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nietzsche - Page 4

  • Einstein et le relativisme

    F. Nitche combat le relativisme moral des élites modernes "judéo-chrétiennes". Il nie d'ailleurs que ce relativisme soit un individualisme véritable, et il en fait une des causes principales du populisme et de ses conséquences ravageuses pour l'Occident.

    Le point de vue d'Einstein est relativiste, dans la première proposition, puis absolu dans la deuxième. Exactement comme les valeurs éthiques modernes satisfont d'abord le point de vue des élites dirigeantes, avant de s'imposer ensuite à tout le monde.

    Le cas n'est pas rare dans l'histoire de discours apparemment scientifiques, uniquement destinés à conforter le point de vue éthique dominant, c'est-à-dire à permettre la mise en correspondance de la science et du droit.

    Le matérialisme dans le domaine de la science physique est, selon Nitche, le meilleur garant contre un tel relativisme et des propositions éthiques, scientifiques et artistiques, entièrement fictives ou hypothétiques, dont la solution finale ne peut être que catastrophique. Mais, s'il est beaucoup plus restrictif que celui de la science-fiction moderne, le point de vue matérialiste de Nitche n'en est pas moins lui-même relatif. La théorie du chaos, qui préside selon Nitche au destin du cosmos, laisse transparaître le préjugé de Nitche sur l'organisation du cosmos, pratiquement comme si le préjugé était le mode de raisonnement principal de l'homme d'élite, et que la science physique fournissait la meilleure caution à l'élitisme. On peut dire que la manière dont Nitche met la métaphysique hors-jeu et lui refuse tout caractère visionnaire est pratiquement un réflexe de caste. C'est un brahmane peut-être plus rigoureux que tous les brahmanes que l'Inde a jamais engendrés, défendant le système solaire (666) contre le double danger de la métaphysique et du mouvement moderne d'aliénation mentale. Il y a tout lieu de prendre l'inspiration satanique de Nitche au sérieux.

    Certains se demandent parfois pourquoi l'art moderne est détaché de toute cosmologie véritable, et paraît ainsi sonner aussi creux que le vase de Pandore. C'est tout simplement parce que les élites modernes occupent la place que la nature occupait dans l'art jusqu'à la Renaissance. C'est la caractéristique du totalitarisme moderne d'inventer la nature sous la forme d'une science-fiction.



  • Paul, le Pape et l'Antéchrist

    Dans la dernière encyclique rédigée à quatre mains par les deux derniers évêques de Rome ("Lumen fidei"), le reproche de F. Nitche adressé à la foi chrétienne de nuire à la science est évoqué. Le pape-philosophe s'en sert pour développer un nouvel argumentaire purement rhétorique sur la foi et la raison. Un argumentaire sans fondement chrétien, car le christianisme N'EST PAS une doctrine philosophique.

    Il était une manière simple de renvoyer Nitche à ses chères études sataniques ; en effet, chez Nitche, suivant une conception romaine ou égyptienne de la science, et non spécifiquement grecque comme il le croit, art et science sont confondus. Le reproche précis fait au christianisme, en tant que cadre intellectuel principal de l'Occident moderne, est d'entraîner une perte de conscience de la réalité. Le "réalisme" de Nitche n'est pas celui de Marx, encore moins celui de Shakespeare ou Aristote. L'art, pour ces derniers, ne fonde qu'un semi-réalisme. 

    Nitche proclame nettement que l'art est supérieur à la science. Cette conception est romaine ou égyptienne, mais on peut également la dire "totalitaire", car c'est cette conception qui permet le mieux à l'élite politique de conserver la haute main sur l'art et la science. Le pape aurait pu répondre simplement : contrairement au préjugé élitiste de Nitche en faveur de l'art, le christianisme ne se préoccupe pas d'art, ni par conséquent de psychologie, seule la science consciente peut amener le chrétien à voir la vérité face à face.

    Hélas, du point de vue scolastique et philosophique du pape, cette réponse était impossible à faire, car le reproche adressé au judéo-christianisme d'être le ferment de la décadence artistique moderne est bel et bien fondé. L'origine de l'existentialisme et de l'art existentialiste moderne, réduits par K. Marx au niveau de l'onanisme, voire traduisant une tendance nécrophile (S. Dali), est bien dans les spéculations philosophiques médiévales, à peu près équivalentes sur le plan scientifique du sabir de la psychanalyse moderne, dont on voit qu'elle fait la plus forte impression dans les peuples ou les groupes sociaux les plus aliénés mentalement.

    Les philosophes des Lumières furent à la fois moins cohérents que Nitche, et en même temps plus pragmatiques, n'hésitant pas à confronter la doctrine chrétienne officielle avec ses propres fondements scripturaires afin de souligner l'inconséquence de la doctrine officielle.

    Mais l'encyclique évite de se pencher sur des aspects beaucoup plus vertigineux de l'attaque violente de Nitche contre la morale judéo-chrétienne, que Nitche n'hésite pas à accuser de crime contre l'humanité. C'est un avocat de Satan sauveur du monde, contre les judéo-chrétiens qui complotent son anéantissement, auquel le pape à affaire. Pratiquement, c'est du retour de Judas Iscariote parmi les apôtres dont il s'agit. Sans doute Nitche n'est pas le premier à renier le Messie, mais aucun ne l'a fait avec autant de conviction religieuse, sauf peut-être certains personnages des pièces de Molière, Shakespeare ou Marlowe.

    Il faut barboter dans la mauvaise bière philosophique allemande jusqu'au cou pour ne pas se rendre compte de la valeur de Nitche et de sa profondeur morale.

    - Le point où l'antéchrist et l'évêque de Rome sont "à égalité" est important, c'est celui de l'histoire, que le pape, de son trône, ne peut pas voir, exposant ses ouailles à être les cocus de l'histoire, ainsi que le sont toujours, à travers les âges, les âmes militaires ou militantes, qui essuient ainsi les plâtres de politiques menées par des chefs cyniques ou imbéciles. Quant à Nietzsche, sa conception physique de l'histoire, fondée sur la culture de vie païenne, et comprenant la culture de mort comme la décadence, cette conception le conduit à ignorer la vision historique de l'antéchrist selon l'apôtre Paul. Nitche, à l'instar de Judas, est disposé à affronter le destin et la mort - mais il n'est pas disposé à accepter la défaite de Satan prédite par les prophètes.

