Lapinos - Page 141
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Une belle histoire de l'Oncle F.
La comparaison avec l’Augustin de Jerphagnon est tentante. Même format, même volume, même volonté de survoler son personnage et de l’éclairer sous un jour nouveau chez François Brigneau avec Mussolini.
La comparaison s’arrête là, car la tentative de Jerphagnon d’offrir un panorama de la pensée grecque en quelques pages afin de resituer saint Augustin dans son contexte s’enlise à demi dans l’académisme. On bâille très tôt. Brigneau marche d’un pas plus alerte dans les pas du Duce. Peut-être parce que Brigneau ne traîne pas une grosse valise pleine de livres avec lui ? Peut-être parce que le sujet était plus facile ? Pas si sûr. Pas si facile de mettre de l’ordre dans le chaos de l’histoire récente pour dégager une trame.
Sûrement parce que Brigneau est très bon conteur. D’ailleurs ça s’appelle exactement Si Mussolini était conté. Comme s’il racontait pour ses petits-enfants. Une belle histoire de l’Oncle François (Auto-éditions FB).
J’ouvre une parenthèse : je devrais sans doute présenter Brigneau, vu que c’est un journaliste-écrivain maudit qu’on ne risque pas d’entendre sur “France-Culture” pérorer sur tel ou tel hors-sujet tiré au hasard. Mais n’y a-t-il pas désormais une pudeur, une réserve à avoir vis-à-vis du tout-venant, sur le sujet des écrivains maudits ? Ils ne sont plus très nombreux, alors on aime autant ne pas les partager avec le premier démocrate-chrétien venu.
« Je voudrais, mes petits poussins, attirer votre attention sur ceci. Depuis cinquante ans, et plus, les “munichois” sont couverts d’opprobre. “Munichois” signifie abject et lâche. Quand, à 13h30, Daladier atterrit au Bourget, une foule énorme a envahi l’aéroport qui n’est encore qu’un aérodrome. Jusqu’à la rue Saint-Dominique où se trouve le ministère de la Défense, des centaines de milliers de Parisiens, toutes classes sociales confondues, l’acclament. Albert Lebrun, le président de la République, adresse ses félicitations à Daladier. Les messages de compliments affluent. Dans le Populaire, le quotidien de la SFIO, Léon Blum parle de “lâche soulagement”. Se soulager, c’est parfois lâcher. « Depuis la négociation on peut jouir du soleil d’automne », ajoute-t-il, toujours poète. La commission administrative de la CGT déclare que « l’accord de Munich a évité le pire ». Afin de remercier Chamberlain, France-Soir (rédacteur en chef Pierre Lazareff) ouvre une souscription pour lui offrir une résidence secondaire en France. Les dons arrivent en masse. Le président de l’assemblée de la SDN félicite Daladier et le Premier ministre anglais. Ils ont sauvé la paix ! A Paris le 5 octobre 1938 la chambre du Front Populaire approuve par 536 voix contre 75 les accords de Munich. Les députés communistes, qui l’année suivante approuveront le pacte germano-soviétique, ont voté contre. Vive Mussolini ! »
Je m'attendais à un éloge plus franc de Mussolini dans l'ensemble, mais Brigneau a la prudence de prendre un peu de hauteur et de fustiger plutôt l’impuissance de la France ou le bellicisme d’Hitler et des Anglais.
Bref, le bouquin léger de Brigneau est parfait si on ne veut pas bronzer idiot à la plage en lisant du Beigbeder ou du Harry Potter (ou du Littell, pour ceux qui n’ont pas encore fini)… avec cette réserve : si on fréquente une plage démocratique, Palavas-les-Flots ou Canet-en-Roussillon, plutôt qu’une petite crique aristocratique isolée, on risque d'indisposer son voisin ou sa voisine de serviette en slip de bain, voire le CRS en faction. -
Revue de presse (VIII)
« La bonne me fait entrer dans le salon à dominante de teintes gris souris et parme. Aucun désordre, pas le moindre grain de poussière, des étagères impressionnantes remplies de livres méticuleusement ordonnés.
Et, dans un coin, une lampe sur pied et une méridienne.
L’atmosphère rappelle plutôt celle d’un cabinet de psychanalyste. »
Florence Belkacem (“Vous pouvez répéter la question”, 2007)
Extrait du préambule à l’interviou de Finkielkraut par F. Belkacem, de VSD.
On en apprend plus entre les lignes de ce recueil d’intervious (Marine Le Pen, Alain Juppé, Maurice Dantec, Dieudonné, etc.), car la journaliste sacrifie largement au “politiquement correct”, saluant ainsi la grande “capacité d’indignation” (?) de Finkielkraut.
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Entre la poésie de Char et celle de Chard (dans "Présent" du 7 juillet), le soldat Villepin est cerné :
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« Il ne s’agit pas de la tombe de Jésus (…) à cause de la banalité des prénoms inscrits sur la tombe. Si vous aviez crié les prénoms, sur un marché de la Jérusalem antique, des dizaines de personnes se seraient retournées.
Pour que la thèse soutenue dans le documentaire soit crédible, il aurait fallu trouver des indices plus tangibles, comme, par exemple, “Jésus de Nazareth” inscrit sur la tombe.
- Estimez-vous que vous avez été utilisé par Cameron et Jacobovici ?
- Comme je leur ai donné des conseils, ils ont fait croire que je partageais leurs idées. Je ne trouve pas le procédé très honnête. »
Shimon Gibson, archéologue (“Le Monde des religions”, juillet-août 2007)
Le journaliste du Monde [athée] des religions demande à Gibson s’il a été “utilisé”, il n’ose pas lui demander s’il a été “manipulé”, ce qui serait poser la question comme il faut. Il ne fait aucun doute en effet que Gibson a été “utilisé” ; il a même dû être payé comme conseiller. Il est un peu tard pour venir pleurnicher. Les intentions des auteurs de ce “documentaire” étaient manifestement malhonnêtes. Ce n’est pas la première fois que ce genre de coup est monté pour tenter de battre en brèche l’historicité de Jésus ou de faire croire que le récit des évangélistes n’est pas conforme à la réalité.
Le Monde des religions participe d’ailleurs à la manipulation en titrant largement “La tombe de Jésus a-t-elle été découverte ?”, alors que le témoignage tardif de S. Gibson publié dans ses pages dit qu’il n’y a aucun indice sérieux pour penser que cette tombe familiale, éloignée du lieu de résidence de la famille de Jésus et d’un “standing” nettement supérieur soit le tombeau du Christ.
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« L’historien René Rémond, décédé le 14 avril à 88 ans a été encensé par une presse quasi-unanime. Certes, il avait pris sur le tard position contre la loi Gayssot et contre l’anticatholicisme agressif de Michel Onfray. Mais lorsqu’il présidait les Intellectuels catholiques dans les années de connivence avec le FLN et le communisme (des années 50 aux années 70), il pratiqua l’exclusion totale des catholiques traditionnels (…) ; et plus récemment il se déshonora avec quelques autres en violant le secret des archives ecclésiastiques et privées, allant jusqu’à reprocher à Paul Touvier une inscription de son faire-part de mariage, qui se révéla être une citation du livre de Tobie…
René Rémond était le neveu de Mgr Rémond, évêque de Nice, qui fut sous l’Occupation un des évêques les plus pétainistes et en même temps l’un des plus efficaces protecteurs des juifs (les deux choses allaient en général de pair, comme le montre le cas des évêques de Lyon, Clermont, etc. Voir le Dictionnaire des Justes de France.) »
(Échos de l’Entente catholique, juillet-août 2007)
La quasi-unanimité de la presse, gauchiste, libérale ou démocrate-chrétienne, c’est le signe certain désormais qu'il vaut mieux aller S’INFORMER ailleurs.
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Ce genre de procédé est devenu monnaie courante dans la presse et la littérature contemporaine, mais le cas de Beigbeder est exemplaire dans la mesure où c’est un hypocrite contempteur de la publicité et du marketing capitaliste.
