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Mon Journal de guerre - Page 28

  • Nostalgiques républicains

    Divers doctrinaires ou pédagogues nostalgiques de l'ordre républicain voudraient redonner à la jeunesse le goût du travail et lui réinculquer le goût de la discipline scolaire, si bien qu'on se croirait un peu retourné au régime de Vichy et à ses éditoriaux sur la défaite française, l'antisémitisme en moins. L'Etat d'Israël est, il est vrai, devenu un exemple de régime disciplinaire et laborieux, qui fait oublier l'image du juif séditieux et anarchiste qui inspira naguère la méfiance aux idéologues républicains.

    Ces théoriciens ne paraissent pas se préoccuper de l'objection simple qui peut leur être faite que les "valeurs républicaines", ayant représenté le moindre obstacle à la décadence et à des changements de moeurs dont l'économie capitaliste est la principale cause, il est plus que douteux que ces valeurs puissent s'interposer aujourd'hui contre le "bouleversement social". La meilleure chance du "retour aux valeurs anciennes" est la crise économique.

    C'est ici que Marx s'avère utile pour remettre du plomb dans la cervelle des adeptes de l'ordre républicain, par le rappel que la propriété est la SEULE valeur fondamentale défendue solidement par les régimes républicaines modernes, toutes les autres étant fictives (l'égalité) ou décoratives (la fraternité) ; la fraternité républicaine ne s'entend qu'au sens militaire ou militant, face au feu ; dans les états-majors militaires ou ceux des partis politiques, c'est la règle du coup tordu qui s'impose.

    Marx fait la démonstration que le cadre républicain moderne est le cadre idéal du développement de l'économie capitaliste. La meilleure preuve en est que les valeurs républicaines sont en principe conservatrices, et non "progressistes", ce dont les idéologues républicains contemporains ne paraissent pas avoir conscience. Tout le problème du progrès, quand on l'a fait miroiter au peuple comme un nouveau dieu plus vrai que les anciens dieux, avec des moyens de propagande similaire, c'est que le peuple finit par y croire dur comme fer, par vouloir le voir et même le palper.

    Une anecdote : un militant du PS m'alpague alors qu'il fait la chasse aux voix dans un quartier populaire ; comme j'ai brûlé ma carte d'électeur à 18 ans en signe d'émancipation religieuse, et que mes revenus me dissuadent de me sentir actionnaire de ce pays au fier passé, sans même chercher à détourner mon apôtre de cette bifurcation qui mène de l'urne au cimetière en passant par de folles espérances politiques, je lui fais signe que je suis un cas désespéré. Mais le type, comme c'est son métier (ou le sera quand il aura passé le cap du bizutage), insiste. Au terme d'une brève conversation où nous faisons un effort pour sympathiser, moi l'athée et lui le croyant, il finit par m'avouer qu'une monarchie constitutionnelle lui irait aussi bien (un militant du PS ! en même temps, il faut dire que la scène se situe à Paris, ou à peu près tous les pouvoirs sont regroupés). - Oui, parce que ce qui compte surtout, c'est ce qui manque, poursuit-il : la responsabilité des hommes politiques ! J'ai sans doute croisé-là le futur François Mitterrand. Ce ne serait sans doute pas une mince affaire d'aller expliquer au peuple - à nos chères têtes blondes d'abord, que la démocratie n'était qu'un doux rêve. Quel boulot ce serait pour le personnel enseignant ; où trouverait-il encore le temps d'apprendre à lire aux gosses les bouquins débiles de J.K. Rowling ? Et dieu dans tout ça (comme disait Napoléon) ?

    Plus ridicules encore, certains idéologues républicains, auxquels quelques chefs d'entreprise capitalistes joignent logiquement leur voix, intéressés qu'ils sont par la "valeur travail", fustigent l'individualisme de la jeunesse, décidément bien mal éduquée. L'individualisme ? Où ça ? Je sais bien qu'on est en France, et pas encore aux Etats-Unis, mais l'individualisme ne se rencontre plus guère que dans le titi parisien, espèce en voie de disparition. Et encore, beaucoup d'entre eux ont désormais un téléphone portable, signe d'individualisme défaillant, ou bien, comme dirait Freud, de cordon ombilical mal sectionné. Dans un pays peuplé d'individualistes, les publicitaires pourraient remballer leur doctrine et aller se faire voir ailleurs. Une des principales actions de l'école, dite républicaine, est de tuer l'individualisme dans l'oeuf, en enseignant l'arithmétique et toutes les sciences sociales superflues. La confusion est faite, plus ou moins volontairement, entre l'individualisme et le relativisme moral, forme dévoyée de celui-ci. Sur ce point, c'est Nitche, défenseur de la grande vertu antique contre la moraline moderne, qui a raison quand il indique que la vertu est liée en principe à la jouissance (de sorte que pour Nitche, seul un aristocrate ou un surhomme peut être vertueux, car il pèse sur le peuple-esclave une contrainte trop forte pour qu'il puisse jouir pleinement) ; on peut donc voir le relativisme moral comme étant lié à une volonté affaiblie, "féminine" dit notre poète-surhomme, et la conséquence d'un régime de frustration. Or la tactique de l'économie capitaliste est de créer l'insatisfaction afin de mieux soumettre un maximum d'insatisfaits.

    Cependant la critique de la morale bourgeoise moderne par Nitche ne s'accompagne pas de moyens politiques efficaces de restauration d'un ordre inique mais équilibré. Le leitmotiv du changement s'impose, aussi dénué de but concret ou même politique soit-il.

    Pour ce qui est de l'individualisme véritable, Nitche ne le conçoit pas, pas plus qu'il ne conçoit la métaphysique ou le Christ, roi des anarchistes, autrement que comme un esprit faible et rêveur, tributaire du temps et non de la matière. La pensée de Nitche ne franchit pas le cap ou ne veut pas franchir le cap de la biologie ou de la physique, et il projette sur le cosmos un raisonnement, si ce n'est abstrait et dérisoire comme les modèles mathématiques, tout de même humain ou anthropologique, c'est-à-dire indifférent aux choses éternelles dans la mesure où elles paraissent inaccessibles à l'homme.

  • Marx chrétien ?

    On considère assez largement en France que Karl Marx est un critique ou un historien athée. Mais on ne trouve pas chez Marx comme chez Nietzsche l'affirmation d'un plan satanique civilisateur, antichrétien et antijuif, dont le principal mérite est de démontrer que la civilisation est nécessairement un plan antichrétien.