    Je renvoie ici à un petit opuscule anonyme (1838), disponible via google, qui traite de l'élucidation de l'antéchrist par l'apôtre Paul. Il est difficile de dire si elle est directement inspirée par Nitche, mais je constate un redoublement de la haine de l'apôtre des gentils, soigneusement organisé, y compris et surtout par des milieux dissimulés derrière le masque judéo-chrétien ; cette haine n'est d'ailleurs pas sans rappeler la pourriture maurrassienne, par sa manière pédérastique d'abuser de jeunes esprits en détournant du christianisme par des méthodes qui ne valent guère mieux que les trente deniers offerts par le sanhédrin à l'Iscariote. La clef de cette haine est facile à comprendre : les épîtres de Paul sont les plus dissuasives de forger un "judéo-christianisme" et, par exemple, de fabriquer une théocratie d'Etat comme celle en vigueur aujourd'hui aux Etats-Unis. Si le pape s'occupait de prolonger l'exégèse de Paul au lieu de vaticiner dans les déserts de la philosophie, il serait logiquement entraîné à excommunier tous les dirigeants des cartels industriels bancaires occidentaux "démocrate-chrétiens", au lieu de distribuer des sourires et des poignées de mains claudéliennes aux quatre coins de la terre.

  • Exit la démocratie

    Le pouvoir réel ne consiste pas dans l'exercice du droit, dit Nitche. Celui-ci condamne l'idéal égalitaire moderne, non pas au nom de la justice et de l'équité comme K. Marx, mais au nom de la raison juridique. Si le droit n'enregistre pas un rapport de forces, ce n'est plus le droit mais une ruse.

    De la même manière, les mathématiques permettent de formuler des lois de force physique, à partir de postulats dépourvus de consistance physique, mais les lois mathématiques ne sont pas en elles-mêmes une force ou une puissance.

    On peut dire des modèles mathématiques de l'univers, comme du modèle juridique démocratique moderne, qu'ils sont purement virtuels. Ils sont probables, mais on ne peut pas en faire l'expérience. Ils sont du domaine de la science-fiction, mais non du domaine de la science. Du modèle juridique "Etats-Unis", porteur de l'idée de démocratie, on peut dire qu'il se définit comme une pure fiction juridique ; l'unité réelle des Etats-Unis est dans le mouvement, c'est-à-dire dans la croissance économique. L'entretien d'une telle fiction implique le négationnisme le plus rigoureux possible de l'histoire, tel qu'il fut pratiqué pendant longtemps par l'Eglise catholique romaine, afin de préserver la cohérence de l'institution et de son appareil judiciaire. Si Shakespeare est sans doute "universel", et donc catholique au sens étymologique du terme, le seul fait de son matérialisme historique est dissuasif de le croire attaché à l'Eglise romaine. 

    De même la Ve République française est une pure fiction juridique, et ses fonctionnaires délivrent un enseignement de l'histoire au niveau de l'instruction civique. Sans doute ce n'est pas entièrement nouveau. Pour manigancer une monarchie chrétienne de droit divin, il fut nécessaire de substituer à l'Etre divin chrétien un principe providentiel païen. Mais, aussi totalitaire et centralisé soit le régime de Louis XIV, il était beaucoup plus perméable à la critique, ne disposant pas pour le besoin de sa propagande d'un réseau aussi serré. D'une certaine manière, la Ve République dispose d'un pouvoir de censure équivalent de celui d'une nation en temps de guerre.

    La pensée matérialiste relègue la géométrie algébrique à un niveau subalterne, car elle promeut le raisonnement hypothétique ou spéculatif, c'est-à-dire le raisonnement le plus religieux, en lieu et place de l'expérience scientifique. L'activité technique, comme la religion, se nourrit d'un maximum d'hypothèses de travail afin de stimuler l'inventivité (ce qui, en soi, constitue une mauvaise méthode), au contraire de l'esprit scientifique qui se défie de l'invention. La science n'est pas, comme la musique, une récréation. Les peuples ingénieux, tels les Allemands, adorent la musique. L'esprit français, plus scientifique, a moins de temps à perdre avec la musique, qu'un verre de vin remplace d'ailleurs efficacement, et dont le bénéfice cardiaque est plus sûr. L'importation du goût barbare pour la musique en France n'a fait qu'accroître les ravages de l'alcoolisme et de la drogue dans les milieux populaires. Nitche serait sans doute plus français s'il avait écrit sur les mérites comparés du blanc et du rouge, plutôt que sur les mérites comparés de Wagner et de Bach. En quelque sorte il aurait mieux fait de laisser Dionysos à la cave, comme les Grecs. Un Français se demandera toujours, comme il se demande pour les femmes : où est l'humour là-dedans ? La suggestion de l'infini par la musique est très utile pour inciter les petits enfants à prendre la vie au sérieux - et donc à faire leurs devoirs.

    Les mathématiciens des XVIe et XVIIe siècles, jointes à leurs hypothèses scientifiques, émettent un grand nombre d'hypothèses religieuses coïncidentes ou opposées à partir de lectures de la Bible.

    De même le matérialisme historique ne concède aux constitutions juridiques que la propriété de refléter brillamment leurs époques, excluant qu'on puisse déduire de cette draperie le sens de l'histoire. Marx anéantit la prétention de Hegel à indiquer le sens de l'histoire, c'est-à-dire à relier les différents stades ou étapes de l'histoire occidentale entre eux, autrement que par un raisonnement purement spéculatif. Si Hegel théorise paradoxalement aussi bien le progrès de l'histoire que sa fin, c'est par la méthode qui consiste à réduire l'histoire à un mouvement cyclique ou sinusoïdal.

    Comme on peut dire la démonstration mathématique pure de toute matière, et le moins métaphorique des langages, l'homme est absent de la théorie hégélienne de l'histoire, qui consacre le point de vue élitiste, sous la forme d'une cinématographie de l'histoire, c'est-à-dire du moyen le plus propre à maintenir la conscience en-deçà d'un certain niveau par le brio et la séduction de la démonstration. On peut dire l'hégélianisme et le cinéma ensemble berceuses de l'esprit humain infantile. Hitler et Staline eux-mêmes ne méritent pas d'être condamnés autant que Hegel, n'ayant pas contribué aussi directement à accroître la bêtise humaine. La barbarie de Hitler et Staline est "banale", comme dit A. Arendt, seulement décuplée par les moyens techniques à leur disposition. Le maléfice de Hegel, lui, n'est pas banal, permettant le blanchiment de la barbarie technocratique "a posteriori".

    L'enseignement de l'histoire de la révolution française de 1789, mais aussi celle de la révolution soviétique de 1917, est dispensé en France selon l'idéologie hégélienne, en dépit de la critique matérialiste marxiste. L'idéologie hégélienne est si élitiste qu'elle permet d'ailleurs, selon les nations occidentales, des adaptations aux goûts particuliers de ces différentes élites. Même Lénine n'est pas aussi mensonger que la doctrine officielle de l'Education nationale française. Les universitaires communistes dans l'après-guerre ont joué aux Français le même tour pendable que les jésuites auparavant, substituant l'hégélianisme à la critique marxiste afin de pouvoir attribuer à la caste des intellectuels un rôle éminent dans la marche de l'histoire.

