avait dragué Beaumarchais afin d’augmenter son revenu et celui de sa mère, à sa charge, en passant sous le joug d’une célébrité. Quand la sécurité sociale n’existait pas, il fallait bien trouver moyen de tirer jouissance des rapports humains…

    « (…) Vous avez connu tant d'honnêtes femmes [c’est-à-dire de braves gourdes] qu'elles vous ont donné des préventions terribles contre le sexe entier. Hélas ! à force de me méconnaître, vous m'avez rendue à moi-même, mais en cessant d'avoir de l'amour pour vous, je n'ai pas cessé de vous aimer.

    Il a succédé à cet amour effréné une amitié forte et généreuse qui ne vous quittera jamais. Et pour vous prouver que j'ai plus de sensibilité que d'orgueil, si ma possession pouvait réellement faire votre bonheur, je vous l'offrirais encore
    [Toute l’essence féminine est dans cette phrase, Beaumarchais a dû bien se poiler en la lisant.] Persuadée, mon bon ami, que votre santé a besoin du plus grand repos, que vous vous tuez toutes les fois que vous faites usage de vos facultés physiques, je vous engage à calmer votre tête sur cet objet [Le vieux B. devait mettre encore pas mal de “verdeur” dans ses assauts pour que sa (com)promise les redoute autant, même à distance.]

    Vous êtes blasé, Beaumarchais, parce que vous fûtes trop avide de jouissances matérielles. Quand les gens s'exaltent à ce point, ils absorbent les nobles, les douces affections de l'âme. Ces lettres dont je me suis toujours plainte, et qui vous ont tant de fois fait m'appeler "bégueule" sont le dernier terme de la débauche et la première marque de la dépravation de l'âme
    [Un prêtre moderne ne dirait pas mieux !]
    Ce bon J.J. Rousseau, tant persécuté, tant calomnié, sensible jusqu'à l'épiderme, ce Jean-Jacques qui sera éternellement le dieu des cœurs tendres avait en horreur tous les écrits qui peignaient ce désordre des sens.

    « J'ignorais vous dit-il, que rien n'est moins tendre qu'un libertin, que l'amour n'est pas plus connu d'un débauché que des femmes de mauvaise vie, que la crapule endurcit le cœur, rend ceux qui s'y livrent impudents, grossiers, brutaux, cruels, que leur sang appauvri, dépouillé de cet esprit de vie, qui du cœur porte au cerveau ces charmantes images d'où naît l'ivresse de l'amour, ne leur donne par l'habitude que les âcres picotements du besoin, sans y joindre ces douces impressions qui rendent la sensualité aussi tendre que vive. Qu'on me montre une lettre d'amour d'une main inconnue, je suis assuré de connaître à la lecture si celui qui l'a écrite a des mœurs. Ce n'est qu'aux yeux de ceux qui en ont que les femmes peuvent briller de ces charmes touchants et chastes qui seuls font le délire des cœurs vraiment amoureux. Les débauchés ne voient en elles que des instruments de plaisir qui leur sont aussi méprisables que nécessaires. »

    Comme c’est bien dit de la part de Jean-Jacques, lui qui n’avait pas même besoin de toucher les femmes pour s’enflammer, que sa grandeur d’âme inclinait plutôt vers de jolies paroissiennes aristocrates, mais qui n’hésitait pas à exhiber ses attributs virils devant des lavandières lorsque la pression dans sa culotte était trop forte.
    On voit que la morale de Rousseau, aussi bien que sa politique, bien qu’elles fussent toutes deux assez inimitables, ont nonobstant largement fait école dans les classes bourgeoises.

  • Philosophie à la jarretière

    Surmontant mon dégoût, je poursuis mon exploration de la planète féministe contemporaine. Après Caroline Fourest, faible rhétoricienne qui doit tout à son physique de playmate androgyne - Christine Ockrent, trop proche du pouvoir pour prêter une attention sincère à des peccadilles, qui s'attache surtout à brosser le costard de gentleman frimeur de son "compagnon” (de fortune), en regrettant seulement que celui-ci ait la dégaine de John Kerry et pas celle de Bill Clinton (Christine, tu t'es gourée de "partner", voilà où mènent les sentiments)… j'en viens tout naturellement à aborder le rivage de la docte Sylviane Agacinski.

    Celle-ci a été la compagne de route d'un des philosophes les plus emmerdants et les plus vains de toute la philosophie, auprès de qui Sartre peut passer pour un joyeux farceur (ce qu'il était), puis d'un des hommes politiques les plus emmerdants et les plus vains de toute la politique : c'est dire le parfum de sérieux qui flotte autour d'elle.
    D'ailleurs la philosophe a intitulé son ouvrage majeur La métaphysique des sexes, pas moins. Apprêtez-vous à échapper à l'attraction des frustes instincts terriens et virils, Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs - par ordre de préséance alphabétique -, et à décoller pour de hautes sphères. Il se pourrait même qu'on frôle l'exhaustivité, ne vous étonnez pas si un "voile noir" vous aveugle à un moment où à un autre.

    J'espère que les misogynes "ultras" me pardonneront cette remarque que, de toute évidence, sur le plan théorique Mademoiselle Agacinski est nettement plus intéressante que ses deux mentors successifs. Sa compilation de la théologie et de la morale chrétiennes ne manque pas de rigueur et d'honnêteté. Ainsi Sylviane avoue être tombée sous le charme de Tertullien ; la jolie féministe qui tombe amoureuse du vilain machiste, c'est un grand classique ; en pratique Sartre était on ne peut plus phallocrate et le dévouement de Simone exceptionnel, allant jusqu'à torcher son monstre incontinent alors que son style de vie bourgeois aurait très bien pu l'en dispenser. Je suis même tenté de croire que Simone était une meilleure épouse que sainte Monique, essentiellement dévouée à son fils, elle, ce qui n’est pas exactement pareil.

