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  • Créationnisme (10)

    Pas de Bloy, en dehors d’une anthologie qui non seulement “tronque” les textes, mais encore ne présente pas les meilleurs - une anthologie de Jésuites ? Bloy ne se déguste pas par petits tronçons de phrases comme les grands moralistes français, La Bruyère ou La Rochefoucauld.
    L’Âme de Napoléon, cité notamment dans cette anthologie, ça n’a pas très bien vieilli. Si un Allemand aujourd’hui osait écrire un bouquin sur “l’âme d’Hitler”, dans un sens positif, ce n’est pas maudit qu’il serait, mais carrément jeté en taule !
    À la décharge de Bloy, il ignorait le détail et le volume des exactions atroces commises par les troupes françaises d’invasion et d’occupation dans les populations civiles européennes. Plus encore qu’Hitler ou que les révolutionnaires français, Napoléon a saigné son propre pays, irrémédiablement.
    Après Napoléon, c’en est fini de la France en tant que puissance politique, même si l’empire colonial a pu donner l’illusion du contraire. Lorsqu’on est Espagnol, on peut en vouloir à Napoléon en tant que chef de guerre criminel ; lorsqu’on est Français, c’est à Napoléon assassin de la France qu’on peut en vouloir. Avec Louis XVI, c’est un des personnages politiques les plus détestables de notre histoire moderne - pour un catholique français, s’entend.

    *

    Je me rabats sur Claudel, dont la beauté - trop formelle ? - ne m’a pas encore touché jusque maintenant. J’acquiers pour trois fois rien un numéro spécial de la NRF de septembre 1955, en hommage à Claudel, décédé cette année-là.

    Ce numéro de la NRF, c’est un gag ! En fait d’hommage, c’est à qui des thuriféraires convoqués par Paulhan flinguera Claudel le mieux, à coups d’encensoir. Ça confirme la méfiance de Drieu, et les insultes de Céline : ce Paulhan est un sournois, un grand sournois. Cette méthode des tueurs à gages est imparable.
    Le plus doué de cette bande d’assassins post-mortem, c’est incontestablement Francis Ponge :
    « Et voici mon Claudel comme et où je l’entends :
    Comme et où je l’entends c’est entre
    clame et claudique
    Mais comme clame et claudique un de ces gros dolmens branlants.
    Non tout à fait pierre-qui-vire : pierre branlante. »


    Il n’y a pas très longtemps j’ai lu un petit livre neuf mais néanmoins instructif de Michel Mohrt, témoignage sur ses années de collaboration à la NRF. Il y souligne l’influence néfaste de Paulhan sur la littérature française, son goût pour le gadget littéraire, pompeusement baptisé “surréalisme”.
    Au vu de ces strophes calamiteuses en “à la gloire de Claudel” (sic), moi je jette le Ponge avant de l’avoir lu ! Saligaud, va !

    *

    Parmi les quelques textes inédits de Claudel publiés à la fin de la revue, je trouve un beau credo créationniste de Claudel, qu’on opposera à tous les credos évolutionnistes lourdingues qu’on peut entendre un peu partout dans les médias* :

    « 1/ Je ne crois qu’aux choses et aux êtres concrets : Dieu, la Vierge, les Anges, un homme, un chien, un arbre… et je refuse toute existence autre que la logique à ces idoles qu’on appelle la divinité, l’espace, le temps, l’élan vital, etc.
    Il ne faut pas réaliser les abstraits et leur attribuer un pouvoir quelconque.
    2/ Je suis absolument étranger à l’idée du devenir dans la nature. Je crois que les formes ont une importance typique, sacrée, inaltérable, inépuisable. Je crois que ce que Dieu a fait n’est pas imparfait, mais fini, et qu’il a eu raison de trouver ses œuvres
    bonnes et très bonnes. Logiquement, l’idée d’un devenir, c’es-à-dire d’un être qui peut sauter en dehors de sa forme, me semble un véritable monstre et le dernier degré de l’absurdité. Il faut la déchéance intellectuelle du XIXe siècle pour avoir accepté une telle ineptie. (…) »

    Venu du terroir champenois, Claudel est un grand esprit intuitif et désintéressé, le genre d’esprit dont la science manque cruellement désormais.

    *À transmettre à l’évolutionniste X. Dor, nonobstant courageux militant pro-vie français, véritable écologiste comme Claudel.