Beigbeder est à la fois chroniqueur à Lire et auteur d’un nouveau best-seller. Que va faire Lire, s’abstenir de parler du bouquin de Beigbeder, pour éviter de tomber dans la flagornerie ? Ah, ah, je plaisante, évidemment… Bien sûr Lire parle du dernier roman extra-light de Beigbeder, plutôt deux fois qu’une. Il organise même un “pour et contre”. Passons sur le “pour”, on devine les arguments d’ici : “Ce n’est pas parce que Beigbeder est un collègue de travail que j’ai trouvé son dernier roman d’une profondeur inexpectée de la part d’un homme qui affecte, etc., etc.” pour aller directement au “contre”. Tout l’effort du mec de corvée vise à démontrer que Beigbeder n’est jamais si bon que dans les mots d’esprits enlevés et que la forme romanesque nuit un peu à cet esprit brillant(issime).
Conclusion : si par le plus grand des hasards personne n’a la bonne idée de vous offrir le dernier bouquin de Beigbeder, vous pourrez toujours vous rabattre sur sa chronique dans “Lire”, taillée à la mesure de cet écrivain dont l’Anleterre nous enviera bientôt les traits d’humour, etc., etc. ; c’est le b.a.-ba du merchandising, lorsqu’un client ne veut pas d’un produit, il ne faut pas le laisser quitter le magasin sans lui en avoir fourgué un autre.
“Lire, l’hebdo qui prend pas son lecteur pour la moitié d’un crétin !”
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Un autre hebdo qui prend ses lecteurs pour ce qu’ils sont, à savoir des bobos, dans leur grande majorité, c’est Charlie-Hebdo. On ne s’en cache plus désormais, après Johan Sfar, le petit philosophe chiant illustré, c’est Amélie Nothomb qui débarque en pleine page pour raconter aux lecteurs de “Charlie-Hebdo”… en fait je ne sais pas quoi, car je n’ai pas eu le courage d’aller au-delà de la deuxième ligne de la prose de Nothomb. Il faudrait me payer pour lire du Nothomb, comme il faudrait me payer pour relire du Harry Potter (Je m’y étais astreint l’année dernière dans un effort de compréhension de mes semblables, maintenant que j’ai compris, je suis exempté - le succès de Potter est “para-scolaire” et il y a toujours des fayots pour se réjouir de l'arrivée des “cahiers de vacances”.)
La page en face de Nothomb, Siné continue de faire semblant d’être anarchiste tout en défendant sa propriété privée dans le maquis Corse bec et ongles. Mais au moins, quand Siné se prend pour Montesquieu, c’est plus drôle que du Juppé ou du Nothomb ; donc je cite :
« “En philosophie, comme en politique, c’est une impossibilité logique que de dire que l’on consent librement à un amoindrissement de la liberté. On ne peut consentir librement qu’à une consolidation ou une progression de la liberté.”
C’est Philippe Val qui écrit cela dans son dernier édito, à propos des élections palestiniennes qui ont donné une victoire au Hamas. Bien qu’il la reconnaisse légitime, il ne la juge pas “démocratique”, car il l’estime due à une “aliénation antidémocratique”. Cela vous étonnera peut-être [?], mais je suis on ne peut plus d’accord avec lui. Où il ne le sera peut-être pas avec moi, en revanche, c’est que je dresse absolument le même constat quant au résultat des élections israéliennes désignant le criminel de guerre Ariel Sharon à la tête du gouvernement, pas plus que celle, récente, française, nommant Nicolas Sarkozy à nos commandes. »
La démocratie, c’est vraiment l’art de justifier l’absurde par la logique. Je décode, à l’attention de ceux qui se refusent à lire un canard aussi “branché” que Charlie Hebdo : tout le monde à Charlie-Hebdo défend - un comble ! -, la politique américaine au Moyen-Orient, de Johan Sfar à Philippe Val en passant par Cabu ; alors Siné, forcément, le dernier des gauchistes pro-palestiniens, râle pour la forme. Alain Minc devrait l’embaucher au Monde, comme le schtroumpf Plantu, pour servir d’alibi et redonner une image pluraliste à un quotidien qui n’abuse plus grand-monde de ce point de vue-là. -
Actualité de Simone Weil
Pour ce qui est des procès en antisémitisme, il ne fait pas de doute que Francis Kaplan est un expert.
Mais, encore une fois, il est beaucoup moins habile lorsqu’il s’agit de contredire l’exégèse biblique de Simone Weil, qui s’attache à repérer dans l’Ancien Testament la nécessité du Nouveau et les preuves de la “raideur” du peuple juif. Le procédé est grossier qui consiste à faire passer des questions posées par Simone Weil à des ecclésiastiques (pas toujours à la hauteur des questions, semble-t-il), à faire passer ces questions pour des réponses, et par conséquent à dénoncer de prétendues “erreurs” de Simone Weil.
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Sur un point, le zèle de Kaplan à piéger Simone Weil est si grand qu’il l’entraîne à une exégèse qu’on peut presque qualifier de “freudienne” tellement elle est tirée par les cheveux et manque de recul humain et scientifique.
À propos du livre de Jonas, voici en effet ce qu’écrit Kaplan :
« Simone Weil dit, en effet, que “Jonas (est) malheureux que Ninive ne soit pas détruite”. Or, il est évident que Jonas dans ce livre est un personnage imaginaire, que, par contre, l’auteur est juif et condamne Jonas pour vouloir que Ninive soit détruite et, Ninive, n’étant pas juive, que le judaïsme prêche donc une religion d’amour universaliste. »
Et Kaplan de conclure que Simone Weil commet un contresens grossier en chargeant Israël du péché de Jonas. Peut-être l’auditoire habituel de Kaplan est-il habitué à gober des couleuvres pareilles... En réalité, primo, l’opinion que Jonas est un personnage imaginaire n’est pas partagée par tous les spécialistes de la Bible ;
- et secundo, quoi qu’il en soit, c’est un point de vue chrétien classique de considérer Jonas comme l’incarnation d’Israël, Jonas réticent à partager son élection avec les Gentils. Que l’auteur du livre de Jonas soit juif ou pas n’y change rien. Confondre un auteur juif avec le judaïsme tout entier est un amalgame étrange ! Surtout de la part de Kaplan, puisque celui-ci n’hésite pas dans le même temps à faire de Simone Weil une antisémite, bien qu’elle soit juive !
Si le livre de Jonas est un des pans du judaïsme, comme l'avance naïvement Kaplan, son interprétation universaliste chrétienne est pour le moins “occulte” dans la tradition juive qui continue, par exemple, de refuser les mariages de Juifs avec des non-Juives.
Kaplan est presque cocasse, car si on met à plat son raisonnement en apparence tordu, la pensée chrétienne, exprimée par Simone Weil, constitue un contresens. Ce point de vue antichrétien est en quelque sorte typiquement juif, et typiquement contemporain, est-on tenté d'ajouter si l'on se souvient de la polémique étrange déclenchée par le (mauvais) film de Mel Gibson sur la crucifixion. Il y a de surcroît chez Kaplan, à rebours de sa prétention, une incapacité totale à se projeter dans la pensée de Simone Weil. Kaplan ne fait que radicaliser inutilement l’opposition entre Juifs et chrétiens. Le juge est sans doute plus antisémite que l’accusée, inconsciemment.
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Parfois on peut se demander si la pensée juive dominante actuelle ne cherche pas à nous démontrer que, au fond, Jésus-Christ lui-même est antisémite. Simultanément, on sent une certaine fierté, malgré tout, de la part de ces Juifs-là, que Jésus ou Simone Weil soient nés Juifs. N’est-ce pas ce qui conduit Kaplan, pour finir, à prononcer un non-lieu en faveur de Simone Weil, un non-lieu qu’il se refuse à prononcer en faveur d’Adolf Hitler ?
Ce type de logique est marqué par un narcissisme ethnique exacerbé, narcissisme que Simone Weil rejette justement avec ses origines juives pour se tourner vers l’universalisme grec, marxiste ou chrétien.
