Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

nietzsche - Page 2

  • Exit la démocratie

    A travers l'utopie démocratique, la bourgeoisie exprime une ambition plus radicalement et plus sournoisement antichrétienne que l'aristocratie et les institutions monarchiques auparavant. Tocqueville aussi bien que Nietzsche permettent de le comprendre.

    Le moins contestable de la part de Tocqueville, assez paradoxal et hypothétique par ailleurs, est sa démonstration que les valeurs démocratiques, portées par la bourgeoisie, sont représentatives du terme de l'évolution politique de l'Occident. En termes politiques rationnels, on pourrait dire que l'Occident débouche sur une utopie politique millénariste, et une caste dominante qui se caractérise par l'extrême dissimulation de sa position dominante, notamment à travers le principe populiste et extrêmement dangereux de la "souveraineté populaire".

    La démonstration de Tocqueville est confirmée par le constat de Nietzsche d'incapacité de l'Occident à s'élever au niveau de la civilisation aristocratique, à qui seule ce philosophe prête le sens de la vertu véritable. On sait d'ailleurs que Nitche voit dans le christianisme la principale cause de la barbarie occidentale, puisque seule l'éradication du judaïsme et du christianisme pourrait permettre à l'Occident de retrouver le sens des valeurs.

    La doctrine de Nietzsche, de même que les études de Freud et Jung tournant autour du mythe d'Oedipe et de l'orientation sexuelle incestueuse permettent facilement de mettre à jour le satanisme des valeurs et principes aristocratiques. Il n'y a aucun doute quant à l'incarnation par la sphinge de la puissance satanique. Nulle aristocratie véritable ne peut se couper de la nature providentielle et de la foi et de la raison du principe d'éternel retour. Qui naît aristocrate naît frappé du sceau de Satan. En choisissant l'aristocratie, Nitche fait volontairement le choix d'une doctrine qu'il sait la plus éloignée du christianisme (l'antichrist Maurras, lui, a dû composer avec la nécessité politique de séduire les catholiques français, et évité ainsi de clamer haut et fort son satanisme).

    La bourgeoisie, quant à elle, est une caste beaucoup plus indéfinissable - une caste dont les apologistes libéraux ne se revendiquent ni de Satan, ni de Dieu, mais seulement du progrès technique le plus vil, dissimulé derrière le slogan de la science. En réalité la science bourgeoise est aussi spéculative que l'art bourgeois, c'est-à-dire entièrement entre les mains de casuistes, assez débiles pour proclamer la recherche scientifique un principe plus fondamental que l'élucidation scientifique.

    Les origines aristocratiques de Tocqueville, mélangées à son catholicisme, ne sont certainement pas étrangères dans sa détermination à croire que la démocratie n'est pas seulement un voeu pieu. Cet amalgame entraîne l'altération simultanée de son jugement des affaires politiques - Tocqueville est étonnamment peu machiavélique, c'est-à-dire un idéologue d'abord. D'autre part le catholicisme se confond chez lui avec cette culture de sa caste, dont Molière et Shakespeare ont largement fait voir l'imposture en la brocardant.

  • Nietzsche et la Musique

    La musique est un art allemand. Je parviendrai beaucoup plus facilement à démontrer à un Français que la musique, étant un art intellectuel, est un art mineur. Au contraire des Allemands et de leurs cousins américains, les Français ont beaucoup moins d'admiration pour les choses intellectuelles. En un mot, ils sont plus prudents ; de fait les grandes catastrophes modernes ont une dimension intellectuelle : la démocratie, pour ne citer qu'elle, est un concept entièrement forgé par des intellectuels au service de régimes totalitaires rouges, bleus ou noirs.

    Bien qu'il lutte contre sa décadence, Nitche n'en est pas moins attaché à la musique. C'est ici la limite du discours de Nitche sur l'Antiquité, qui est assez largement théorique. La tragédie se situe en effet aux antipodes de la musique. De l'aptitude de l'Antiquité à écrire des tragédies découle son relatif mépris pour la musique, art beaucoup trop social, beaucoup trop religieux, beaucoup trop féminin, en un mot beaucoup trop allemand. A l'inverse il faudra à l'amateur de musique un effort pour se tourner vers l'art de la tragédie, dépourvu de la rassurante perfection de la musique.

    On ne peut donc faire de la culture grecque ainsi que Nitche une culture païenne en harmonie la plus parfaite possible avec la nature. On observe que la limite d'Orphée, aussi héroïque soit-il, est montrée. Orphée ne parvient pas à relever le défi de ramener Eurydice du royaume des morts. Et Orphée est un musicien "positif", le contraire de notre cinéma moderne "négatif", qui exploite les émotions les plus basses, part du principe de la mort et non du principe de la vie comme Orphée ou Nietzsche. Nietzsche fait donc comme Freud : il accommode la mythologie antique à sa doctrine, tous les deux selon un axe "antisémite", c'est-à-dire qui consiste à occulter l'influence du judaïsme sur certains mythes grecs.

    Nitche reproche au judaïsme et au christianisme d'être excessivement "anthropocentriques", souhaitant restaurer une anthropologie plus rationnelle - en réalité le judaïsme et le christianisme sont moins anthropocentriques que la culture de vie satanique ou païenne prônée par Nitche. Il n'y a pas d'anthropologie juive ou chrétienne possible - il y a seulement des pharisiens pour tenter de faire croire le contraire. Cette anthropologie judéo-chrétienne visée par Nitche comme un nihilisme ou un mouvement suicidaire de la culture occidentale, n'est en réalité qu'un platonisme déguisé en culte chrétien.

    La synthèse impossible du christianisme et du bouddhisme n'est nullement le fait de Schopenhauer -cet amateur de musique-, mais de l'Eglise romaine bien avant lui, et peut-être même de l'islam encore auparavant.

  • Dieu est mort

    Extrait du chapitre de mon "Dialogue avec l'Antéchrist" consacré à l'athéisme de F. Nitche.

    «Dieu est mort» : tout en contribuant à la renommée de son auteur, ce constat a donné lieu à une interprétation erronée de la doctrine de Nietzsche. Celle-ci n'est pas athée au sens moderne le plus courant, mais païenne ou antiquisante. Or l'Antiquité païenne n'a pas connu l'athéisme, mais tout au plus une certaine indifférence à l'égard de la théologie de la part de rares philosophes.

    Nietzsche avance la thèse d'un escamotage de dieu imputable au christianisme. La "mort de dieu" indique le terme de cette évolution, au détriment d'une notion païenne authentique de dieu ou du divin. Paradoxalement cette translation de dieu de la Nature à la rhétorique a entraîné une tension religieuse plus forte. N. juge cette évolution néfaste, car excessivement aliénante et conduisant au nihilisme. La mort de dieu n’a donc pas pour conséquence l’irréligion, bien au contraire.

    A l'opposé de Nietzsche se situe l'athéisme de Ludwig Feuerbach, dont l'influence sur la culture moderne est plus marquée, comme l'art moderne atteste, plus rhétorique (démonstratif) que l'art antique pris par Nietzsche pour modèle.

    L'analyse par L. Feuerbach des rituels chrétiens («L'Essence du Christianisme»), d’où celui-ci déduit que la métamorphose de la théologie en anthropologie constitue un progrès de la conscience, contredit l'interprétation morale de Nietzsche. Cependant elle confirme sa thèse selon laquelle la culture moderne est comme «suspendue à la question de dieu». Le dieu chrétien hante la culture moderne comme un fantôme ; il a remplacé les dieux concrets, identifiables à la Nature, auxquels l’Antiquité rendait un culte plus sain.

    Par ailleurs la démonstration de Hegel d'un progrès historique indexé sur les valeurs chrétiennes concorde avec l'élucidation par Feuerbach d'une religion chrétienne propice à l'émancipation de la raison humaine de la chrysalide de la théologie. Or la démonstration de Hegel tend à réduire dieu à un "concept historique". Perspectives et projets humains reçoivent grâce à Hegel l’onction chrétienne. Mais, que la référence chrétienne soit conservée (Hegel), ou bien qu’elle soit jugée démodée (Feuerbach), l’homme s’est hissé au rang des dieux sur la foi de sermons apparemment chrétiens.

    C'est contre cette anthropologie chrétienne que l'athéisme de Nietzsche se dresse, afin de restaurer un culte moins fanatique.

     

    Il reste à examiner dans un autre chapitre si la théologie chrétienne ouvre bien droit à un développement anthropologique, et si la suggestion d’un accomplissement du salut chrétien dans le temps a un quelconque fondement évangélique. La validité de la psychologie de l'histoire moderne selon Nietzsche, en dépend.

  • Mort de l'Art

    Comparé au constat de la mort de dieu, celui de la mort de l'art est bien plus alarmant pour la société, car la plupart des représentations de dieu ne sont en réalité que des représentations artistiques où l'homme entre plus en compte que dieu lui-même.