    Un chrétien selon la parole divine concédera qu'il n'y a ABSOLUMENT rien dans les évangiles pour fonder une culture, puisqu'il y a même de nombreux avertissements contre ceux qui, usurpant le Christ et la parole divine, braveront cette interdiction en encourant le châtiment divin. Pour le dire trivialement, l'esprit du christianisme n'est pas de faire concurrence au diable sur son terrain de prédilection, à savoir la société.

    L'ambiguïté de la critique marxiste est à peu près la même que celle de la philosophie des Lumières, à savoir : critiquer une religion chrétienne détournée de son but pour satisfaire les ambitions politiques et morales d'une élite constitue-t-il une démarche athée, ou cela permet-il au contraire de découvrir la vérité chrétienne, cachée derrière la tenture cléricale ? De cette ambiguïté, les philosophes des Lumières comme Marx sont conscients. Ils ont en outre en commun le fait d'avoir reçu une éducation chrétienne assez poussée, et même très poussée dans le cas de Marx.

    Le christianisme social, et donc truqué, auquel Marx s'attaque, notamment à travers sa formule hégélienne la plus moderne, la mieux adaptée au totalitarisme, peut être caractérisé comme un "providentialisme". Les cultes païens sont des cultes providentiels, en raison du rôle exclusif et central joué par la nature dans ces cultes - exclusif notamment de la notion d'histoire. Le providentialisme, sous la forme antique du "destin", ou plus moderne du "hasard", trahit le double discours du clergé catholique romain, à la fois païen et chrétien. De toutes les religions, le christianisme est en effet la moins providentielle. Le providentialisme est d'ailleurs étroitement lié à une notion, flagrante dans les cultes anciens, et occulte dans le régime démocratique bourgeois, à savoir l'élitisme. Autrement dit, il n'y a pas de civilisation équilibrée, de culture de vie païenne sans élitisme. C'est une ruse bourgeoise que celle qui consiste à faire croire que la démocratie est conçue dans l'intérêt du peuple, et le clergé catholique joue exactement le même rôle auprès de la bourgeoisie que celui qu'il joua autrefois auprès des princes quand il s'efforce de cautionner la démocratie.

    La particularité de la démocratie selon Marx, opposée à la démocratie républicaine ou bourgeoise, est qu'elle consiste à tenter de libérer l'homme de l'emprise de l'Etat. Marx conçoit la démocratie contre l'Etat républicain, et l'idéologie stalinienne consiste à rétablir l'Etat dans ses droits contre la critique marxiste - et donc le providentialisme. En cela le propos de Marx s'éloigne beaucoup moins du christianisme que les tentatives démocrates-chrétiennes de justifier la démocratie comme un régime plus juste et coïncidant avec l'esprit chrétien.

    Marx est en outre beaucoup moins révolutionnaire que les philosophes bourgeois qui, étant donné le changement de régime en faveur de la bourgeoisie, se sont efforcé de présenter la révolution française de 1789, mouvement distinct de la philosophie des Lumières, comme un "progrès".

  • Foot & parade militaire

    Le "Voyage au bout de la nuit" était interdit dans l'armée française jusqu'à une période récente. Sur la guerre moderne, bourgeoise & démocratique, l'ex-héros de guerre L.-F. Céline s'avère de fait un peu trop lucide et antialcoolique. On fera des connauds bons pour le service bien plus facilement à l'aide du cinéma, instrument indispensable de la politique moderne. Il est impossible de concevoir un humanisme contemporain qui ne mette pas en cause le rôle du cinéma comme machinerie au service de la guerre moderne, totale au point de requérir l'adhésion des consciences les plus faibles en "temps de paix". Le cinéma opère par l'arasement progressif de l'esprit critique.

    Ancien combattant lui aussi, Pierre Drieu La Rochelle explique que "la patrie est la force la plus immédiatement dangereuse qui circule au milieu de nous" : on peut en dire autant du cinéma, dont la valeur artistique est très proche de la valeur religieuse du cinéma, c'est-à-dire superficielle. On pourrait dire qu'il n'y a pas de civilisation bourgeoise, parce qu'il y a un cinéma bourgeois.

    Sans l'aide d'un psychiatre pour l'aider à gérer son stress post-traumatique, Céline soigne sa folie en noircissant du papier ; quel meilleur moyen de soigner la folie que de faire un effort pour recouvrir la conscience que l'élan ou le plan social obscurcit ?

    L.-F. Céline se montre conscient du lien entre la folie et la sexualité, ainsi que du caractère principalement érotique de la guerre. Comme beaucoup de jeunes soldats de son âge, Ferdinand part à la guerre comme on part à la conquête d'une jolie femme, et il est bouleversé de découvrir que la guerre moderne n'est qu'une vieille mégère infâme, qui préfère les chars et les pluies d'obus aux jeunes soldats héroïques. F. Vallotton, esprit sceptique lui aussi, évoque le caractère "mathématique" de la guerre moderne, c'est-à-dire son extraordinaire légalisme, en même temps que sa violence cataclysmique. Les longues périodes de trêve qui ont suivi les conflits mondiaux les plus violents traduisent-ils la volonté des hommes de faire la paix, ou tout simplement la difficulté à récupérer après un effort de guerre ultra-violent ? La France, en 1940, est-elle faible du fait de ses chefs, ou bien n'a-t-elle pas encore récupéré de ses efforts précédents ?

    Si la guerre est l'occasion d'une prise de conscience, celle de Céline par exemple, tandis que les parades militaires en temps de paix sont des spectacles conçus pour les veaux, comme le football, cela s'explique parce que la guerre est destructrice du mensonge social ; aucun abus de conscience, sous la forme d'un idéal ou d'une doctrine sociale quelconque, ne résiste à la réalité de la violence militaire. De même la prison est dissuasive d'adhérer à un quelconque idéal social. On ne comprend rien et on n'explique rien de Sade tant qu'on n'a pas dit que c'est un ancien officier, qui a tué très jeune de ses propres mains. Sans instinct, il n'y a pas de société, et à cause de l'instinct il n'y a pas de société idéale possible.

    On peut d'ailleurs observer que les prêtres qui commettent la folie de fournir leur caution morale à la guerre, sans aller jusqu'à tremper eux-mêmes dans le sang et la merde, le plus souvent ne veulent pas voir sa réalité barbare ou la camouflent. Les guerres modernes bourgeoises "au nom de la démocratie" sont d'abord des guerres religieuses pour cette raison qu'elles s'appuient sur une propagande qui, au lieu d'exalter la vaillance et les qualités viriles, prétend qu'il y a des guerres justes, et d'autres qui ne le sont pas. C'est ici que l'on peut situer le rôle extrêmement néfaste des doctrines sociales prétendument chrétiennes. Elles ne sont pas représentatives de la faiblesse, comme dit Nietzsche, faisant l'apologie de l'héroïsme et de la vertu antiques, mais de la ruse.