Plutôt que les hypothèses psychanalytiques bancales de Kaplan, le rejet de ses racines juives par Simone Weil doit se comprendre surtout au plan intellectuel, un plan que Simone Weil quitte rarement. Ce vers quoi Simone Weil tend, c’est une logique, une perspective universaliste moderne et chrétienne aussi nette que possible. Elle aurait sans doute préféré ne pas s’encombrer de cette “question juive” qui ne lui paraît pas une question “moderne” et la place en porte-à-faux avec ses préoccupations métaphysiques ; l’actualité la ramène de force à ce sujet ; elle subodore qu’elle va être classée comme une “philosophe juive”, et cette étiquette lui est étrangère. -
Créationnisme (3)
Plongé pour échapper au mauvais goût ambiant dans la lecture du Michel-Ange d’Anthony Hugues, je me fais cette réflexion, une nouvelle fois, que le Royaume-Uni paraît plus préservé que nous des discours des trissotins.
Non, il n’y a pas chez Anthony Hugues de ces réflexions idiotes, tautologiques, anachroniques, voire carrément imbéciles qu’on retrouve chez Catherine Millet, Jean Clair, Daniel Arasse, etc., à chaque page. Anthony Hugues s’emploie simplement à cerner son sujet. Au pays de Darwin, la téléologique évolutionniste et mercantile paraît avoir fait moins de ravages que dans nos frontières.
Fustigeons en revanche l’éditeur de ce bouquin, Phaidon, français il me semble, qui n’a apparemment pas pris la peine de relire la traduction et laissé un paquet de coquilles, comme si on avait voulu faire de l’argent à bon compte.
Certes dans l’Europe future, qu’on appelle de nos vœux pour résister à la barbarie yankie (ou slave, qui sait ?), il ne faudra pas s’inspirer du modèle de la critique d’art française, ni du milieu de l’édition française. -
Deuil blanc
L’art contemporain vient de perdre sa marraine, Claude Pompidou. Comme quoi tout passe, même les idées les plus sottes.
Sarkozy l’a décrite grossièrement (avant lui, le déluge) comme une “brave femme”. Mais l’enfer est pavé de bonnes intentions, en particulier, ces derniers temps, de bonnes intentions démocratiques.
Pour moi, n’ayant de goût ni pour la géométrie, ni pour la philosophie, ni pour la photographie ou la vidéo d'art, ce sera un deuil en blanc.
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Ici ou là on ose se dire scandalisé par des expos de photographies vulgaires subventionnées par telle ou telle municipalité branchée, on ose protester parce que Mgr Barbarin, l’évêque de Lyon, est attaqué en justice pour avoir osé critiquer les “conceptions artistiques” de tel margoulin lyonnais de l’art contemporain ; je dis que c’est bien fait pour sa pogne au sieur Barbarin : ça lui apprendra à composer des odelettes à la démocratie ! Ça lui donnera aussi l’occasion de répéter, à la face de ses censeurs, que ces procédés sont cyniques. S’il ose. Car si le clergé français a bien une chose en commun avec les artistes contemporains, c’est le manque d’audace. Combien de catholiques ont protesté contre l’expo. de Christian Lacroix dans une chapelle versaillaise, blasphématoire ET mercantile de ses dernières productions ? Une poignée, et, à ma connaissance, aucun ecclésiastique. Quand on ne chasse pas les marchands du temple à coups de pieds au cul, ils s'incrustent.
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Face à ces barbares qui vendraient père, mère ou enfants pour faire de l’argent - la seule preuve concrète de l’existence de l’art contemporain -, on ne peut pas se contenter d’un discours philosophique comme quoi le Beau, le Bon et la Vérité seraient en perdition. Ce genre d’incantation approximative est débile et lénifiant. On est bien obligé de passer par une analyse marxiste plus lumineuse. Si on est tombé aussi bas, ce n’est pas en raison d’un quelconque faillite des idées platoniciennes ; c’est bien la société civile qui a évolué dans le sens de la vulgarité. Toute la société civile qui est touchée par le mercantilisme et les raisonnements philosophiques bénins qui vont avec.
N’est-il pas hautement significatif que des catholiques n’aient pas été capables de reconnaître, dans le roman de Johnatan Littell, un recueil de fantasmes pornographiques ? Pire que ça, certains catholiques ont même osé, les macaques, encenser ce machin officiel ! C’est dire l’épaisseur du brouillard philosophique.
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Je relisais récemment des discours de Pie XII et de Paul VI sur l’art ou adressés à des artistes, leurs réflexions destinées à alimenter les débats du concile v2. C’est d’une banalité, d’une généralité affligeante, il n’y a aucun critère d’action là-dedans ! Du moins on veut agir, mais on ne sait pas bien quoi faire. On a oublié comment la papauté fut grande et belle avec Jules II pour débiter des sermons de préfet laïc.
Au moins quand Claudel parle d’art, même s’il dit souvent, sur le fond, n’importe quoi, que Jordaens est un mauvais peintre, tout et son contraire à quelques semaines d’intervalle (il n’est pas diplomate pour rien)… au moins il le dit… avec art ! Chez Pie XII et Paul VI, platitude du fond et de la forme ! Aucun feu sacré. Ça aussi c’est significatif.
Sans compter le rôle actif que jouent certains grands patrons démocrates-chrétiens dans l’économie capitaliste.
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Cette montée en puissance, irrésistible, des élites bancaires et du mercantilisme, Marx l’avait prédite. Élevé à Trêves, une ville catholique, apparemment il n’a pas remarqué que les bourgeois catholiques étaient différents des autres. En revanche il est vrai que cléricaux “noirs” et “rouges” communistes se sont retrouvés unis dans l’opposition au régime de Bismarck. La protestation contre les élites bourgeoises nées de l’industrialisation est à la fois dans Bloy et dans Marx. Juste coïncidence.
Pour ceux qui préfèrent laisser Marx enfermé dans un mausolée soviétique, il y a Baudelaire. Il avait déjà, auparavant, parfaitement discerné le cynisme de ce qu’il est convenu d’appeler "Les Temps modernes". -
Devinette
Je sais bien que ma devinette, dans un monde peuplé de philosophes bobos qui ne s'intéressent pas à l'art en général, à la peinture en particulier, risque de tomber un peu à plat, mais tant pis, je la pose quand même… Qu'est-ce qui peut bien pousser le peintre Chenavard à prétendre que la peinture de paysages est un signe de décadence ? À votre avis ? J'ai ma petite idée mais j'aimerais entendre d'autres sons de cloches…
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Revue de presse (VII)
« (…) l’histoire de la presse regorge d’exemples montrant que la presse s’effondre lorsqu’elle est entièrement contrôlée par un pouvoir, qu’il soit politique ou économique, ne serait-ce que parce qu’elle perd la confiance de ses lecteurs. On dit parfois que, compte tenu des difficultés économiques qu’elle rencontre, la presse quotidienne devrait se résigner à renoncer à une partie de son indépendance. Mais est-ce que ce n’est pas, au contraire, parce qu’elle a beaucoup perdu de son indépendance et de son pluralisme qu’elle rencontre des difficultés ? Les journaux font tous les mêmes titres et les mêmes articles (…). Ils véhiculent souvent les mêmes idées. Ils embauchent souvent les mêmes profils de journalistes (…) »
Julien Duval (“La Tribune”, 27 juin)
Élémentaire mon cher Duval ! Au-delà de cette évidence, on est dans une situation où l’écrasante majorité des journalistes en France approuve les lois de censure (Gayssot, Fabius, etc.) ! où l’existence même de la censure est niée. C’est à peine si Cabu, dessinateur de presse “anarchiste”, ne prend pas son petit déj’ avec le Maire de Paris.
Vouloir rentabiliser le Monde, c’est un peu comme si le Soviet suprême avait voulu rentabiliser la Pravda. Exagération ? Voici une preuve de la généralisation du style journalistique soviétique dans les médias français :
« Jean-Marie Colombani quitte, aujourd’hui, Le Monde. (…) était-il prudent de mettre à l’écart un de nos rares grands journalistes à être aussi un chef d’entreprise ?