    De toutes les théologies assorties d'une doctrine sociale, on peut dire qu'elles ne sont pas des théologies véritables mais des idolâtries. L'interdit juif ou chrétien de l'art peut se comprendre comme la prohibition d'une représentation artistique de dieu, dont l'utilité est exclusivement sur le plan social. De plus la politique s'organise nécessairement autour de l'idôlatrie, qu'il s'agisse de l'idolâtrie de dieu, ou celle plus moderne de l'Etat. Napoléon a déploré la mort de dieu et de son usage politique afin de méduser les foules, selon la vieille théorie mystique de la monarchie de droit divin ; mais, au stade du déploiement de l'Etat bourgeois, la foi en un dieu omnipotent s'avère superflue.

    Nitche a conscience que ce qui fait la fragilité de l'art moderne est lié à la confusion entre le mobile scientifique et le mobile artistique. On peut ajouter à cela que la technique et son essor sont sans liés à cette confusion, car d'un ouvrage technique on ne peut clairement dire s'il relève de l'art ou de la science. La confusion de l'artiste moderne s'explique par le fait qu'il ne peut pas dire dans quel sens il exerce son art, ni la signification du "progrès" dont la société le fait le représentant de commerce. Il n'y a sans doute pas seulement chez un artiste comme Dali de l'ironie à ironiser sur sa vénalité, mais aussi un doute profond quant à la nature de son activité de thanatopracteur de la civilisation, à laquelle Freud n'a lui-même rien compris. L'ironie, c'est-à-dire le doute, reste le meilleur dans l'art de Dali, nonobstant sa mission de thuriféraire de la modernité.

    Nitche a su reconnaître dans la culture moderne une culture macabre - en cela c'est une culture féminine (les cultures décadentes le sont toutes).

    Le décret que Nitche prononce, non seulement à l'encontre du dieu des juifs et des chrétiens, mais aussi à l'encontre de la science métaphysique, est tout ce qu'il y a de plus logique, car l'art consacre le lien de l'homme avec la nature (c'est en cela qu'il peut être dit "satanique"), tandis que le christianisme, d'une part, comme la science, introduisent la critique du lien de subordination de l'homme à la nature. Seul le savant chrétien Francis Bacon Verulam (déchristianisé avec soin en France par la censure républicaine) a véritablement pris la mesure de cet enjeu, et qu'il n'y a pas de science véritable qui ne se donne pour but de triompher de la nature. Comme elle se contente d'opposer à la nature l'architecture, la musique ou les modèles mathématiques, c'est-à-dire l'artifice, en une sorte de tour de prestidigitation qui consiste à poser le primat du temps sur la matière, la science technocratique expose l'humanité à la catastrophe du retour de la nature au galop, épisode que les siècles passés illustrent déjà tragiquement.

     

  • Dialogue avec l'Antéchrist

    Je donne ici un extrait de mon étude en cours dédiée à l'Antéchrist de F. Nitche, extrait tiré du chapitre sur la philosophie naturelle de cet antichrist, qu'il résumait dans la formule de "l'éternel retour".

    "(...) La physique de Nietzsche et moins proche d’Aristote qu'elle n'est d'Héraclite (VIe siècle avant J.-C.), promoteur du feu comme « élément primordial ». Cette philosophie naturelle évoque le mythe de Prométhée, offrant vie à l’homme, sa créature, sous la forme du feu. La cohérence satanique de la doctrine de Nietzsche se trouve renforcée par ce rapprochement. En effet le mythe de Prométhée est, avec la Genèse attribuée à Moïse, l’une des plus anciennes explications de Satan et de son rapport avec les lois de la physique, dont volonté et vertu humaines découlent.

    Le feu, énergie d’origine solaire, dont nul ne peut se passer pour vivre, illustre parfaitement le thème de l’éternel retour puisque la nature est ainsi résumée à une source d’énergie intarissable, faisant et défaisant l’homme, qui ne peut faire mieux que trouver le meilleur moyen de jouir de la vie, c’est-à-dire l’art le plus propice à ce dessein, par-delà bien et mal.

    Matérialiste, la doctrine de Nietzsche se rapproche bien de la science physique grecque (présocratique) qui refuse en général de concevoir le cosmos comme étant, conformément à l’homme, le résultat d’un processus créatif. Cependant « l’élément feu » est celui qui symbolise le plus le processus de création.

    Aristote pour fonder sa métaphysique par-delà les différentes philosophies naturelles de son temps, ne manque pas de critiquer Héraclite en avançant l’absurdité d’une préséance de l’élément feu sur les autres éléments naturels, quand l’observation scientifique conduit au constat de la coexistence des éléments. La critique d’Aristote signifie que toute philosophie naturelle, qu’elle soit matérialiste ou idéale, trouve son unité dans l’homme, qui est dépourvu de cette qualité propre à l’univers ou au cosmos.

     

    A y regarder de plus près, la philosophie naturelle de Nietzsche est aussi peu représentative de l’antiquité grecque que la philosophie d’Héraclite fut. Cet aspect primordial du feu, et donc du soleil, incite à relier plutôt la doctrine de l’éternel retour à la culture de l’Egypte antique. Il est plutôt étonnant que Nietzsche n’ait pas lui-même invoqué cette culture, parfaitement antagoniste du judaïsme honni."

  • Fin de l'histoire

    Ce que l'on désigne habituellement sous le terme un peu emphatique de "post-modernité", qui évoque la théorie des suites (n+1), peut se comprendre entièrement à travers le concept de "fin de l'histoire". Auparavant le sens de l'histoire "faisait débat", pourrait-on dire, puisque Nitche, Hegel et Marx ont des conceptions distinctes de l'histoire.

    Et la France, n'a-t-elle pas part au débat qui agite la pensée allemande ? Elle n'y a pas part sous la forme scolastique, assez peu conforme à l'esprit français. Cependant on peut dire qu'il y a derrière la Comédie humaine de Balzac une forme de conception de l'histoire, avec laquelle K. Marx dit éprouver une certaine affinité. Ni l'un ni l'autre n'ont une confiance très grande dans la justice des hommes.

    D'une manière générale, les Français ont tendance à penser comme Nietzsche que le "sens de l'histoire" est un pur fantasme. Les Français ne diront pas comme Nietzsche "un pur fantasme chrétien", car la mentalité française négationniste (du sens de l'histoire) est due à l'influence de l'Eglise catholique. Martin Luther a justement accusé l'Eglise romaine, sous couvert de la "tradition", de faire prévaloir les questions sociales sur les questions spirituelles. Il n'a pas remarqué au point où Shakespeare l'indique, combien cette préoccupation sociale a pour effet d'occulter la dimension prophétique du christianisme.

    L'histoire, Nitche souhaite donc y mettre un terme, ou plus exactement la question du sens de l'histoire, puisqu'il n'y a là selon lui que pure spéculation chrétienne et fantasmes de prophètes juifs et chrétiens mal inspirés. Seule la morale, fondée dans la nature, a une véritable signification du point de vue de ce philosophe allemand. Sa doctrine a le mérite de souligner l'antagonisme du raisonnement moral et de la logique historique.

    Plutôt qu'à une finalité, la démonstration de Hegel mène à une aporie ou une sorte d'impasse. L'histoire devait mener à un progrès dont nous sommes les contemporains. L'avènement de l'idée ou du concept en art est ainsi un raffinement spirituel ultime. Nul ne conçoit de progrès au-delà. La philosophie post-moderne ressemble à un codicille au bas du testament laissé par Hegel, sa grande théorie du progrès et de l'avancement de la civilisation conçue par Hegel. Cela laisse le champ libre aux concepteurs de nouveaux gadgets afin de nous prouver que le progrès, nous baignons désormais dedans. De cette façon, on comprend que Hegel ne "nourrisse plus beaucoup le débat" sur le sens de l'histoire. On est désormais moderne, point final.

    Quant à Marx, sa théorie du progrès achoppe beaucoup trop sur le problème de l'Etat moderne, dans lequel elle ne voit nullement le résultat d'un progrès démocratique, pour que les fonctionnaires du sens de l'histoire et de la modernité ne disqualifient pas sa critique.

     

  • Preuve de dieu

    Le suicide prouve dieu. Encore une fois j'aime beaucoup cette preuve, qui me paraît particulièrement adaptée à notre temps de confusion entre science et enquêtes policières. L'idée moderne de la civilisation est en effet une idée de la civilisation qui se situe au niveau de la police, très proche de l'idée d'une théologie qui consisterait à prouver l'existence de dieu, c'est-à-dire d'une théologie sans métaphysique. Le calcul humain transpire en effet à grosses gouttes dans le problème de la preuve de dieu.

    Le suicide prouve que la volonté de l'homme est plus indécise que celle de toutes les autres espèces ; s'il semble régner dans les groupes de singes une forme de "suspens", une indécision propice aux sentiments et aux loisirs, c'est très probablement en raison d'une forme de fascination pour lui-même, qui fut baptisée "existentialisme" par la philosophie bourgeoise, que l'homme pense cela. En réalité, si le singe est plus philosophe et moins aristocratique que le lion, il n'en a pas moins un instinct de survie qui résume la plupart de ses actions.

