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Misère de la science - Page 2

  • Négationnisme

    Le principe du "devoir de mémoire" revient au négationnisme de l'histoire. En effet, la caractéristique de la mémoire est qu'elle n'opère aucune sélection. Le mémorialiste qui voudra se donner l'apparence d'un historien, devra s'efforcer de distinguer le principal du détail, travaillant ainsi "contre la mémoire".

    C'est dans le même sens que l'on peut dire l'ordinateur complètement stupide, en dépit de toute son intelligence artificielle et sa mémoire. Seul ne s'en apercevra le crétin joueur d'échecs, ou le cryptographe qui prend la cryptographie pour une science véritable.

    Hannah Arendt discerne justement un symptôme de la culture totalitaire dans le fait de prendre l'intelligence artificielle pour autre chose que ce qu'elle est - une simple computation mécanique. On peut en dire autant du "devoir de mémoire" : à la place de l'Histoire, il met le culte des morts.

    Mais l'étonnement (la culture totalitaire est surprenante, car elle heurte la raison), l'étonnement est encore plus grand de voir le "devoir de mémoire" attaché à l'holocauste des Juifs. En effet, comme Moïse est l'inventeur de l'Histoire, nul ne devrait être mieux prévenu contre le "devoir de mémoire" qu'un juif.

    Historiens, combattez le devoir de mémoire, ou léchez le sceptre des tyrans sans vous cacher derrière un voile de respectabilité !

  • Théorie du complot

    "Hamlet" ou la théorie du complot : en cette matière subtile, Shakespeare est encore précurseur.

    Pourquoi la science des uns est le complot des autres, le Danemark complotant contre Hamlet, et Hamlet complotant contre le Danemark, et encore pourquoi la liberté implique un choix difficile ? Shakespeare nous le dit.

    Un indice, si vous le voulez bien : dans le nouveau testament il est question d'un "complot de pharisiens et de veuves", et dans "Hamlet" il y a bien une veuve, Gertrude, et un pharisien, Polonius.

  • Bacon notre Shakespeare

    Peter D. Usher, astronome à l'université de Pennsylvanie, est l'auteur d'une thèse selon laquelle "Hamlet" aurait été rédigé pour célébrer la "révolution copernicienne", c'est-à-dire l'invention par Nicolas Copernic (1473-1543) du système héliocentrique. J'utilise ici volontairement le terme ambigu d'"invention", car l'héliocentrisme n'est pas une idée originale de Copernic, mais fut postulée dès l'Antiquité ; de plus l'héliocentrisme demeure pour certains savants mathématiciens modernes (H. Poincaré) une simple "méthode de calcul".

    La thèse de Peter Usher a le mérite de remarquer ce que beaucoup de soi-disant spécialistes de Shakespeare (quelle université n'a pas le sien ?) ne remarquent pas : l'arrière-plan cosmologique de "Hamlet". Il n'y a rien d'étonnant à cela ; en effet le héros de la pièce, dans une tirade restée célèbre entre toutes, se demande si la vie vaut vraiment d'être vécue ? Or cette question est centrale en philosophie, et la philosophie proche parente de l'astronomie depuis l'Antiquité.

    Les allusions à l'astronomie sont en effet nombreuses dans "Hamlet", parmi lesquelles on peut citer cette coïncidence que le château d'Elseneur où est située la tragédie, alors au Danemark, était la propriété du père du célèbre astronome Tycho Brahé, dont la renommée dépassa celle de Copernic. Tycho Brahé étudia à Wittenberg (ville d'Allemagne célèbre grâce au théologien luthérien, mais aussi homme de lettres et astronome, P. Mélanchton). Mais ici il faut préciser que Tycho Brahé fut un ferme défenseur de la conception géocentrique de l'univers (tout comme Luther et Mélanchton). C'est même le conservatisme de Tycho Brahé en cette matière qui lui vaut une moindre renommée aujourd'hui, en comparaison de N. Copernic ou G. Galilée (promoteur ultérieur de l'héliocentrisme).

    Autre élément astronomique significatif de la pièce : le spectre qui apparaît à Hamlet est une étoile (cela n'apparaît pas dans toutes les traductions françaises) ; autrement dit, Shakespeare met en scène une épiphanie. Aucun historien de la science n'ignore les réactions que pouvaient déclencher à l'époque de la Renaissance dans le monde savant la découverte d'une nouvelle étoile.

    Encore faut-il préciser que la tragédie est le "genre littéraire scientifique" par excellence, et diffère en cela du genre dramatique en vogue ultérieurement en Occident. De la même manière que le cinéma transforme en divertissement certaines théories scientifiques modernes, de nombreux mythes antiques illustrent une conception scientifique du monde.

    Volontairement ou non, l'astronome P. Usher ne fait que répéter une thèse "baconienne"* plus ancienne, dont il tire la conclusion inverse. Les Baconiens soulignent aussi les multiples références de "Hamlet" à l'astronomie, aux implications opposées des thèses héliocentrique et géocentrique. Mais les Baconiens ajoutent qu'une caractéristique de la science de Francis Bacon est d'appuyer la thèse géocentrique, d'incliner par conséquent sur ce point du côté de Tycho Brahé. Non seulement F. Bacon dans son "Novum Organum" s'oppose au système héliocentrique, mais fournit une preuve expérimentale dissuadant de se fier à la perception de la lumière des étoiles pour le calcul des distances interplanétaires. Il s'oppose donc non seulement à Copernic, mais dans son ensemble à ce qui sera qualifié bien longtemps après Copernic de "révolution copernicienne".

    On trouve dans le corpus philosophique et scientifique de Francis Bacon bien des raisons d'écrire une pièce sur le thème important de la discorde entre la science et la politique, mais surtout la thèse de P. Usher se heurte à une pierre d'achoppement de taille et qui "saute" aux yeux. Si "Hamlet" est fait pour défendre N. Copernic et son nouveau système héliocentrique, comment se fait-il que le personnage auquel le héros de la pièce se montre le plus hostile se nomme "Polonius". Comment ne pas remarquer que Copernic, d'entre tous les Polonais est le plus fameux ? Comment ne pas le remarquer quand on est persuadé de l'arrière-plan astronomique de la pièce ?

    *Les "Baconiens" prétendent que Shakespeare n'est que le prête-nom de Francis Bacon Verulam.

  • Marx chrétien ?

    La réponse à cette question est relativement simple et on peut la présenter sous la forme de l'équation suivante : "Existe-t-il une doctrine sociale marxiste ?"

    - Si la réponse est "oui", dans ce cas Marx ne peut être considéré comme un chrétien, amoureux de la vérité, car les évangiles et la parole divine forment un rempart inexpugnable, une barrière de feu contre toute tentative de doctrine sociale. "Mon royaume n'est pas de ce monde !" : peut-on être plus clair et désigner plus nettement la théorie du royaume chrétien ou de la démocratie-chrétienne comme un culte solaire déguisé ?

    - Si la réponse est "non", alors on peut commencer à envisager Marx comme un penseur chrétien de la fin des temps.

    C'est un fait établi que Marx a lu attentivement la Bible, rédigé des sermons chrétiens dans sa première jeunesse - et je n'ai lu nulle part sous la plume de Marx, contrairement à Nietzsche, qu'il tenait la Bible pour un tissu d'âneries. Le fait est également avéré de la détermination d'Engels contre le christianisme truqué de sa caste.

    La preuve que le marxisme n'est pas une doctrine sociale, on la trouve dans le "marxisme-léninisme", qui est la preuve que le marxisme seul n'est pas social. Comment prendre le pouvoir ? S'y maintenir ? Le distribuer ? A toutes ces questions, Lénine et Trotski ont dû répondre seuls.

    Marx est-il un économiste ? Si Marx est un économiste, alors c'est un économiste libéral. Nul critique moderne, à l'exception l'écologiste Nietzsche, n'est plus dissuasif de tenir l'économie pour une science, ni même un "art sûr".