    *

    Pour revenir à l'introduction de ce développement, derrière la critique du droit moderne par Nitche ou Marx se profile la critique du "droit chrétien". Tout comme Nitche, Marx est parfaitement conscient de l'altération dangereuse que la "civilisation chrétienne" a fait subir au droit, et par conséquent qu'il est impossible d'envisager le monde moderne occidental séparément du ressort de la morale judéo-chrétienne.

    L'Eglise romaine n'est plus qu'une ruine, certes, mais l'art entreposé dans les musées continue de déterminer l'art moderne apparemment le plus scindé de la morale catholique, que l'on considère cet art sur le plan féminin le plus passif de l'existentialisme (Sartre), ou bien sur le plan de l'art viril le plus actif (Picasso).

    Mais Marx n'opère pas, contrairement à Nitche, le lien impossible entre la "civilisation chrétienne" d'une part, et les évangiles et le Messie d'autre part. Nitche tente d'établir que la culture de mort judéo-chrétienne se propage par le peuple et les mouvements populaires révolutionnaires ; Marx rapporte au contraire la preuve que le poison est versé dans l'oreille du peuple par ses élites dirigeantes. Les évangiles n'ouvrent pas droit à une morale du faible ou au féminisme, à toutes les manifestations compassionnelles hypocrites, ainsi que Nitche le leur reproche. En revanche ils réduisent la perspective politique infinie, c'est-à-dire la ligne d'horizon que l'homme d'élite se fixe, à une peau de chagrin. La sentence du Christ Jésus visant Judas Iscariote : "Il eût mieux valu qu'il ne fut pas né." - pratiquement s'applique à l'homme d'élite du point de vue chrétien. Les aristocrates sont contraints de faire un choix entre leur caste, ses intérêts, et dieu, un choix qu'ils n'avaient jamais été contraints de faire auparavant. Nitche a le courage de faire le choix de Satan que peu d'hommes d'élites occidentaux ont eu le courage de faire. Ce sont les tentatives de conciliation de l'éthique et du christianisme, aristocratiques, puis bourgeoises, qui rendent la civilisation occidentale aussi absurde et dangereuse. Mais le peuple, contrairement à l'élite, perçoit ses droits le plus souvent sous la forme d'illusions millénariste ou de miettes.

    On peut ajouter le nom de Nitche à la liste des philosophes qui ont perçu dans l'utopie millénariste démocratique-libérale une menace terrible ; à la suite de Marx, Baudelaire, Balzac, pratiquement tous les penseurs qui, au XIXe siècle, ont fait l'effort pour penser, au lieu d'entériner comme Hegel, et de faire pousser sur les charniers des fleurs d'éthique.

    Auparavant, Shakespeare a fait voir le caractère radicalement sinistre de la tentative d'associer le christianisme à la marche aveugle de l'Occident.

  • Nietzsche antisémite

    Si L.-F. Céline est généralement inculpé pour ses propos antisémites, Frédéric Nitche en est lui, disculpé - récemment par ces fabricants de moraline à l'usage des gogos que sont M. Onfray et P.A. Taguieff.

    - Rassurez-vous, disent-ils à leurs ouailles, le porte-parole de Satan apprécie les Juifs à leur juste valeur.

    Bien qu'assez foutraque, la doctrine de Céline est, il est vrai, plus menaçante pour le veau d'or.

    En deux mots, pourquoi Hitler s'en prend aux Juifs, tandis que Nitche réserve ses diatribes au judaïsme et aux prophètes juifs ? Le nazisme est un mouvement révolutionnaire, tandis que la doctrine de Nitche ne l'est pas. Comme tout mouvement révolutionnaire, il est populiste, et requiert de désigner à la vindicte populaire une minorité intérieure, et un ennemi extérieur. Nitche escompte qu'il éradiquera le christianisme, qu'il juge moribond, à l'aide de sa doctrine, mettant ainsi en place une "paix mondiale" (sic).

    "(...) Comme il s'agit d'un coup destiné à anéantir le christianisme, il tombe sous le sens que la seule puissance internationale qui ait d'instinct intérêt à l'anéantissement du christianisme - ce sont les Juifs. Il y a là une hostilité instinctive, rien d'"imaginé" comme chez le premier "libre penseur" ou socialiste venu - je n'ai que faire de libres penseurs. En conséquence, il faut que nous nous assurions de toutes les forces de cette race en Europe et en Amérique -, et, de plus, un tel mouvement a besoin de l'appui du grand capital. C'est là le seul terrain naturellement préparé pour la plus grande guerre de l'histoire, et la plus décisive : quant au reste des partisans, ils n'entreront en ligne de compte qu'après, une fois ce coup porté. Cette nouvelle puissance qui se formera pourrait en un clin d'oeil devenir la première puissance mondiale (...)"

    F. Nitche

    Du point de vue chrétien, ce ne sont pas les Juifs les pires ennemis du christianisme, mais le monde et les doctrines sociales censées le pacifier. La "synagogue de Satan", ennemie du christianisme, ne désigne pas une institution juive, mais une institution ecclésiastique. Le "fils de perdition" dit saint Paul, s'élèvera au-dessus de tout ce qu'on appelle dieu, ou qu'on adore, jusqu'à s'asseoir comme un dieu dans le temple de dieu, voulant passer pour un dieu. Et la fin des temps n'adviendra avant que le fils de perdition ne soit advenu.

  • Amor fati

    "Amor fati" ou l'amour du destin. Cette devise résume tous les blasons de toutes les aristocraties du monde, et pourrait être peinte en lettres d'or sur chacun d'eux. L'aristocrate chrétien est frappé d'une aliénation mentale particulière, qui le pousse à se mettre au service des causes les plus absurdes. Shakespeare a bien vu ça (Richard II).

    L'antichristianisme est une voie pour Nietzsche, "aristocrate de sang pur polonais" (sic), afin d'éviter de sombrer dans la folie.

    Dans la version élitiste de l'histoire selon Nitche, il est nécessaire que le Messie ne soit pas ressuscité. D'où il invente cette idée de vengeance des apôtres, dirigée contre les princes de ce monde, qui ont assassiné le Messie. Shakespeare tient compte en revanche pour écrire son histoire de la révélation.