    Au passage le suicide prouve aussi que la théorie transformiste est fausse. Elle l'est du point de vue de l'individu qui a tendance à lever la tête vers les étoiles et se trouver bien ignorant des choses essentielles. On voit que la société moderne a perdu le sens de l'individualisme, qu'elle confond avec le relativisme. L'évolutionnisme n'a pas engendré par hasard dans différentes cultures totalitaires différentes formules de "darwinisme social".

    Le suicide prouve dieu, mais les chrétiens savent que cette preuve est parfaitement inutile, et c'est pour cette raison qu'il vaut mieux s'en débarrasser en une courte phrase. On voit que Jésus-Christ n'use pas de théorèmes, mais de paraboles. Les théorèmes sont des lois sataniques, et le monde moderne serait moins complexe si les hommes de loi rendaient un hommage moins officieux à Satan.

    Nietzsche ou Hitler brillent par leur franchise, mais ils ne comprennent pas bien la stratégie de la terre brûlée mise en oeuvre par leur maître, c'est-à-dire le sens officiel, moderne, de l'histoire. Cette stratégie de la terre brûlée, c'est-à-dire le suicide de la civilisation, prouve d'ailleurs encore dieu (inutilement). Nietzsche a d'ailleurs partiellement compris la signification sous-jacente de cette incroyable baudruche à quoi s'apparente la rhétorique moderne, et que la culture moderne est une "culture de la preuve de dieu".

  • Stratégie de Nietzsche

    A chaque antichrist sa stratégie propre, épousant les contours de sa volonté. D'une certaine façon, on peut dire que chaque homme ou chaque femme est tributaire de Satan en termes de volonté. Ainsi le moraliste Léopardi peut justement dire que le suicide, quand il n'est pas le résultat d'un épuisement physique, mais une volonté intentionnelle d'échapper au monde, "prouve dieu". On peut à cet égard dire la volonté chrétienne "désordonnée" - non pas qu'elle soit plus faible, à l'instar de celle des drogués ou des personnes excessivement dévotes et qu'un certain nombre de rituels aident à mieux endurer les vicissitudes de l'existence, mais parce que la volonté chrétienne n'a pas un but physique ou naturel.

    On peut dire que la stratégie de Nietzsche le dépasse, dans la mesure où elle s'articule avec la stratégie antichrétienne moderne, en particulier celle de la moraline judéo-chrétienne que Nietzsche perçoit comme une morale hypocrite antagoniste de la sienne. Nietzsche fait penser à ces officiers supérieurs qui, une fois la guerre terminée, que celle-ci ait été remportée ou perdue, s'aperçoivent qu'ils l'ont menée pour le compte exclusif de politiciens rusés de l'espèce qu'ils exècrent le plus.

    Nietzsche contribue à la ruse qui consiste pour les tenants de la morale judéo-chrétienne, dont l'organisation politique prouve aux fidèles témoins de la parole divine l'imposture, à se faire passer pour les défenseurs des faibles et des opprimés. Dans sa démonstration que la morale judéo-chrétienne est une morale par les faibles et pour les faibles, Nietzsche se contredit d'ailleurs, puisque il accuse à la fois la religion chrétienne d'être une religion amorale et anarchiste, ce que l'on peut effectivement déduire des paraboles du Christ Jésus, ET d'être la cause d'une éthique décadente, ce qui est impossible si le christianisme est amoral. Sous sa forme la plus banale, cette contre-vérité historique revient à faire passer la démocratie pour le voeu du peuple, alors qu'elle répond surtout aux besoins des élites bourgeoises occidentales. Au lieu de mener à la revanche de la culture de vie aristocratique païenne sur la culture bourgeoise moderne, la doctrine de Nietzsche contribue à renforcer cette culture moderne, notamment du fait qu'elle repose largement sur des moyens de sidération des masses, où la morale judéo-chrétienne et ses avatars jouent un rôle important.

    De surcroît Nietzsche contribue à faire passer la religion chrétienne pour ce qu'elle n'est pas, à savoir une morale puritaine, une culture purement rhétorique. D'une manière significative, la dernière encyclique pontificale ("Lumen fidei") prend appui sur Nietzsche afin de réitérer le mensonge catholique romain qui consiste à faire passer l'anthropologie chrétienne pour une métaphysique véritable, alors que l'anthropologie chrétienne est la rhétorique qui a conduit le monde moderne laïc au divorce d'avec la métaphysique chrétienne véritable.

     

  • Victimisation

    La "victimisation" est un terme à la mode ; il est utilisé par certains intellectuels de droite pour fustiger une attitude qui consisterait pour certains Français à s'auto-flageller excessivement et se reprocher des crimes que la France n'a pas tant commis que ça.

    Ces intellectuels sont parfois un peu gênés dans leur raisonnement du fait que la "communauté juive" et l'Etat d'Israël ont une grande part de responsabilité dans la rhétorique de la "victimisation", et qu'il n'est pas bon pour un intellectuel de paraître excessivement antisémite.

    On pourrait citer la gent féminine également, dont les titres de presse représentatifs répètent que les femmes sont largement victimes des hommes ou de lois machistes, comme leurs salaires le prouvent ; bref, il n'y a pas que les Algériens qui reprochent à la France d'avoir tué 200.000 Algériens rien que pour pouvoir continuer d'exploiter les richesses pétrolières et gazières de leur pays - la victimisation est un phénomène répandu. Je n'irai pas jusqu'à mentionner les "victimes de la mode", bien que leur cause ne soit peut-être pas si éloignée.

    Mais laissons-là ces intellectuels engagés, que leur peu d'indépendance incite à regarder plutôt comme des factotums. Il faut dire que la bassesse du XXe siècle en termes d'idée ou de pensée, tient à l'engagement de la plupart des penseurs de ce siècle au service d'organisations plus ou moins criminelles.

    La "victimisation" évoque directement la "moraline culpabilisante" fustigée par Nietzsche ; il commet à son sujet une erreur d'appréciation que l'on répète aujourd'hui, d'une manière plus flagrante. Cette morale excessivement culpabilisante ne prend pas sa source selon Nietzsche dans tel ou tel événement historique, fait colonial, organisation esclavagiste bourgeoise ou massacre particulièrement odieux, mais dans la religion judéo-chrétienne, dont la victimisation ne serait en somme qu'un substitut "laïc". De fait on peut constater que ce phénomène se greffe à peu près sur n'importe quel fait historique, qu'il soit réel ou pas, exagéré ou non. Si ce que dit Nietzsche est vrai, sachant le rapport de la morale et de l'art, il entre dans l'activité de l'artiste moderne une part de "victimisation", c'est-à-dire d'auto-immolation ; l'énigme de l'hostie renferme dans ce cas l'énigme de l'art moderne, ou ce qui apparaît souvent comme tel au peuple. Ce n'est pas par hasard que Nietzsche maudit l'art moderne "au nom de Satan".

    Sur le lien essentiel qui unit l'anthropologie moderne et la morale chrétienne, Nietzsche ne se trompe pas. J'ai l'habitude de le dire autrement : Sartre n'est qu'un évêque et inquisiteur catholique romain travesti en penseur laïc, afin de donner le change aux prolétaires et leur faire croire qu'ils ne se sacrifient pas pour le compte principal de la bourgeoisie.

    Ce que Nietzsche ne dit pas, c'est que la morale chrétienne est le produit de la philosophie médiévale et non directement du christianisme. La morale chrétienne ne se déduit pas des évangiles, qui sont au contraire une illustration de l'amour comme n'étant pas le fruit d'un comportement moral. Nietzsche trahit qu'il n'ignore pas tout à fait la différence entre le message évangélique et la morale chrétienne, dans la mesure où il accuse Platon et Jésus-Christ simultanément d'être des philosophes ou des chefs religieux prônant une éthique décadente, bien qu'il n'y a entre le platonisme et le christianisme aucun rapport d'aucune sorte, mais seulement une volonté bien humaine d'imposer un ordre moral là où il ne devrait pas y en avoir.

    Où l'analyse de Nietzsche faiblit, c'est dans l'attribution aux faibles, aux pauvres et aux ratés de la terre de la moraline autocompatissante ; cette morale chrétienne-platonicienne, embryon de l'anthropologie moderne que Nietzsche juge décadente, est un produit philosophique sophistiqué dont les faibles et les ratés de la terre ne sont pas responsables. Par rapport à la morale contemporaine, on voit bien que la mise en avant de leur statut de victimes n'est pas ou rarement le fait des victimes elles-mêmes, mais celui de personnes morales prétendant oeuvrer pour le bien de ces victimes, dans un cadre moral, voire administratif qui les incite à le faire.

    Là où le bât blesse encore plus, c'est que cette manière d'autodénigrement de l'Occident, propre à l'anthropologie moderne, n'a pas pour conséquence de réduire la domination de l'Occident en termes économiques et militaires sur le reste du monde. Les Occidentaux ont beau culpabiliser, ils n'en ont pas moins des banques et des arsenaux bien garnis. On pourrait faire avec la culture de masse le même rapprochement - bien que la doctrine de Nietzsche soit des plus incitatives à considérer le cinéma comme un art décadent, il n'empêche que la culture de masse occidentale s'impose au reste du monde et balaie peu à peu une culture moins artificielle.