  • Brocante (1)

    À la brocante des Jésuites où, chose promise chose due, mon pote m’a conduit, je n’ai pas trouvé d’édition ancienne du pamphlet antisémite de Bloy (Le Salut par les Juifs).

    “Salus ex Judaeis est”, tiré de saint Jean au chap. IV, est mieux traduit par “le salut vient des Juifs” ; ainsi Bloy traduit-il d’ailleurs le point de départ de sa réflexion sur les rapports entre le peuple juif et le peuple chrétien dans le corps de son pamphlet.
    Sur la couverture, “Le Salut PAR les Juifs” est une habileté de la part de Bloy. Le pamphlet antisémite de Drumont, La France juive, ayant connu un grand succès, Bloy estima qu’il était opportun de publier un opuscule se présentant comme le pendant exact de celui de Drumont, pour profiter de la publicité.
    Or Bloy ne dit pas exactement le contraire de Drumont. S'il méprise l’antisémitisme de celui-ci, inspiré à ses yeux par des sentiments bas, il promeut un antisémitisme médiéval plus profond, mystique. Pour Bloy tous les mots, toutes les expressions des textes sacrés ont un sens plus ou moins caché, même s’il serait injuste de qualifier Bloy de “gnostique”, car c’est plutôt la clarté qui le caractérise, y compris par rapport aux théologiens contemporains de sensibilités diverses, à commencer par Benoît XVI, chez qui les contradictions et les confusions ne manquent pas.

    *

    Bloy considère ainsi que la malédiction que les Juifs ont appelée sur eux-mêmes devant Pilate ("Que son sang soit sur nous et sur nos descendants !"), n'est pas un vain mot et ne pouvait pas rester lettre morte.
    Il est déjà assez cocasse d’entendre un philosophe officiel comme Finkielkraut citer Péguy, mais un “mendésiste” (sic) tel que Finkielkraut pourra toujours se justifier en disant que Péguy a été socialiste, pour commencer.
    Mais entendre un démocrate-chrétien citer Bloy, voilà qui tient de la mauvaise foi la plus épaisse ! Pour un démocrate-chrétien de tendance “lustigérienne”, ils sont les plus nombreux pour l'heure, le catholicisme n’est en quelque sorte qu’un perfectionnement du judaïsme et de la démocratie - rien à voir avec l’antisémitisme mystique de Bloy, qui se revendique de Balzac et de Shakespeare et qui hait la démocratie, tissu de divagations philosophiques la plupart du temps sacrilèges.
    Il y a néanmoins un cas où le démocrate-chrétien pourrait citer Bloy… Il pourrait bien le citer à comparaître devant un tribunal contemporain pour "propos à caractère antisémite" ou "antidémocratique". Alors, le démocrate-chrétien serait parfaitement dans son rôle d'hypocrite, de Ponce-Pilate.

  • Nid d'aigle

    Forcément, l'air de la montagne, ça rend un peu écolo. Dans le bled de mon pote - il préfère garder le coin secret, des fois qu’il organise un petit congrès réac l’année prochaine, ou bien un camp d’entraînement -, dans ce bled au milieu des sapins, ça grouille d’insectes, on est butiné de partout par les papillons, les guêpes, les courtillières, les fourmis… Il y a peu d’oiseaux, mais les lézards sont nombreux à se réchauffer sur les murs blancs dès que le soleil tape. Hier, j’ai débusqué un chevreuil dans la forêt vers onze heures du matin, et avec ça, pas un bobo en vue depuis mon arrivée ! Cet écosystème me convient assez, si ce n’est que, comme prévu, l'altitude me fatigue ; à minuit je tombe déjà de sommeil, ce qui n’est pas dans mes habitudes, et j’ai du mal à me concentrer intensément, je me sens diminué.

    Seule ombre à ce tableau bucolique : quelques enculés de motards viennent se défouler de leurs diverses frustrations de prolétaires sur les lacets, en contrebas, et font rugir leurs moteurs dans la pente. Foutrement envie de les dégommer à la chevrotine ou à l’arbalète de la terrasse du chalet, mais bon, dans un patelin comme ça on est vite repéré, j’imagine…
    Mon pote m'assure que ces motards sont beaucoup moins nombreux que l’année dernière.