     

     

  • L'Art et l'Eglise

    L'Eglise catholique romaine représente la branche officielle du christianisme la plus sociale ; c'est ce qui explique que l'art moderne le plus débile porte sa marque, en filigrane. Le besoin d'un pâtissier contemporain d'apposer sur son travail l'étiquette de l'art (et demain de la science), tentant d'effacer ainsi tout ce que la gastronomie a de trivial, est un besoin que le clergé catholique a inoculé aux peuples de l'Occident (bien sûr, une fois purgé de la critique de Luther, le clergé protestant a suivi le mouvement).

    L'homme qui, de ce fait, se situe au niveau de dieu, ou bien, ce qui revient au même, à qui l'existence semble d'un grand prix, a un tempérament "bipolaire" où l'immodestie et l'arrogance alternent avec des périodes de doute puéril. "Je suis athée, mais si j'étais croyant j'irais certainement au paradis, vu ma conduite assez irréprochable.", dit un célèbre journalisme parisien, sur le ton totalement dépourvu d'humour d'un gosse à qui sa mère ne cesse de répéter qu'il est le meilleur.

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    Sur le thème de l'art et de la vérité, la difficile conciliation de ces deux mobiles ou buts, Bernard-Henry Lévy a pondu l'année dernière un ouvrage abondamment illustré d'oeuvres anciennes et récentes, censées être représentatives de l'art occidental. Le thème de l'art et de la vérité englobe nécessairement le christianisme, le judaïsme, la philosophie païenne recyclée de Platon, voire l'antichristianisme, étant donné le recul apparent des Eglises chrétiennes officielles au cours des derniers siècles.

    Cet ouvrage globalisant ou de synthèse n'a pas de fondement scientifique sérieux. C'est entièrement une démonstration philosophique réfutable, à peu près dans les mêmes termes utilisés par Marx pour réfuter la thèse hégélienne du sens de l'histoire.

    Suivant une logique athée, BHL s'efforce de nier la réalité et le sens de l'interdit juif de l'art, ce qui revient à essayer de transformer la religion juive en ce qu'elle n'est pas et ne peut pas être, à savoir une religion "anthropologique".

    Il est donc fascinant de constater que BHL répète le travail subversif opéré par les clercs catholiques du moyen-âge, et qui consiste, contre la lettre et l'esprit évangéliques à faire du christianisme une religion anthropologique. Nul mieux que Shakespeare n'a illustré le caractère tragique de cette méthode, qui consiste à inventer une morale chrétienne (aujourd'hui une "éthique judéo-chrétienne"), alors même que le Messie des chrétiens n'a jamais donné la moindre leçon de morale à quiconque, mais qu'il inaugure un temps nouveau, bref et apocalyptique. Le Messie ne présente pas la pauvreté comme un avantage d'ordre moral sur la richesse, mais comme un avantage spirituel.

    Le christianisme est incompatible avec une doctrine sociale quelconque, et donc une position sociale quelconque, pour la simple et bonne raison qu'il se figure la société comme l'enfer, c'est-à-dire comme la conséquence du péché. S'il est proposé à l'homme un remède à ses errements, en aucune façon le christianisme ne propose de tirer la société de l'état de médiocrité dans laquelle elle se trouve, c'est-à-dire de l'état le plus souhaitable du point de vue de la civilisation ou de l'art.

    On pourrait dire que la métaphysique chrétienne s'oppose à l'art, le faisant apparaître comme beaucoup plus trivial ou limité qu'il n'est, mais surtout, ce qui est plus grave pour les élites dirigeantes, le christianisme détourne de la fonction sociale de l'art. Parce qu'elle est l'art le plus social, la musique est du point de vue chrétien l'art le plus nul, une sorte de berceuse pour les enfants.

     

  • Critique littéraire

    L'autocritique est un art difficile, notamment parce qu'il suppose d'être en bonne santé. Si l'art de Proust est aussi dépourvu d'autocritique et rempli des justifications que le fétichisme procure, par conséquent destiné à plaire aux femmes, c'est sans doute parce que Proust est malade et drogué jusqu'aux yeux.

    Il arrive à ce genre d'auteur, comme Pascal ou Rimbaud, de réclamer à leurs ayant-droit de détruire leur oeuvre dans un regain de santé, comprenant qu'elle n'a été qu'une prothèse, et par conséquent une escroquerie sur le plan littéraire. Si l'on se penche d'un peu plus près sur la culture bourgeoise, on se rendra compte, d'ailleurs, qu'elle est entièrement thérapeutique, c'est-à-dire inutile à un esprit sain de corps et d'esprit. C'est un vin mauvais, un de ces petits vins sucrés traîtres qui font la joie des bonnes femmes. L'aspect thérapeutique de la culture bourgeoise est ce qui la rapproche de la sorcellerie et du tribalisme. Personne ne lit Proust = nul ne sait ce dont le sorcier du village est capable. Le respect pour la culture est la superstition moderne et la peur des fantômes.

    Il n'y a pas l'athéisme d'une part, et la religion de l'autre, ce sont là deux manières trop humaines de considérer la religion, mais plutôt une religion propice à l'autocritique (qui diffère de l'examen de conscience), et l'autre propice à l'autojustification (d'où le besoin des grandes bourgeoises allemandes protestantes du baume de la psychanalyse).

    L'effet néfaste de la chair sur la conscience est systématiquement souligné dans les religions (non seulement la religion chrétienne) propices à l'autocritique. Une religion que l'on peut confondre avec l'opium du peuple, comme dit Marx, est nécessairement une religion qui fait la part belle à l'érotisme, le plus souvent sous la forme maligne de la promesse de bonheur, c'est-à-dire d'une jouissance différée dans le temps. L'éthique judéo-chrétienne est l'ingrédient de base du totalitarisme. On ne peut contester ce point à l'antichrist Nietzsche, qui a le don de faire apparaître le satanisme comme un humanisme. Nietzsche "parle" à tous ceux que la culture moderne détruit, en particulier les enfants, parce qu'il s'est soigné en luttant contre les effets néfastes pour lui-même de la culture bourgeoise, la plus incitative à la passivité de toutes les cultures. C'est un plus grand sorcier que Proust ou Freud, dont les publics sont plus restreints.

  • Culture de vie

    "Culture de vie" : l'expression sonne bien, elle a le charme des slogans positifs, surtout dans un monde efféminé et vieilli, pour ne pas dire atteint par le gâtisme.