    Ceux qui fustigent la "victimisation", quand ils croient dénoncer une faiblesse, dénoncent en réalité une ruse occidentale, c'est-à-dire une manière de présenter les intentions des politiques occidentales en général comme louables aux yeux de l'opinion. De même la culture de masse s'est imposée comme un moyen de gouvernement des masses par une élite, qui s'efforce de faire croire que cette culture vient d'en-bas, ou qu'elle est spécialement prisée dans les milieux populaires.

    Le christianisme ne s'est pas imposé comme le prétend Nietzsche en raison de sa propriété à conforter les faibles que leur faiblesse n'en est pas une. Le clergé chrétien et la morale chrétienne se sont imposés en tant qu'intermédiaires privilégiés entre les élites exerçant le pouvoir et les franges de la population qui subissent ce pouvoir. Une différence radicale avec la vertu et la religion païennes, et difficile à dissimuler, c'est l'égalité de tous devant dieu, quelle que soit sa condition. Traduite en termes d'éthique ou de morale, cette notion d'égalité rend impossible l'édification d'un ordre moral.

     

  • Céline antisémite ?

    Au préalable, je dois dire que la repentance de l'Eglise catholique pour sa complicité dans les massacres perpétrés au cours de la Seconde guerre mondiale compte parmi les motifs qui m'ont conduit à quitter l'Eglise romaine, la tartuferie de cette démarche de la curie romaine me paraissant impossible à assumer. Il ne s'agit nullement de nier la culpabilité de l'Eglise, puisque cela reviendrait à nier l'implication de l'Eglise romaine dans la société civile. Il s'agit de nier que le Christ et ses apôtres entretiennent un quelconque rapport de complicité avec une quelconque société civile. Il faut de tout pour faire un monde, dira-t-on, y compris des Italiens ou des diplomates, puisque l'acte de repentance est une ruse diplomatique. Mais, au monde, l'évangile n'apporte rien, et le point de vue social, en soi, est négateur de la révélation. Le point de vue social est illustré dans l'évangile par la décision de la foule des Juifs de mettre à mort le Christ Jésus plutôt qu'un criminel de droit commun.

    L'invitation à distinguer le "Céline écrivain", que la censure bourgeoise n'a pas réussi à censurer, du "Céline antisémite", relève de la même tartuferie "post-moderne". Comme l'Eglise peut continuer de fourguer ses indulgences, l'éditeur de Céline peut continuer de fourguer des rééditions de Céline en toute bonne conscience. Au pays de Molière, on devrait relever plus souvent que la casuistique a un rapport direct avec l'hypocrisie, et donc les mathématiques modernes, science casuistique s'il en est.

    L'antisémitisme de Céline est donc une construction juridique a posteriori, destinée à fonder les décrets moraux en vigueur aujourd'hui.

    En tant que chrétien, je suis enclin à penser que l'écrivain athée Céline est antisémite et antichrétien, puisque celui qui n'est pas avec le Christ est forcément contre Lui, c'est-à-dire un homme ou une femme en perdition. Mais, à vrai dire, l'antisémitisme de Céline est compensé par le sentiment d'horreur et de dégoût que la guerre lui inspire, et sa volonté d'expier sa complicité dans le génocide de 14-18. En somme Céline conçoit les Juifs comme des fauteurs de guerre, plus encore que les Allemands, à une époque où l'acte d'inculpation de l'Allemagne n'a pas encore été rédigé.

    Pour bien faire, il faudrait que les chrétiens comme les Juifs abjurent leur foi officiellement, et ne l'abandonnent pas seulement de facto, dès lors qu'ils acceptent des charges publiques, afin de n'être pas soupçonnés par les païens ou les athées de machiavélisme, c'est-à-dire de prôner une religion de paix tout en tirant les bénéfices de la politique et de la guerre. Bien sûr ce n'est pas possible, car pour cela il faudrait que Satan n'agisse pas dans le monde.

    L'antisémitisme de Céline est beaucoup moins fort et satanique que celui de Nietzsche. La différence est aussi que la doctrine de Nietzsche est aristocratique, tandis que Céline réagit aux "grandes idéologies modernes", à commencer par le stalinisme, en étant conscient qu'elles ont conservé un arrière-plan de morale "judéo-chrétienne" et que le peuple sera forcément la première victime de ces idéologies.

    Le triomphe de la morale judéo-chrétienne moderne représente pour Nietzsche le triomphe du mal absolu, de sorte que la vertu satanique est le modèle du bien et du beau.

     

  • Nietzsche antisémite ?

    L'antisémitisme revêt aujourd'hui, comme on le sait, le caractère de péché majeur, selon une sorte de casuistique de la haine d'un genre nouveau, dont l'inefficacité à endiguer la haine confirme le caractère de casuistique. Pourquoi l'antisémitisme et pas l'avarice ou le délit d'initié ? Allez savoir...

    - Plusieurs intellectuels, philosophes ou artistes ont été inculpés pour cause d'antisémitisme, suivant des critères et un calendrier un peu flous. Le cas de L.-F. Céline est bien connu en France. Il me semble que les cas "limites" sont les plus intéressants : Karl Marx et Simone Weil ont été appelés post-mortem sur le banc des accusés, en dépit de leurs origines sémites, par un pitre universitaire américain du nom de Francis Kaplan, sans doute désespéré de trouver une matière plus sérieuse à étudier.

    Plus récemment, un tribunal français a condamné pour antisémitisme un ouvrage de Léon Bloy, entièrement conçu par ce dernier pour la défense des juifs, mais hélas dans des termes démodés pour les magistrats d'aujourd'hui.

    - Quant à Nietzsche, la balance penche plutôt en sa faveur ces derniers temps, en dépit des accointances de sa famille avec le célèbre chancelier A. Hitler, et des références et révérences d'à peu près tous les mouvements et intellectuels fachistes européens à Nietzsche. On note en effet certains efforts pour blanchir Nietzsche de divers essayistes ; une bande-dessinée a même été produite il y a une dizaine d'années pour prouver qu'en dépit de son satanisme, Nietzsche était "cool" avec les Juifs.

    - Ce qui fait défaut dans ce type d'affaires, c'est une notion à peu près claire du Juif. L.-F. Céline les assimile par exemple à une caste de ploutocrates, un peu comme le pape et les papistes. Mais on sait que Moïse en personne a maudit les adorateurs du veau d'or. Sigmund Freud précise que seuls peuvent être considérés juifs les sectateurs de Moïse, qu'il a tendance à assimiler à une bande de brigands.

    Le nationalisme juif ou sionisme qui cristallise l'attention aujourd'hui était alors embryonnaire.

    Le témoignage d'un ami de Nietzsche, Franz Overbeck, une sorte de "théologien athée" comme il se définit lui-même le plus sérieusement du monde est sans doute le plus éclairant sur, non pas tant l'opinion de Nietzsche sur les Juifs en général, mais sur la consistance de sa théologie satanique (in : "Souvenirs sur Nietzsche") :

    « Je crois que, dans notre manière de considérer l’antisémitisme, nous avions, Nietzsche et moi, des convictions particulièrement proches. De même que nous étions tous deux également fort éloignés de tout fanatisme, qu’il relève d’une haine nationale ou religieuse, même s’il se peut que cela ait été pour des raisons très différentes ayant leurs racines dans nos origines respectives, nous n’avions foncièrement aucune sympathie non plus pour l’antisémitisme. Sans que ce rejet nous ait distingués du reste des Européens de notre temps. Car la radicalité de notre rejet n’aura guère été différente de celle des contemporains qui vivent sous nos latitudes.

    Sous ces dernières, on peut bien dire que tout homme, ou du moins tout homme cultivé, ressent une certaine aversion pour les Juifs, à tel point que même les Juifs de chez nous partagent cette aversion. (...) L’expression la plus claire de ce dégoût que nous éprouvions Nietzsche et moi à l’égard de l’antisémitisme apparaît dans le fait nous avons pourtant parfois abordé le sujet au cours de la conversation, mais jamais avec passion, car, dans le fond, nous n’avons jamais pris ce sujet "au sérieux" et nous l’avons considéré comme une mode des temps qui ne méritait guère qu’on s’y attarde. (…) Les écrits de Nietzsche attestent aujourd’hui encore de façon particulièrement claire (..) que cette attitude n’est pas incompatible avec une certaine dose « d’antisémitisme », en tout cas avec un manque de sympathie à l’égard des Sémites.