    *

    Entre la poire et le fromage, on imagine quelques mesures écolos pour sauver la planète, à la limite du fachisme, sans doute :
    1/ Ne se laver que tous les quinze jours, et à l’eau froide. Qu’est-ce que des bobos en cols blancs ou en chemises à fleurs, enfermés dans des bureaux toute la journée, peuvent bien racler comme miasmes lors de leur douche quotidienne ? C’est du puritanisme yanki caractérisé : ils pensent sans doute laver ainsi les petites traîtrises quotidiennes, les menus larcins, la constante hypocrisie démocratique de cette façon, avec du gel-douche.
    Résumé de la morale universelle des Droits de l’homme : prendre une douche tous les matins… en n’oubliant pas de se récurer l’anus et de verser dessus une goutte d'ersatz de patchouli.
    2/ Obliger les militants écolos, néanmoins tous partisans de l’avortement, à porter une pancarte au cou avec l’inscription : « Je suis un crétin démagogique, une espèce nuisible en voie de prolifération ! ».
    3/ Ne pas renouveller la licence de TF1 et d’Arte, symboles de la collusion du capitalisme et du gauchisme, Nicolas Hulot faisant le trait d'union entre ces deux tendances. La Nature a besoin de gens intelligents, pas d’imbéciles comme Nicolas Hulot, qui t’explique que ce qui s’est passé sur l’Ile de Pâques est une “leçon d’écologie”, alors qu’on ne sait RIEN de ce qui s’est passé sur l’Ile de Pâques.
    4/ Lâcher José Bové sur le plateau du Larzac avec Bruno Rebelle et organiser une battue pour voir qui court le plus vite à travers les Causses, eux ou nous.
    5/ Manger des tripes une fois par semaine. Supprimer l’étiquette “À consommer avec modération” des vins français, interdire la publicité pour les marques yankies à la télé.

  • Anticapitaliste primaire

    Par la fenêtre du bolide, un paysage agreste à faire oublier tout l’art contemporain. Comme dit Drieu : « Restent les beautés physiques de la France. ».
    Deux jeunes Hollandaises en vis-à-vis aussi, qui s’extirpent enfin à moitié dénudées de leurs sacs de couchage et me dévisagent avec un sourire mi-ingénu mi-affranchi, surtout celle de droite. Pourvu qu’elles se taisent encore un moment…

    Je saute sur l’occasion de ce déplacement éclair, quelques centaines de kilomètres horizontalement et quelques centaines de mètres verticalement, pour analyser mon anticapitalisme dans ce qu’il a de plus primaire, j’ose dire : de “métabolique”. Ce transfert brutal d’un point géographique à un autre, me rendra tout patraque. Je suis un être sensible. Pas au sens de Proust, quand même, qui ne peut supporter le moindre inconfort et se retrouve tout bouleversé lorsqu’il passe brusquement d’un arrondissement à un autre…

    *

    Aujourd’hui, les humains se trimballent d’un point à un autre du globe comme des paquets, cette agitation est nécessaire à la marche absurde de l’économie capitaliste. Logiquement, ceux qui résistent le mieux à ce traitement sont ceux qui, moralement, sont les plus proches du sac de voyage ou du paquet : brutes yankies inconscientes, démocrates-chrétiens gavés, athées arrogants, jet-setteurs, abonnés du Monde ou du Figaro, sportifs dopés de haut niveau, représentants de commerce, etc.
    C’est dire à quel point le boeing jeté sur Manhattan était symbolique ! (Pas le symbole que veulent voir ces crétins de Beigbeder et de Maurice Dantec, bien sûr, ces deux suppôts travestis du capitalisme, l’un en écrivain mélancolique, l’autre en mafioso nippon.)

    Un exemple précis : ce que les pédants appellent “jet lag”, l’effet du décalage horaire brutal dû à une traversée du monde en avion. Un démocrate-chrétien, il lui faudra un jour-un jour et demi pour s’en remettre, un être moyen un peu moins abstrait, trois ou quatre jours ; moi, il me faut trois semaines pour m’habituer ! Pendant trois semaines, je continue à vivre à l’heure de mon terroir, à m’endormir lorsque le jour point, à me réveiller lorsque la nuit tombe. On devine ce que ce régime a d’aliénant.
    Bien sûr, j’ai pris un cas extrême, mais n’empêche, je redoute ce changement de pression atmosphérique brutal entre Paris et la montagne ; il va me déboussoler pendant trois ou quatre jours ; je serai réglé de nouveau qu’il me faudra repartir vers la capitale ! (Je serais curieux de savoir si les cycles menstruels féminins sont perturbés par les déplacements brutaux, qu’en est-il par exemple des hôtesses de l’air, perdent-elles leur féminité à force de transports brutaux ?)
    Trois ou quatre jours de perdus, ce n’est pas rien quand on sait que la mort nous guette à chaque virage, même si le train est moins dangereux que l’automobile.