    Nietzsche invente une histoire de l'art et de la Renaissance, reprise par les conservateurs de musée, notamment français, les plus incompétents. Invention de Shakespeare baroque ou pré-romantique. L'art baroque est plus païen que l'art de la Renaissance. La contre-réforme soi-disant catholique convoque tous les effets fascinants de l'art, afin de contrer Luther. Elle mène tout droit au Grand Siècle satanique. Inconséquence de Nietzsche, qui ne reconnaît pas dans l'art baroque et la musique une tentative plus sournoise, mais similaire à la sienne, de reléguer le christianisme dans le décors. Au moins on ne trouve pas chez Nietzsche cette plaisanterie de "l'invention de la perspective par la Renaissance". Nietzsche est conscient que le perspectivisme est le contraire du réalisme. Il réclame pour la politique la perspective minimum. Les grandes perspectives sont celles des peuples masochistes.

    Encore une erreur de Nitche, l'art "dionysiaque" ; il ne voit pas que c'est l'art le plus décadent. Les Romains sont dionysiaques, remettent la psyché au goût du jour. Les Grecs sont beaucoup plus matérialistes.

  • De Maurras à Brague

    La "voie romaine" trouve son équivalent aux Etats-Unis dans l'"autoroute 66".

    A côté de la tentative burlesque de Michel Onfray d'adapter Nietzsche aux valeurs de gauche, alors que celui-ci aurait vu dans l'alternative gauche-droite une sorte de pas de l'oie de trouffion débile de la modernité, s'est développée une tentative d'adapter Nietzsche au christianisme ; elle comporte cette difficulté majeure de faire du chantre du satanisme et de la culture de vie un penseur "chrétien".

    Essentiellement, le trucage de Michel Onfray et des catholiques romains revient au même. Dans le premier cas, il s'agit de faire passer les valeurs républicaines pour des valeurs populaires, alors même que le régime républicain moderne a mis en miettes la culture populaire pour la remplacer par une culture de masse totalitaire. Jamais régime n'aura fait subir au peuple de plus grandes avanies, ni n'aura inculqué un mensonge aussi grossier que celui de la "souveraineté populaire" et de l'égalité.

    Pour faire passer une telle couleuvre, il est nécessaire de censurer à la fois Nietzsche et Karl Marx. Les valeurs républicaines modernes trouvent appui sur la rhétorique de quelques fonctionnaires assermentés, mais non sur des penseurs indépendants.

    La tentative sous le masque chrétien, elle, consiste à adapter le christianisme aux valeurs élitistes. Pour opérer ce tour de passe-passe, Charles Maurras va s'appuyer sur l'imbécillité extraordinaire du public catholique romain, que Nietzsche a théorisée d'une manière assez précise, bien qu'il n'en identifie pas la cause exacte. On trouve d'ailleurs à l'intérieur de l'Eglise romaine, quelques cas isolés de rebelles à l'imbécillité catholique romaine, tels Léon Bloy ou Bernanos, mais qui n'en reconnaissent pas la cause non plus, moins encore que Nietzsche.

    L'antichrist Charles Maurras, sorte de résurgence de Richelieu au niveau du journalisme, ne se contente pas de faire du christianisme le complice servile et commode des crimes des nations occidentales, il échaffaude par ailleurs une idéologie qui vise à faire passer l'empire romain pour une civilisation saine et équilibrée. Même la philosophie allemande n'est pas restée figée à un niveau critique aussi bas. Pour admettre que l'empire romain est une civilisation équilibrée, il faut admettre que le totalitarisme est un humanisme, ou bien la culture des Etats-Unis autre chose qu'une métastase. Quand on nie absolument l'histoire comme Maurras, on ne peut qu'en être le cocu, une sorte de voyageur dans le temps dépourvu de lien avec la pensée française.

    Ce cocufiage et l'infâmie de Maurras ont conduit à lui coller l'étiquette de chef de file d'un groupe folklorique vaguement indécent. Le besoin d'un discours subversif de l'histoire a cependant subsisté. L'évêque de Rome ne peut pas tout faire. Il est déjà assez occupé à combattre la mafia à l'intérieur de son parti, ainsi qu'à rédiger des encycliques suggérant que la lumière créatrice n'est pas celle de Satan : il a besoin de faussaires en histoire pour l'assister dans l'entreprise qui consiste à démontrer que le christianisme est compatible avec les visées de l'élite.

    Rémi Brague a pris le relais de Maurras il y a quelques années, avec un bouquin visant à démontrer que Rome est la matrice de l'Europe, c'est-à-dire du rêve nationaliste partagé par une série de bouchers sanguinaires fameux et un conglomérat de banquiers cyniques, et qui a choisi pour le symboliser une nymphe violée par un taureau, sans doute pour signifier la barbarie ultime de ce nationalisme.

    Ce que Brague et les braguets veulent éviter, ce n'est pas tant qu'on les rapproche de Satan, auxquels ils ne croient pas et qui leur semble pure abstraction en comparaison des missiles à longue portée du pacte atlantique. Ils ne veulent pas qu'on fasse le rapprochement avec Maurras, car ce dernier n'est pas assez bcbg.

    Malgré sa compromission avec le culte solaire de Louis XIV, qui oblige à le prendre "avec des pincettes", car ce genre de compromission sert à Nietzsche pour faire la démonstration d'un christianisme entièrement animé par des faux-jetons, le théologien catholique Bossuet signale quand même que, sur la piste de Satan et du nombre de la bête (666), tous les chemins mènent à Rome.

  • Eloge de la faiblesse

    Contrairement à l'affirmation de Nitche, il n'y a pas d'éloge de la faiblesse dans le christianisme, faute de quoi le dieu des chrétiens serait effectivement un calcul irrationnel, comme la démocratie.

    Nitche lit les évangiles sans jamais se départir de son élitisme. Effectivement, dans l'ordre naturel et le droit qui en découle, l'homme d'élite est plus puissant. Aussi démocratique soit le monde moderne officiellement, le culte de la personnalité n'a pas fléchi d'un iota. Mais le christianisme ne tient aucun compte de l'ordre naturel et du droit qui en découle. Du point de vue de l'élite et de ce qui la justifie, nécessairement le Christ ne peut qu'être un homme faible ou suicidaire, entêté à mourir plutôt qu'à vivre pleinement.

    Ici, Nitche a sans doute tort de mettre dans le même sac les Romains et les Juifs, et de les féliciter pour leur assassinat dans les règles, au bénéfice de l'ordre public. En effet, si les Juifs avaient pris le Messie pour un homme faible et suicidaire, on peut penser qu'ils n'auraient pas réclamé son exécution.