    Sur l'évolution sociale de la société occidentale, contrairement à un préjugé répandu, Marx ne porte pas une appréciation positive. Là où Nietzsche discerne un phénomène de régression funeste, auquel il convient de remédier pour éviter ses conséquences catastrophiques, Marx voit un phénomène inéluctable, incarné par la bourgeoisie. A l'énoncé de la physiocratie libérale, Marx ne fait qu'ajouter que la pompe à fric physiocratique est, à terme, condamnée, comme si le capitalisme était le "stade terminal" d'une vie de dépense.

    Nietzsche et Marx ont en commun d'être des penseurs très peu "occidentaux". Le premier parce qu'il propose pour remédier à la décadence bourgeoise un modèle oriental. Le second parce qu'il place la science au-dessus de toutes sortes de civilisation, la science n'ayant pas, contrairement aux livres, de "sens de lecture".

    Où Nietzsche et Marx s'opposent radicalement : le premier conçoit que son choix de la civilisation implique de renoncer à la science et la vérité ultimes (luttant fermement pour cette raison contre tout ce qui vise une vérité ultime, comme l'histoire ou la métaphysique) ; pour Marx au contraire, tout l'art du monde n'est rien à côté de la science.

     

  • Dieu et la Science

    L'effort accompli par Francis Bacon Verulam pour promouvoir et contribuer au progrès de la science est l'oeuvre la plus admirable, impliquant le détachement de soi et faisant croire ainsi à l'éternité (car les hommes dont l'espoir n'est pas égoïste sont très rares).

    A ceux qui sont persuadés que l'éternité n'est l'affaire que de rêveurs ou d'artistes un peu fous, on proposera le contre-exemple de Francis Bacon.

    On voudrait ignorer Francis Bacon en France ; on voudrait surtout ignorer que c'est un savant chrétien. On a inventé pour cela une histoire de la science "laïque", risible sur le plan historique. Cependant il est difficile de censurer complètement Bacon, car sa révolution ou sa restauration scientifique a marqué les esprits. De très nombreux principes énoncés par Bacon comme devant permettre à la science de sortir de l'obscurantisme médiéval sont en effet devenus presque des dogmes aujourd'hui (ce qui ne signifie pas qu'ils soient largement appliqués).

    D'une part on peut qualifier Bacon de "père de la science moderne" ; mais d'autre part c'est impossible, en raison de la foi chrétienne de ce savant (qu'il est difficile de faire passer pour une simple effet de la mode de son temps), mais aussi parce que Bacon a réfuté certaines des grandes lois qui font consensus aujourd'hui en astronomie (B. n'accorde pas aux mathématiques/géométrie algébrique le pouvoir de rendre compte de manière complète des grands mouvements cosmiques.)

    La science de Bacon est aussi "énigmatique" que le théâtre de Shakespeare. Il faut dire que la science joue désormais un rôle social comparable à la théologie autrefois ; peu de monde s'avise aujourd'hui du caractère extra-scientifique des sciences dites "sociales". L'expression en vogue de "science dure", dépourvue de signification, suffit à elle seule à décrire le désordre qui règne dans la méthode scientifique aujourd'hui. Bien des ouvrages scientifiques ont le même aspect de prose impénétrable que les sommes théologiques au moyen-âge.

    Or, de la métamorphose de "l'enjeu religieux" en "enjeu scientifique", bien que ce dernier a parfois des "accents baconiens", Bacon n'est en rien responsable. Promotion de la science, le "Novum Organum" n'est en rien promotion de la technocratie, c'est-à-dire de l'usage religieux de la science par les élites politiques occidentales.

    "Notre première raison d'espérer doit être recherchée en Dieu ; car cette entreprise [de rénovation de la science], par le caractère éminent de bonté qu'elle porte en elle, est manifestement inspirée par Dieu qui est l'auteur du bien et le père des lumières. Dans les opérations divines, les plus petits commencements mènent de façon certaine à leur fin. Et ce qu'on dit des choses spirituelles, que le Royaume de Dieu arrive sans qu'on l'observe [Luc, XVII-20], se produit aussi dans les ouvrages majeurs de la Providence ; tout vient paisiblement, sans bruit ni tumulte, et la chose est accomplie avant que les hommes n'aient pris conscience et remarqué qu'elle était en cours. Et il ne faut pas oublier la prophétie de Daniel, sur les derniers temps du monde : beaucoup voyagerons en tous sens et la science se multipliera (...)"

    "Novum Organum", livre I, aphorisme 93

    La dimension eschatologique, de révélation ultime, de la révolution scientifique voulue par Bacon apparaît dans cet aphorisme ; on peut d'ailleurs penser que le livre de Daniel fournit en partie la clef du "Hamlet" de Shakespeare, pièce que la science universitaire dit "énigmatique".

    Dans "Hamlet", Shakespeare nous montre le sort réservé à un prophète par les autorités d'un pays dont il est en principe le prince - un prince à qui ces autorités auraient dû se soumettre, mais ne l'ont pas fait (Claudius incarne le pouvoir politique, Gertrude l'institution ecclésiastique, Polonius-Copernic le pouvoir scientifique).

    Bien des indices dans le "Novum Organum" laissent penser que Bacon n'était pas dupe de l'usage qui serait fait par les élites savantes de son oeuvre de restauration scientifique. En premier lieu parce que, s'il affirme l'aspiration divine de l'homme à la science, à travers sa condamnation de l'idolâtrie ce savant décrit le penchant contradictoire de l'homme au divertissement et à l'ignorance, sur lequel les pouvoirs publics s'appuient, non seulement suivant l'exemple de la Rome antique, mais bien au-delà de ce régime décadent.

  • Rousseau contre Darwin

    "C'est en un sens à force d'étudier l'homme que nous nous sommes mis hors d'état de le connaître." J.-J. Rousseau.

    En effet l'invention de la psychanalyse n'a fait qu'accroître l'énigme humaine.

    Quant au darwinisme, il explique tout, sauf le propre de l'homme. Il serait intéressant de connaître le préjugé de Darwin sur l'homme car la science moderne est une science sociale. La distinction des sciences sociales et des sciences "dures" est une vaste blague.

    - Ah mais, arrêtez, on a des preuves, des tas d'indices qui corroborent le transformisme ! Les flics ne tardent pas à débarquer avec leurs indices.

     

  • Fin du Monde

    Ce qui garantit la fin du monde occidental n'est pas tant ses errements économiques ou écologiques, comme on dit aujourd'hui, que l'étouffement de la science par les sciences sociales ; c'est en effet ce que cache l'expression de "science sociale" - l'idolâtrie de la science. Comme l'idolâtrie est le contraire de l'amour, l'idolâtrie est le contraire de la science.

    Cette haine occidentale de la science, sous couvert d'apologie, est un phénomène auquel il est difficile de ne pas accorder une cause surnaturelle. L'explication que donne Nitche à la décadence dans son chapitre "Humain, trop humain", si elle fournit quelques clefs et pistes, ne débouche pas moins sur une impasse (*comme je l'ai déjà expliqué sur ce blog dans plusieurs notes, comment attribuer le cancer de l'anthropologie au christianisme, alors même que les écritures saintes s'opposent à un quelconque calcul anthropologique).

    Les écologistes admettent en général qu'il est aussi difficile de remédier à la gabegie économique de l'Occident qu'il est facile d'en faire le constat. Tous ne voient pas à quel point les élites politiques sont contraintes par la fatalité, comme un paquebot lancé à vive allure vers un iceberg aperçu trop tard. Il est aussi difficile pour un homme politique d'être écologiste que d'être honnête, au stade populiste de la civilisation occidentale.

    Eh bien, ce qu'il est impossible de faire dans le domaine, somme toute primaire de l'économie, on peut encore moins concevoir que cela puisse être accompli dans le domaine de la science ; en effet, si la gabegie économique représente une menace, à terme, pour les élites politiques, la science, quant à elle, n'est d'aucun profit social ou politique. Shakespeare et Marx ont montré à quel point l'histoire et l'art politique sont deux domaines étrangers l'un à l'autre. On ne peut retirer aucune leçon de l'histoire sur le plan politique, mais seulement sur le plan individuel. Jamais aucune leçon n'a été retirée de l'histoire sur le plan politique, bien que la culture totalitaire s'efforce de démontrer l'inverse.