(…) Les amis de Colombani (…) se consoleront en retrouvant, dans le recueil de ses éditoriaux (…) le parfum de ses années “Monde”. Entre autres, le célèbre “Nous sommes tous Américains” écrit le soir du 11 Septembre. »
BHL ("Le Point" 28 juin)
BHL est emblématique. Conseiller de Ségolène pendant la campagne présidentielle, il a déjà trahi son clan et rallié celui de Sarkozy. Des fois que Sarko aurait un petit secrétariat d’État à confier à BHL, la Propagande et la Mise en conformité des médias, par exemple, il ne dirait pas non.
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« Les brouillons retrouvés ont été publiés en 1994 par Henri Godard, dans le volume IV des Romans de la collection de la Pléiade. Il avait publié dès 1985 ce qu’on appelle la Version B (…) sous le titre Maudits soupirs pour une autre fois. Titre inexact, il en convient aujourd’hui : celui que Céline avait envisagé un moment, c’est Soupirs pour une autre fois. Mais Gallimard ne s’est pas fatigué.
(…)“ Je sais qu’il est gaulliste, résistant militant”, dit Céline du mari de Clémence dans la Version B (…), et les trois courtes lignes suivantes restent supprimées, soixante ans après, tant notre époque est censureuse.
À cause d’“affirmations qui pourraient être diffamatoires à l’endroit de personnes ayant existé”, précisait la Pléiade en 1994 (Albert Milon est mort fin 1947)… On imagine que les lignes de Céline sont surtout très méchantes pour la Résistance. Encore plus que la page 124, où le narrateur regrette de n’avoir pas violé et tué une auxiliaire de la Wehrmacht : “C’était un crime à ma portée, j’aurais gardé mes citations, (…) l’honneur et ma carte de tabac.”
(…) P.S. : On comprend que le Pr Godard ait maintenu “fufrerine” pour “führerin”, ou “Bikiki” pour “Bikini”, à cause de l’effet comique. Mais pourquoi Gallimard ne rétablit-il plus, depuis “Féérie”, l’orthographe de “chiottes”, mot que Céline emploie souvent (en l’écrivant “chiots”) ? On sait bien, de toutes façon, que l’éditeur corrige souvent l’orthographe, complète souvent la ponctuation, d’un Céline qui fut toujours négligent sur ces points. C’est pourquoi dans mes citations, j’ai parfois ajouté des virgules, quand elles étaient nécessaires pour éviter une ambiguïté. »
François Lecomte (“Rivarol”, 29 juin 2007)
On se permet sans doute de corriger la ponctuation de Céline à Rivarol parce que celui-là a publié dans celui-ci.
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On trouve de tout dans la revue “centriste” Commentaire, le pire comme le meilleur. Commençons par le pire, avec cette apologie “naïve” du capitalisme financier sous la plume de Georges de Ménil, critiquant, le mot est un peu fort, un bouquin d’Augustin Landin et David Thesmar.
« Selon une critique répandue en Europe continentale, et notamment en France, la financiarisation du capitalisme constitue un risque majeur pour nos économies (…) Le danger découlerait du court-termisme intrinsèque des professionnels de la finance et de leurs exigences de rendement.
Landin et Thesmar démontrent que les professionnels de la finance ne renâclent pas devant les placements de longue durée. Ils ont acheté les actions d’Amazon et d’Ebay bien avant que ceux-ci n’affichent des résultats positifs. »
C’est une blague ? Chacun sait qu’en France, notamment, pays qui n’a pas comme les États-Unis les moyens d’imposer ses produits et ses services au reste du monde, les banques n’ont pas hésité à investir dans les projets, les “start-up” les plus farfelus à la fin des années 90 des sommes énormes qu’elles ont perdues. Prendre l’exemple d’Amazon et d’Ebay, alors que ce sont des exemples isolés de “start-up” qui ont décollé, c’est de la propagande grossière.
Ce phénomène de bulle de spéculations, puis l’éclatement de cette bulle, est au contraire conforme à l’analyse de Marx sur l’excédent de capital accumulé par les pouvoirs financiers et la difficulté des banques à placer cet excédent.
« (…) La diversification de leurs portefeuilles leur permet de fait de prendre plus de risques que ne pourraient se permettre le patron d’une entreprise qui joue sa carrière - si ce n’est sa fortune - sur ses paris industriels. Ce que les professionnels évitent, ce sont les mauvais placements, de quelques termes qu’ils soient. »
Pure propagande libérale là encore ; on retrouve, sous-jacente, la théorie de la “main invisible” de Smith qui harmoniserait tous les flux, en définitive. Ce qui est vrai c’est que “les professionnels” investissent en dehors de tout jugement moral dans des entreprises de prostitution “via” internet aussi bien que dans des boulangeries industrielles ou des fabriques d’armement, et échappent à leurs responsabilités, contrairement aux vrais entrepreneurs attachés à un projet qu’ils ont défini. Même le maquereau qui monte une entreprise de prostitution est plus respectable que ces investisseurs irresponsables qui injectent de l’argent sur le seul principe de rentabilité supposée mais se lavent les mains du reste !
Ce que les propagandistes veulent dissimuler avec leurs belles théories libérales bancales, c’est que la prospérité économique des États-Unis repose d’abord sur leur capacité de destruction massive par les bombes ; le jour où les Yankis perdront leur pouvoir d’intimidation, ils pourront toujours appeler la “Main invisible” de Smith à la rescousse, ils seront bien avancés…
« Les critiques du “grand méchant marché” se trompent de cible. Le danger dont la financiarisation est porteuse est moins le court-termisme que la tentation de se laisser emporter, par enthousiasme pour le développement technologique, dans une bulle spéculative. »
C’est exactement la même chose, suivre la mode, qui s’en va aussi vite qu’elle est venue, c’est précisément avoir une intelligence à court terme. Plutôt que d’“enthousiasme pour le développement technologique”, il faut parler de propagande commerciale et gouvernementale gigantesque, incitant les individus et les collectivités locales à se doter d’équipements informatiques ou autres, bien souvent inutiles et sous-exploités. Cette propagande commerciale télévisée consiste la plupart du temps à abuser la clientèle potentielle, quand ce n’est pas carrément à lui mentir (“Si vous n’achetez pas à votre enfant cet ordinateur - fabriqué en Asie par des travailleurs exploités -, il sera désavantagé par rapport aux autres.”)
Les libéraux au pouvoir, de gauche ou sarkozystes, veulent faire croire que le capitalisme, c’est le meilleur des mondes possibles, que l’enrichissement, la croissance, c’est la plus noble des ambitions de l’homme. En réalité il y a un modèle yanki qui s’est “imposé” ; il repose sur un déséquilibre, sur le surendettement, sur le gaspillage des ressources des uns par les autres ; prétendre vouloir faire monter tout le monde du même côté de la balance, du côté de la démocratie et du capitalisme, tout en conservant l’équilibre, est complètement saugrenu.
Georges de Ménil l’avoue lui-même, les raisons historiques invoquées par Landin et Thesmar pour expliquer la résistance en France aux “idées libérales” (les libéraux n’ont pas d’idées, ils ont du pétrole) ne tiennent pas debout. Ceux-ci avancent une conjonction du catholicisme gaulliste et du communisme après guerre. C’est un peu court en effet comme analyse historique. Il y a chez F. Furet des éléments de réponse plus sérieux. Notre histoire est plus longue que celle des États-Unis ; assez longue pour qu’on ait déjà connu la faillite d’un équilibriste de la finance, l’Écossais Law, après avoir épaté tout le monde avec ses tours de passe-passe.
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Le meilleur dans Commentaire, c’est la publication de vieux articles de F. Furet ou de J. Chardonne, extrait de ses Propos sur l’édition :
« Il y a une question de chaises chez le libraire qui a son importance. Depuis quand ne trouve-t-on plus de chaises dans ces boutiques ? On a dit que la dernière librairie où l’on pouvait s’asseoir est celle où travaillait A. France. Erreur, il y avait des chaises dans la librairie d’Adrienne Monnier. Quand on a trouvé des chaises, on s’asseoit, on reste, on cause ; cet entretien rayonne sur les livres.