    Ça explique pourquoi il a fallu les arguments extraordinaires de mon pote pour que je consente à monter dans un horrible TGV à deux étages, à respirer cette immonde odeur de plastique, et à m’infliger ce décors bouffon de Christian Lacroix. J’espère que mon pote va m’accueillir comme l’année dernière avec une de ces brioches à la châtaigne émouvantes.

  • L'invitation

    L’été dernier, il avait fait très chaud et cela m’avait beaucoup gêné dans mon travail. Au bout de quelques minutes, je ruisselais de sueur et mes membres devenaient de plomb. Aussi ai-je prié cette année pour avoir le temps le plus froid possible.

    *

    Depuis trois semaines, je résiste à l’invitation d’un pote à venir me reposer auprès de lui dans la montagne. Ce matin, je cède à la tentation et je pars prendre un train Gare de Lyon avec un mince bagage.
    Il faut dire que mon pote s’est montré particulièrement persuasif ces derniers jours : « On ne saurait concevoir lieu de villégiature moins démocratique, en dehors de quelques troupeaux de moutons qui paissent çà et là, rien ne rappelle la bêtise de nos contemporains, (…) l’endroit est quasi-désertique et la Nature a conservé la plupart de ses droits, les sources sont pures. » ;
    ou encore : « Fin août, les bobos sont déjà las de l’Ile de Ré, du Lubéron, de la Corse, de la Baule ou de la Côte basque, et ils rentrent tous à Paris ; c’est la fin de l’exode : il est préférable pour ton équilibre mental que tu n’assistes pas à ce reflux écœurant, qui ne manquera pas de se prolonger par une débauche de “shopping” indécent, cris hystériques des femelles bobos faisant leurs courses en compagnie de leurs “partenaires” efféminés. »

    Enfin, et c’est ce qui m’a décidé : « Non loin de mon home est une institution jésuite en pleine décadence, les derniers membres de cette société spéciale ont un pied dans la tombe. Nul doute que Xavier de Jassu doit se retourner dans la sienne en voyant ce petit tas de vieux démocrates-chrétiens échanger des sophismes à l’ombre des conifères en fleur, dans l’air parfumé. (…) Mais, car il y a un mais, ces vieux barbons marmottants, vêtus de grisaille, tous les ans bradent leur bibliothèque, ayant perdu toute notion de la valeur des livres prophétiques, plus enclins à lire La Vie, Pèlerin magazine, Le Monde des religions ou Famille chrétienne, toute cette presse avec laquelle je ne me torcherais même pas le cul (…). Dans cette braderie, on peut tomber sur des pépites, des éditions originales non coupées de Péguy ou de Claudel pour un ou deux euros ! Imagine, si tu tombes sur le brûlot antisémite et paradoxal de Bloy, Lapinos - Salus ex judaeis est -, NON COUPÉ !… Quelle tête feras-tu ? »

    Enfer et damnation ! Mon sang ne fait qu’un tour et je me rue vers cet Eldorado. Vingt-cinq minutes porte à porte entre mon terrier et ma place dans le Tégévé !
    En espérant que l’air des montagnes me fera le même effet qu’à mon pote, car je me suis senti un peu émoussé, dernièrement.

  • Ultramodernité

    N’est-il pas vain, comme je m’apprête à le faire, de verser une page de Drieu La Rochelle, tirée de son "Journal" 39-45, dans le bordel public qu’est l'internet, machine à charrier des truismes et des lieux communs à une vitesse supersonique ? Bah, on ne sait jamais : le coup de la bouteille à la mer.
    (Toi qui est tenté de lire le dernier radotage insane de Maurice Dantec sur le 11 Septembre ou d’aller mater le dernier navet cinématographique de Michel Houellebecq, laisse-ça aux "autres" et lis plutôt le Journal de Pierre Drieu La Rochelle.)