    Il est légitime de se demander, à la suite de Bacon-Shakespeare, si l'attentat contre la science n'est pas la finalité poursuivie par la civilisation occidentale. Le progrès de la science, explique Bacon, se heurte à la condition humaine, et par conséquent à la politique, dans la mesure où celle-ci n'a pas d'autre but que de procurer à l'humanité un certain équilibre, compte tenu des lois de la biologie. Or la politique moderne s'appuie sur les sciences sociales, ce qui fait d'elle une politique, non pas seulement étrangère au domaine scientifique, mais hostile. La prétention de la politique occidentale totalitaire est d'apporter un remède à la condition humaine. Cette prétention ou cette promesse est comme un poison versé dans l'oreille du peuple.

    On objectera que la fin de la civilisation occidentale insane n'est pas la fin du monde à proprement parler. On objectera que la civilisation peut repartir de zéro, voire qu'il y a eu au cours du temps des civilisations-champignons, comme il y a des villes-champignons.

    Ce serait manquer d'observer ce qui fait la caractéristique de l'Occident moderne, à savoir non seulement la domination du reste du monde par la force et par la ruse démagogique, mais en outre l'Occident moderne se présente comme une civilisation ultime et définitive, une solution heureuse au monde.

    Les civilisations et les nations ne sont pas seulement menacées par la folie et l'aliénation, les catastrophes écologiques provoquées par la gabegie d'élites orgueilleuses, elles le sont aussi par la science.

     

     

     

     

  • Dans la Matrice

    Un chrétien peut s'exprimer sur l'art, mais dans le fond ce qui intéresse vraiment le chrétien, c'est la science.

    La culture ultra-moderne prouve ceci : dieu est mort, mais la religion n'en demeure pas moins omniprésente. L'esprit critique n'est pas plus répandu dans les sociétés démocratiques athées qu'il ne fut dans les sociétés théocratiques autrefois. L'idée du progrès qui prévaut dans la culture ultra-moderne est elle-même une idée religieuse.

    La caractéristique des sociétés totalitaires qui consiste à accorder au langage une valeur supérieure, c'est là le facteur de la superstition moderne. Le langage est utilisé par les élites dans les sociétés totalitaires comme un instrument de sidération du peuple. En enfermant dieu dans des définitions abstraites, la théologie catholique a accompli les trois/quarts du chemin en direction de la culture athée ultra-moderne.

    L'athéisme que Simone Weil perçoit comme pouvant "purifier la foi", c'est celui de Nietzsche, ou encore du jeune Marx ; ou bien encore de la jeune Simone Weil ; mais dans la société occidentale désormais, on ne rencontre pas cet athéisme-là ou presque, mais la soumission à une norme laïque admise comme un dogme par le citoyen lambda.

    La religion moderne ouvre sur un nombre de perspectives infini, tandis que la science réduit le nombre des perspectives. Les esprits scientifiques, contrairement aux esprits sentimentaux, ne caressent pas de vains espoirs toute leur vie.

    Si Shakespeare a prédit l'oppression totalitaire, c'est aussi parce qu'il a prédit le nivellement de la conscience au niveau des sentiments (Roméo & Juliette), et le rôle des clercs dans cet entreprise barbare d'asservissement. La moraline destructrice des vraies valeurs dont parle Nietzsche, n'est pas le produit du christianisme ; elle est le produit de la ruse de Satan, possédant les clercs chrétiens comme il posséda auparavant les juifs.

  • Dans la Matrice

    Caractéristique de nos régimes totalitaires, cette idée de la liberté comme d'un état analogue au hasard. Dans des cultures moins oppressives et technocratiques, le hasard est perçu comme l'ignorance. Le citoyen joue au Loto - il y est incité par l'Etat - espérant que son gain lui procurera une plus grande liberté. Que l'Etat s'effondre, ou que sa force coercitive soit considérablement diminuée, et le destin reprendra la place qu'il occupait, à la place du hasard.

    C'est le stade ultime de l'anthropologie de concevoir l'ignorance humaine comme un état de liberté enviable. Les chrétiens qui ramènent le message évangélique à un discours anthropologique ou social sont des chiens, assujettis à l'Antéchrist bien plus qu'aucun apôtre d'un quelconque satanisme ostentatoire, arborant la svastika ou des cornes de bouc en carton-pâte.

  • De l'intellectualisme

    Les intellectuels et l'intellectualisme ne sont pas toujours combattus au nom de valeurs archaïques, comme ceux-ci le prétendent parfois pour leur défense. Promoteur du progrès, décisif dans la mesure où il cerne dans quels domaines l'homme n'est pas soumis à la nécessité ou au hasard, Francis Bacon a combattu l'intellectualisme d'une manière qui n'est pas sans rapport avec celle de notre Rabelais. Du point de vue de Bacon, c'est l'intellectualisme qui est un archaïsme, puisqu'il le rapproche de la scolastique médiévale.

    De plus, l'Angleterre a longtemps incarné le progrès aux yeux des élites des autres nations européennes. Or c'est certainement en Angleterre que l'on peut trouver le plus de détracteurs de l'intellectualisme et des intellectuels. George Orwell relie ainsi la cause des intellectuels au totalitarisme.

    De fait il existe une conception intellectuelle du progrès, médiévale ou cléricale dans la mesure où elle revient à ériger le progrès en religion. Au contraire Bacon s'emploie à démontrer qu'il ne peut y avoir de progrès humain dans le domaine éthique ou politique, c'est-à-dire à démolir une idéologie qui fera ultérieurement des centaines de millions de victimes, sacrifiées sur l'autel d'un progrès qui n'en est pas un, mais une pure illusion entretenue par des intellectuels - une méthode de gouvernement.

    Voici ce que Bacon écrit au chapitre consacré aux "Etudes" de ses "Essais" :

    "Les hommes pratiques méprisent les études ; les naïfs les admirent, et les sages en tirent parti : car elles n'enseignent pas leur propre fin, qui est une sagesse en dehors et au dessus d'elles, fournie par l'observation."

    On voit à quel point Bacon n'est pas moderne, puisqu'il place les hommes pratiques qui méprisent les études au-dessus des naïfs qui les admirent. Comme l'intellectualisme consiste à trouver dans les études sa propre fin, et que les intellectuels bénéficient d'un monopole dans le monde moderne totalitaire, il n'y plus de sages selon Bacon.

    "Etudier l'histoire rend sage ; la poésie, fin ; les mathématiques, subtil ; la philosophie naturelle, profond ; la morale, grave ; la logique et la rhétorique, habile à disputer. L'étude passe dans le caractère. Même il n'y a point d'obstacle ou d'entrave dans l'intelligence qui ne puisse être supprimé par des études bien choisies."

    Ici, dans le lien établi entre la sagesse et l'histoire, on peut encore reconnaître Shakespeare et son effort pour doter l'Angleterre d'une histoire véritable, contre la culture médiévale visant à maintenir l'homme au niveau inconscient de la culture. L'intellectuel descend du clerc catholique, dans la mesure où l'histoire prive le clergé et les intellectuels du rôle d'éminences grises qu'ils entendent jouer.

    On trouve par Shakespeare la représentation mythologique de l'intellectuel dans le personnage de Polonius-Copernic (responsable d'une définition intellectuelle de l'univers, dommageable pour la conscience). A moins qu'il ne sache pas lire du tout, un intellectuel se sentira forcément épinglé en lisant "Hamlet". 