    (…) Nietzsche a été un adversaire convaincu de l’antisémitisme tel qu’il en a fait l’expérience. Il voyait en effet dans l’une des «formes les plus malhonnêtes de la haine» une «rage de dénigrer et de détruire». Il n’empêche que lorsqu’il est sincère, les jugements qu’il porte sur les Juifs surpassent tout antisémitisme par leur sévérité. Le fondement de son antichristianisme est essentiellement antisémite. »

    Pour résumer le propos de cet intellectuel allemand, l'antisémitisme était une opinion beaucoup trop vulgaire pour que des hommes cultivés comme lui et son ami Nietzsche y cédassent. En revanche la doctrine satanique de Nietzsche était suffisamment solide pour que ce dernier la fasse reposer sur le rejet dépourvu d'ambiguïté du judaïsme.

    Les Juifs trouvent grâce aux yeux de Nietzsche quand ils ne sont pas vraiment Juifs mais "fidèles à leur culture et traditions" ; de même, les catholiques romains bénéficient de l'indulgence de Nietzsche en raison de leurs efforts pour restaurer la culture de vie païenne à l'intérieur du christianisme.

  • Exit la culture

    Le goût d'un néo-païen pour le cinéma - mettons Hitler - trahit l'influence sur lui de la culture chrétienne médiévale. Un païen authentique a bien trop de goût pour apprécier le cinéma, que Nitche aurait regardé comme une manifestation de l'art judéo-chrétien le plus efféminé. Disons que le "surhomme" n'a pas besoin de se mentir à lui-même, il rejette ce type de "couverture sociale" en quoi consiste le cinéma, qui est une forme d'onanisme intellectuel ou de prière.

    Ce qui est notamment intéressant chez Nitche, c'est la sûreté de son goût, dans une culture moderne où les mille façons de mourir l'emportent sur toutes les autres religions. L'analogie, par exemple, entre démocratie et cimetière, est évidente du point de vue nitchéen. L'intérêt festif pour la guerre de 14-18, non seulement est le meilleur moyen d'occulter l'histoire et les causes réelles de ce conflit meurtrier, mais il traduit une fascination macabre, démocratique, pour de jeunes connards patriotes transformés en martyrs.

    Il faudrait situer Nitche à l'extrême opposé de Baudelaire, si ce dernier faisait l'apologie de la laideur et de la charogne, de la drogue, mais Baudelaire constate plutôt ce bouleversement esthétique qu'il ne le salue. Baudelaire exprime d'ailleurs son dégoût de la démocratie. La mentalité de Baudelaire est d'ailleurs très proche de celle de Hitler, en raison de cette bipolarité païenne et chrétienne.

    On peut voir Rimbaud comme une sorte de jeune SS, sacrifié à la poésie de Baudelaire ; ce qui plaît d'ailleurs le plus souvent chez Rimbaud, ce n'est pas Rimbaud mais le martyr, la victime. La foule aime le sang, elle aime les hosties, et le prêtre moderne est là pour lui enseigner à ne pas désirer plus. Ni Rimbaud ni les jeunes SS ne rêvaient de finir écrabouillés.

    Qui sait à quel fléau apocalyptique il faut rattacher la culture moderne, sorte de cérémonie funèbre d'un art qui fut autrefois vivant ? A l'odeur de décomposition du Danemark ? Au cheval pâle, que la mort chevauche, du quatrième sceau de la vision de Jean ? 

  • Théorie du plaisir

    S'il n'y a pas chez Léopardi, contrairement à Nitche, d'accusation contre le christianisme en général d'être la source du malheur moderne, c'est parce que le poète italien est conscient qu'il est absurde pour l'homme de s'assigner le bonheur comme but dans l'existence. C'est tout au plus le fruit d'une saine éducation. La détermination au bonheur comme fin ultime est tout aussi absurde que celle, plus contemporaine, qui découle de la foi dans le progrès social, dans laquelle on décèle sans peine un avatar de la morale chrétienne, mais non du christianisme en général.

    Autrement dit, il ne peut y avoir de véritable spiritualité liée à la quête du bonheur, tout comme il ne peut y avoir de civilisation véritable qui ne vise à la conservation du bonheur, autant qu'il est possible, c'est-à-dire à condition d'exclure le principe égalitaire.

    L'utopie politique est un vecteur de destruction de la politique, sans pour autant posséder la moindre valeur spirituelle, ni même scientifique. Léopardi accorde au christianisme une consistance spirituelle que Nitche ne lui concède pas, et l'Italien ne relègue pas la métaphysique au rang des illusions.

    Après tout c'est le minimum pour un chrétien de savoir qu'il y a un décalage radical entre les exigences de la civilisation, nécessairement sataniques, et celles de la foi chrétienne. De même c'est le minimum pour un homme civilisé de concevoir que la civilisation est essentiellement conservatrice.

    Les nations où la drogue se répand comme une épidémie, tels les Etats-Unis, sont nécessairement des nations puritaines, car la jouissance que procure la drogue correspond à la promesse de jouissance macabre contenue dans les religions puritaines. On peut dire des drogues comme des religions puritaines qu'elles promettent beaucoup mais tiennent peu. A l'opposé la jouissance physique, fondant la culture de vie satanique (nitchéenne), est beaucoup plus immédiate et moins intellectuelle. Drogués et puritains ont en commun d'être rongés par la culpabilité, et rendus impuissants par elle.

    A quoi bon mener campagne contre la drogue ou l'alcoolisme si une institution aussi perverse que l'Education nationale persiste, son idéologie de caserne la plus propice afin de diriger les gosses vers l'autel de la consommation et en faire des victimes masochistes de la modernité ?

    - Léopardi considère comme Nitche la morale et l'art bourgeois existentialistes comme un mouvement de décadence, mais la fin du monde n'est pas pour Léopardi une fin qu'il faut exclure, au contraire de Nitche qui voudrait retrouver, grâce à l'extinction du christianisme qu'il espère proche (le christianisme libéral ou social n'est déjà plus aux yeux de Nitche qu'une vague pétition de principe sans plus de rapport avec le Christ et ses apôtres qu'une kermesse n'en a avec l'évangile) le chemin de la civilisation et de la vertu païenne. L'éternel retour de Nitche est à la fois un principe cosmologique assez simple, moins abstrait que la théorie de la relativité qui a pour effet "surréaliste" de transformer l'homme en démiurge de l'univers, un principe qui ne heurte pas la raison commune par son excessive originalité. Cependant il est la marque d'un intérêt pour le cosmos limité lui aussi au rapport que l'homme entretient avec lui, une philosophie naturelle plutôt qu'une science désintéressée. Léopardi envisage beaucoup plus sérieusement la "programmation" de la destruction du monde humain et il n'exclut pas que la décadence de l'Occident résulte d'une force bien supérieure à celles que l'homme puise hors de lui, mais dont il a décidé, parvenu à un état de gâtisme avancé, de s'attribuer la propriété intellectuelle.

     

  • Culture de vie

    "Culture de vie" : l'expression sonne bien, elle a le charme des slogans positifs, surtout dans un monde efféminé et vieilli, pour ne pas dire atteint par le gâtisme.

    On entend parfois ce slogan dans la bouche de chrétiens : pourtant, il ne saurait y avoir de culture de vie chrétienne - l'arrière-plan biologique de cette idéal réactionnaire, dont Nietzsche a expliqué et justifié le mobile antichrétien et antijuif, exclut de le confondre avec la spiritualité chrétienne, pure et fondée sur la méfiance de la chair et des femmes, enclines à inventer des stratagèmes pour vampiriser les hommes.

    La vie éternelle, dont parlent les évangiles, ne peut fonder une quelconque culture humaine. Les tenants chrétiens de la "culture de vie" sont les rois des imbéciles : ils ignorent doublement de quoi est faite la culture, et que le christianisme implique le renoncement à la fortune. Ce sont les rois des imbéciles, et ils exposent leurs enfants à cette imbécillité dangereuse.

    La "culture de mort" dominante en Occident, s'explique par le fait que le christianisme ne permet pas de cautionner une culture conservatrice, ainsi que l'est nécessairement la culture de vie. Sur ce point, Nietzsche se trompe légèrement : la culture égyptienne est une culture de vie beaucoup plus pure que la culture grecque, dans laquelle on peut légitimement soupçonner l'influence de la métaphysique juive, notamment chez Homère.

    La culture judéo-chrétienne occidentale est essentiellement une culture de mort, et la "modernité" un concept dépourvu de sens en dehors des élites représentantes et actionnaires de l'éthique chrétienne. Et la culture de mort judéo-chrétienne est essentiellement truquée, dans la mesure où la parole de dieu ne fonde aucune culture, c'est-à-dire aucun discours anthropologique ; il ne peut pas y avoir, par exemple, de psychologie chrétienne ou d'art chrétien, et de cette impossibilité résulte la fragilité et l'arbitraire de la culture occidentale. Les tenants de la culture de vie chrétienne impossible sont en réalité des nostalgiques de la vertu, ce qui encore une fois peut se comprendre, compte tenu de l'état de corruption avancée de la société, mais n'a rien de chrétien - et celui qui n'est pas avec le Christ est contre lui et sera traité en adversaire.