    *


    C'est la thèse de Sylviane Agacinski qui est beaucoup plus "téléphonée", mais elle a le mérite de ne pas polluer toutes ses recherches antérieures, de venir juste en conclusion de sa Métaphysique. En effet, lorsque Sylviane A. parle de "la nature androcentrée de l'imaginaire chrétien", elle s'enfonce dans l'arbitraire, ce qui n'est pas tellement compatible, autant que je sache, avec un projet "philosophique" moderne.
    Il est bien évident que pour un chrétien, ce sont surtout les athées comme Sylviane A. qui ont l'imagination fertile. C'est comme si Sylviane A., elle, entendait s'ancrer plus profondément dans la réalité. Or qu'en est-il de la réalité athée et féministe ? Pour ce qui est des régimes communistes, bien qu'Arte ou d'autres organes continuent d'en donner une image nostalgique, avec un minimum d'histoire on se rend bien compte que l'égalité communiste, le divorce et l'avortement entièrement libres, n'ont pas élevé l'ouvrière soviétique à une dignité supérieure à celle des autres femmes.
    Pour ce qui est des régimes capitalistes, ils voudraient se parer de vertu en brandissant la bannière du combat contre les deux ou trois cent machos qui brutalisent leurs femmes, mais il n'y a pas besoin de gratter très fort le vernis démocratique de ces régimes pour voir qu'une seule loi morale y est en vigueur, la loi du marché. Et pour le "marché", comme ils disent, il n'y a pas de sexes ni de races, l'argent n'a pas d'odeur. Jospin ou Kouchner auraient-ils agi contre les "lois du marché" qui font de la femme de plus en plus de la chair à publicité, quand ce n'est pas un pur produit de consommation pornographique ?

    L'idée centrale de la thèse, bien qu'exprimée de façon sophistiquée, est simplissime à piger : l'“androcentrisme chrétien” serait une peur de la différence, qui entraînerait un refus de cette différence ; assortie d'un parallèle audacieux (ou foireux) avec l'universalisme des Lumières qui serait aussi une peur de la différence (culturelle). Femmes et noirs, même combat !
    L'inconvénient d'une thèse philosophique, c'est qu'on peut la retourner comme un bas à jarretière. Et si c'était l'égalitarisme athée, plutôt, qui était un refus de la science qui démontre les différences, un nivellement qui fait les affaires des entreprises capitalistes ?

    C'est dommage, Mlle Agacinski aurait pu se montrer encore un peu plus virile, se contenter de remarques historiques pertinentes, et nous dispenser de son bavardage philosophique.

  • La femme modèle

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    C'est sans doute pas une coïncidence si j'ai presque toujours eu le béguin pour des nageuses, rencontrées à la piscine, dans les rouleaux de l'Atlantique ou au bord d'un lac. Les femmes de tête ne me séduisent pas, je m'obstine à préférer les femmes de cuisses, de chevilles ou de tétons.

    À ce propos, on ne peut éviter la question épineuse de la symétrie, épineuse sur le plan des canons de beauté. En ce qui me concerne, j'ai l'œil exercé à remarquer le plus léger déséquilibre. Celui des tétons n'est pas le plus choquant, il est assez répandu. Mais un mollet plus gros que l'autre, cela rompt inévitablement l'harmonie, c'est gênant, quelles que soient par ailleurs les qualités de la femme observée, une épaisse chevelure dorée ou des chairs très fermes. L'admiration et le désir diminuent d'autant. Combien de fois j'ai été tenté d'aborder une femme dans la rue, puis, m'apercevant qu'elle avait un bras plus épais que l'autre, j'ai renoncé à mon projet ? Une fois que j'ai fait ce type d'annotation, je ne peux plus me l'ôter de l'esprit : « Cette fille a un bras plus gros que l'autre, cette fille a un bras plus gros que l'autre… », et cela signifie que je préférerai causer avec elle toute la nuit plutôt que de la croquer, ne serait-ce qu'une poignée de minutes.

    Ce désir de perfection n'est pas très original, on le retrouve dans l'art grec, bien sûr, qui marque les esprits, que de dépit on veuille le saccager, ou d'amour on veuille l'imiter. Mais ce désir de perfection, en ce qui me concerne, n'est pas aussi poussé s'agissant du visage ; à cet étage un peu de déséquilibre ne nuit pas, un nez tordu n'est pas forcément rédhibitoire. Qu'est-ce qui explique cette distorsion entre le visage et le corps ? Est-ce que le visage n'est qu'une partie du tout, une partie secondaire, ou est-ce que le visage est le lieu où se disent les idées, domaine superficiel où un peu de fantaisie est permis ?

    Un mathématicien pourrait être tenté de faire cette objection bénigne que la symétrie n'existe pas dans la nature, mais les mathématiques ne sont qu'une approximation naïve.
    La fierté des peintres véritables de savoir rendre les mains et les visages n'est pas contradictoire avec le propos précédent sur la symétrie. C'est que les mains et le visage s'écartent des schémas et sont d'autant plus difficiles à traduire en signes. Les mains et le visage pour les peintres, ça correspond un peu à l'imparfait du subjonctif des poètes.