     

  • De l'Athéisme

    "J'aimerais mieux croire à toutes les légendes de la mythologie, du Talmud et du Coran, que de penser qu'il n'y a point d'esprit dans cet édifice de l'Univers ; et si Dieu n'a jamais fait de miracle pour réfuter l'athéisme, c'est qu'il est réfuté par ses oeuvres normales. Il est exact qu'un peu de philosophie incline la pensée vers l'athéisme, mais que la profondeur philosophique la ramène à la religion. (...)" (Francis Bacon Verulam, "Essais")

    Dans ses essais, Bacon réfute la thèse moderne prêtant à certains philosophes de l'Antiquité des convictions athées. Il n'y a pas d'humanisme athée, d'une manière générale. Il est également abusif de qualifier la philosophie des Lumières d'athée.

    La culture bourgeoise moderne est un anti-humanisme. L'Eglise romaine porte la responsabilité de l'anthropologie moderne athée. Confiez le soin à quelques universitaires issus de l'université bourgeoise laïque de traduire Bacon, et ils s'empresseront d'en faire un précurseur de la conscience moderne dévouée à l'Etat, seule divinité devant laquelle le bourgeois s'incline respectueusement.

     

  • Contre H. Arendt

    Hannah Arendt a fait, ainsi que Simone Weil, quelques observations judicieuses à propos des causes de l'oppression moderne, désignées comme le "totalitarisme", et dont la culture de masse prouve aux yeux d'Arendt la persistance au-delà du régime nazi ; d'une certaine manière, le point de vue d'Arendt n'est guère éloigné du point de vue fasciste, critique à l'égard de certains aspects de la culture moderne.

    Judicieuse en particulier la remarque d'Arendt sur la divinisation de la science, au stade totalitaire. L'eugénisme nazi, celui de la Chine communiste, ou encore des laboratoires qui financent les principaux partis politiques démocratiques, sous couvert de "darwinisme social", illustre l'usage de la science par les régimes totalitaires. L'industrie de l'armement n'a pas seulement un rôle politique : elle est le produit de l'effort de "savants". Les philosophes de l'Antiquité étaient capables de concevoir des armes de longue portée ou de destruction massive, mais aucun n'a tenu qu'il y avait là autre chose que de l'ingéniosité. On pourrait dire que l'invention et le génie sont exclus du champ de la science antique, car l'Antiquité juge ces activités entièrement dépourvues d'imagination.

    On a trop souvent en effet affaire aujourd'hui à de faux savants (en général des statisticiens), prônant une "science éthique", or c'est précisément là qu'il y a un phénomène totalitaire nous dit Hannah Arendt. L'histoire de la science, si elle était enseignée avec un peu de sérieux en France, et non par des fonctionnaires partisans, nous renseignerait sur le fait que la "science éthique" est rattachable au principe de la "philosophie naturelle", bien plus religieux que scientifique.

    Cela signifie que la science qui est enseignée comme telle par les régimes totalitaires n'est pas une science fondamentale : le rapport qu'elle entretient avec l'objet de la science, c'est-à-dire l'univers au sens le plus large, est un rapport religieux et non scientifique.

    Il est très décevant de ne pas lire dans Hannah Arendt cette remarque complémentaire, d'une science moderne abaissée au niveau où l'art doit opérer, et d'un art moderne élevé au rang où la science devrait opérer "en toute indépendance".

    Il est trop facile de pointer du doigt en direction de l'Eglise catholique, effectivement impliquée dans cet étrange enlisement de la conscience humaine, tout en s'abstenant d'observer que l'université laïque en activité, perpétue ce mouvement "baroque", pour prendre l'adjectif qui désigne l'insanité catholique romaine à son apogée. Je reprends d'autant plus volontiers cette expression de Nietzsche qu'il l'a empruntée à un savant chrétien : la culture moderne, justifiée par l'université moderne, a pour but de maintenir l'homme dans un "labyrinthe" d'erreurs.

    Mon explication quant à l'erreur d'appréciation commise par H. Arendt est que cette essayiste est allemande, par conséquent entraînée à sous-estimer le rôle joué par l'université dans le cautionnement de l'oppression. En effet les Allemands ne peuvent pas s'empêcher de se prosterner devant l'Université, contrairement aux Français ou aux Anglais, plus pragmatiques et peu portés à prendre les "sciences humaines" pour des sciences véritables, en quoi ils ne se trompent pas puisque les "sciences humaines" prolongent le discours religieux.

    Je cite H. Arendt ("La crise de la culture") : "La conquête de l'espace par l'homme a-t-elle augmenté ou diminué sa dimension ?" La question soulevée s'adresse au profane et non au savant : elle est inspirée par l'intérêt que l'humaniste porte à l'homme, bien distinct de celui porté par le physicien à la réalité du monde physique. Comprendre la réalité physique semble exiger non seulement le renoncement à une vision du monde anthropocentrique ou géocentrique, mais aussi une élimination radicale de tous éléments et principes anthropomorphes en provenance du monde donné aux cinq sens de l'homme ou des catégories inhérentes à son esprit. La question tient pour établi que l'homme est l'être le plus élevé que nous sachions - postulat hérité des Romains dont l'humanitas était à ce point étrangère à la disposition d'esprit des Grecs que ceux-ci n'avaient pas même de mot pour l'exprimer. Si le mot humanitas est absent de la langue et de la pensée grecques, c'est parce que les Grecs, à la différence des Romains, ne pensèrent jamais que l'homme fût l'être le plus élevé qui soit. Aristote appelle cette croyance atopos, absurde. (...)"

    J'ai recopié en bleu quelques lignes dont le sens est peu sûr. En effet, la "conquête de l'espace" est un slogan aussi bien irrecevable du point de vue de l'humanisme que du point de vue de la science physique.

    Bizarrement, H. Arendt assimile ensuite l'anthropocentrisme au géocentrisme. La méthode scientifique, qui n'a rien de "nouveau" ou de moderne, est la plus dissuasive de l'anthropocentrisme, c'est-à-dire de transposer sur l'objet de l'étude scientifique des caractéristiques humaines, ainsi qu'un mauvais peintre transférera sur la toile, agissant au hasard, ses émotions, plaçant ainsi son art, tant par le but que par le moyen, à un niveau inférieur au niveau où se situe la production artisanale.

    Or le géocentrisme est fondé, comme la rotondité de la terre, sur l'observation du mouvement du soleil, c'est-à-dire sur la vision, donc le sens par lequel l'homme est le moins abusé.

    La récusation du géocentrisme, quant à elle, repose sur le point de vue théorique de l'observateur, sans lequel le modèle démonstratif que la terre tourne ne serait pas possible. Certain savant l'a admis récemment : l'héliocentrisme est avant tout une méthode de calcul astronomique. En quoi le calcul serait moins anthropocentrique que l'usage de la vue ? La meilleure preuve de l'erreur qui consiste à assimiler l'anthropocentrisme au géocentrisme se trouve dans Aristote, que H. Arendt cite un peu plus loin, puisque celui-ci combat l'anthropocentrisme au profit de l'ontologie, en même temps qu'il apporte sa caution au géocentrisme. De même on peut dire l'art "conceptuel", aussi intelligent soit-il, un art plus anthropocentrique que l'art antique. La poésie d'Homère, par exemple, est beaucoup moins anthropocentrique que l'art de Marcel Duchamp, aussi ironique soit ce joueur d'échecs quant à la possibilité d'un art démocratique.

    "Hamlet" fait date dans le combat contre le totalitarisme ou la direction prise par l'Occident, résumé dans le "Danemark", direction qui est celle d'un sens giratoire maquillé en "sens de l'histoire". En effet le propos de la pièce de F. Bacon, alias Shakespeare, est de pointer Copernic, alias Polonius, au contraire d'Hannah Arendt, comme une menace pour la science - menace représentée par l'anthropocentrisme, effectivement à l'origine d'une philosophie naturelle qui ne dit pas son nom, dont l'abstraction dissimule l'artifice.

    L'hostilité de F. Nietzsche à la culture moderne, persuadé lui-même qu'elle repose sur le néant, a pu lui faire croire que Shakespeare était "athée" ou païen comme lui. Le plus probable est que Shakespeare a décelé dans la science scolastique catholique, dont Copernic, Rhéticus, tout comme Galilée ultérieurement sont les représentants, un complot chrétien contre l'esprit de Dieu (symbolisé par le spectre, père de H.). Il faut d'ailleurs un esprit libre de tout perspectivisme anthropologique, à un point que Nietzsche n'atteint pas, pour comprendre que le théâtre de Shakespeare est d'ordre mythologique, et qu'il échappe aux règles du drame bourgeois.