    « Sous ce régime nous n’étions pas libres. Une certaine licence, diaboliquement portée vers la morne et monotone pente du désordre sexuel, faisait un rideau devant la profonde absence de liberté morale. On ne pouvait pas dire ce que l’on voulait dans la presse ni même dans les livres. Une censure sournoise et hypocrite se faisait par le concours spontané de tous ceux qui de près ou de loin servaient le régime, en attendaient des faveurs ou même simplement la plus sordide tranquillité.
    J’ai éprouvé cela tous les jours en plus de vingt ans de vie littéraire. Un certain ton de fierté, de mise en demeure était interdit.

    (…) Et la chose incroyable fut que ces gens qui avaient organisé la médiocrité, la somnolence, la perte du sens et la démission générale, brusquement voulurent tirer de cet amas de décombres une force de guerre. Les gens qui avaient tué toutes les vertus de l’esprit et du cœur chez les Français prétendirent les redresser soudain comme des guerriers capables de force, d’adresse et de sacrifice.

    Ce qui était le plus loin de toute connaissance politique sérieuse, de toute science de l’homme dans l’action - les Juifs, les clercs rationalistes, les journalistes de loge et de café, les politicailleurs de couloir appelèrent aux armes et au suprême dévouement. Les enjuponnés de la synagogue et de la loge, les braillards de congrès et de parlement poussèrent au combat ceux qu’ils avaient minutieusement désarmés depuis cinquante ans par les soins de leurs instituteurs et de leurs sorbonnards, de leurs journalistes et de leurs romanciers.

    Les apôtres de la faiblesse et de l’abandon, de la paix bêlante s’agitèrent soudain comme bellicistes à tout crin, fauteurs de bagarre, chercheurs de querelles slovaques ou polonaises.

    Les pauvres Français à qui on avait seriné que compte seule cette vie d’ici-bas et cette peau sans doublure spirituelle et l’apéro et la pêche à la ligne furent poussés vers la frontière sans avions, sans chars, derrière une demi-portion de ligne Maginot, avec la bénédiction d’un vieux président de la République ânonnant de peur et de responsabilité rentrée, d’un immonde d’ivrogne de Président du Conseil et de tant d’autres présidents avec pipe ou sans pipe - sans oublier la bénédiction des évêques que les maçons recrutèrent pour l’occasion.
    Et que peuvent dire pour se plaindre ces paysans et ces petits-bourgeois qui ont crevé sous les piqués d’avion et sous la chenille des chars ? Rien. Les gens qui les ont poussés à la boucherie, c’étaient ces députés qu’ils étaient si fiers d’élire tous les quatre ans - cette éjaculation électorale provoquée par les plus frauduleuses masturbations démagogiques leur donnant une si haute idée de leur virilité et de leur liberté.
    Tous ces imbéciles étaient fiers d’être gouvernés par des imbéciles qui n’eussent pas plus qu’eux d’imagination et de courage, d’audace et de persévérance. Chaque citoyen de France se réjouissait dans son cœur d’être sûr de n’avoir au-dessus de lui aucun supérieur. Ainsi se réalisait journellement le vice essentiel des Français qui après l’avarice est l’envie.
    Certes ils tiraient leurs chapeaux aux présidents, aux ministres, aux sénateurs, députés, etc. mais dans le fin fond de leur cœur ils se réjouissaient de n’avoir affaire qu’à des petits voleurs et non pas à de fiers et exigeants exacteurs. Seulement ces petits voleurs deux fois en vingt ans se sont révélés de grands assassins, de grands pourvoyeurs d’abattoirs, des équarrisseurs très exacts et très épuisants.
    Le petit-bourgeois, le fils du peuple envoie à la mort quand il est ministre aussi bien et mieux que le noble et le prince. L’instituteur dans sa morgue rationaliste vous arrange un un tour de main une hécatombe d’un million d’hommes. L’orgie de sang de la IIIe République (après celle de la Ire) laisse loin derrière elle les Parcs aux Cerfs de la légende. »


    Samedi 22 juin 1940.

