L’hebdomadaire démocrate-chrétien Famille chrétienne, dans la logique de son soutien à la politique démago-libérale de Sarkozy, ouvre ses colonnes à un sociologue yanki pour démontrer à ses lecteurs que le capitalisme a son fondement dans le christianisme qui ne fait pas seulement valoir la foi mais aussi la raison. Comme s'il n'y avait pas assez de fantaisistes comme ça de ce côté-ci de l’Atlantique ! Comme si le capitalisme n’avait pas fait la preuve de son caractère complètement déraisonnable depuis belle lurette !
Ce matin, dans mon supermarché, des pommes pas mûres à un euro cinquante le kilo en provenance d’Australie : quel homme un tant soit peu rationnel ne trouvera pas ce genre de trafic absurde ?
Rodney Stark : ce gugusse diplômé ignore tout manifestement, non seulement du catholicisme, mais aussi du capitalisme et de la Révolution française de 1789 ; celle-ci a porté au pouvoir la classe bourgeoise qui faisait pression pour l’obtenir et renversé à la même époque l’Église catholique, saccagé l’art chrétien, traqué ses prêtres. Même s'il est impossible de faire complètement table rase du passé, les Jacobins avaient bien compris les bénéfices du colbertisme ; et le changement de cap est net comme le couperet de la guillotine.
Marx l’a longuement décortiquée, la dynamique du capitalisme repose sur l’accumulation du capital, l’argent produisant de l’argent en dehors du processus classique d’échange d’une marchandise contre une somme d'argent. Cette “plus-value” qui grossit le capital indéfiniment est inséparable, non seulement du salariat généralisé, de la division accrue du travail et du machinisme, mais aussi du système bancaire actuel, très récent.
Prétendre que ce type d’économie et la course aux gains de productivité étaient contenus en germe dans l’Occident médiéval chrétien, c’est faire comme si l’usure n’y était pas réprouvée. Le crédit à la consommation, le crédit immobilier trentenaire, techniques financières caractéristiques du capitalisme, sont des formes d’usure et, à ce titre, l’Église devrait catégoriquement persister à les condamner. Si elle ne le fait plus, c'est parce qu'elle n'a plus voix au chapitre.
Le système d’épargne boursière également devrait être scandaleux pour le clergé contemporain, et, sûrement, il l’aurait été pour un clerc du Moyen-âge pour qui le commerce devait être subordonné à des fins extérieures et qui aurait forcément trouvé le système spéculatif insane.
Un autre historien, un vrai cette fois, François Furet, a magistralement mis en lumière le fait que le capitalisme surgit dans toute son originalité dans l'Angleterre du XVIIIe siècle, qu’il n’est pas lié au progrès scientifique mais à un contexte politique et social bien différent de celui du Moyen-âge ou même de la France catholique de la même époque.
Famille chrétienne se moque bien de la science et des vrais historiens et préfère gober le discours évolutionniste de M. Stark, qui vaut son pesant de beurre de cacahuète :
« Malheureusement, il faut admettre qu’il y a dans l’Église des anticapitalistes, sans doute victime d’une désinformation [sic]. Pourtant, il ne faut pas confondre capitalisme et matérialisme ! Je ferai plus simplement remarquer au passage que les plus importantes manifestations de générosité individuelles proviennent de la nation la plus capitaliste au monde : les États-Unis d’Amérique. »
(“Famille chrétienne”, 22-28 septembre)
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Plus loin, dans le même hebdo, on peut lire ceci, cette question d'un journaliste, à propos du rugby, qui dénote bien du niveau spirituel atteint par les héritiers de Frédéric Ozanam (1813-1853) :
« Alexandre Arnoux compare le ballon de rugby à une "hostie volante partagée entre deux tabernacles". N'y a-t-il pas une sorte de parabole "eucharistique" dans un match où des hommes se sacrifient en frères pour un Corps qui est l'équipe ? »
Probablement le genre de "catholiques" qui crièrent au scandale lors de la parution il y a 150 ans des Fleurs du Mal de Baudelaire. La "raison" que les démocrates-chrétiens vénèrent sans même s'en apercevoir, c'est la raison du plus fort, celle qui permet par exemple aux capitalistes yankis de dire et de faire n'importe quoi sans être contrecarrés.