    La distinction faite par Hannah Arendt entre les Romains et les Grecs s'avère utile. En effet la science moderne dérive bien plutôt de la culture romaine, décadente sur le plan scientifique - hypermorale, pourrait-on dire, et qui tient absurdement l'homme pour un être supérieur, ce que l'on ne peut absolument pas déduire du judaïsme ou du christianisme. Cette idée de l'homme comme un être supérieur, par exemple, semble un préjugé nécessaire à la science évolutionniste. La remarque semble évidente que la science évolutionniste ne compte pratiquement d'avocats qu'au sein de la communauté des savants technocrates, et quelques écologistes en sus qui n'ont jamais mis les pieds dans la nature ; chaque variété de régime totalitaire a inventé une application morale, dérivée du darwinisme.

     

  • Dialogue avec l'Antéchrist

    Je donne ici un extrait de mon étude en cours dédiée à l'Antéchrist de F. Nitche, extrait tiré du chapitre sur la philosophie naturelle de cet antichrist, qu'il résumait dans la formule de "l'éternel retour".

    "(...) La physique de Nietzsche et moins proche d’Aristote qu'elle n'est d'Héraclite (VIe siècle avant J.-C.), promoteur du feu comme « élément primordial ». Cette philosophie naturelle évoque le mythe de Prométhée, offrant vie à l’homme, sa créature, sous la forme du feu. La cohérence satanique de la doctrine de Nietzsche se trouve renforcée par ce rapprochement. En effet le mythe de Prométhée est, avec la Genèse attribuée à Moïse, l’une des plus anciennes explications de Satan et de son rapport avec les lois de la physique, dont volonté et vertu humaines découlent.

    Le feu, énergie d’origine solaire, dont nul ne peut se passer pour vivre, illustre parfaitement le thème de l’éternel retour puisque la nature est ainsi résumée à une source d’énergie intarissable, faisant et défaisant l’homme, qui ne peut faire mieux que trouver le meilleur moyen de jouir de la vie, c’est-à-dire l’art le plus propice à ce dessein, par-delà bien et mal.

    Matérialiste, la doctrine de Nietzsche se rapproche bien de la science physique grecque (présocratique) qui refuse en général de concevoir le cosmos comme étant, conformément à l’homme, le résultat d’un processus créatif. Cependant « l’élément feu » est celui qui symbolise le plus le processus de création.

    Aristote pour fonder sa métaphysique par-delà les différentes philosophies naturelles de son temps, ne manque pas de critiquer Héraclite en avançant l’absurdité d’une préséance de l’élément feu sur les autres éléments naturels, quand l’observation scientifique conduit au constat de la coexistence des éléments. La critique d’Aristote signifie que toute philosophie naturelle, qu’elle soit matérialiste ou idéale, trouve son unité dans l’homme, qui est dépourvu de cette qualité propre à l’univers ou au cosmos.

     

    A y regarder de plus près, la philosophie naturelle de Nietzsche est aussi peu représentative de l’antiquité grecque que la philosophie d’Héraclite fut. Cet aspect primordial du feu, et donc du soleil, incite à relier plutôt la doctrine de l’éternel retour à la culture de l’Egypte antique. Il est plutôt étonnant que Nietzsche n’ait pas lui-même invoqué cette culture, parfaitement antagoniste du judaïsme honni."

  • Preuve de dieu

    Le suicide prouve dieu. Encore une fois j'aime beaucoup cette preuve, qui me paraît particulièrement adaptée à notre temps de confusion entre science et enquêtes policières. L'idée moderne de la civilisation est en effet une idée de la civilisation qui se situe au niveau de la police, très proche de l'idée d'une théologie qui consisterait à prouver l'existence de dieu, c'est-à-dire d'une théologie sans métaphysique. Le calcul humain transpire en effet à grosses gouttes dans le problème de la preuve de dieu.

    Le suicide prouve que la volonté de l'homme est plus indécise que celle de toutes les autres espèces ; s'il semble régner dans les groupes de singes une forme de "suspens", une indécision propice aux sentiments et aux loisirs, c'est très probablement en raison d'une forme de fascination pour lui-même, qui fut baptisée "existentialisme" par la philosophie bourgeoise, que l'homme pense cela. En réalité, si le singe est plus philosophe et moins aristocratique que le lion, il n'en a pas moins un instinct de survie qui résume la plupart de ses actions.

    Au passage le suicide prouve aussi que la théorie transformiste est fausse. Elle l'est du point de vue de l'individu qui a tendance à lever la tête vers les étoiles et se trouver bien ignorant des choses essentielles. On voit que la société moderne a perdu le sens de l'individualisme, qu'elle confond avec le relativisme. L'évolutionnisme n'a pas engendré par hasard dans différentes cultures totalitaires différentes formules de "darwinisme social".

    Le suicide prouve dieu, mais les chrétiens savent que cette preuve est parfaitement inutile, et c'est pour cette raison qu'il vaut mieux s'en débarrasser en une courte phrase. On voit que Jésus-Christ n'use pas de théorèmes, mais de paraboles. Les théorèmes sont des lois sataniques, et le monde moderne serait moins complexe si les hommes de loi rendaient un hommage moins officieux à Satan.

    Nietzsche ou Hitler brillent par leur franchise, mais ils ne comprennent pas bien la stratégie de la terre brûlée mise en oeuvre par leur maître, c'est-à-dire le sens officiel, moderne, de l'histoire. Cette stratégie de la terre brûlée, c'est-à-dire le suicide de la civilisation, prouve d'ailleurs encore dieu (inutilement). Nietzsche a d'ailleurs partiellement compris la signification sous-jacente de cette incroyable baudruche à quoi s'apparente la rhétorique moderne, et que la culture moderne est une "culture de la preuve de dieu".

  • Big-bang... pschittt !

    On pourrait prendre les critiques récentes de la théorie du "big-bang", c'est-à-dire d'une explosion de matière présidant à la formation de l'univers, comme un signe positif de scepticisme scientifique, si cette hypothèse séduisante n'avait été prônée auparavant comme une science supérieure par ceux-là même qui émettent des doutes aujourd'hui sur sa validité, ou qui du moins ne peuvent s'empêcher de remarquer la difficulté à faire coïncider cette hypothèse avec certaines observations de planètes situées en dehors du système solaire.

    Ces savants ne semblent pas se douter qu'ils reviennent ainsi à une ancienne remarque de certains savants matérialistes selon laquelle l'observation de l'ordonnancement des choses de la nature offre le démenti le plus catégorique à l'idée de chaos, ou de bordel comme on dit aujourd'hui, idée dont la racine semble dans l'homme et les comportements erratiques de l'espèce humaine, auxquels l'art et l'économie modernes s'efforcent d'apporter une justification positive. En art, la quête absurde d'originalité en est une. Une poignée d'avocats de la théorie de la relativité en charge de la démonstration du caractère fondamental de cette théorie offrira aussi une image du chaos en raison de la difficulté d'accorder ces plaidoyers entre eux. Une "prime" de rationalité peut être décernée à Poincaré, en raison de sa remarque que l'héliocentrisme copernicien n'est qu'un mode de calcul de la position des étoiles, et non une science fondamentale.