    On entend parfois ce slogan dans la bouche de chrétiens : pourtant, il ne saurait y avoir de culture de vie chrétienne - l'arrière-plan biologique de cette idéal réactionnaire, dont Nietzsche a expliqué et justifié le mobile antichrétien et antijuif, exclut de le confondre avec la spiritualité chrétienne, pure et fondée sur la méfiance de la chair et des femmes, enclines à inventer des stratagèmes pour vampiriser les hommes.

    La vie éternelle, dont parlent les évangiles, ne peut fonder une quelconque culture humaine. Les tenants chrétiens de la "culture de vie" sont les rois des imbéciles : ils ignorent doublement de quoi est faite la culture, et que le christianisme implique le renoncement à la fortune. Ce sont les rois des imbéciles, et ils exposent leurs enfants à cette imbécillité dangereuse.

    La "culture de mort" dominante en Occident, s'explique par le fait que le christianisme ne permet pas de cautionner une culture conservatrice, ainsi que l'est nécessairement la culture de vie. Sur ce point, Nietzsche se trompe légèrement : la culture égyptienne est une culture de vie beaucoup plus pure que la culture grecque, dans laquelle on peut légitimement soupçonner l'influence de la métaphysique juive, notamment chez Homère.

    La culture judéo-chrétienne occidentale est essentiellement une culture de mort, et la "modernité" un concept dépourvu de sens en dehors des élites représentantes et actionnaires de l'éthique chrétienne. Et la culture de mort judéo-chrétienne est essentiellement truquée, dans la mesure où la parole de dieu ne fonde aucune culture, c'est-à-dire aucun discours anthropologique ; il ne peut pas y avoir, par exemple, de psychologie chrétienne ou d'art chrétien, et de cette impossibilité résulte la fragilité et l'arbitraire de la culture occidentale. Les tenants de la culture de vie chrétienne impossible sont en réalité des nostalgiques de la vertu, ce qui encore une fois peut se comprendre, compte tenu de l'état de corruption avancée de la société, mais n'a rien de chrétien - et celui qui n'est pas avec le Christ est contre lui et sera traité en adversaire.

    Le rêve de l'homme est de prendre ses quartiers dans le temps : écoutez plutôt la parole divine qui vous dit que le réalisme est de penser que cela ne sera jamais possible. A la fin, les suppôts de Satan s'entre-tueront sous le prétexte de la préservation de leur culture et de leurs valeurs, qu'ils se cachent sous le masque de la religion de démocrate-chrétienne, ou bien celui d'une autre religion moins subtile. Le chrétien n'a pas besoin d'une culture, conservatrice ou moderne, puisqu'il a Dieu - il voyage léger.

  • Delenda est Roma

    Après un pape allemand de droite, jonglant avec les références philosophiques hégéliennes pour épater les amateurs de sermons tordus et autres séminaristes occupés à donner à leur homosexualité un sens digne de leur mère, la curie a bombardé un pape de gauche, plus habile à épater les foules. La religion du futur sera quantique ou ne sera pas - on pourra calculer son PPCM avec son téléphone cellulaire.

    Aussi ce pape parie-t-il ostensiblement avec ses gardes suisses sur les prochains matchs de foot. Du pain et des jeux de société plus ou moins violents, voilà le meilleur moyen d'endiguer la vérité. Au fait, Jésus jouait-il avant-centre ou arrière-droit ?

    Appartenir à l'Eglise romaine est le meilleur moyen d'être de son temps. Tous les styles de papes sont théoriquement possibles.

     

  • Satan dans l'Eglise

    Le christianisme ne répond pas au besoin de l'homme d'une religion "horizontale", remplissant un rôle consolateur face à la mort. Si le christianisme n'est pas une religion au sens ordinaire du terme, -l'évangile peut même complètement se passer de clergé-, c'est parce qu'il ne tient pas compte de la mort, c'est-à-dire de l'instant qui détermine la conduite morale de la plupart des hommes, et la conduite politique de la plupart des cités.

    Mais la puissance du destin est telle que le christianisme prend le plus souvent l'apparence d'une religion horizontale au service de la société et non des hommes. C'est pourquoi la critique que certains athées adressent à la religion chrétienne de n'être qu'un moyen de consoler ou rassurer les âmes faibles est la meilleure critique qu'on puisse faire à la religion chrétienne, telle qu'elle se présente le plus couramment, c'est-à-dire comme le plus irrationnel des discours éthiques.

    Cette critique doit même être poussée plus loin ; il faut dire que la culture moderne, censée être d'inspiration chrétienne (cf. G.W.F. Hegel), est plus rassurante et plus confortable que n'était la culture antique, incitative à assumer son destin plutôt qu'à le fuir ; et aussi, lorsqu'on est sincèrement athée, étendre cette critique à la consommation de toutes les drogues, réconfortantes elles aussi pour les esprits faibles ou efféminés.

     

  • Dans la Matrice

    Tout le monde connaît cette façon moderne de classer les études scolaires en "études scientifiques" d'une part et "études littéraires" d'autre part. Eh bien cette distinction est strictement moderne, c'est-à-dire qu'elle n'a aucun sens, ni scientifique, ni littéraire, ni même historique. Ce clivage traduit seulement un préjugé moderne. La réforme des études scolaires et universitaires n'aura jamais lieu, car elle requiert la reconnaissance préalable de la fonction religieuse remplie par le système scolaire et universitaire moderne, et que cette fonction dépasse largement le but scientifique officiel.

    L'assimilation de la technique à la science est d'abord le fait de l'université et des universitaires. La technocratie ne peut pas se remettre en cause elle-même. Les ouvrages de Hannah Arendt sont sans doute significatifs du maximum d'esprit critique dont un représentant de la technocratie peut faire preuve. George Orwell dépasse ce niveau maximum en une phrase, lorsqu'il indique que les intellectuels sont les personnes qui ont le plus de goût pour le totalitarisme. De fait, le cinéma, qui est l'art le plus totalitaire, est entièrement justifié comme un art selon un raisonnement intellectuel. La dimension rhétorique du totalitarisme convient aussi parfaitement aux intellectuels et explique que nombre de poètes modernes se soient compromis avec les pires régimes. 

    Bien que tardive, la philosophie des Lumières elle-même ne correspond pas à ce clivage. Cela n'a pas de sens de dire les ouvrages de Voltaire plutôt "littéraires" ou plutôt "scientifiques".

    Le rapprochement par Francis Bacon Verulam de la science juridique et de la géométrie algébrique est beaucoup plus perspicace et utile du triple point de vue de l'histoire, de la science et de la politique. Soit dit en passant, il ne peut y avoir d'histoire de la science véritable, domaine où l'université moderne et la technocratie pèchent de la manière la plus flagrante, sans examen approfondi du propos de Francis Bacon. Grâce à Bacon, on sait ainsi que l'astronomie qui repose sur des modèles algébriques est nécessairement une astronomie subjective. L'univers est en proie à des métamorphoses successives à partir de son origine première, nous dit l'université. A moins que ce ne soit l'astronomie moderne qui soit une rhétorique en constante évolution ; non l'objet des études scientifiques, mais l'instrument de prédilection utilisé pour ces études.