    La faiblesse est représentée dans les évangiles par le jeune homme riche, qui au contraire occupe la position la plus enviée sur le plan de l'espèce. C'est-à-dire par l'attachement à la nature et au monde qui la reflète avec plus ou moins d'intelligence. Le jeune homme riche ne peut pas briser le cercle de ses usages. Le pauvre, que Nitche appelle faible, est plus près de la porte étroite de sortie du monde, en quelque sorte. C'est pourquoi Molière nous montre l'antéchrist Don Juan s'efforcer de retenir le pauvre à l'intérieur du cercle.

    L'effort surhumain accompli par Nitche est pour sortir d'un monde moderne sur le point de s'écrouler. Mais le chrétien n'a que faire de l'écroulement du monde - là encore, contrairement à ce que prétend Nitche, il n'en est pas actionnaire.

  • Surhomme et évolution

    "... Car il ne faut pas sous-estimer le chrétien : le chrétien, faux jusqu'à l'innocence, surpasse le singe, et de loin - eu égard au chrétien, une fameuse théorie des origines de l'humanité devient pure amabilité..." F. Nitche

    En vertu de sa théorie du sous-homme chrétien, hypocrite et efféminé, et de sa théorie du surhomme nitchéen, le porte-parole de Satan ne gobe pas la théorie de l'évolution. Le surhomme nitchéen agit bien en vertu de la nature, mais d'une manière consciente, dont seul l'homme se montre parfois capable, lorsqu'il est capable de prendre du recul par rapport à la société.

    Le transformisme est un préjugé socialiste. On trouve en outre chez Nitche la même observation scientifique que chez Alphonse Allais : les hommes les mieux adaptés à la société moderne sont les escrocs.

    Il conviendrait d'ailleurs de dire que les anti-évolutionnistes, sous l'étiquette du "créationnisme" ne sont pas "chrétiens" mais "nitchéens" : ils conçoivent dieu comme un démiurge. Sur le plan de la science physique, Nitche se réfère en partie à Aristote. C'est la métaphysique, c'est-à-dire l'indication dans la Genèse qu'il y a une forme de connaissance supérieure au savoir éthique et à la vertu sataniques qui empêche les juifs et les chrétiens de croire dans le darwinisme. La philosophie de Nitche n'est pas totalitaire comme les philosophies milléranistes à l'arrière-plan de l'évolutionnisme, qui se servent de la biologie afin d'ouvrir le plan de l'avenir à l'infini.

    Plus généralement il faut dire que l'histoire de la science moderne est une grossière propagande, exactement comme l'est l'histoire de l'art moderne. L'ouvrage de fonctionnaires payés pour démontrer le progrès social. 

  • L'art moderne

    Rechercher l'originalité, c'est rechercher la folie. C'est ce qu'on exige des artistes aujourd'hui, afin qu'ils remplissent un rôle social. Beaucoup sont assez cons pour se laisser faire.

    En général, ce sont les mêmes clowns qui affichent leur mépris pour l'art religieux. Observez les grimaces d'Einstein sur certains clichés : c'est le signe d'un esprit original défaillant. Si la psychiatrie était une science sérieuse, elle mettrait en garde contre le relativisme d'Einstein. C'est un moine qui m'a fait comprendre l'imbécillité d'Einstein quand j'avais dix-sept ans ; il n'était pas plus sérieux, mais sa maîtrise de la rhétorique et des syllogismes lui permettait de piger à quel petit jeu ce fameux Boche joue. Un prestidigateur le comprendra aussi : attirer l'attention sur un détail, et le tour est joué.

    L'artiste ou le savant moderne est un enfant de la balle, qu'il finit parfois par se tirer dans la caboche pour en finir. La décapitation des élites est finalement une question de santé publique. Lorsqu'une élite est massacrée par le peuple, elle ne fait que payer un ou deux siècles d'irresponsabilité d'un seul coup. C'est ce qui ne colle pas dans la doctrine de Nitche : il ne veut pas admettre, contrairement à Shakespeare ou Molière, que la décadence touche d'abord les élites. L'analogie est entre le peuple et la matière, et entre les élites et l'âme, et le chaos vient de l'âme. Ce n'est pas le problème des apôtres si les élites se sont emparé du christianisme et l'ont retaillé à leur cote, ouvrant ainsi le néant sous leurs pas. Quel besoin a Dante de s'appuyer sur la religion truquée de Virgile ?

    A part ça Nitche est le moins original qui soit. Il imite de bons imitateurs de la nature. C'est ce qui isole Nietzsche du monde moderne. Il n'est pas assez complexe. Ainsi Deleuze fait de Nitche une pelote compliquée à dénouer. Il trahit complètement l'esprit de son maître. On voit que pour Deleuze, la nature n'est pas assez humaine. Il manque à l'arbre, accrochée à la branche, la corde tissée avec des doigts d'homme pour pouvoir se pendre. Nitche aurait flanqué la paperasse de Deleuze au feu, comme Don Juan botte le cul de Sganarelle.

  • Molière et l'antéchrist

    Molière a brossé un portrait prémonitoire de l'antéchrist : Don Juan. Tout Nitche est dans le personnage de Don Juan. Nitche aurait rêvé de mener la vie de Don Juan ; ne le pouvant pas, à cause des bâtons que sa mère et sa soeur lui mettaient dans les jambes, il a couché les pensées de Don Juan sur le papier.

    Une nonne ne renoncera au voile et à s'enfermer dans le château de l'âme pour faire plaisir à son papa pour rien au monde... sauf l'amour de Don Juan. Ah, si Don Juan pariait sur dieu, plutôt que de faire son La Rochefoucauld ! Mais Don Juan sait que les paris ne sont ouverts qu'à la table de Satan ; c'est lui qui distribue les atouts.

    Molière a brossé aussi un portrait prémonitoire du démocrate-chrétien : Sganarelle. Bientôt la démocratie-chrétienne réclamera des gages à Satan, si elle n'a pas déjà commencé.

  • Surhomme à quatre pattes

    "Qu'il est petit, Nietzsche, depuis qu'en Allemagne tous les garçons de boutique sont devenus nitchéens."

    R.-M. Rilke

    Le mérite des garçons de boutique, c'est qu'ils n'écrivent ni thèses sur Nitche, ni romans nitchéens - ils ne font pas de films nitchéens.

  • Déphilosopher

    F. Nitche rétablit le primat de Satan sur la philosophie. Pratiquement l'effort des exégètes les plus récents de Nitche consiste à amputer cette notion, que seuls les penseurs fachistes ou nazis, dans un contexte de crise des valeurs modernes (fiduciaires, essentiellement), ont été capables d'assumer à peu près (Drieu La Rochelle, D'Annunzio, E. Pound, Heidegger, etc.).

