Ça faisait trois ans déjà que je l’avais perdue, du jour au lendemain. Je la croyais loin de Paris, quelque part en Italie, en Allemagne, ailleurs. Et puis je ne sais pas ce qui m’a pris, j’ai tapé son nom dans "Google", puis dans l’annuaire. Elle était là, tout près, de nouveau. Je n’ai pas pu m’en empêcher, quelques minutes plus tard j’ai composé son numéro, comme un con. Je suis tombé sur lui. Toujours là. J’ai rusé, mais je crois qu’il a deviné… une voix de gosse inquiet ; la menace que j’avais fait planer autrefois sur la tête de ce brave type, car je suis sûr que c’est un brave type : un astrophysicien, ça ne peut être qu’un brave type - la menace était de retour. Merde, si ç’avait été un avocat ou un toubib, je n’aurais pas eu autant de scrupules, mais un astrophysicien, c’est désarmant.
Les sentiments, c’est l’idéologie la plus difficile à vaincre. Je croyais m’en être débarrassé, depuis le temps. Qu’est-ce qui m’a plu, chez cette fille, en dehors de son cul et de ses molets, honnêtement, hein ? Bac+12 en littérature comparée et même pas foutue de connaître Céline, ni Von Salomon, ni Waugh ; ni même de lire Cicéron dans le texte ; et qu’est-ce qu’elle lisait, cette dinde, pour se distraire ? “Bonjour tristesse” ! Qu’est-ce qu’elle buvait, cette nouille ? De la tisane ! Ses idées politiques ? Aucune ! Elle disait qu’elle était de gauche mais elle ne savait pas bien pourquoi, ça faisait partie de son milieu… bon, pas de baratin, c'est déjà ça.
Est-ce qu’elle baisait bien, au moins ? Mieux qu’une Française, mais c’est pas difficile, les Françaises sont tellement prévisibles, comme programmées.
Alors quoi ? Peut-être c’est cette fêlure qui m'a touché, comme si elle avait connu la guerre, des temps difficiles, qu’elle savait que tout allait exploser dans la minute suivante.
Et quand je lui parlais du bon Dieu et de ses saints, elle me regardait un peu comme si j’étais le type qui a le pot de colle qui va consolider la potiche brisée. Et en même temps, il se peut très bien que j’ai imaginé tout ça, vu qu’elle me regardait aussi en souriant, parfois, comme si j’étais zinzin.
Merde, j’ai honte de ma faiblesse. Aussi loin que je rembobine le fil, ma conscience politique s’est toujours heurtée à mon penchant pour les gonzesses, et vice-versa. Déjà lorsque j’avais dix ans et que la poitrine replète de la petite Laetitia, dix ans aussi mais un châssis de vingt, me faisait l’effet d’un coup de couteau dans le bas-ventre quand je la regardais en coin, tandis que la peau cuivrée de la grande Valérie, deux ans de retard scolaire, soit cinq d’avance, la grande Valérie qui portait des corsages ajourés me faisait palpiter sur mon banc, je luttais, mieux que maintenant, parce que je voyais le commerce avec les gonzesses comme une sorte de truc nihiliste ou bouddhiste, un puits assez immonde dans le fond.
La femme, c’est le repos du guerrier, d’accord, et pour la plupart elles ne désirent rien d’autre, ça saute auxyeux. Encore faut-il des guerriers.