    Le rêve de l'homme est de prendre ses quartiers dans le temps : écoutez plutôt la parole divine qui vous dit que le réalisme est de penser que cela ne sera jamais possible. A la fin, les suppôts de Satan s'entre-tueront sous le prétexte de la préservation de leur culture et de leurs valeurs, qu'ils se cachent sous le masque de la religion de démocrate-chrétienne, ou bien celui d'une autre religion moins subtile. Le chrétien n'a pas besoin d'une culture, conservatrice ou moderne, puisqu'il a Dieu - il voyage léger.

  • Vérité et politique

    "L'objet de ces réflexions est un lieu commun. Il n'a jamais fait de doute pour personne que la vérité et la politique sont en assez mauvais termes, et nul, autant que je sache, n'a jamais compté la bonne foi au nombre des vertus politiques. Les mensonges ont toujours été considérés comme des outils nécessaires et légitimes, non seulement du métier de politicien et de démagogue, mais aussi celui d'homme d'Etat. Pourquoi en est-il ainsi ? (...)"

    Hannah Arendt, in "La Crise de la culture", titre original : "Entre passé et futur", trad. française 1972)

    Dans ce chapitre, Hannah Arendt se réfère un peu plus loin à l'adage latin : "Fiat justitia, et pereat mundus", attribué à Ferdinand Ier, qui résume l'impossibilité de concilier politique et vérité. H. Arendt multiplie les exemples de défenseurs de la vérité, persécutés par la puissance publique. Elle mentionne l'idée ancienne de Platon selon laquelle la vérité ne peut être communiquée à une masse de personnes humaines, où transparaît que la République et la démocratie selon Platon n'ont rien de commun avec le système républicain et les démocraties libérales modernes, fondées sur le principe quantitatif inverse.

    Curieusement, dans le chapitre intitulé "Vérité et politique", Hannah Arendt ne mentionne pas directement le judaïsme ou le christianisme, religions que F. Nietzsche a maudites et justement qualifiées d'"anarchistes", précisément parce qu'elles sont "décalées de la vertu" et du rapport que l'institution politique entretient nécessairement avec la nature (physique). Les évangiles prétendent enseigner une vérité incompréhensible du point de vue social. Le néant est pour le chrétien la clef de toutes les doctrines sociales, par conséquent celles-ci contribuent toutes à entretenir l'erreur et le péché ; avec une mention spéciale, ainsi que le souligne Shakespeare, pour les doctrines sociales chrétiennes, qui comportent nécessairement un degré de mensonge supplémentaire. Shakespeare fait de la culture chrétienne, c'est-à-dire la subversion du christianisme, l'élément crucial de la tragédie du monde moderne. Si certains ont pu croire dans l'athéisme de Shakespeare, se fondant sur sa critique radicale de la culture médiévale chrétienne, c'est parce qu'ils ignorent que la religion chrétienne est la moins susceptible, en principe, de fonder une culture, et ne l'a jamais fait, comme une étude approfondie de la culture occidentale permettrait de s'en rendre compte, que par la "christianisation" d'institutions païennes, ce qui du point de vue chrétien authentique est le pire des péchés, qualifié de "fornication". "Roméo et Juliette" est ainsi une pièce dont le thème principal n'est pas la "passion amoureuse", comme certains critiques superficiels ont pu le penser, mais une pièce qui porte, bien plus profondément, sur la christianisation de l'institution païenne du mariage, dont Shakespeare fait voir de la manière la plus moralement incorrecte pour son époque les tenants et aboutissants.

    L'omission d'Hannah Arendt est d'autant plus surprenante que le totalitarisme est son sujet principal d'étude, c'est-à-dire une forme de tyrannie inédite dans l'antiquité, révélatrice du sens de la politique moderne.

    Ce chapitre sur la vérité et la politique aurait dû entraîner rapidement Hannah Arendt à deux conclusions : premièrement à énoncer le rôle-clef des "politiques chrétiennes" dans le totalitarisme (la doctrine satanique ou antichrétienne de F. Nietzsche s'articule autour de cette idée). On voit bien en effet que, dans la démocratie-chrétienne, la perversion est double : elle l'est par rapport à la conscience ancienne, mise en avant par H. Arendt, du mariage entre la politique et la vérité ; et la démocratie-chrétienne est perverse par rapport au christianisme, dont elle renverse la signification, alors même que les chrétiens devraient en principe être les mieux éclairés quant à la nature mondaine ou temporelle de la perspective démocratique.

    Ironiquement, on pourrait dire qu'il n'y a pas de démocratie-chrétienne qui puisse être fondée sur les évangiles et les apôtres, en raison de la défiance exprimée par les apôtres vis-à-vis des banques, qui n'ont jamais eu un poids politique aussi important que dans les nations démocrates-chrétiennes.

    Hannah Arendt cherche dans son essai "Entre passé et futur" à mesurer ce qu'il reste dans le monde moderne de cette ancienne conscience antique de l'opposition entre le plan politique et une vérité moins relative, c'est-à-dire qui ne serait pas conditionnée par les besoins humains temporels, comme l'est la politique.

    Mais, si le jugement porté par Hannah Arendt sur la culture moderne est sans doute juste et aussi sévère que ceux d'Orwell, K. Marx, Nietzsche, ou encore Simone Weil - H. Arendt échoue dans la mission qu'elle s'est fixée d'élucider les raisons de l'inquiétante faiblesse de la culture moderne (pour parler comme Nietzsche). Ses explications sont assez confuses, et on ne peut s'empêcher de voir dans cette confusion la marque, précisément, de la culture moderne.

    Hannah Arendt achoppe notamment sur la notion de science, dont elle est capable de discerner qu'elle a pris, dans les temps modernes, une pluralité de significations incohérentes, parfois contradictoires entre elles. Comme elle ne le dit pas assez radicalement, la science moderne n'est pas pensée, comme fut la science antique par Aristote, ou la science chrétienne humaniste de la Renaissance par Francis Bacon ("Novum Organum") ; elle n'est pas pensée, c'est-à-dire qu'elle n'est pas hiérarchisée. H. Arendt cite même des exemples d'une science évolutive, dont les données présentes contredisent celles qui faisaient foi naguère, et semblent ainsi vouées à se démoder ; cela implique de ne rien prendre pour fondamental et établi dans la science moderne, où le changement fait donc seul office de dogme. C'est ce qui explique que les néo-darwinistes ou les transformistes n'hésitent pas à proclamer "scientifiques" des études portant sur la nature qui comportent de très nombreuses lacunes, quand ces lacunes devraient scientifiquement disposer au scepticisme et à la prudence. On trouve d'ailleurs dans la science évolutionniste cette caractéristique à la fois moderne et religieuse : elle accorde au hasard la valeur de la science. Ainsi la "science économique" peut-elle parallèlement, sans rire, être proclamée une "science". De la même façon, il suffirait de parier sur dieu pour qu'il existe. La conviction que le monde moderne s'appuie sur des vérités scientifiques est une pétition de principe. Pratiquement, c'est le résultat d'une propagande. Mieux que Hannah Arendt, on peut dire que la science moderne fait une très large place à l'hypothèse scientifique, ce qui est le signe d'un mouvement religieux, comme la démocratie l'est sur le plan politique.

    Si Hannah Arendt n'est pas loin de l'intuition de Simone Weil que la science physique moderne n'est qu'un tissu d'inepties, d'équations qui ne veulent rien dire, l'explication qu'elle donne à la révolution scientifique qui s'est produite au XVIIe siècle est largement erronée et pleine de contradictions. On voit ainsi Hannah Arendt souligner la difficulté grandissante de la communauté scientifique à fournir des explications sur ses travaux, difficulté dans laquelle elle n'est n'est pas assez débile pour voir une preuve de progrès scientifique : "Il mériterait d'être noté que, parmi les savants, ce furent principalement des hommes de la vieille génération comme Einstein et Planck, Niels Bohr et Schroedinger qui s'inquiétèrent le plus vivement de cet état de choses AVANT TOUT PROVOQUE PAR LEURS PROPRES TRAVAUX." Je souligne ici la seule partie vraiment intéressante de cette remarque, qui pointe le manque de lucidité ou l'inconscience d'Enstein, Planck, Niels Bohr, etc. - et "a contrario" la lucidité plus grande d'une non-spécialiste, Hannah Arendt, capable de comprendre ou deviner que la science moderne se perd dans des détails, et qu'elle prend la précision de ses instruments pour une avancée scientifique fondamentale.

    Cependant, tout en critiquant la science moderne et interrogeant l'étrange phénomène psychologique au sein de la communauté scientifique (comparable à celui de l'abstraction dans le domaine artistique), Hannah Arendt accorde à celle-ci le penchant naturel pour la vérité, qu'elle refuse aux institutions politiques. En dépit de l'enjeu extraordinaire que la technologie représente en termes de pouvoir et de domination d'une nation sur une autre, H. Arendt ne voit pas de raison de se méfier de la communauté scientifique. De même, H. Arendt rend hommage aux techniciens et ingénieurs, grâce à leurs applications scientifiques, de fournir une preuve du progrès scientifique que les théoriciens purs ne fournissent jamais. Cette manifestation du progrès scientifique sous la seule forme d'avancées techniques doit au contraire conduire à soupçonner la théorie pure qui lui est associée d'être une pataphysique, et non une véritable science fondamentale.