C’était une femme charmante cette Adrienne Monnier, et je viens de relire ses chroniques avec plaisir. À cette époque, elle traduisait puis elle édita James Joyce, sans illusion, et elle ne s’en cache pas. Elle trouve Joyce ennuyeux et le “monologue intérieur” ridicule.
Elle a tout perdu dans cette affaire. Quand Joyce est venu à Paris, il était riche. Il n’a donné aucun secours à cette femme qui s’était ruinée pour le faire connaître à des naïfs. »
L’article de Chardonne, fort intéressant, est bien entendu suivi d’un article destiné à tempérer ses propos. Chardonne dit notamment que les femmes, autrefois grandes lectrices, depuis qu’elles travaillent, lisent beaucoup moins. Le plumitif objecte les bons chiffres de vente de certains romans, comme si acheter un bouquin signifie qu’on le lit. Sur les centaines de milliers de gogos qui ont acheté Les Bienveillantes de Littell à Noël, je mettrais ma main à couper qu’il n’y en a pas mille qui l’ont lu en entier, avec l’attention de celui qui en a relevé les 999 barbarismes et fautes.
L’avis de Chardonne sur Joyce était partagé par Waugh, pourtant “futuriste” lui aussi, mais qui estimait que Joyce outrepassait les limites et tombait dans la littérature hermétique. Évidemment on peut les soupçonner l’un et l’autre d’avoir été jaloux. -
À l'encan
Je ne vais pas me plaindre de ce climat un peu frisquet, plus propice au travail. Toutes ces belles étrangères en tenues légères dans Paris, l'été venu, ne facilitent pas la concentration. Et puis au moins, pendant ce temps, les journalistes n'osent pas nous soûler avec le "réchauffement".
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Un exemplaire des Fleurs du Mal dédicacé à Delacroix a été mis aux enchères et acquis pour la somme de 600.000 euros, environ, peu importe, tous ces zéros n'impressionnent que les lecteurs du Monde, du Figaro ou de Beaux-Arts magazine ; ils n'ont pas de sens précis.
Bernard Arnault, via Vuitton, sponsorise bien, lui, un ouvrage sur Marx…
Ça ne fait pas pour autant de Baudelaire et Marx des auteurs "bourgeois", "capitalistes" ou "sarkozystes", pour parler le langage actuel. On peut même voir en Baudelaire un anti-Littell parfait. Condamné pour certains de ses poèmes des Fleurs, pour leur défense il écrivait :
« Le livre doit être jugé dans son ensemble, et alors il en ressort une terrible moralité. (…) Il y a plusieurs morales. Il y a la morale positive et pratique à laquelle tout le monde doit obéir. Mais il y a la morale des arts. Celle-ci est tout autre, et depuis le commencement du monde, les arts l'ont bien prouvé.
Il y a aussi plusieurs sortes de Liberté. Il y a la Liberté pour le Génie, et il y a une liberté très restreinte pour les polissons. »
Cela signifie que la civilisation est une chose subtile, si subtile qu'il ne vaut mieux pas la confier à des "libéraux" cyniques, forcément cyniques. Car la liberté dont il est question ici, c'est celle des banquiers. Leur morale ? Elle consiste à s'enrichir coûte que coûte. De Guizot à Sarko, on n'en sort pas. -
Stratégie artistique*
L’art contemporain fait constamment référence, de manière appuyée, à des “valeurs sûres” ; il y a ces classiques de la littérature pieusement rangés dans les vitrines du Pompidou, le titre emprunté à Céline par Anselm Kiefer, “Voyage au bout de la nuit” (“Guignol’s band” aurait mieux convenu, mais il ne faut pas surestimer la culture générale des bobos), les pastiches de Michel-Ange par Lapicque, etc.
Je me demande, est-ce que c’est pour méduser le public, ou bien juste pour avoir la scoumoune que Kiefer fait ça ? Une sorte de gri-gri ? Ou alors c’est une tradition de l’art contemporain, depuis le cours d’art plastique prononcé par môssieur le professeur Picasso sur Vélasquez…
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C’est parce que Baudelaire avait l’amour de la peinture qu’il pouvait se permettre de critiquer, en des termes choisis, le peintre Gérome : « Il est impossible de méconnaître chez M. Gérome de nobles qualités, dont les premières sont la recherche du nouveau et le goût des grands sujet », et, plus loin : « La facture de M. Gérome, il faut bien le dire, n’a jamais été forte ni originale**. »
L’amour de Baudelaire pour la peinture entraîne une déception lorsqu’il décèle des carences ou des faiblesses chez un peintre. En général, d’ailleurs, Baudelaire s’avoue déçu par la peinture présentée aux Salons ; mais il n’abandonne pas pour autant, il se refuse à désespérer de l’art. Le même état d’esprit le pousse à propulser Delacroix, avec Rembrandt, Rubens, Puget, parmi les phares.
Le mépris des esthéticiens contemporains pour Gérome, les Catherine Millet, les Jean Clair, les Yves Michaud, pour ne citer que les plus médiatiques porte-parole d’une esthétique à la portée des caniches, ce mépris est tout différent. C’est d’abord du conformisme, une façon de se conformer à ce qu’ils ont cru comprendre du “message” de Baudelaire ; et puis, surtout, c’est une ruse grossière, mais qui fonctionne très bien, pour se faire valoir, eux et tout leur bazar, sur le dos de Gérome. Nains immodestes et insignifiants à qui on confie des responsabilités politiques.
*En hommage à Fernand Divoire, auteur méconnu, et pour cause.
**Ceux qui savent lire observeront que c’est sa “facture”, autrement dit son savoir-faire, que Baudelaire reproche à Gérome, tandis qu'il loue ses innovations. -
Sans chauvinisme
Curieusement, Céline, qui est plutôt du côté de Chenavard, comme blessé à mort et assombri, Céline est une cure de jouvence malgré tout, comme les réactionnaires. C'est peut-être, je ne sais pas, son côté "animal" ; il a beau être aux abois, traqué par la hyène Sartre et les autres, c'est l'instinct de survie qui domine chez lui.
Un de mes potes, qui chasse à courre, m'expliquait récemment que le cerf, si la traque dure un peu, s'asphyxie ; son sang devient noir, ses organes le brûlent, il va souvent se jetter dans un étang, un plan d'eau, dans un geste désespéré.
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« Je supporte de moins en moins la musique "en boîte" ; d'ailleurs je n'écoute pour ainsi dire plus de disques… »
Mireille Delunsch est chanteuse lyrique. Je ne suis pas très sensible à la musique "moderne", les rares fois où j'ai mis les pieds à l'opéra, les premières notes m'ont donné envie de me trisser à toute berzingue, mais j'ai assez d'oreille pour distinguer un artiste d'un simulacre d'artiste. Petit mérite dorénavant, les contrefaçons sont tellement grossières, les soi-disant artistes contemporains ont des gueules de représentants de commerce si tranchées ! Daumier s'en serait donné à cœur joie.
Et Mme Delunsch est une artiste. Je note sa remarque aussi - elle se défend de tout chauvinisme -, que l'Alsace est la seule région française où la musique est vraiment importante.
Lorsqu'on lui demande quel est son bouquin préféré, Madame Delunsch répond : Belle du Seigneur ; et son tableau préféré : Guernica ; et son événement historique préféré : L'abolition de l'esclavage ; ça n'enlève rien à son caractère d'artiste, à son goût de la perfection et de l'effort pour l'atteindre. Rares sont les artistes capables de comprendre les arts qu'ils n'exercent pas, en définitive. Delacroix est une exception. -
Sourdingues
Pas seulement la “fête de la musique”, mais aussi toutes ces gonzesses qui, automatiquement, se fourrent dans les transports en commun un écouteur dans l’oreille ; et tous ces blogueurs qui font “partager” à leurs congénères le dernier tube en vogue, toutes ces fêtes où, en sourdine - en sourdingue plutôt -, des amplis crachent des mélodies balourdes et des rythmes simplets, la multiplication à la télévision des émissions musicales ; les bars où on boit dans le vacarme artificiel, jusqu’au restaurant où on dîne “en musique”, au supermarché où on fait ses courses “en musique”, bref, cette vaste conspiration démocratique contre le silence… je ne peux pas m’empêcher de penser au peintre Chenavard.