    La clique "judéo-chrétienne" se montre en ce domaine la plus sournoise, adoptant deux tactiques convergentes, dont le but est de préserver les droits du philosophe à élucider les évangiles. La première tactique consiste à laïciser Nitche ou à le banaliser, ce qui revient à peu près à prendre le public pour un ramassis d'imbéciles. La seconde tactique, adoptée par l'évêque de Rome dans sa dernière encyclique ("Lumen fidei"), consiste à opposer à l'antichristianisme de Nitche les arguments idéologiques de Hegel, en occultant que le mysticisme juridique totalitaire de Hegel a été deux fois dénoncé comme une imposture - d'une part par Nitche lui-même, de l'autre par K. Marx.

    L'apostasie spéciale de J. Ratzinger consiste à occulter que l'hégélianisme n'est pas seulement une philosophie compatible avec les pires atrocités du point de vue de Nitche, mais également du point de vue chrétien, dès lors qu'il se rattache un minimum aux évangiles. A l'intercession de l'esprit et de la parole divine, Hegel substitue la notion, démoniaque, du providentialisme, garant de la plus grande passivité religieuse des masses populaires. S'il cède parfois à la démarche philosophique, Augustin d'Hippone n'aurait pu voir dans l'hégélianisme qu'une subversion équivalente à celle à laquelle l'empire romain procéda pour christianiser l'empire - il n'est besoin que de lire la "Cité de Dieu" pour s'en rendre compte. Que branlent les séminaristes catholiques en leurs séminaires ?

    Toute volonté humaine dépend de la puissance naturelle satanique, selon Nitche, qui dénie ainsi toute notion de la vérité aux religions animistes ou à la banale détermination psychologique moderne. L'amalgame sans fondement consiste de sa part à assimiler le christianisme à une religion animiste. A quoi l'animisme moderne se rattache-t-il, une fois le lien essentiel rompu avec Satan, proclame Nietzsche ? A cette détermination propre à l'homme qu'est la mort.

    Mais le judaïsme ou le christianisme ne disent pas le contraire. En effet, ils situent le début de la volonté comme pensée, nitchéenne ou satanique, à la chute d'Adam et Eve. La connaissance du bien et du mal, même la plus authentique ou objective des prêtres de Satan, implique la soumission de leur volonté à ce dernier, c'est-à-dire au destin selon la profession de foi de Nitche. On trouve là l'explication de l'interdit juif ou chrétien de l'art. Contre la mort, l'art ne peut rien. La résignation à la mort, attribuée au christianisme par Nitche, ne l'est pas. Elle indique une faiblesse et une soumission accrue aux effets du destin. L'anthropologie moderne rapproche l'homme de l'insecte, mais comment faire du christianisme et du judaïsme les sources de l'anthropologie moderne, quand elles sont, entre toutes les religions, les moins anthropologiques, puisqu'elles n'ouvrent pas droit à l'art ?

    Ce que Nitche met à jour n'est pas le christianisme, mais la négation de la révélation et de l'eschatologie par certains clercs au profit de l'éthique. Ce n'est pas un phénomène de subversion propre au monde moderne. Dans le livre de Daniel, on peut voir que les prêtres babyloniens avaient inventé une même ruse et détourné la religion païenne à leur profit. Beaucoup plus récemment, c'est ce que la psychanalyse fait, bien que Freud l'oppose au judaïsme comme une science véritable, accusant Moïse d'inventer de toutes pièces la religion juive au profit de quelques brigands, poussant ainsi la négation de l'histoire plus loin encore que Nitche. L'athéisme de Freud, qui ne va pas jusqu'à honorer Satan comme Nitche, permet l'usage de la psychanalyse à des fins éthiques. L'inconvénient du credo satanique de Nitche est qu'il constitue une incitation bien trop puissante à devenir soi-même par soi-même, c'est-à-dire sans intermédiaire clérical. Le satanisme jette une lumière beaucoup plus crue sur les méthodes de l'esclavagisme bourgeois moderne.

  • Déphilosopher

    Pour le besoin d'un petit bouquin sur le satanisme, je relis Nitche (eh oui, on a le droit de prendre Nitche au sérieux). Le principal mérite de Nitche, c'est que ce n'est pas un intellectuel, mais un artiste.

    L'intellectualisme part d'un complexe d'infériorité, physique le plus souvent, que l'intellectuel compense par la rhétorique. On voit le cas d'hommes du peuple, plus vigoureux, qui veulent se donner des airs raffinés en apprenant l'art de la rhétorique : les conséquences en sont le plus souvent dramatiques. On m'a rapporté le cas d'un type, entré aux Beaux-arts, fruste, presque brutal, venu d'un bled paumé de la campagne française. Son art était par conséquent beaucoup plus naturel et plus puissant que celui de ses condisciples parisiens, bercés avec Proust, Flaubert, Tintin et Milou, depuis l'enfance. Seulement pas moyen pour ce type fruste de devenir moderne, c'est-à-dire subtil, pour plaire aux dames et aux professeurs, assez choqués par le style direct du type. Du coup le brave gars, ça l'a tué, il n'a pas tardé à se suicider. Dans son milieu, mieux valait ne pas être artiste, et à Paris il lui fallait être moderne -l'impasse.

    La production intellectuelle conserve la marque du complexe. Tandis que l'artiste, lui, selon la méthode de Nitche, tente de surmonter la faiblesse. Dans le monde moderne, les derniers artistes sont comme des lions, domptés par des intellectuels malingres, plus rusés. Aujourd'hui on conseillerait à un type bâti comme Michel-Ange de passer un CAP de tailleur de pierre.

    Satan n'aime pas beaucoup les intellectuels. La force des intellectuels tient dans le parasitisme. Sacré problème que la mort de l'art, du point de vue de Satan. Quand chacun devient sa propre idole, suivant le culte identitaire masochiste, il y a péril en la demeure de Satan.

  • Bacon, Shakespeare & Nitche

    "Je ne suis qu'un homme. Mais j'ai déjà vécu plusieurs vies à travers d'autres hommes, et de toutes leurs expériences, les pires comme les meilleures, j'ai su tirer des leçons. Parmi les habitants de l'Inde j'étais Bouddha, en Grèce Dionysos - je me suis incarné dans Alexandre et César, ainsi que le poète Shakespeare, lord Bacon."

    F. Nitche (lettre à Cosima Wagner)

    Nitche fait subir à l'histoire et à Shakespeare-Bacon le même traitement qu'il inflige à l'univers. Il n'en garde que ce qui le conforte.

    Shakespeare est un historien trop prophétique pour confondre le moine-théologien du moyen-âge et son bagage philosophique platonicien avec l'apôtre Paul.