    Le plus grave contresens, Hannah Arendt le commet à propos de la science du XVIIe siècle et des savants qui ont contribué à l'avènement des mathématiques modernes. Elle croit en effet cette science mathématique nouvelle, de Copernic, Newton ou Galilée, "purgée de tout élément anthropomorphique", de sorte que le géocentrisme, précédemment, d'Aristote ou Ptolémée, aurait consisté à projeter sur l'univers des catégories mentales naturelles. C'est le contraire qui est vrai : la métaphysique d'Aristote consiste dans un effort pour penser le cosmos en dehors des catégories naturelles auxquelles l'homme est soumis. Il est assorti d'une critique du langage et des figures de la géométrie algébrique qui incitent à croire vraies des notions comme l'infini, alors que celle-ci a une fonction, elle est "efficace", mais c'est une catégorie mentale dont on ne trouve pas d'équivalent dans la nature. Pour Aristote, l'infini est précisément une catégorie mentale. Le géocentrisme, auquel est lié l'idée d'univers fini, est donc une vision scientifique moins anthropomorphique que les modélisations mathématiques modernes de l'univers, qui évoluent constamment, au gré des caprices de la communauté scientifique. La "théorie des cordes", à la mode il y a dix ans, est désormais désuète. 

    Le propos de Hannah Arendt sur ce point, suivant celui de Max Planck, est saugrenu, car il revient à faire de l'art abstrait l'art le moins humain qui soit. Or c'est exactement l'inverse. Humaines, trop humaines les mathématiques modernes pour servir de base à un discours scientifique conscient. "Comme le dit Erwin Schroedinger, le nouvel univers que nous tentons de "conquérir" n'est pas "inaccessible pratiquement", il n'est même pas pensable, car de quelque manière que nous le pensions, il est faux ; peut-être pas aussi absurde qu'un "cercle triangulaire", mais beaucoup plus qu'un lion ailé."

    Les paradoxes qu'engendrent un tel discours, parfaitement ubuesque, est particulièrement anthropomorphique, l'homme étant sans doute de toutes les espèces la plus paradoxale.

    Suivant un préjugé élitiste, Hannah Arendt absout les intellectuels et les universitaires du processus de décadence de la culture, contre l'évidence que le poisson pourrit par la tête et que la culture de masse est un moyen élitiste de domination. Ainsi il n'y a pas de cinéma "populaire", il n'y a qu'un cinéma bourgeois libéral, ou bien populiste.

     

  • Queue de l'Athéisme

    Depuis une cinquantaine d'années, voire un peu plus, l'athéisme est entré dans une phase religieuse extrêmement inquiétante, qui d'après moi correspond à l'avènement du cinéma et de la culture de masse, c'est-à-dire d'un moyen de sidération massif au service de la bourgeoisie libérale.

    La culture de masse est une raison d'estimer la démocratie libérale ou chrétienne comme un régime plus totalitaire encore que le nazisme ou le communisme soviétique, à l'inverse de ce que certains universitaires spécialisés dans le blanchiment prétendent. La gabegie économique des élites libérales n'est rien à côté de leur gabegie morale. Bien entendu le dérèglement économique n'est que la conséquence de cette dernière. "Marx s'est trompé, le capitalisme lui survit", entend-on répéter des spécialistes autoproclamés de l'économie, c'est-à-dire du néant. Cela revient à déclarer vivace un vieillard en proie à la maladie d'Alzheimer. Tous ces économistes chargés de "missions de réforme" sont aussi ridicules que les médecins de Molière. On a atteint le point, en politique comme en art, où l'aliénation préside à la vocation politique. Cela a toujours été le cas, diront certains, attentifs à la philosophie et sa remarque ancienne selon laquelle les hommes politiques agissent toujours avec une certaine dose d'inconscience. Cela a toujours été le cas, mais autrefois les politiciens ne prêtaient guère l'oreille aux discours confus de leurs médecins.

    Par "phase religieuse" athée, je veux parler d'un athéisme culturel entièrement dépourvu de la dimension critique qui détermina la pensée athée au cours des siècles précédents. La plupart des athées aujourd'hui, à l'inverse de Diderot, d'Holbach, ou encore Feuerbach et Nietzsche plus récemment, s'opposent à un christianisme dont ils ignorent à peu près tout. La volonté de purification de la foi que Simone Weil discerne chez certains athées, c'est-à-dire un mouvement athée plus spirituel que le mouvement religieux, a pratiquement disparu aujourd'hui.

    Ce état actuel de l'athéisme est inquiétant à double titre. Des pans entiers de la culture occidentale sont occultés, c'est-à-dire aperçus presque exclusivement sous l'angle esthétique. L'université moderne mérite les mêmes sarcasmes que ceux adressés par les humanistes de la Renaissance à la culture médiévale. Exprimant des convictions, voire une intuition athée, le citoyen laïc moderne ne s'aperçoit pas que, loin d'hériter de l'esprit critique de l'humanisme ou des Lumières, il prolonge l'ancienne bigoterie dont il se croit émancipé. Il se rend au bureau de vote pour voter, sans se poser plus de question qu'un dévot sur le rituel auquel il assiste.

    Le danger de cet athéisme, nettement dominant dans la société civile, et d'ailleurs complémentaire de la démocratie-chrétienne (de nombreux laïcs français présentent la théocratie américaine comme un modèle du genre "avenir", et sociologiquement ce sont à peu près les mêmes qui vantaient naguère l'URSS officiellement athée) est comparable au danger de la technique confondue avec la science. Le confort de l'esprit est synonyme de fanatisme, et il s'appuie dans cette mouture athée ultime sur la position dominante scolastique et la négation de l'esprit critique. De façon frappante, cette arrogance athée, équivalente de l'arrogance cléricale du XVIIe siècle, est le fait principalement des élites intellectuelles. Elle est d'ailleurs dirigée, non pas tant contre le christianisme que contre tout ce qui n'est pas moderne, en termes de culture. Dans le reste de la population, l'ignorance est à peu près la même, entretenue par l'institution scolaire et sa manie du calcul mental, mais l'arrogance est bien moindre, le dialogue possible.

    Un dernier chapitre sur Michel Onfray, qui s'adresse à des milieux populaires et à qui sa contestation de certaines doctrines officielles a valu les foudres du haut clergé. Malgré un effort critique, Michel Onfray reste assez confus (Diderot l'était aussi), passant de l'apologie de Nitche à celle de Proudhon, presque à l'opposé. Il a fallu également beaucoup de temps à cet érudit populiste pour comprendre que le psychanalyste joue aujourd'hui le même rôle social que le curé jouait autrefois, et que d'une certaine façon les dernier prêtres catholiques romains sont bien plus liés à la psychanalyse qu'à la lettre et à l'esprit de l'évangile. Proposer comme il le fait de substituer une psychologie nitchéenne à la psychologie freudienne revient pratiquement à faire l'éloge du catholicisme romain contre le protestantisme, ou du moins d'une religion plus concrète que la pure rhétorique chère aux Allemands. On pourrait aussi imaginer des thérapeutes nitchéens pour les hommes, et des thérapeutes freudiens pour les femmes ; quoi qu'il en soit, c'est une critique d'une portée très limitée, un amendement venu du bas-clergé à la ligne culturelle définie par les quelques évêques qui disent aux Français ce qu'ils doivent croire.

     

  • Le Christ anarchiste

    Nietzsche s'élucide par Maurras et Hitler, et vice-versa. Ainsi Hitler ne peut se montrer trop nietzschéen, en raison de la germanophobie viscérale de Nietzsche, aux yeux de qui les Allemands sont des femelles chrétiennes (= sa mère, sa soeur et son père). Mais la doctrine politique contre-révolutionnaire nazie, néo-classique en matière d'art, sont sans aucun doute représentatifs de la volonté nietzschéenne de retour à la culture de vie païenne.

    Contrairement à Nietzsche, l'Autrichien Hitler et le provençal Maurras ont été contraints de composer avec la culture catholique et protestante. La doctrine de Nitche est plus pure, car ce n'est pas un démagogue. Hitler ne peut se passer des crétins bavarois catholiques, et Maurras des crétins français catholiques. On constate d'ailleurs que Hitler sait faire la différence entre les juifs sionistes, convertis aux valeurs nationalistes et au culte identitaire, et les juifs authentiques, fidèles aux prophètes, incarnation de l'anarchie et du bouc émissaire. Il sait la faire comme Freud sait la faire, ou encore Nitche.

    Nécessairement machiavélique, Maurras insulte les apôtres du Christ avec discrétion.