Que Baudelaire décrit ainsi :
« Le cerveau de Chenavard ressemble à la ville de Lyon ; il est brumeux, fuligineux, hérissé de pointes, comme la ville de clochers et de fourneaux.
(…) Chenavard sait lire et raisonner, et il est devenu ainsi l’ami de tous les gens qui aiment le raisonnement [allusion à Delacroix] ; il est remarquablement instruit et possède la pratique de la méditation.
(…) [Pour Chenavard] L’humanité est analogue à l’homme.
Elle a ses âges et ses plaisirs, ses travaux, ses conceptions analogues à ses âges.
L’âge de l’homme se divise en “enfance”, laquelle correspond dans l’humanité à la période historique depuis Adam jusqu’à Babel ; en “virilité”, laquelle correspond à la période depuis Babel jusqu’à Jésus-Christ, lequel sera considéré comme le zénith de la vie humaine ; en âge moyen, qui correspond à la période dans laquelle nous entrerons prochainement et dont le commencement est marqué par la suprématie de l’Amérique et de l’industrie.
L’âge total de l’humanité sera de huit mille quatre cents ans.
De quelques opinions particulières de Chanavard. De la supériorité absolue de Périclès.
Bassesse du paysage, - signe de décadence.
La suprématie simultanée de la musique et de l’industrie, - signe de décadence. »
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Baudelaire, donc, oscille entre l’admiration et la moquerie. Mais Chenavard est trop intelligent, trop pittoresque, trop proche de Delacroix, pour que Baudelaire l’écarte avec mépris, d’une phrase, comme il fait des petits professeurs d’esthétique de son temps, vite enfouis et qui préfiguraient la gnose d’un Panofsky, d’un Malraux ou d’un Gombrich, sans compter les petits esthéticiens actuels, tous les Daniel Arasse, les Jean Clair, les Catherine Millet, les Philippe Dagens et les Yves Michaud, etc., les quarante publicitaires d’un art à la portée des bobos, qui, désormais, tiennent le haut du pavé, sans partage.
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L’attitude de Delacroix vis-à-vis de Chenavard, son ami, est sensiblement différente. Il est impressionné lui aussi par la somme de savoir de Chenavard, mais s’efforce de ne pas prêter trop d’attention à ce discours de Cassandre - Chenavard peint la décadence à chaque phrase -, craignant de basculer dans le nihilisme ou la mélancolie ; pour un peintre qui, comme Delacroix, se veut créateur et poète, ça serait une catastrophe.
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Chenavard est donc sans doute trop évolutionniste, trop systématique, plus systématique que Baudelaire et Delacroix encore, pour qu’on puisse le ranger comme ses amis parmi les grands réactionnaires modernes, avec Barbey, Bloy, ou Marx… qui ont la particularité d’être de grands ranimeurs d’espérance, des combattants exemplaires, qui répandent l’énergie spirituelle autour d’eux et dont le contact réchauffe. -
Fête de la musique
« - Je me demande ce qu'ils ont tous à vouloir faire de la musique alors qu'ils se …ladent …jà …oute ……née ……pod ………reille !
- Hein ?
- L'i-pod, ils se baladent toute la …née …ec !!
- Et alors ?? je …ge pas ton …stoire …pod !? …Arle …lus …ort !!
- …erde ! …ment veux tu que je cau… …lus …ort que ce …nard …vec …on …icro !!!
- …aisse …omber …i-pod et vise plutôt cette nana en tee-shirt vert, les nibards d'anthologie qu'elle a !!! » -
Chacun son style
Sur le blogue d'Alain Juppé, il y a des "Coups de cœur", mais aussi des "Coups de gueule", et des "Réflexions". Au mois de mai, par exemple :
« (…) J'avance lentement dans la lecture du roman de Jonathan Littell, "Les Bienveillantes".
Récit insoutenable de l'extermination des Juifs, au fur et à mesure de l'avancée de la Wehrmacht et des Waffen-SS en Ukraine. Nausée!
De la cime à l'abîme. »
Vous remarquez comme c'est habile ; tandis que les crétins, se disent : « Ô, "de la cime à l'abîme", comme c'est beau ! et puis cette compassion pour les Juifs ! Quand même, on a perdu là un humaniste et un grand poète gaulliste ! », les types comme moi, qui ont du mal à avaler le "business de la choa" à la sauce charabia franglais de Littell se disent : « Ouais, il avance lentement, ça veut dire qu'il a du mal à dépasser la page 2 du pensum. Hypocrite MAIS lucide… »
Une chose est sûre, Juppé a tout compris à l'usage commun du blogue : en remettre une couche dans le politiquement correct et les bons sentiments qui ne mangent pas de pain.
Décidément, la société française est trop injuste vis-à-vis des grands chauves brillants. Ce qui est bien, c'est que maintenant Juppé va avoir tout le loisir d'achever les "Bienveillantes". -
Créationnisme (2)
Les vrais biches, elles, s’enfuient lorsqu’elles se sentent observées. Celle-ci, au contraire, s’abandonne aux regards volontiers, sur la "plage". C’est une brune, au visage un peu commun, certes, mais qui ne manque pas de caractère. Le meilleur, c’est cette anatomie délicate, ces muscles allongés et ces articulations délicates qui permettent des désaxements variés ; pour moi, il y a beaucoup de perspective chez cette fille. Je ne réclame pas de preuve supplémentaire de l’existence de Dieu.
En rentrant, je tombe sur ce mot de Delacroix : « J’aimerais autant une société où on n’aimerait pas la vertu, que celle où il serait possible d’avoir le culte du laid. »
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Les Méditerranéennes sont plus pudiques que les gonzesses du Nord, on dirait ; elles sont plus nombreuses à s’approcher jusqu’au bassin enveloppées dans un drap de bain, et la présence d’hommes dans les douches pendant qu’elles font leurs ablutions paraît les troubler davantage. Peut-être, en revanche, les gonzesses du Nord sont-elles plus secrètes sur le fond de leur pensée ?
« Il y a peu de femmes dont le mérite dure plus que la beauté. » relève Delacroix dans La Rochefoucauld. -
Créationnisme (1)
Le “marché de l’art”, cette invention-là a de quoi soulever le cœur d’une âme classique ou même romantique !
Jean-Philippe Domecq, spécialiste de Ruisdael par ailleurs, a souligné la bêtise de la critique d’art contemporain. Mais Domecq est un idéaliste. À le lire, en le simplifiant un peu peut-être, mais quand même, on peut croire que le résultat que nous avons sous les yeux, tout cet amoncellement de bluff, Anselm Kiefer & Cie, une conjuration de critiques, d’universitaires et de galeristes foireux en sont directement responsables. C'est trop leur faire d'honneur. Non, les causes de l'éclipse sont beaucoup plus profondes.
Ce que Domecq n’explique pas, c’est comment l’imbécillité et la malhonnêteté ont triomphé de la clairvoyance et de la franchise. Domecq n’insiste pas assez sur le cynisme qui se cache derrière le barnum de l’art contemporain. L'ignorance est secondaire. Des trissotins comme Catherine Millet, Jean Clair, Yves Michaud, Daniel Arasse, il y en a toujours eu, mais ils ne jouissaient pas d'une telle faveur jadis.
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Pourquoi la production française d'art contemporain n'est-elle pas à la hauteur de celle de ses concurrents allemands ou yankis ? Je parle ici de "hauteur" en dollars, un critère sur lequel la critique d'art contemporain garde les yeux rivés.
Probablement, entre autre, parce que le centralisme français a un effet de corset qui ne favorise pas l’expression de personnalités artistiques dans une direction toujours plus inattendue ou saugrenue. Ou, autrement dit, en France on n’achète ou ne produit que ce qu’il est de bon ton de produire à tel ou tel moment. Paris donne le “la”, pour le meilleur comme pour le pire, actuellement. Et Paris ça veut dire une poignée de gugusses.
