En relisant l'extrait de Petitmangin sur mon blogue pour ôter quelques coquilles, je suis encore sous le charme de ce paysage grec. L'analogie avec le paysage français vient spontanément à l'esprit. N'était-ce pas le but de Petitmangin ? Pour le reste, les "projets" de Sarkozy ou de Madame Royal paraissent assez éloignés du tableau de cet helléniste recouvert de poussière.
J'allume ensuite la radio : Bernard Arnault interviouvé par Jean-Pierre Elkabbach - de quoi me donner des aigreurs d'estomac pour la journée !
Elkabbach, c'est toute l'arrogance du journaliste moderne parvenu ; un nouveau "type" balzacien. L'arrogance combinée à une bonne et loyale servilité vis-à-vis de l'oligarchie en place, récompensée par la direction d'une chaîne publique de propagande démocratique - sans téléspectateurs, sans intérêt, bref sans rien que de généreux appointements pour son directeur.
Bernard Arnault ne vaut guère mieux. Logiquement, ce bon apôtre du "libéralisme" devrait fustiger Elkabbach pour ses liens ambigus avec le pouvoir politique et le gaspillage d'argent public que représente la chaîne parlementaire… Eh bien non, Bernard Arnault est venu dénoncer à la radio le "marxisme" des Français qui empêche la France de faire des bénéfices comme elle devrait. Désormais, les directeurs d'hypermarchés n'hésitent plus à afficher leur prétention à tracer la politique du pays. Ce Savonarole du taux de profit est tellement caricatural qu'on en rirait si ce n'était pas inquiétant. Le sens politique de ce bouffon triste est à peu près aussi sûr que ses goûts artistiques. Mais dans notre civilisation ô combien raffinée, la voix des milliardaires est d'or.
Qu'en est-il, d'abord, du "business" de Bernard Arnault ? Il est à craindre que le philistin Bernard Arnault ne soit en train de subvertir sur une grande échelle un des métiers les plus accomplis qui soit, celui d'artisan, et non de soutenir l'artisanat comme il le prétend. En effet, on peut avoir des soupçons sur des produits qui sont soutenus par un tel matraquage publicitaire, je pense par exemple aux fameux sacs Vuitton. La véritable qualité n'a pas besoin de beaucoup de publicité, le bouche-à-oreille est suffisant.
En fait, Arnault vend l'IMAGE d'un produit français artisanal de qualité, mais en réalité ces sacs sont d'une qualité assez médiocre. Ce n'est pas l'artisanat qu'Arnault soutient, mais la canaille des publicitaires, prête à tout, au mensonge, au maquereautage, à l'exaltation de valeurs hypocrites, pour fourguer n'importe quelle camelote. L'entreprise d'Arnault est fondée sur le bluff, toute l'astuce est d'abuser de la confiance de clients qui ne regardent pas à la dépense et de leur vendre des marchandises à un coût exorbitant qui ne correspond pas à leur véritable valeur (c'est-à-dire que ces clients pourraient trouver des marchandises de bien meilleure qualité et plus élégant pour un coût inférieur.)
Ensuite, sur l'économie, Bernard Arnault a des idées de collégien. Il est bien mal venu pour critiquer Marx qui a consacré trente ans de sa vie à la micro et à la macro-économie. L'analyse de Bernard Arnault : "Les États-Unis ont le meilleur taux de croissance, donc c'est l'exemple des États-Unis qu'il faut suivre pour que la France s'enrichisse et que le nombre des chômeurs diminue.", ça relève de l'idéologie la plus pure. De façon plus réaliste, c'est surtout parce que les États-Unis disposent depuis quelques lustres d'une position politique prééminente que leur croissance est forte. Ils sont en mesure dans bien des secteurs d'imposer, non pas de proposer, l'achat de leurs produits. Un autre exemple : dans le domaine des technologies de communication, si l'internet s'est imposé alors qu'il avait été devancé par la technologie française du minitel, c'est en grande partie pour des raisons politiques aussi ; le combat du minitel était quasiment perdu d'avance.
La solidité du dollar met aussi en confiance depuis longtemps les investisseurs étrangers, et cette solidité repose essentiellement sur des critères politiques. Évidemment, il y a d'autres raisons politiques, démographiques, qu'un économiste sérieux pourrait recenser et articuler. Tout ça pour dire que la réalité économique est très éloignée du leitmotiv de Bernard Arnault. Pour résumer, on pourrait qualifier au contraire l'économie des États-Unis "d'économie la moins libérale du monde".
Qu'Arnault lise l'abbé Galiani ! Il a plus de deux siècles de retard dans le domaine de la compréhension des phénomènes économiques. Déjà Diderot, fasciné par les schémas anglo-saxons libéraux, avait admis de bon cœur que ses vues empruntées à certains économistes anglais avaient le mérite de la simplicité, voire de la poésie, mais qu'elles étaient un peu courtes et ne résistaient pas à l'analyse historique.
Il est frappant de voir à quel point le libéralisme se réfère à des théoriciens dépassés, de Malthus à Smith en passant par Kant, Rousseau, Darwin, la science a relégué tout ça depuis longtemps !
Deux possibilités : ou Arnault est un imbécile, ou c'est un hypocrite. Une preuve supplémentaire ? On l'entend pester contre le marxisme dans la société française, mais il n'a pas un mot de protestation, ni lui ni aucun de ses confrères, lorsque le chef de l'État va jouer les représentants en Chine communiste du "business" français. Le marxisme est probablement pour Arnault une sorte de mauvais génie qui empêche le "business" de marcher à plein régime. Ce grand duc de l'économie française n'est même pas "immoral", il est proprement "amoral".