    A propos de la pièce "Hamlet", écrite par Bacon et signée "Shakespeare" : les lecteurs les moins observateurs observent son arrière-plan astronomique pour plusieurs raisons. Non seulement Hamlet parle aux étoiles, mais le spectre son père est lui-même une sorte d'ange ou "d'Epiphane", c'est-à-dire une divinité se manifestant aux hommes. C'est un phénomène astral, puisqu'il se confond avec un étoile brillante. En outre le château d'Elseneur (Elsinborg) au Danemark fut la résidence d'un des astronomes les plus célèbres de l'Occident, Tycho Brahé, tenant de la théorie géocentrique, et auteur de calculs de positions d'étoiles non moins précis que ceux de Copernic, promoteur plus ou moins volontaire de la thèse héliocentrique. Polonius est de surcroît le pseudonyme transparent de ce dernier.

    S'il n'est pas le premier à témoigner dans ce sens, nul n'est mieux conscient que Francis Bacon de l'enjeu de la science pour l'homme. En ce sens, Bacon pourrait passer pour moderne, puisque l'antienne du progrès et de la science est une antienne que l'on entend tous les jours ou presque. Mais Bacon n'est pas moderne dans la mesure où sa science offre peu de points de correspondance avec la science actuelle, et peut-être plus encore parce que Bacon indique que l'homme est assez largement réfractaire à la science, et beaucoup plus porté à l'invention technique, domaine où il n'y a pas de progrès véritable. Bacon montre en quelque sorte que l'idée de progrès, si elle n'est pas liée à la métaphysique ou aux choses surnaturelles, n'a aucun sens.

    Bacon est conscient de l'enjeu majeur de la science, et des implications particulières de l'astronomie copernicienne dans le domaine moral ou politique (cf. "Novum Organum"). Il y a tout lieu de croire que Shakespeare exprime à travers "Hamlet" une hostilité radicale à la science copernicienne, et la vision commune du monde et de l'univers qui en découle -ou en découlera, pour être plus exact, car Copernic n'a pas manifesté une grande maîtrise de sa science et son déroulement ultérieur. On peut dire que la science de Copernic est un préalable au développement ultérieur de l'anthropologie, c'est-à-dire d'un courant scientifique qui a tendance à rapporter les différentes sciences à l'homme. Le seul profit qu'il y a à mettre en équation l'univers ou à en proposer des modèles mathématiques est, comme la cartographie de la terre, un profit pour l'homme, qui d'ailleurs de ce fait peut se sentir maître de l'univers et se bercer de cette illusion. On voit bien tout ce qui peut heurter un esprit scientifique dans cette tournure d'esprit moderne. Ce n'est pas parce que la métaphysique n'est pour l'humanité d'aucun profit, que l'on ne peut en déduire aucune loi morale ou politique, que la métaphysique n'est pas scientifique.

    "Hamlet" est donc une sorte de "Da Vinci Code", à ce détail près que le "Da Vinci Code" entretient un certain nombre de légendes qui courent à propos des rapports de l'Eglise catholique romaine et de la science moderne. L'influence de l'Eglise romaine sur la science moderne est, notamment en France, largement sous-évaluée.

    Un universitaire contemporain se demande pourquoi Francis Bacon a tant fait l'éloge de la mythologie et des mythes anciens (en tant que réceptacles durables de la science), mais n'a pas lui-même écrit de fables ou de mythes. On ne peut manquer d'observer que Shakespeare est le seul tragédien de l'ère moderne, et que ses tragédies n'ont pas le caractère "dionysiaque" que Nitche prête abusivement à la tragédie antique. Les tragédies de Shakespeare sont "historiques" - et par conséquent métaphysiques puisque l'histoire n'est pas une science anthropologique mais issues des prophéties juives de l'antiquité.

     

     

  • Misogynie chrétienne

    Les gens de robes catholiques romains diront que le christianisme n'est pas misogyne et donneront une version de mythe d'Adam et Eve proche des poupées allemandes Ken et Barbie.

    En quoi consiste la misogynie chrétienne ? Elle consiste tout simplement à souligner la faiblesse de la chair et pointer du doigt le sexe, non pas pour fonder une société puritaine, mais pour conserver à l'esprit que l'amour de dieu, qui renforce l'homme et la femme, n'a absolument rien d'érotique et ne peut être confondu avec cette sorte d'élan.

    J'entendais un vieil acteur français, au seuil de la mort, faire le constat un peu désabusé que l'"on est toujours seul", bien que la religion ou le socialisme prétende l'inverse. On est surtout toujours le cocu de la nature si on croit qu'elle unit les sexes dans un but autre que naturel.

    Le christianisme n'a rien à voir avec ces sortes de religions infantiles qui incitent à voir la société autrement que ce qu'elle est - néant. Si tel était le cas, alors les évangiles diraient : "On ira tous au paradis", et ne seraient pas loin du gigantesque attrape-couillons moderne qu'on appelle "démocratie". Or les évangiles disent qu'il y a peu d'élus, suivant une logique inverse de l'élitisme et du providentialisme, puisque une position sociale avantageuse, au regard de la vérité et du salut s'avère un handicap.

    On peut tout aussi bien traduire l'éloge de la faiblesse comme l'éloge de l'argent.

     

  • Dialogue avec l'Antéchrist

    La transmission des idées bourgeoises au peuple est un des pires fléaux de l'humanité. Certains historiens et sociologues prétendent - c'est une ruse - que la bourgeoisie est une notion presque impossible à définir. Faux ! C'est surtout le sociologue, artiste bourgeois, qui a l'art de noyer la science dans les détails.

    La culture bourgeoise n'est pas si difficile à caractériser. Sa manière de justifier la propriété n'a, ainsi, pas d'équivalent dans l'histoire. L'idée de "propriété intellectuelle" est une idée typiquement bourgeoise. Les préventions de la culture bourgeoise contre l'argent sont quasiment inexistantes. Si l'on constituait une bibliothèque bourgeoise, on pourrait ainsi en ôter tous les auteurs qui indiquent le risque d'aliénation mentale que fait courir l'argent, que ces auteurs soient antiques, comme Démocrite, ou modernes comme Balzac ou Marx.