    Le "hic" avec les scientifiques américains, puisqu'il s'agit surtout d'eux, comme les prestigieuses universités dont ils sont issus représentent le "nec plus ultra" de la science physique ou cosmologique actuelle, est qu'ils sont à peu près ignorants de l'histoire des ou de la science ; peut-être vaut-il mieux dire qu'ils sont "tenus dans l'ignorance", compte tenu de l'hostilité pluriséculaire des universités occidentales à l'égard des études historiques dans tous les domaines (l'Etat s'édifie contre l'Histoire), ce qui incite les milieux académiques à regarder la technocratie moderne comme le produit raisonnable de l'histoire, quand bien même les avancées technocratiques ne constituent pas la preuve d'un progrès scientifique du point de vue de l'historien. L'instrument, aussi sophistiqué soit-il, ne fait pas le savant. Plusieurs indices montrent que les hypothèses astrophysiques modernes reflètent d'abord les instruments de la science moderne, plutôt qu'elles ne sont l'expression concrète de la matière et de l'univers. Il ne faut pas creuser beaucoup pour que ces savants technocrates admettent que l'univers, en dépit des modèles mathématiques et des hypothèses qui paraissent procurer une conception globale, demeure très largement "terra incognita". C'est là un aveu paradoxal d'impuissance, puisque la science technocratique s'impose largement par sa puissance de feu, de calcul, etc.

    Etant donné le rapport entre la géométrie et l'architecture, on est en position de se demander si la science technocratique moderne n'est pas comparable à la science antique, moins "humaine", c'est-à-dire moins "culturelle", comme l'architecture moderne est comparable à l'architecture antique, autrement dit si la science du nombre fractal et l'hypothèse du néant n'est pas une régression par rapport à une science reposant sur les nombres naturels.

    Au demeurant en examinant comment les savants modernes procèdent pour confirmer leurs hypothèses, s'efforçant de reconstituer à l'échelle humaine, en laboratoire, des phénomènes macrocosmiques pour tenter de vérifier la validité de leurs hypothèses, on ne peut s'empêcher de remarquer que cette méthode renverse celle prônée par les savants, avocats de la science expérimentale, incitative à ne pas formuler d'hypothèse en l'absence d'observations concrètes multiples préalables invitant à le faire - incitative de surcroît à conserver la conscience de la distance entre l'hypothèse scientifique et la vérité scientifique avérée.

    L'aveu de l'un de ses savants théoriciens du "big-bang", que lui et ses confrères ont toujours conservé dans leur for intérieur, l'idée ou l'impression que leur théorie pouvait être une explication erronée, et que la découverte d'indices contradictoires confirmait presque de manière jouissive ce sentiment inconscient qu'ils se trompaient, est un aveu d'une étonnante... simplicité. Autrement dit : bailleurs de fonds de l'astrophysique moderne, soyez remerciés d'offrir aux lauréats de la science moderne des joujoux assez sophistiqués pour les désennuyer.

    *

    Revenons sur cette critique récente de l'hypothèse du big-bang, qui relève l'inadéquation entre l'hypothèse d'une explosion originelle et l'aspect "peu chaotique", l'ordonnancement auquel l'univers serait parvenu "immédiatement après" cette explosion initiale, prenant ainsi forme, comme dirait un artiste classique, selon un mécanisme auquel l'hypothèse du big-bang s'avère incapable de fournir une explication plausible. Cette critique n'est que très relative, puisque nos savants technocrates se proposent seulement d'amender le modèle, sans s'interroger sur les limites scientifiques de la modélisation. Autrement dit, au lieu de chercher les preuves concrètes, observables, expérimentales, de notions abstraites telles que le néant ou l'infini, vis-à-vis desquelles la science antique plus matérialiste, jusqu'à la Renaissance, a exprimé beaucoup de méfiance, ne vaut-il pas mieux se demander si ces notions abstraites, inhérentes aux calculs et modèles mathématiques ne sont pas nécessairement transposées à l'objet de la science lui-même. Il faut noter que cette réflexion mathématique, sur la base de modèles algébriques, a pour effet psychologique de faire de l'homme - en théorie - la cause première de l'univers. Disons-le autrement : la divinisation de la science (en réalité de la technique), corrélative de l'athéisme ou de l'agnosticisme moderne, place l'homme en position de démiurge, non seulement du monde terrestre restreint, mais de l'univers dont il fournit la définition la plus exhaustive possible, ou, plus précisément, une définition en constante évolution. A la question "innocente" d'un enfant qui se demanderait ce qui a précédé l'explosion du big-bang, critiquant ainsi involontairement la démarche qui consiste à rechercher et identifier une "cause première", la seule réponse possible serait : l'homme qui a conçu cette hypothèse première.

    Cette nouvelle tournure d'esprit scientifique (-XVIIe siècle) est sans doute plus facile à observer au plan de l'art moderne. Bien que largement occultés, plusieurs critiques ont fait la démonstration claire et nette, pour le déplorer comme Nitche, ou seulement le constater tel Léopardi, d'une poésie ou d'un art moderne progressivement de plus en plus scindé de la nature et vecteur d'une forme de radicalité anthropologique nouvelle, "libérée" du frein que Nitche se fait un devoir moral de reconstituer par le biais de sa théologie satanique, le principe de l'éternel retour pouvant seul fonder une anthropologie "joyeuse", et donc saine.

    De fait nul ne peut nier le rapport de l'art moderne avec l'existentialisme au sens large, l'introspection, et par conséquent une démarche plus religieuse que scientifique. Certains savants modernes sont à vrai dire très mal à l'aise avec la démarche scientifique de l'hypothèse, capables de comprendre son lien avec une certaine forme de théologie, bien plus qu'avec l'expérimentation scientifique. La recherche d'une cause première est bel et bien analogue à la tentative de certains théologiens de définir dieu/le grand architecte comme la "cause première", extérieure par conséquent à l'univers. C'est cette "extériorité" que la modélisation mathématique perpétue par sa quête temporelle d'une cause initiale, s'exposant à la critique ou la remarque que cette cause initiale présente toujours un aspect théorique voire dogmatique, d'abstraction inexplicable.

    Nitche, et Léopardi plus précisément encore, font remonter le tour abstrait pris par l'art moderne à la philosophie médiévale, de sorte que pour le critique italien, loin de théoriser à la manière de Hegel un progrès de la conscience artistique vers une spiritualité plus grande, la Renaissance et la philosophie des Lumières représentent des parenthèses en réaction à cette détermination philosophique médiévale, l'idée de "modernité" étant essentiellement sous-tendue par une détermination philosophique médiévale. Ainsi la civilisation occidentale serait principalement mue par un "matériel philosophique médiéval", l'athéisme moderne n'étant lui-même que le prolongement de spéculations religieuses chrétiennes, ce qui explique le caractère dogmatique de la laïcité et de la science technocratique modernes. De fait on observe que l'homme moderne, qu'il soit classé dans la catégorie des poètes, des artistes ou des savants, produit surtout des objets de culte, procédant d'une auto-glorification un peu simplette et remplissant le besoin religieux primaire de consolation ; mal, puisque le fétichisme artistique moderne remplit psychologiquement le rôle d'accoutumance ou de résignation à la mort.

     

     

  • Progrès & Football

    Si le progrès est chose pratiquement invisible, dont il ne faut pas s'attendre à des manifestations publiques (gare aux politiciens qui invoquent le "sens de l'histoire"), c'est en raison du goût de l'homme pour la culture avant tout. Il n'y a aucun exemple de société qui ne soit pas d'abord sous l'influence d'une culture, et n'entretienne avec elle le même rapport qu'un morceau de fromage avec la cloche qui le recouvre.

    Les cultures progressistes sont les plus laides et les plus artificielles, car elles méconnaissent simultanément le principe de la culture et celui du progrès. Les cultures progressistes privent l'homme à la fois d'une philosophie naturelle véritable comme elles le privent d'une théologie véritable, proposant à la place un existentialisme douteux - ce que le crétin occidental ultime appelle une "play list", c'est-à-dire un choix de morceaux de musique sur lesquels il va danser, jusqu'à s'essoufler, avant de crever ensuite quand il sera bien cuit.

    A un dieu invisible tel que l'est le dieu des chrétiens, dont la présence n'est pas aussi palpable que celle que Satan, correspond cette chose invisible qu'on appelle le progrès, qui sans ce dieu n'aurait pas traversé l'imagination humaine, contredisant l'art comme l'idée de liberté contredit celle d'éducation.

