D'où vient le refus des démocrates-chrétiens de considérer la laïcité comme ce qu'elle est concrètement, à savoir une religion à part entière ? Cela vient-il du caractère un peu particulier de la laïcité, qui se présente plutôt comme une philosophie et qui n'a jamais été véritablement unifiée ? Non, dans ce cas le bouddhisme ou la Scientologie ne seraient pas considérés comme une religion et une secte religieuse.
D'une religion il est pourtant évident que la laïcité possède les traits essentiels : des récits mythiques, une science, une logique, un art, une éthique, des moeurs, un clergé, des docteurs...
Prenons l'exemple de l'évolutionnisme ou de la théorie de la relativité d'Einstein, sans me prononcer sur le fond de ces thèses pour une fois : elles font l'unanimité ou presque dans l'Eglise laïque et sont enseignées comme naguère le catéchisme ou l'histoire de l'Eglise l'était aux petits catholiques ; ou encore comme le Coran est enseigné dans les écoles coraniques. Quel catholique, quel musulman n'a jamais eu affaire à un laïc défendant l'évolutionnisme contre toute discussion ?
D'un pays laïc à un autre, le "tronc commun" de principes peut varier assez sensiblement. Mais cette variation se retrouve dans toutes les religions. Moi-même je suis catholique et je me sens plus proche d'un musulman ou d'un orthodoxe que de mon curé catholique qui cite Nitche dans ses sermons (Je ne change pas car je ne vois pas l'intérêt d'en écouter un autre citer Maurras ou Ozanam à la place.)
Ce que l'observation concrète du phénomène religieux laïc aurait de gênant pour les démocrates-chrétiens de gauche comme de droite, en premier lieu, c'est qu'elle risquerait de donner lieu à des comparaisons. On aboutirait alors assez rapidement à cette conclusion que la religion chrétienne en Europe n'est plus qu'une branche, une secte de la religion laïque. Après avoir été à l'origine des principes laïcs, développés notamment par la métaphysique allemande au XIXe siècle, le christianisme est désormais modelé par la pensée et la science laïques.
Autrement dit, laïcs et démocrates-chrétiens réunis considèrent qu'il vaut mieux réserver Lévi-Strauss aux Papous.