    On pourrait citer un certain nombre d'idéologies qui ne peuvent être cautionnées en dehors des limites de la conscience bourgeoise. La science évolutionniste en fait partie. L'anthropologie chrétienne également, et ces deux idéologies sont moins éloignées qu'on ne le croit (je qualifie d'idéologie l'anthropologie chrétienne, puisque l'on peut absolument récuser, à partir des saintes écritures, toutes les doctrines sociales chrétiennes, pures inventions des élites occidentales perfides).

    Cet aspect relativement indéfinissable de la bourgeoisie est un élément caractéristique en soi. L'aristocratie est, elle, beaucoup plus aisée à repérer, notamment en raison de son rapport rationnel à la nature, qui rejoint le rapport que l'artiste entretient avec la nature, et dont Nietzsche a clairement expliqué en quoi il est fondamentalement antichrétien.

    Selon Nietzsche, ce fléau c'est le Christ, ou c'est à Jésus-Christ qu'il est imputable. La démonstration de Nietzsche se dispense donc d'établir la ressemblance entre Jésus et ses apôtres, d'une part, et des députés allemands démocrates-chrétiens de l'autre.

     

  • Le Christ anarchiste

    Si la justice est plus juste en prison qu'elle n'est en dehors de la prison, au stade où la plus grande tartufferie règne parmi les magistrats, c'est parce que cette justice est plus naturelle. L'argent, dont le rôle est moindre en prison, fausse moins la justice.

    Si le christianisme est une religion anarchiste, dans laquelle les faussaires sont facilement repérables, c'est parce que la nature n'est pas source de justice au sens chrétien, mais seulement d'ordre.

    L'idée d'égalité sociale est donc, ainsi que le souligne le philosophe païen Nitche, une idée contre-nature insensée.  Mais l'idée d'égalité sociale n'est pas chrétienne ou juive non plus. L'idée d'instaurer un ordre social éthique abstrait, et que cet ordre social-là puisse être "viable", cette idée ne trouve aucun fondement dans les Ecritures saintes. La démocratie moderne n'est pas moins irrationnelle aux yeux d'un chrétien qu'elle est aux yeux de l'antichrist Nitche.

    Pour Nitche, la démocratie moderne est imputable aux chrétiens, descendants des juifs. En réalité, il n'est pas difficile de voir que cette magistrature cauteleuse a inventé à l'aide du christianisme, en y mêlant la philosophie de Platon, l'art pour les élites de se couvrir de sang en toute impunité.

  • Hors Humain (2)

    "Hors Humain" : un type (qui n'est pas moi) badigeonne les trottoirs de Paris avec ce graffiti peint en lettres vertes ; ça ne m'étonne pas beaucoup, car le germanophobe et francophile Nietzsche juge les femmes et les Allemands "trop humains". La "moraline" (les exemples contemporains ne manquent pas) est selon Nitche une morale trop superficielle, parce qu'elle est fondée dans l'homme. Ici Nitche n'est pas loin de rejoindre Marx pour qui la morale bourgeoise consiste dans l'art de retourner sa veste.

    Le propos sur la "banalité du mal" de Hannah Arendt ne rend pas compte du danger extraordinaire que la moraline ou la morale du Tartuffe représente - danger propre à la civilisation chrétienne.

    J'espère que ce type qui peint des graffitis "hors humain", pour exprimer un dégoût plutôt français et salutaire de l'homme et des mots, par qui seuls l'homme défie les dieux et le cosmos, sans se rendre compte qu'il n'est qu'un coq quand il se comporte ainsi, j'espère que ce type n'écoute pas trop de musique, qui est l'art le plus typiquement humain, l'art par excellence des parvenus ou de ceux qui veulent parvenir et qui n'arrivent jamais à rien de concret. On donne l'illusion de dieu dans la musique en y introduisant le silence ; en revanche le musicien qui veut inverser la preuve de dieu fera en sorte qu'il n'y ait pas de silence dans la musique.

  • Hors Humain

    La théologie et la science sont amorales et on n'a jamais autant causé d'éthique que dans les sociétés athées où la science est entre les mains d'ingénieurs.

    Si la littérature moderne, depuis le XXe siècle, est aussi peu intéressante en général, c'est parce qu'elle est beaucoup trop chargée d'éthique, ce qui est un signe de relativisme et d'hypocrisie à la fois, car les hommes de peu de principes les respectent mieux que ceux qui en ont plein. L'idée d'inventer un "troisième sexe" ne peut venir que d'un curé ou d'une nonne, car pour un savant le fait qu'il y ait deux sexes, c'est déjà beaucoup trop.

    L'art de la Renaissance et l'humanisme sont aussi forts, au regard des productions précédentes et plus encore de la chienlit de musique baroque qui a suivi, parce que la Renaissance est un âge moins corrompu par l'anthropologie et le goût de la rhétorique qui va avec.

    Il n'est pas faux de dire que l'art de la Renaissance est plus "païen" et moins chrétien, mais à condition d'ajouter que le cinéma est plus chrétien que "païen". Ainsi l'on comprend que dans cet antagonisme, voire cette lutte entre la culture conservatrice païenne et la culture moderne chrétienne, le christianisme n'est présent que sous une forme subversive qui n'est pas le christianisme ; il n'est présent que sous la forme de la démocratie-chrétienne ou du journalisme chrétien, pour citer les deux exemples de postures chrétiennes les plus évidemment proches de Tartuffe ou Sganarelle, ou encore du complot judéo-chrétien maçonnique figuré par le château d'Elseneur ("Hamlet").

    Superficiellement, la critique radicale de la culture chrétienne occidentale par Shakespeare peut faire croire qu'il est athée ou païen. Plus familier des évangiles, les chrétiens savent que ceux-ci sont dissuasifs de l'art, d'une manière plus radicale encore que l'Ancien Testament, puisque les évangiles expliquent pourquoi la vérité divine rend l'art caduc ou inutile. Si le Christ est venu apporter le glaive et non la paix, c'est pour la raison que le monde ne peut durer, et même les sociétés ne peuvent se renouveler indéfiniment qu'en se prémunissant contre l'amour. Un amour désarmé contre le monde et la société, contres les rois et les nations de la terre, ne peut pas être. Puisque le Christ se met en colère contre le trafic d'offrandes dans le Temple, imaginez sa colère contre les immondes cathédrales gothiques.

  • Amour est mort !

    Un athée rigoureux se doit de faire la démonstration que l'amour est une illusion ou un point de perspective abstrait, dépourvu de consistance physique ou naturelle comme l'infini ou le zéro.

    Cette démonstration conduit à tenir les espèces animales pour supérieures à l'espèce humaine, puisque les loups ne sont pas victimes de l'illusion amoureuse et des dégâts qu'elle entraîne. Le socialisme se nourrit de l'illusion amoureuse, et tous les régimes totalitaires modernes sont socialistes. L'amour est une arme de destruction massive.