    La plus grande folie est de croire au progrès sans croire en dieu, car cela revient à tout miser sur le néant ou sur l'avenir, deux idoles du panthéon des cultures progressistes.

  • Surnaturel et science

    Certains lecteurs parviennent sur ce blog en interrogeant Google ainsi : - y a-t-il une opposition entre le surnaturel et la science ?

    La réponse est non, l'humanité ne connaît pas cette distinction avant le XVIIe siècle ; c'est donc le propre de la science bourgeoise dite "moderne" de postuler cette différence. Le but de la manoeuvre n'est pas difficile à comprendre : il s'agit de justifier la technique et les mathématiques (mécanique) comme des sciences à part entière. Dans ce cadre technocratique, l'artifice (la science-fiction débile du voyage dans le temps, par exemple) prend la place du "surnaturel" et du mythe.

    C'est dans la "science sans conscience" volontaire que réside l'extraordinaire criminalité de la bourgeoisie occidentale moderne, dont Shakespeare prédit qu'elle engloutira l'Occident tête (Angleterre) la première.

  • Preuve de dieu (2)

    Causons un peu de ce dieu moderne qui éclipse les anciens et que l'on appelle "la science". C'est bien d'un rapport religieux à la science dont il s'agit dans le monde moderne, et qui rappelle par conséquent le propos de Rabelais sur la "science sans conscience", dont les universitaires spécialistes de Rabelais omettent souvent de rappeler qu'il vise la science scolastique.

    Ce rapport religieux est traduit par la notion de "culture scientifique", qui ne choquera pas un homme de foi, mais fera sursauter un scientifique. Il est traduit aussi par l'idée d'une science "tournée vers l'avenir", c'est-à-dire ayant rompu avec la matière, ce qui est le propre d'une conscience religieuse primitive ou infantile.

    Cette dimension religieuse est perceptible également dans la censure par les pouvoirs publics des critiques de la science officielle. Je citerais ici le cas de Michel Onfray, dans la mesure où la portée scientifique de sa critique est très limitée, mais néanmoins rencontre l'hostilité des représentants de l'Inquisition.

    Et, comme la contestation du monopole scientifique de l'Eglise catholique romaine est un des axes de la philosophie des Lumières, s'appuyant parfois sur les évangiles pour contester ce monopole (Diderot), on est très étonné qu'aucun historien "public" ne nous dise que la philosophie des Lumières n'a eu aucun effet en France ; vraiment très étonné qu'aucun historien ne nous dise que les institutions républicaines prolongent les dogmes et idéologies, comportements de l'Eglise catholique romaine, et que la laïcité, le principe de neutralité religieuse de l'Etat républicain est une vaste blague : en ce qui concerne les chrétiens qui cautionnent la laïcité, on peut même démontrer assez facilement que ce sont de sinistres bouffons, dont l'argent est le seul mobile. La laïcité est une vaste blague puisque l'Etat, à coups de milliards d'euros, s'efforce d'imposer l'idée de la science moderne comme un dieu nouveau, et d'autre part sanctionne la contestation de la science officielle. La laïcité témoigne d'une métamorphose du cléricalisme, mais non de l'abandon des méthodes cléricales de l'Ancien régime. La laïcité obéit au principe de la ruse, et typiquement de la ruse de caste. Il est de notoriété publique que Judas Iscariote a rendu l'argent qui lui avait été versé en échange de sa trahison - des démocrates-chrétiens il ne faut pas s'attendre à la même restitution.

    Pour revenir à la preuve de dieu, d'autant plus exigible qu'il s'agit d'un dieu inventé par les hommes : qu'est-ce qui nous prouve que, derrière le gadget moderne, il y a vraiment la Science pure avec un grand S, et que tout ça ne cache pas un vaste système d'exploitation clérical ? D'autre part on aimerait comprendre comment il se fait que la science la plus laïque, et donc la plus neutre en principe, prolonge la science des savants catholiques romains ou protestants du XVIIe siècle, les plus confessionnels de tous les temps, mélangeant de façon indistincte hypothèses scientifiques et convictions religieuses plus ou moins conformes à la Bible ? On aimerait savoir pourquoi les tenants des mathématiques modernes présentent aussi souvent des signes d'aliénation mentale ?

     

     

  • Dans la Matrice

    Le psychanalyste Carl Jung souligne à juste titre que le rejet de la mythologie par le monde moderne est une cause de trouble mental. De fait l'art moderne le plus débile se distingue par l'ignorance de la mythologie, vis-à-vis de laquelle il se croit émancipé. L'opinion particulière acquiert ainsi une valeur supérieure au raisonnement plus général, et l'individualisme est de cette façon réduit au narcissisme, à savoir son contraire, sous prétexte de "libération" de l'individu.

    Ce que Carl Jung ne dit pas, ou pas assez, c'est l'extraordinaire moyen de domination que la culture de masse ou l'art moderne, vecteurs de folie, constituent pour les élites capitalistes occidentales. A travers l'art et les prétendus artistes modernes, qui ne sont en réalité que des kapos pour la plupart, en charge d'une mystification culturelle dont le message essentiel est l'éloge sournois de la faiblesse.

    Ce que Carl Jung occulte en outre, et que le point de vue chrétien extérieur à la culture ou à l'anthropologie permet de voir, c'est qu'il n'y a pas une seule mythologie, mais deux.

    C. Jung est conforme au plan universitaire typique du XIXe siècle pour réduire l'art et la mythologie à leur vocation anthropologique, et tenter ainsi d'étouffer la mythologie juive ou chrétienne, qui porte en elle la condamnation à mort de l'art et de l'anthropologie.

    Ne cessons pas de le répéter jusqu'à la fin du monde : Shakespeare représente un désaveu radical et définitif pour les élites occidentales, apparemment chrétiennes, mais en réalité fondée sur une rhétorique anthropologique impossible, que le nouveau testament qualifie de fornication, c'est-à-dire le pire crime contre l'esprit, et le seul déclencheur de la colère du Christ.

    Le rhéteur démocrate-chrétien n'a d'ailleurs aujourd'hui l'argument anthropologique ronflant à la bouche qu'en raison de l'incapacité de l'Occident à produire autre chose que l'art le plus débile. Ainsi le commentaire philosophique est complémentaire de la culture de masse totalitaire, de même qu'une gnose scientifique se développe autour des systèmes d'exploitation technique afin de dissimuler leur nullité en termes scientifiques.

    La conjonction de l'art le plus abstrait (la musique) et de la plus grande superstition est un trait de caractère de la démocratie ou du totalitarisme, en même temps que le discours démocrate-chrétien est le moins critique à l'égard de la condition humaine moderne. Un esprit païen comme Jung, entraîné à l'être par son éducation catholique romaine, peut comprendre que Satan préside à l'art, c'est-à-dire que toute forme d'art n'est que le produit dérivé du nombre 666, qui définit la seule anthropologie en principe efficiente.

    Carl Jung pose convenablement le diagnostic de folie collective ; il perçoit à quel point la culture moderne libère dangereusement l'instinct, c'est-à-dire en dehors d'une perspective véritablement rationnelle. Mais il pose ce diagnostic en médecin, attaché à une culture de vie païenne, malgré ou à cause de son éducation catholique romaine, faisant complètement fi de l'histoire, et interprétant celle-ci comme un mouvement erratique, selon le pli du raisonnement de l'homme d'élite, qui traduit automatiquement l'histoire comme la condamnation de sa caste et de son rang. Par conséquent, s'il a bien une idée ou un aperçu du mal qui ronge l'homme moderne, Jung s'avère incapable de remédier à la déraison collective - d'assigner un objectif à l'art qui ne soit, comme l'objectif moderne, une sorte d'euthanasie inconsciente de l'art. Tout simplement la mort de l'art est pour Jung, comme pour Nitche, impensable.