    Plutôt que de se réincarner, Nitche aurait mieux fait, pour ne pas mourir bête, de lire ce que dit Bacon de ce sacré Dionysos. A savoir, fait historique, que c'est tout juste si Dionysos figure au panthéon des Grecs. Il semble que Dionysos fut trop humain pour ça.

    Il semble que Nitche-Dionysos n'a pas lu "Jules César" non plus, ni d'autres pièces de Shakespeare les plus dissuasives pour la nation anglaise d'imiter le modèle romain, dont les chrétiens savent qu'il est le plus satanique. Tout l'effort de Shakespeare est de montrer que la culture chrétienne médiévale n'a rien de chrétien. 

    Bien sûr Shakespeare n'est pas plus "moderne" que Nitche, mais en principe il n'y a que les imbéciles et les spéculateurs qui le sont.

  • De natura rerum

    Où la science naturelle de Nitche est défaillante, et son "Retour éternel" néo-païen :

    - ce qui "dénature la nature" dans la philosophie naturelle de Nitche, provient de ce qu'il l'envisage sous l'angle exclusif du rapport personnel qu'il veut s'efforcer d'entretenir avec elle, c'est-à-dire comme un "potentiel". C'est sans doute un angle à la fois plus limité et plus réaliste que celui de l'exploitation capitaliste des ressources naturelles à l'infini, principal ressort de l'anthropologie moderne fustigée par Nitche.

    Cela revient à considérer le système solaire ou le zodiaque (chiffré 666 dans le christianisme) comme un organisme gigantesque en perpétuel renouvellement. Sans tenir compte de la part qui n'est pas organique, ou seulement comme une base neutre, un point de départ, auquel vient se heurter l'idée de cycle.

    La conscience, pour Nitche, est liée à la vie. Celle qu'il prête à la nature divine, est aussi liée à la vie et aux cycles. Il s'accorde ainsi avec les prêtres romains antiques, et sa morale aristocratique est similaire. Lucrèce, peut-être encore mieux que Nitche, discernait que cette philosophie naturelle est sans solution pratique sur le plan religieux et populaire. Un peu trop dissuasive des travaux des champs pour le compte d'un maître. Les idoles sont nécessaires, leur culte sans doute un peu plus esthétique que le rituel du triage des déchets.

    Cette conception ferme la porte à la métaphysique. C'est-à-dire, selon Aristote, à ce qui dans la nature n'obéit pas aux lois cycliques de la biologie, mais paraît au contraire immuable. Nitche n'a d'intérêt que pour la puissance, la réunion du corps et de l'âme permise par le culte païen, tandis que l'éthique moderne entraîne un effet de division et d'affaiblissement de l'homme sur le modèle de la femme.

    Malgré l'occultation de la métaphysique (mêlée à l'éthique, elle fonde toutes les variétés de pataphysiques), la conception biologique ou vitale des païens Romains, leur "culture de vie", paraît plus sérieuse que les modèles mathématiques anthropologiques, prônés par les technocrates : ces derniers impliquent une conscience plus mécanique, non pas liée à la vie, mais qui serait plus conforme au mobile du robot, le plus éthique, et qui permettrait si l'homme l'imitait, d'accomplir enfin la démocratie.

  • Retour de Nitche

    Je lisais il y a quelques jours sur un blog l'appel d'un type à un "Mai 68 de droite". C'est l'expression d'une volonté typiquement nitchéenne, qui pourrait bien se propager à tout ce que la France compte de forces vives.

    Sur le plan politique, cette réaction nitchéenne est le résultat de l'échec sans doute définitif du projet hégélien de nation européenne. Les Français y ont toujours été hostiles, en raison de son arrière-plan de philosophie germanique, dont ils ont assez naturellement l'instinct qu'il est débile.

    Un intellectuel kantien, tel que Luc Ferry, ne peut compter que sur la fortune pour se maintenir en France, tant l'esprit français contredit la tradition monastique véhiculée par Kant. Le Français typique n'aime pas les choses complexes, il préfère les choses décomplexées, et les syllogismes philosophiques ne lui inspirent aucun respect, contrairement au Boche hermaphrodite ou sa sous-espèce made in USA perpétuellement en quête d'objets de dévotion, si féministe pour cette raison.

    Le projet national-socialiste européen échoue d'apparaître trop clairement ce qu'il a toujours été : un calcul mercantile - en quelque sorte on pourrait dire que tous ceux qui possèdent une volonté artistique, s'y opposent comme l'art s'oppose à la maladie ou la vieillesse ; mais il échoue plus encore d'être un régime carthaginois inefficace. C'est ce qui coupe la plèbe la plus empoisonnée par les vapeurs toxiques de la modernité des injonctions de l'élite. L'électeur du FN, si l'on considère dans cette espèce la plus grande espérance de bonheur déçue, n'est pas CONTRE la modernité - simplement, elle n'y a pas droit : la masturbation ou le football, le hachisch, le western, prennent plus de valeur que la célébration mystique du pangermanisme européen.

    Bien sûr Nitche n'est pas "de droite", sans quoi il serait "hémiplégique" selon son expression, et ne pourrait pas se relever des obstacles sans une membrure complète ; mais la moraline, elle, a pris l'étiquette de gauche, au lieu de l'étiquette gaulliste qui lui fut attachée au cours des "Trente glorieuses".

    Le plan social, dont la culture totalitaire proscrit le dépassement sous peine de condamnation éthique (ni art satanique, ni vérité chrétienne), perpétue la guerre des sexes sous une forme mystique, dont ni le réactionnaire viril nitchéen, qui fournit la semence, ni la femelle moderne, qui prête l'utérus, n'ont conscience. Malgré lui, Nitche qui veut être un aigle dans le ciel, est pris dans les filets de la culture moderne afin d'en faire un épervier pour la chasse. Hitler a joué le rôle du cheminot qui remet le train de la modernité sur les rails. Trucage scientifique, auquel Karl Marx n'aurait pas prêté la première phalange, sachant trop l'atavisme criminel de l'homme moderne, l'historien moderne doit s'efforcer de dissimuler le rôle positif de Staline et Hitler dans la marche forcée du monde moderne vers l'avenir.

  • La Modernité

    La modernité n'est pas dans la négation de Jésus-Christ, comme l'affirme Léon Bloy. La modernité n'est pas non plus dans la négation de Satan, comme le prétend F. Nitche.

    La modernité consiste dans la double négation de Jésus-Christ ET de Satan. La modernité consacre le point de vue anthropologique. L'homme moderne trouve sa plus grande justification dans la mort. Elle constitue l'événement le plus rationnel d'une vie ubuesque.