    La raison de l'antichristianisme et de l'antijudaïsme forcenés de Nitche est une cause institutionnelle. D'une part, mieux que les évêques de Rome et la doctrine catholique moderne, Nitche sait le christianisme inconciliable avec quelque doctrine sociale que ce soit. La sympathie de Nitche pour l'Eglise romaine s'explique parce qu'il considère que le clergé romain, comme les pharisiens auparavant assassinèrent Jésus, ont tué le message évangélique "dans l'oeuf", si on peut dire. En cette occasion, Nitche manifeste sa haine de Luther.

    A cela il faut ajouter que le mépris juif ou chrétien des institutions civiles, est la contrepartie selon Nitche de l'allégeance à un maître dont la divinité relève du fantasme. L'éternel retour est la seule explication de l'architecture cosmique selon Nitche, c'est-à-dire dans cette loi que l'Evangile de Jean désigne comme le nombre d'homme 666, régissant toute forme d'art.

    Jésus-Christ n'est, selon Nitche, qu'un doux dingue efféminé dans le meilleur des cas, et certainement une vermine anarchiste à éliminer, ainsi que ses apôtres, par mesure de salut public.

    - Cohérente sur le point de l'incompatibilité du christianisme, selon sa lettre et son esprit, avec une quelconque manifestation culturelle ou identitaire, la doctrine de Nitche "prend l'eau" sur plusieurs points décisifs. De moraline ou d'éloge de la faiblesse, on ne trouve aucune trace dans les évangiles ni chez Paul de Tarse. Le droit moderne absurde a plus de rapport avec l'ancienne tyrannie qu'il n'en a avec le christianisme, pur de toute considération juridique ou anthropologique. Autrement dit, le christianisme est plus éloigné de la culture protestante du père de Nitche que Nitche lui-même, en dépit de ses efforts pour l'anéantir.

    - Le point où Nitche est démenti de la manière la plus éclatante est stratégique. Le moment n'est pas éloigné pense Nitche, comme Hitler et Mussolini, voire Staline, où l'humanité renoncera définitivement à la religion truquée chrétienne et ses symboles macabres. Or il n'en est rien : le Pacte atlantique, les Russes, bref toutes les nations ploutocratiques qui dominent le monde continuent d'arborer des insignes chrétiens. L'éloge de la faiblesse est la morale des puissants - de ceux qui possèdent les armes et les richesses.

    On en revient donc à Shakespeare, car lui seul sait pourquoi les bannières chrétiennes flottent en tête des nations maudites par l'Esprit de Dieu, et que cela est conforme aux prophéties chrétiennes.

     

     

  • Apostasie romaine

    Lors de la récente canonisation de deux de ses chefs, l'Eglise romaine est apparue telle qu'elle est, comme une construction juridique athée.

    Il n'est pas difficile aux adversaires du culte catholique romain de démontrer qu'il est purement rhétorique, que l'on se place du point de vue de Satan et du droit naturel (Nietzsche), ou bien encore du point de vue chrétien apocalyptique (la bête de la terre est représentative des puissances qui tirent leur légitimité de la loi), ou bien encore du point de vue athée laïc dérivé du catholicisme romain, majoritaire en Occident - le culte républicain moderne, dans le cadre de l'Etat totalitaire moderne, plagie en effet le culte catholique romain dans ses rituels et célébrations.

    En tant que tel, le culte catholique romain est ultra-minoritaire en France, mais dans sa version technocratique modernisée, il est largement répandu ; c'est ce qui explique la fascination pour un clergé et des cérémonies qui semblent désormais appartenir au folklore - l'Eglise catholique romaine est la matrice de l'appareil judiciaire moderne.

    - L'Eglise romaine apparaît donc comme un leurre parfait, qui d'une part se présente comme une démonstration juridique facile à réfuter. Il est aussi facile de démontrer que le mobile de l'Eglise romaine n'est pas spirituel, mais moral et politique, qu'il est facile de démontrer que la théorie de la relativité d'Einstein n'est pas scientifique mais arbitraire. D'autre part la doctrine romaine fait écran au message évangélique, dont il n'est possible de déduire aucune règle de vie sociale.

    - La transition opérée de la "légende dorée" catholique romaine à une procédure judiciaire stricte n'est qu'une illusion. Il faut des miracles pour faire un saint du culte latin : mais la transformation quotidienne par les prêtres romains du vin en sang du christ et du pain en corps du Christ n'est-elle pas un miracle alchimique suffisant ?

    On sait d'ailleurs la réticence du Messie à opérer des miracles, dont les magiciens sont aussi capables. La capacité de Satan à accomplir des miracles est attestée dans l'Evangile par l'annonce des miracles de l'Antéchrist.

    Les peuples primitifs prennent les technologies occidentales dites "avancées" lorsqu'ils les découvrent pour des miracles. La technologie occidentale est bel et bien miraculeuse au sens naturel, et donc démoniaque. L'univers est lui-même un miracle permanent du point de vue de la science technique et des mathématiques modernes (largement tributaires de la science scolastique catholique), dans la mesure où cette science technique n'explique pas l'univers autrement que par ses effets.

  • Imitation de Jésus-Christ

    Je supporte mieux la fréquentation des personnes sataniques que celle des démocrates-chrétiens.

    Par "sataniques", j'entends les personnes qui ont vécu, qui ont l'expérience de quelque-chose, et dont l'existence n'est pas purement rhétorique. Ces personnes croient généralement au diable, au destin, elles sont mal à l'aise sur les plateaux de télévision.

    Au départ, je suis mû par le même mouvement que Nitche, à cette différence qu'il a littéralement failli mourir sous le poids de la culture protestante (en son temps il y avait encore une petite différence entre le catholicisme et le protestantisme qui s'est abolie depuis), tandis que j'ai seulement cru mourir d'ennui. On peut croire Nitche véritablement habité par Satan, comme le sont souvent les hommes qui osent violer les lois et devant lesquels les femmes se pâment, ou bien qu'elles fuient en poussant des cris, car la psychologie des femmes n'est pas très éloignée de celle des foules.

  • Le Christ anarchiste

    Dans sa lettre aux Galates, l'apôtre Paul accuse l'apôtre Pierre de n'avoir pas compris la nouveauté du message évangélique, par rapport à la loi juive, et de se comporter de façon ambiguë vis-à-vis des juifs et des gentils : "Mais lorsque Céphas (Pierre) vint à Antioche, je lui résistai en face, parce qu'il était digne de blâme."

    L'apôtre Paul prétend détenir de l'Esprit de dieu lui-même la vérité sur le sens du sacerdoce nouveau qui, pour le dire vite, fait de chaque homme ou de chaque femme un apôtre ou un prêtre à part entière. Paul abolit ainsi la fonction sacerdotale au nom de l'Evangile. Peu de temps avant de retourner au père, on vit en effet le Messie recommander à ses apôtres de ne plus lui donner du "maître", mais de l'appeler leur "frère".

    On trouve dans les différentes épîtres, outre le détail de la dispute avec Céphas, de nombreuses explications à la signification du sacerdoce nouveau que le chrétien qui veut travailler au règne prochain du Christ ne peut se dispenser de lire. J'insiste sur le terme "prochain", car la perspective d'un temps infini est faite pour anéantir la foi chrétienne dans le salut, la noyer dans l'action sociale ; les païens ne requièrent nullement l'aide ou l'apport du christianisme dans le domaine de l'action sociale, et quand l'antichrist Nietzsche accuse l'action sociale chrétienne d'être le principe même de la décadence, il a parfaitement raison... si ce n'est qu'on ne voit nulle part aucun apôtre prôner l'action sociale, c'est-à-dire le service du monde.

    "Pour nous, nous sommes Juifs de naissance, et non pécheurs d'entre les Gentils. Cependant sachant que l'homme est justifié, non par les oeuvres de la Loi, mais par la foi dans le Christ Jésus, nous aussi nous avons cru au Christ Jésus, afin d'être justifiés par la foi en lui et non par les oeuvres de la Loi [comment le clergé soi-disant chrétien peut-il justifier l'action sociale, si ce n'est comme une oeuvre de Loi]. Or si, tandis que nous cherchons à être justifiés par le Christ, nous étions nous-mêmes trouvés pécheurs..., le Christ serait-il donc un ministre du péché ? Loin de là ! Car si ce que j'ai détruit, je le rebâtis, je me constitue moi-même prévaricateur, puisque c'est pas la Loi que je suis mort à la Loi, afin de vivre pour Dieu. J'ai été crucifié avec le Christ, et si je vis, ce n'est plus moi qui vis, c'est le Christ qui vit en moi. Ce que je vis maintenant dans la chair, je le vis dans la foi au Fils de Dieu, qui m'a aimé et qui s'est livré lui-même pour moi. Je ne rejette pas la grâce de Dieu ; car si la justice s'obtient par la Loi, le Christ est donc mort pour rien."

    Paul définit l'ancienne Loi comme une pédagogie. Le peuple juif élu a été soustrait à la loi naturelle commune comme une première étape nécessaire. Il lui oppose la foi communiquée par le Messie et la parole divine comme un perfectionnement non nécessaire, mais indispensable pour parvenir à l'amour et au salut.