    Le rapport entre l'homme et la femme est analogue au rapport entre la nature et la culture. La culture est faite de ruses, d'astuces ingénieuses pour se protéger de la nature.

    Une telle disposition rend, sur le plan social nécessairement "sexiste", l'amour impossible entre  les sexes opposés. La culture est entièrement paradoxale comme l'espèce humaine, dépendant de la nature en même temps qu'elle souffre à cause d'elle, maudissant et bénissant la condition humaine pratiquement au même instant. L'espèce humaine est répugnante à qui aime la logique, voire la raison, car celle des espèces animales paraît plus droite.

    C'est le fait des cultures artificielles d'abolir la différence sexuelle, c'est-à-dire des cultures où la conscience s'est perdue de la supériorité de la nature sur la culture. Le christianisme, accusé parfois d'être la cause de l'invention du progrès et de cette culture artificielle ne l'est pas. Le christianisme n'est ni sexiste, ni antisexiste, ni conservateur ni moderne, puisque la dernière chose à quoi on peut employer les évangiles, c'est à fonder une société nouvelle.

  • Dans la Matrice

    "Nous, civilisations, savons que nous sommes mortelles." Paul Valéry

    - Nous, chrétiens, savons que l'Occident n'est pas une civilisation et qu'elle n'en sera jamais une. L'Occident est une stratégie de la terre brûlée.

  • Critique littéraire

    Dans un pays comme la France où règle le culte de la littérature, qui comme tous les cultes est excessif, les chefs d'Etat sont amenés à "communiquer" leur passion dans ce domaine. On sait par exemple l'estime de de Gaulle pour l'auteur du "Génie du christianisme", le pédéraste chrétien François-René de Chateaubriand. J'insiste sur la pédérastie de l'auteur, au sens plein du terme, car elle explique pourquoi Chateaubriand trouve du génie à la religion qui en est le plus dépourvue au monde, car elle est la moins providentielle - moins encore que le judaïsme. Pour un artiste un peu plus sérieux ou un savant, le génie est en effet une maladie infantile.

    Georges Pompidou avait des goûts de prof. Mitterrand disait en pincer pour Jacques Chardonne, dont l'esprit n'est guère éloigné de Chateaubriand. Jacques Chirac devait trouver trop efféminé d'étaler ses goûts.

    N. Sarkozy a dit son admiration pour Céline, ce qui est plutôt habile quand on vient d'une banlieue chic, puisque Céline est le dernier grand auteur populaire, ce que l'on reconnaît notamment au fait qu'il est censuré par l'Education nationale. Pour ne pas complètement se couper de Neuilly et du financement du parti, N. Sarkozy a aussi dit admirer Proust. Difficile, là encore, de savoir s'il était sincère, mais il y a bien une commune "recherche du temps perdu" entre Proust et les politiciens modernes, c'est-à-dire une sorte d'activité paradoxale qui consiste à ne pas agir, une sorte d'autofiction pure, les politiciens étant désormais absorbés par l'élaboration de la meilleure image possible d'eux-mêmes.

    N. Sarkozy a émis cet avis qu'il n'est pas nécessaire d'être homosexuel pour aimer la littérature de Proust. Du reste Proust est le type d'homosexuel décrié aujourd'hui, qui refuse de faire son "coming out" pour ne pas choquer sa mère. Cependant, s'il n'est pas besoin d'être homosexuel pour aimer Proust, il faut comme beaucoup de femmes, être fasciné par la mort, et, je dirais, une qualité de plaisir spécifique associée à la mort. En même temps qu'elle en est le produit le plus raffiné, non loin du cinéma, la littérature de Proust traduit la nullité absolue de la culture occidentale et pourquoi Nietzsche la croit condamnée à rejoindre ce néant auquel elle aspire secrètement, comme une jouissance suprême.

    Ce qui manque chez Nietzsche, c'est une explication plausible de comment le prince des poètes, Satan-Zarathoustra, a pu être vaincu par une myriade de petits poètes pédérastiques occidentaux. Qu'est-ce que Satan peut bien avoir en tête quand il donne l'avantage à des guerriers-femelles, incapables d'héroïsme et qui font la guerre en appuyant sur des boutons et des gâchettes, au lieu de permettre aux valeureux guerriers arabes de triompher ? Pourquoi le triomphe de la quantité sur la qualité ? De la hyène occidentale sur le lion d'Orient ? Qu'est-ce que c'est que ce sens merdique de l'histoire ? Pour cela il faut lire les prophètes Paul de Tarse et Shakespeare, qui en savent plus sur Satan que ses lieutenants-généraux eux-mêmes. Chaque manière de faire la guerre indique un état d'esprit particulier de Satan à l'égard de ses créatures, une façon d'en disposer stratégiquement la mieux adaptée aux circonstances de la lutte.

  • Exit Darwin

    La théorie évolutionniste repose d'abord sur une méconnaissance de l'homme, c'est-à-dire une anthropologie erronée. A ma connaissance, Hannah Arendt ne mentionne pas la croyance dans la théorie évolutionniste comme un facteur du totalitarisme, bien qu'elle le soit, contribuant par le raisonnement d'espèce à réduire l'individualisme ; cet "oubli" de Hannah Arendt s'explique par son incapacité à interpréter de façon juste le bouleversement scientifique intervenu au XVIIe siècle, présenté habituellement comme une révolution et un progrès. H. Arendt est ainsi persuadée que la science moderne reflète moins l'homme que la science plus ancienne. Quiconque a un tant soit peu connaissance de l'évolution de l'art occidental devinera qu'il n'en est rien, et que le défaut de l'art moderne pour certains, qui en fait une qualité pour d'autres, est d'être TROP humain.

    La science naturelle antique, plus matérialiste, résiste à la démonstration du transformisme, notamment parce qu'elle est plus matérialiste et n'accorde par conséquent pas au déroulement du temps un rôle positif. Cette science naturelle, qui fut d'ailleurs celle d'hommes bien meilleurs observateurs de la nature que nous le sommes, des écologistes rationnels et non dévots comme ceux que nous connaissons aujourd'hui sous ce nom, s'accordait avec une psychologie plus précise que la psychanalyse moderne, cernant mieux les limites de l'homme. Montaigne s'en fait l'écho, quand il affirme que, se connaissant bien, il connaissance de la mécanique humaine en général, et connaît ainsi tous les hommes. En dépit de sa référence à la mythologie antique, la psychanalyse moderne ne contribue guère à dissiper le mystère humain.