  • Bloy ou Nitche

    Avec le même tempérament et la même fougue polémique, Léon Bloy et Frédéric Nitche ont combattu la modernité, l'un au nom de Jésus-Christ, l'autre au nom de Satan. Avec une moue de dédain, l'anthropologue moderne les déclare "impossibles".

    En somme la modernité n'est qu'une question de probabilité.

  • De Nitche à Mussolini

    Epargnons à Nitche la comparaison avec la mystique hitlérienne, puisque celui-ci se voulait "latin", non pas Français, puisque le Français a tendance à considérer que l'horizon du latin ne dépasse pas l'ourlet de la jupe de sa mère. Si l'on exclut de la littérature italienne tout ce qui n'a pas une connotation pédérastique, il ne reste plus grand-chose.

    De même le Français se défendra toujours d'avoir du style, surtout si la flatterie vient d'une femme, celle-ci n'étant qu'un compliment indirect touchant son organe viril. Les intellectuels déploient des efforts de rhétorique pour parvenir au même résultat que l'homme naturel. Je dissuade les artistes en herbe, quand ils sont robustes, de vouloir faire moderne et d'adopter le style le plus démonstratif.

    Bien sûr le motif le plus net pour le Français de se défier du Latin, c'est qu'il a été mené à la boucherie et au vain sacrifice par un Italien. Napoléon, mais pas seulement. L'immonde Corse ajoute d'ailleurs à Hitler une dimension sadique au crime politique. Les Allemands ont une manière beaucoup plus féminine, beaucoup plus organisée, de tuer : il leur faut un plan et des justifications éthiques, un peu comme pour l'avortement de masse. L'Allemand est effectivement plus moderne. Le déclin de la figure de l'homme politique s'est opéré de l'Italien, dont le droit de faire couler le sang du peuple repose pratiquement sur le bon plaisir aristocratique, vers l'Allemand, qui s'appuie sur de bonnes intentions, où on retrouve la marque de la moraline judéo-chrétienne. Ce mouvement marque un recul de la responsabilité politique. Il est bon que les guerriers décorent leurs maisons des crânes de leurs victimes. On peut facilement s'accorder avec Nitche sur le fait que le nihilisme moderne abaisse l'homme au niveau de l'insecte, en lui ôtant le plus complètement l'aptitude à choisir.

    Ce que le Français apprécie dans l'art de Shakespeare, c'est qu'il est le plus dépourvu de style. Il est voué ainsi à demeurer une énigme aux yeux des psychologues. La preuve de l'aspiration théologique réelle de Shakespeare est dans son oeuvre de désacralisation de l'art occidental. Si la nécessité persiste pour les élites intellectuelles de liquider Shakespeare d'une manière ou d'une autre, en collant sur son front les étiquettes les plus improbables, c'est pour la raison que Shakespeare met un terme définitif à la foi dans la civilisation occidentale. Shakespeare fonde l'art moderne contre lui. La quête de la beauté platonicienne n'est plus permise à l'artiste après Shakespeare. Comprenez : ce moyen naturel de faire obstacle à l'histoire n'est plus permis.

    C'est tout l'enjeu historique que Nitche n'a pas saisi. Il s'est retrouvé, comme le fachisme, pris entre deux feux contraires. Le nihilisme occidental décadent, d'une part, dont la faiblesse morale est compensée par des moyens de propagande extraordinaires, et de l'autre le progrès de l'histoire selon l'esprit de dieu, la force quasiment invisible qui anime Shakespeare, mais n'en contraint pas moins la culture occidentale à cette posture macabre, à se déterminer en creux et non plus selon la culture de vie, que le christianisme ne vise pas à détruire, contrairement au dire de Nitche, mais à laquelle il ôte toute prétention spirituelle, ainsi que scientifique.

    Nitche a un point commun avec la modernité qu'il déteste, et ce point est exactement le même que celui qui permet de rattacher la réaction fachiste aux régimes qu'elle prétendait vouloir renverser. Ce point consiste à poser pour vraie la prétention de l'Eglise romaine à témoigner du message évangélique. Nitche ignore (sans doute délibérément) ce que Shakespeare ne cesse de mettre en avant : à savoir que l'anthropologie médiévale n'a aucun appui évangélique.

  • Léopardi contre Nitche

    Sans doute parce qu'il est Italien, Giacomo Leopardi est parfois indûment rapproché de Nitche. Cette seule citation de Leopardi, "Le suicide prouve Dieu", où dieu n'est pas une divinité païenne quelconque, suffit à les séparer nettement. Pas plus qu'il n'est satanique, Leopardi n'est adepte de la culture de mort imputée par Nitche au christianisme et à Jésus-Christ lui-même.

    Le mot de Leopardi fait référence à la science naturelle antique, celle d'Aristote notamment, qui voit dans l'homme l'animal le plus complexe, au milieu des autres espèces possédant le souffle vital - un microcosme. De sorte que la sagesse des anciens se préoccupe non seulement de l'aspiration physique, vitale, de l'homme, mais aussi de son aspiration métaphysique contradictoire. Homère a ainsi raconté les aventures de deux super-héros opposés. Achille, courant au-devant de son destin, illustrant l'élan physique ou la culture de vie, nécessairement macabre, et Ulysse d'autre part, plus prudent et illustrant l'aspiration métaphysique et les obstacles tragiques auxquels la sagesse se heurte, mais dont Ulysse finit par triompher. Louant la tragédie grecque, on voit que Nitche en élude les données fondamentales, pour la rapprocher du dieu aryen Dionysos, sans doute afin de l'amputer de la partie métaphysique et conforter sa thèse d'une antiquité grecque baignant dans la culture de vie jusqu'au "décadent" Platon.

    On remarque d'ailleurs dans le récit mythologique de la Genèse attribué à Moïse, la même dialectique que chez Homère - d'une part un arbre de vie, où niche le serpent, symbolique de la science physique, et d'autre part l'arbre du salut, symbolique de la sagesse divine ou de ce qu'Aristote nomme "métaphysique".

    Bien que Leopardi soit l'auteur d'une pensée plus forte et plus cohérente que celle de Nitche, il est moins célébré publiquement que celui-ci. L'explication en est sans doute que Leopardi est moins moderne que Nitche. Bien que la morale aristocratique de Nitche ne s'accorde pas avec le darwinisme, comme le nazisme s'accorda avec lui pour cause de populisme ou de socialisme, la culture de vie nitchéenne ne remet pas en cause le conditionnement physique de l'homme postulé par la science moderne.

    Nitche n'est sans doute pas nihiliste, comme les vils curés modernes qu'il blâme pour s'être acoquinés avec la plèbe et l'empoisonner avec de vains idéaux, mais il est misanthrope, ce qui revient à peu près au même.