    Contrairement au dire de Nitche, la colère de Hamlet ou Shakespeare contre la culture occidentale chrétienne ne s'appuie pas sur la mythologie païenne ou athée. Cette dernière est la plus totalement dépourvue de sens historique (hormis la mythologie de Homère). Shakespeare repose sur la proscription évangélique absolue du mobile anthropologique ou, pour parler le langage moderne, de "l'oedipisme chrétien". Le personnage d'Ophélie traduit le mieux ce type de conscience, et Shakespeare montre sa proximité avec la démence, avec une acuité qui peut paraître d'une cruauté extraordinaire, mais qui l'est surtout pour ceux qui ont condamné Ophélie à cette démence masochiste si particulière à l'Occident moderne.

    Qui voudrait l'aliénation de ses propres enfants ? Shakespeare répond : voyez les élites occidentales modernes s'organiser sur cette base suicidaire, les pères donner leurs enfants en pâture à l'avenir afin de gagner du temps. Shakespeare ne s'étonne ni ne s'indigne, contrairement à Nitche ou Jung, à tous les esprits réactionnaires, de la décadence du monde occidental, c'est-à-dire du triomphe de la ruse et de la folie modernes sur la sagesse antique démoniaque. Exit MacBeth ; exit la vieille mythologie démoniaque et la musique des sphères ; si Hitler avait lu et compris Shakespeare, il aurait pu y lire des présages d'écrasement rapide par les puissances de l'axe moderne "judéo-chrétien".

    L'enlisement du monde dans l'erreur n'est que l'expression du jugement dernier, inéluctable. La réponse de Shakespeare à l'aliénation du monde moderne n'est pas une réponse morale comme Nitche ou Jung, l'art ou la psychanalyse, miroirs anciens que Shakespeare sait condamnés à voler en éclats sous la pression moderne ; c'est une réponse métaphysique. Pour Shakespeare, l'amour et la vérité ne sont pas des idées étrangères au monde et à la nature, comme les idéaux modernes peuvent l'être, absolument hypothétiques et religieux par conséquent, mais l'amour et la vérité précèdent tout ce qui naît et meurt, comme une force étrangère ou un corps étranger au monde et à la nature. L'amour et la vérité sont choses aussi incompréhensibles à l'homme que dieu peut l'être, et susceptibles d'autant de formules idolâtres que celui-ci.

    Si l'homme était capable d'amour ou de science, autrement que par intermittence, dans ce cas il ne mourrait pas selon Shakespeare. Ainsi l'humanité est définitivement divisée selon Shakespeare, entre ceux qui, cherchant le bonheur font le malheur d'autrui, suivant la loi naturelle impitoyable, et démontrent ainsi que l'amour n'est qu'un vain mot ; et ceux qui, cherchant l'amour, sont dissuadés de le trouver dans l'homme ou dans le monde ici-bas, dont l'existence même est menacée par la vérité.

    Comment l'élitisme, qui fut le meilleur moyen de la vertu dans les temps antiques, incarne désormais l'irresponsabilité et la bêtise, le sacrifice du bien public au profit de chimères catastrophiques, cela qui parle au nom de l'antéchrist l'ignore, tandis que Shakespeare le sait.


  • Science sans conscience

    J'explique longuement dans ma précédente note comment la "culture scientifique" revient à ce que Rabelais qualifie de "science sans conscience".

    Un athée tel que George Orwell fut capable de deviner sur quelle imposture scientifique repose la technocratie moderne, et de saisir l'ampleur de cette imposture. Celle-ci mène à une sorte de religion de la science, s'éloignant de plus en plus du rationalisme scientifique pour basculer dans la science-fiction.

    Seul un chrétien peut comprendre le sens historique de cette gigantesque imposture. On a coutume de dire, de croire (ou de récuser) qu'un chrétien est reconnaissable à l'amour ou la charité dont-il fait montre, dépourvue du caractère érotique "nécessaire" ou providentiel (à travers le "providentialisme", le monachisme catholique romain a réintroduit la culture de vie païenne sous l'apparence d'institutions chrétiennes) ; mais, dans le christianisme, amour et vérité scientifique sont indistincts, de sorte qu'on peut dire que c'est le manque d'amour, aussi bien que de science, qui permet à l'humanité de persister, aux yeux d'un historien chrétien tel que Shakespeare. Le monde s'appuie sur l'iniquité, et cette iniquité se traduit dans le domaine scientifique par le monopole des technocrates.

    - La science moderne, en particulier la science physique, est organisée comme une poupée russe ou comme une suite mathématique. Elle tire la plupart de ses "preuves", non d'expériences présentes, mais de démonstrations ultérieures, où la vitesse supposée de la lumière joue un rôle primordial, alors même que cette vitesse est quasiment impossible à mesurer concrètement. Cette science évolue paradoxalement depuis le XVIIe siècle et la révolution copernicienne. Elle progresse contre sa propre logique. Prenons un exemple : les données de l'astronomie moderne contemporaine invalident largement la révolution copernicienne, tout en étant solidaires et consécutives de celle-ci. Cette manière d'évoluer de la science est bien plus typique d'un phénomène religieux que d'autre chose, car on peut dire de la plupart des religions qu'elles progressent en s'adaptant.

    - De ce fait, l'imposture scientifique des élites technocratiques est beaucoup plus facile à discerner dans le domaine de l'histoire, science à laquelle les élites ont substitué, grosso modo, l'idéologie hégélienne, dont le caractère "providentialiste" a l'avantage, pour les élites, de consolider leur position dominante.

    L'histoire est une science plus facile d'accès pour l'homme du peuple que pour l'homme d'élite, pour la raison indiquée par Shakespeare que la conduite des hommes ou la politique implique l'aveuglement ou l'ignorance de certaines réalités sur lesquelles l'historien véritable fait au contraire la lumière. L'historien véritable est très rare : il se caractérise par le refus d'octroyer aux élites dans l'histoire le rôle prééminent qu'elles sont amenées à jouer en politique. En outre, Shakespeare se montre très avisé quant à l'irresponsabilité ou la folie particulière des élites modernes, c'est-à-dire aux conséquences de la révélation chrétienne sur le plan politique.

    On peut observer que l'idéologie hégélienne satisfait aussi bien les exigences d'une élite antichrétienne que d'une élite soi-disant chrétienne, et s'étonner d'une telle "ouverture d'esprit". La raison en est simple : l'idéologie totalitaire hégélienne est élitiste, et c'est tout ce qui importe en l'occurrence.

    G.W.F. Hegel traduit la révolution française d'une manière qui n'a pas l'heur de coïncider exactement avec les préjugés inculqués en France par l'Education nationale sous couvert d'instruction civique. En effet, Hegel traduit la révolution française comme un signe de progrès chrétien. Deux autres versions sont davantage en vogue dans l'intelligentsia française : la première, c'est que la révolution de 1789 est un progrès antichrétien ; la seconde, nitchéenne ou baudelairienne, c'est que la révolution française n'est pas un progrès, mais au contraire une catastrophe.

    L'observation juste est que, plus la taille des nations enfle au cours de l'histoire moderne, plus l'enseignement officiel de l'histoire en leur sein se rapproche de l'idéologie pure. La loi des Etats ploutocratiques modernes (Etats-Unis, Russie, Chine, etc.) ne peut se passer du fanatisme religieux afin de se faire respecter, et par là-même ne peut pas tolérer la critique historique. En termes de propagande de la foi, la supériorité de l'idéologie hégélienne, au contraire des arguments réactionnaires de Nitche ou Baudelaire, est de paraître s'accorder avec l'histoire, exactement comme la démocratie ou la promesse d'égalité.

    La mécanique de base du raisonnement hégélien est presque aussi bête que les mathématiques modernes, et c'est ce qui explique qu'elle fonctionne à plein. En résumé, l'Occident est gouverné par des élites qui entraînent les peuples occidentaux vers le progrès, comme Moïse conduisit les Hébreux jusqu'en Terre promise. C'est l'absence d'esprit critique, notamment à l'égard des élites dirigeantes, qui explique le succès du raisonnement hégélien dans les castes occidentales dirigeantes, aussi bien national-socialistes (Etats-Unis) que soviétiques (URSS/Chine).