    L'anthropologie erronée qui sert de base aux spéculations de Darwin (plus prudent que les néo-darwiniens, c'est-à-dire mieux conscient de la différence entre l'hypothèse scientifique et la science) est la pire anthropologie de tous les temps, à savoir l'anthropologie chrétienne. Ceux qui en tirent argument, à l'instar de Nietzsche, pour justifier leur combat antichrétien en faveur de la raison, ignorent ou dissimulent que l'anthropologie chrétienne est non seulement irrationnelle au regard des lois naturelles, mais qu'elle est en outre infondée sur le plan scripturaire, ce qui n'est pas la moindre cause de sa nullité scientifique.

    Il est vrai qu'on peut prendre Darwin pour un païen, de même que Bergson, relativement à Descartes et son puritanisme mathématico-chrétien, puisque l'évolutionnisme replace l'homme dans son contexte naturel. Mais cette idée n'est pas neuve. Les singes ont une âme du point de vue d'Aristote, ce qui n'empêche absolument pas ce savant de faire des raisonnements métaphysiques.

    L'idée qui reflète l'anthropologie chrétienne dans la théorie évolutionniste de Darwin est celle qui consiste à placer l'homme au terme de l'évolution et à en faire l'espèce la plus évoluée - à penser l'animal comme étant prédestiné à devenir homme. C'est cette idée qui se heurte aux preuves et expériences de la science païenne antique, aussi bien celles qui relèvent de la science physique que celles qui relèvent de l'étude de l'homme.

    Nombreux sont les philosophes de l'antiquité qui relèvent la force "surhumaine" de l'homme, qui lui permet de se désolidariser de son espèce, voire des éléments naturels, tandis qu'au contraire la puissance de l'animal réside dépend de l'espèce à laquelle il appartient et d'une science naturelle instinctive. Ulysse est un tel personnage de surhomme antique, sans doute plus détaché encore de la nature que le modèle inventé par Nietzsche du poète doué d'ironie, sachant tirer du caractère définitif de la mort les raisons de jouir "hic et nunc" de sa situation.

     

  • Bonheur contre Avenir

    Plus on est absorbé par le présent, moins l'avenir a de consistance. Ce sont donc surtout les fainéants qui conçoivent l'avenir - les peuples de fainéants comme les Allemands ou leurs cousins d'Amérique qui se déterminent en fonction de l'avenir.

    Les Allemands, et les Yankees plus encore, sont convaincus au contraire d'être actifs, mais ils le sont à la manière de ces femmes qui rangent et nettoient du soir au matin leur domicile en se persuadant de l'utilité de cette tâche ; ou bien encore de ces sportifs qui "s'entraînent dur" pour gagner quelques secondes ou centimètres.

    On éprouve ce sentiment d'immense vanité lorsqu'on vit aux Etats-Unis, et que tout ça ne sert à rien, comme lorsqu'on lit Proust ou Thérèse d'Avila, toute littérature érotique qui vise à remplacer chez des personnes malades ou des intellectuels, des femmes frigides, le plaisir érotique lui-même, que ces personnes ne sauraient éprouver sans défaillir. La littérature de Proust joue un peu le même rôle pour certaines personnes éthérées que le poster d'une femme nue pour le routier enfermé dans sa cabine.

    Si "tout est sexuel", comme dit Freud, alors autant flanquer au feu toute la littérature et fermer les cinémas pour apprendre des manières de jouir un peu moins théoriques. Mais l'humour, par exemple, n'a rien d'érotique, sauf à considérer les plaisanteries de soldats ou de parlementaires comme de l'humour, alors qu'il n'est qu'un simple rappel de leur mobile. La psychologie allemande du "tout est sexuel", à l'instar de la psychologie féminine, ne fait pas de place à l'humour.

    Les Français installés aux Etats-Unis que j'ai rencontrés, en dépit d'un cadre économique favorable, avaient beaucoup de mal à s'y faire à cause du masochisme des Américains et de l'ennui qui règne un peu partout. On devrait forcer les Français qui votent pour l'UMP et ceux qui prennent encore Jacques Attali au sérieux à faire un stage aux Etats-Unis. Ceux qui s'y plairaient pourraient y rester, et les autres pourraient constater à quel point l'économie moderne, loin de reposer sur des lois pragmatiques ou une vision réaliste du monde, est plutôt axée sur le rêve que les adolescents frustrés font d'être satisfaits un jour... d'une manière dont l'homme ne pourra jamais être satisfait.

  • La Femme et l'Evolution

    Une femme me reproche mon manque de délicatesse dans mes propos. La première image qui me vient à propos de délicatesse, ce sont des chimpanzés s'épouillant entre eux, avec une minutie et un amour qui forcent le respect, auxquels tendent à vrai dire nombre de couples modernes, suivant les conseils de leurs psys, sans jamais tout à fait y parvenir.

    La thèse darwiniste repose pas mal sur le hasard et le calcul de probabilité ; mais de mon point de vue, ce n'est pas un hasard si les primates ont d'abord été retenus comme l'étape précédant l'homme. C'est loin de tenir seulement à leur capacité à se tenir debout. Le singe est doté de pas mal de qualités du point de vue féminin, et de beaucoup moins de défauts que le genre humain masculin. Non seulement les hommages de tel ou tel humaniste moderne à l'égard de l'espèce des singes sont sincères, mais en outre ils sont biologiquement fondés.

    Etant donné la proximité démontrée par maints moralistes de l'âme bourgeoise avec celle du cochon, cette dernière espèce aurait pu servir d'appui à l'hypothèse transformiste si les porcs faisaient montre de plus de délicatesse et d'hygiène. On dit d'ailleurs que les hommes qui savent faire rire les femmes détiennent le moyen de les convaincre de s'accoupler avec eux, plus efficace qu'un physique apollinien. Le chimpanzé est inégalable, non seulement pour la délicatesse, mais aussi pour la variété de ses grimaces, en quoi il égale les meilleurs artistes de variété.

    - La seconde image qui me vient à propos de délicatesse n'est pas une image à proprement parler, puisque c'est la petite musique de Proust, poète 100% délicat. La délicatesse, si l'on y regarde à deux fois, est une forme de recherche du temps perdu, qu'il s'agisse aussi bien de l'art le plus délicat de la broderie que de la toilette commune des singes.

    L'indélicatesse est le péché moderne : naître homme vous fait naître pécheur dans le monde moderne, tandis que naître femme vous exonère du péché.

    Plutôt que de souligner ce qui peut inspirer le dégoût de la délicatesse, et qu'il n'est pas difficile de deviner à travers les écrits prophétiques, je préfère souligner ce qui fait le prix si élevé de la délicatesse, au sens figuré comme au sens propre. C'est la même raison qui fait aimer l'opium - la souffrance. L'art moderne n'a de prix qu'aux yeux des personnes souffrantes.