À un moment donné, par exemple, il n'y a pas si longtemps, il y a eu à l’école des Beaux-Arts de Paris, le chef-lieu de l’académisme depuis David, une interdiction faite aux peintres qui y avaient échoué de… peindre. On n'imagine pas une telle directive aux États-Unis, au contraire, où le sens du commerce domine et où un minimum d’intelligence des affaires incline à penser que la future mode ne ressemblera pas à la mode actuelle.
Pourquoi l’art français est à la remorque, c’est parce que les artistes français prennent plus au sérieux l’art contemporain que les Yankis eux-mêmes ; ils cherchent à imiter une pratique dont une des caractéristiques est, précisément, d’être inimitable.
Duchamp lui-même, ce pauvre philosophe dont la punition est d’être attaché “ad vitam aeternam” au concept d’urinoir, Duchamp lui-même était abasourdi de voir des imitateurs débarquer dans son usine à gaz pour lui soumettre de nouvelles versions de son "innovation".
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Si Sarkozy, comme il en a exprimé le vœu récemment, veut faire repasser en tête l’art contemporain français dans la compétition, il n’ a pas beaucoup d’autre choix que de parfaire l’américanisation de la société française.
Ce qui serait dommage, c’est qu’une fois cette tâche accomplie, dans le sens de l’Évolution et du Progrès, ça soit le goût russe qui s’impose au monde (le goût chinois, il n’y a guère de risque, vu que le capitalisme ajouté au communisme en Chine devrait pour longtemps couper les Chinois de toute vie artistique.)
(PS : Je me réjouis que mon pote H. ait enfin ouvert son blogue ! [http://happeur.hautetfort.com]. On ne sera pas trop de deux pour défendre l’art créationniste occidental et provoquer un krach de l'art bidon de Pinault & Arnault.) -
C'est fini
Plein de bonnes nouvelles à la radio ce matin… D’abord le cœur de Ségolène Royal est de nouveau à prendre. C’est une occasion neuve qui s’offre aux amateurs, comme moi, de grandes femmes bien élevées comme Ségolène ; j’avoue que si elle n’était pas en âge d’être ma mère…
D’emblée j’évacue l’objection de mes amis “fachos” comme quoi elle serait “de gauche”. Et alors ? Depuis la première, c’est un peu une tradition chez les femmes d’être de gauche et de prendre le contrepied du bon sens ; le tout est, au contraire d’Adam, de ne pas laisser sa femme prendre trop d’initiatives. Et puis du moment que Ségolène ne s’habille pas comme une femme de gauche, comme Sylviane, Cécilia, ou bien la régulière de Juppé (son prénom m’échappe)…
D’ailleurs quel homme aujourd’hui ne rêve pas, à voix haute ou secrètement, d’une femme comme Ségolène, autonome, qui vaque à ses affaires et laisse son homme respirer, qui ne réclame pas une attention constante de sa part, voire pas d’attention du tout !? On n’imagine pas Ségolène en effet réclamer son quota d’orgasmes mensuel, comme une vulgaire lectrice de Elle.
La preuve que mon choix est bon, c’est que tout au long de ces élections interminables, lorsque j’ai confessé ici ou là que j’en pinçais pour Ségolène, cela m’a valu des réflexions féminines acerbes ou ironiques, du genre : « Ben voyons, vous les hommes vous n’êtes gouvernés que par votre queue ! »
Par respect pour les dernières femmes de la trempe de Ségolène, j’éviterai de dire, moi, à quoi je compare l’orifice féminin !
Je précise que je n’ai aucun mépris vis-à-vis de François Hollande, au contraire, il m’est plutôt sympathique, il me fait penser à un Brueghel (de velours un peu cauteleux), et j’ai bien aimé sa façon, virant au Bosch, de fustiger le “traître Éric Besson” ; à une époque un peu plus “shakespearienne” que la nôtre, je sens que Hollande n’aurait pas hésité à faire passer le goût des petits calculs mesquins à cette face de comptable véreux en le faisant molester par des spadassins du parti. À la bonne heure ! Mais le sieur Hollande n’est pas marié à madame Royal, que je sache ; par conséquent il n’est pas interdit à d’autres hommes de la convoiter.
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Seconde bonne nouvelle, les Bordelais ont rappelé Juppé aux affaires municipales. J’avoue que je trouve ça touchant, cette idylle des Bordelais pour leur édile. Celui-ci a la bobine d’un qui ne touche jamais à une goutte de vin, mais il est bardé de diplômes et de citations, et, apparemment, c’est un genre qui séduit encore en Aquitaine (On se souvient que Montaigne n’est pas des plus comiques non plus, quand il n’est pas carrément rébarbatif et plat comme la forêt des Landes).
Mais le vin, le vin c’est une chose sérieuse ! Et le bordeaux est en danger, menacé par la montée des eaux et le réchauffement climatique. Un maître de chais qui boit de l’eau minérale est donc ce dont Bordeaux a le plus besoin en ce moment. Pour se rendre au Ministère de l’Écologie Urgente en vélo, si possible sur la roue arrière pour impressionner les médias, ce pantin de Hulot fera bien l’affaire, ou Roselyne Bachelot à trotinette. -
Lâchage
Ma "vieille" bécane est en train de me lâcher ; il s'en est fallu de peu que je lui mette un coup de boule ce matin, cette salope !
Par "technologie de pointe", l'expression est bien choisie, on entend bien sûr le dernier gadget à la mode qu'il est moral, dans un régime comme le nôtre, de gauche ou "de droite", d'acquérir sans délai, mais surtout "de pointe" ça signifie "qui casse facilement". Une bagnole avec toute la technologie "de pointe", par exemple, sera équipée de tout un tas de gadgets électroniques, qui, au bout de six mois, seront hors d'usage. Une chaudière, il y a trente ans, était fabriquée pour en durer trente, justement ; aujourd'hui si les composants tiennent dix ans, il faut s'estimer heureux, ce qui n'empêche pas de devoir souscrire un contrat d'entretien onéreux.
Dans le domaine de l'art, c'est la même chose, combien de temps Anselm Kiefer sera-t-il prisé par les bobos ? Deux ans, un an ? Si ça se trouve dans six mois on n'en entendra plus parler dans les gazettes bobos...
Et Sarkozy, son ministre Fillon ? Vous les voyez fringuants, là, presque tout neufs, presque de droite, et vous les trouvez séduisants ? Profitez-en, Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs, ça ne durera pas ; tous les amis de Sarkozy dans les médias, et tous les liftings qu'ils lui feront subir ne suffiront pas à vous le conserver neuf très longtemps.
La seule chose qui dure plus de trente ans aujourd'hui, ce sont les emprunts auprès des banques ou des compagnies d'assurance. Celles-là, elles ont l'apparence de la solidité.
Les imbéciles de tout poil, évolutionnistes, démocrates-crétins, journalistes, philosophes, bobos de gauche et maintenant de droite, qui vous disent que tout ça, Sarkozy, Kiefer, et toute la camelote industrielle, c'est inéluctable et qu'il faut donc bien s'en accommoder, c'est de la propagande, ne les écoutez pas... C'est mon testament, au cas où je ne parviendrais pas à redémarrer.
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Mœurs du Marais
Je reviens brièvement sur ces queues de pétasses bobos dans le Marais. C'est en effet un phénomène nouveau pour moi, dont je ne soupçonnais ni l’ampleur ni la nature exacte. Si un habitant du quartier ne m’avait pas rencardé, j’aurais continué de croire qu’il s’agissait de queues devant le cabinet d'un gynécologue réputé dans tout Paris pour son habileté à ligaturer les trompes, poser des stérilets, ou enseigner l’art de simuler l’orgasme, tant il transpire de ce troupeau uniforme un sentiment d’antipathie à l’égard de tout ce qui est étranger à son mobile tenace… et non des soldes d’été de “Zadig et Voltaire” !?
Car les transactions ont lieu dans des “show rooms” discrètes, bien gardées par des vigiles tout noir, qui regardent avec un mélange d’envie et de stupéfaction ces petites bourgeoises riches et superficielles poireauter en papotant, puis ressortir ensuite visiblement comblées, avec de grands sacs blancs bien remplis (je pensais qu’il s’agissait des glaires à porter à l'analyse).
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Erreur, donc, de croire que ce genre de gonzesses n’a ni but, ni idéal, ni religion, ni même une philosophie ; elles ont “Zadig et Voltaire” ! Qu'il pleuve des trombes d'eau, ou qu’un soleil brutal frappe leurs nuques grêles ou grasses, elles attendent leur heure avec une patience carrément angélique.
Le pire, puisque la seule faute impardonnable c’est la faute de goût, c’est que, après avoir mené mon enquête jusqu’à son terme, j’ai constaté que ces fringues de bobo sont tout ce qu’il y a de plus uniformes, grises - ou beiges -, et banales. Il n'y a que le prix qui soit exceptionnel. -
À vot' bon cœur !
Ras-le-bol de devoir rembarrer, par principe, des étudiantes souriantes qui collectent des fonds pour la lutte contre le sida… Il n’y a plus une bouche de métro où je ne sois accosté par une de ces (souvent jolies) représentantes de la "charité business" façon Bernard Kouchner… Elles sont particulièrement actives dans le Marais, à croire qu'on veut jouer sur le sentiment de culpabilité des fiers pédés à drapeau qui s’enferment dans le périmètre autour du BHV, ou quelque chose comme ça.
C’est la septième plaie du Marais, après cette Poste construite par Jean Nouvel (ou un de ses complices ?), les queues de pétasses bobos devant "Zadig et Voltaire", au point qu’on est obligé de changer de trottoir, les boutiques de camelote chinoise importée, les galeries d’art actuel qui insultent la façade de vieux hôtels de guingois, le hangar géant dédié à l’art pompidolien qui bouche la perspective, les bars gays qui déversent en plein jour dans la rue des flots de musique gay…
Je serais curieux de savoir comment se déroule l’entraînement de ces bonimenteuses, comment on leur apprend à vendre leur "produit". Manifestement, on les incite à balancer un slogan pour stopper le client potentiel, premier assaut, du genre :
« Est-ce que le sort des séropositifs/pandas/cancéreux/victimes des mines antipersonnel te laisse indifférent, M’sieur ? (“M’sieur” pour le respect dû au client, tutoiement pour m’exclure de la catégorie des vieux schnocks radins)
- Vous êtes bien gentille mais c’est le cadet de mes soucis en ce moment, le sida, Mlle, vu que j’ai une grosse grippe ! » (Réponse-type n°1 ; ou encore, n° 2 : « Je suis très superstitieux et j’ai peur que ça me porte la poisse de donner pour le sida/les cancéreux/les pandas/les victimes des mines antipersonnel ! ». Plus un prétexte est idiot, de manière générale, plus il déstabilise une vendeuse qui n’est préparée qu’à une série d’objections-types : le coup des frais de fonctionnement de la "Croix-Rouge" ou de "Greenpeace", par exemple, on pense bien qu’elles ont été préparées à y répondre).
Se contenter de prendre la fuite n’est pas une attitude responsable.
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Quand même, j’ai beau dire, j’admire l’aplomb de ces jeunes recrues. C’est vrai, c’est déjà pas facile de faire la manche dans le métro lorsqu’on débarque de sa Bulgarie ou de sa Roumanie natale et qu’on est sans le sou, mais lorsque nécessité ne fait même pas loi, que c’est juste un job pour se payer le nouvel "i-pod" ou des vacances d’été sur la “Costa Brava”, il faut vraiment avoir une bonne dose de suggestion pour taper ainsi les gens avec autant de naturel dans la rue. Voire une bonne dose d’autosuggestion, car je me demande dans quelle mesure ces étudiantes ne sont pas persuadées qu’elles sont eux-mêmes dans la dèche, et que, par conséquent, tous les moyens sont bons pour en sortir, et que bosser pour "Greenpeace" c’est quand même plus moral que faire le trottoir sur internet.
C’est quand même une sacrée concurrence déloyale pour les vrais nécessiteux. Ces “organismes” ont beau arguer de leur plus grande efficacité, on peut penser là encore qu’il s’agit d’un argument commercial, il suffit pour ça de se remémorer toutes les affaires de détournement de fonds passées et à venir. Ou les excédents de capitaux pour les victimes du tsounami, absurdement placés en bourse par “Médecins du monde” ou “Médecins sans frontières”.
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Ce n’était pas le cas il y a encore quelques années, mais désormais je me laisse aborder avec le sourire par une Témoin de Jéhovah, une Adventiste de la dernière heure, voire même un Mormon, bien que l’abandon de la polygamie ait ôté à cette religion une grande partie de son charme désuet ; au moins, je me dis, ceux-là n’ont rien à me vendre, ils ne font pas partie de la gigantesque secte tentaculaire des vendeurs-consommateurs. -
Association de bienfaiteurs
Sous la plume d'un certain "Coriosol" dans un numéro récent de Présent littéraire, sans doute un pseudo, cette comparaison argumentée entre trois philosophes renommés, BHL, Glucksman, Finkielkraut et les "Pieds-nickelés", les non moins fameux Croquignol, Ribouldingue et Filochard.
Cette comparaison me convient assez. Elle a le mérite d’être plus "serrée" que ma comparaison entre BHL et Voltaire.
Sauf l’échec récent de la campagne de Ségolène Royal, BHL a mené une brillante carrière de philosophe comme le grand petit Voltaire, une carrière qui doit beaucoup à la ruse. Héritier de la fortune de son père, bâtie dans les colonies, dans l’exploitation industrielle forestière (exploitation pour laquelle Guy Carlier a travaillé, comme comptable, d'où lui viennent sans doute ses convictions antiracistes et écologistes), BHL n’en a pas moins jugé opportun de voler au secours des opprimés et de clamer son indignation sur toutes les chaînes ("Quelle tuerie, la guerre !"). Voltaire faisait ça aussi, de voler au secours des opprimés, et son enrichissement dans la traite des nègres est connu.
Passons sur le procédé qui consiste à se draper dans la dignité du martyre juif lorsqu'on est d’une famille de colons d’Afrique et qu’on n’a pas un seul ancêtre martyr, F. Nourrissier a déjà évoqué avec beaucoup de subtilité que Jean d'Ormesson cet aspect des choses dans une chronique du Point (ne pas croire pour autant qu’il y a des choses à lire toutes les semaines dans Le Point, surtout depuis que Patrick Besson est parti à l'assaut de l’Académie française et qu'il s'efforce donc d'être aimable - un Serbe aimable, c'est une gageure difficile !).
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Quant à Diderot, je le comparerais plutôt à Sollers. Le goût affiché de Sollers pour la Chine, Venise, Nitche, le pape, toutes ces choses exotiques, est manifestement destiné à cacher le côté profondément franchouillard du personnage. Chez Diderot comme chez Sollers, il y a un côté "provincial monté à Paris", un peu gêné par ses racines et ses habits de plouc, mais pas trop.
Et puis l’appétit, la gourmandise de Diderot est connue. Et Sollers ? Il n’est pas un album d’images pieuses ou érotiques qui paraisse sans qu’il souhaite en rédiger la préface. Il est capable, à lui tout seul, ou seulement avec l'aide de son harem, de rédiger un numéro entier de L'Infini, sa revue, rappelant en ça le Diderot encyclopédiste.
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Quant à Rousseau, je ne lui ferai pas l'injure de le comparer à Finkielkraut. Certes, ils ont tous les deux en commun d’être venus de l’étranger jusqu’en France pour nous faire bénéficier de leurs lumières ; mais Genève est un État francophone, tandis que les Polonais, le plus souvent, sont inintelligibles.
Mais Rousseau est sincèrement et profondément réactionnaire, antimondain, “boy-scout” comme a marqué le documentaliste C. Dantzig sur son étiquette, il ne se contente pas d’aspirer l’air du temps, puis de l’expirer dans un édito ou dans un “essai” ; Rousseau parvient à être original et indémodable.
Maintenant que j’y pense, puisque Finkielkraut le cite abondamment, la comparaison entre Rousseau et Philippe Muray me paraît moins frauduleuse - je parle là uniquement au plan des idées et pas du style, car Muray aussi est sincère ; inepte comme Rousseau, mais sincère.