  • Splendeur de la Vérité

    Je me suis amusé, pour comparer, à feuilleter au même moment dans un supermarché un bouquin de BHL, American vertigo, rapport qui se veut circonstancié mais n’est que redondant d’une tournée de BHL en Amérique du Nord, essai avorton de science politique.
    Autant Drieu est visionnaire, puis, tout d’un coup, extrêmement poétique, d’une profonde mélancolie, autant BHL, malgré les airs de d’Artagnan qu’il se donne, est commun, sa cartographie des États-Unis n’a aucun relief - des courbes de niveaux tracées empiriquement.
    « Pendant que j'écris il pleut dehors ce qui est délicieux et la rose qui est dans le verre sur ma table semble reprendre vie. » Voilà Drieu qui dépasse en poésie Nimier et Brasillach, sans conteste. On peut chercher, on ne trouvera pas un once, pas un dollar de vrai lyrisme chez BHL.

    Pour le moment, l’image que j’ai de Drieu, c’est cette image contrastée, celle d’un croisé qui enfile son heaume bravement, après l’avoir bien astiqué, fait quelques moulinets avec son épée au-dessus de sa tête, et puis d’un coup s’effondre sur un tabouret, touché par le désespoir : il va devoir laisser sa mie derrière lui, et puis, surtout, les croisades sont terminées, la guerre se fait maintenant à l’aveuglette, à l'américaine, des bombardiers lâchent des bombes du ciel sur des civils, c'en est fini de la virilité guerrière.

    *

    Par exemple, Drieu, malgré les victoires épatantes d’Hitler au début de la guerre, reste assez lucide. L’espoir qu’il place en Hitler, qu’on peut voir alors comme la seule tentative de s’opposer à la morale crapoteuse des marchands et des agioteurs anglo-saxons, l’espoir de Drieu est faible. Non pas dans la victoire des Allemands, l’issue du conflit est incertaine en 1940, mais la bannière idéaliste brandie par le führer ne le trompe guère. Finalement, pour Drieu, Hitler est assez banal, pas si différent que ça de ses adversaires anglo-saxons (Pour Drieu, la France et les Français sont frappés de paralysie depuis 1870, neutralisés, velléitaires, manipulables) ; Hitler a été porté au pouvoir par l’oligarchie bancaire et industrielle de son pays, plus encore que par les urnes, et il se bat pour élargir l'espace économique et industriel allemand.
    Bref, Drieu se trompe parfois dans ses analyses, la force sournoise des soviétiques est difficile à évaluer, mais il est conscient des enjeux, des données, il sait le nombre des divisions par cœur, ce n'est pas comme les purs idéologues auxquels on a affaire désormais.
    Dire dès 1937 que Hitler est banal (Simone Weil le pensait aussi), c’est faire preuve de lucidité ; le dire seulement après la guerre comme Jeanne Arendt, après avoir baisouillé avec un des profs de philo. les plus navrants qui soit et les plus naïvement entiché d’Hitler, Martin Heidegger, petit bourgeois sans profondeur qui ne doit sa gloire qu’à sa nullité particulière, le dire après la guerre c’est un truisme. Le succès de Jeanne Arendt dans le public démocrate-chrétien est donc parfaitement logique. Les démocrates-chrétiens aiment se prosterner devant des truismes, ils confondent - volontairement - l’évidence du moment avec la Vérité, et préfèrent les publicitaires aux prophètes.
    (Quant à faire de Hitler la réincarnation de Satan comme Mgr Aron Lustiger ou tel journaliste yanki, afin de se faire bien voir des médias, c’est de la théologie à l’usage des gosses qui lisent Pomme d’Api… ou plutôt Harry Potter, car Pomme d’Api c’est quand même moins chiant qu’Harry Potter ou un sermon de Lustiger, n’est-ce pas ?)

  • Croisade moderne

    Je n’ai pas encore terminé ma lecture du “Journal” de Drieu La Rochelle (1939-1945), mais j’en sais déjà assez pour être édifié. Ce qui frappe le lecteur contemporain au premier abord chez ce défenseur passionné de la civilisation européenne, comme d’ailleurs chez Bloy, qui défend plus précisément l’Église, y compris contre l’imbécillité de ses prêtres, c’est le sentiment de Drieu, le sentiment de Bloy, d’avoir touché le fond et de ne pouvoir descendre plus bas dans la laideur et la médiocrité capitaliste ; aspiré dans un marécage insalubre, il n’y a plus que les narines du croisé qui surnagent, il va bientôt crever d’étouffement.

    Bloy fustige Zola ou Bourget, Drieu vomit Bernstein ou Porto-Riche. Que dire soixante-dix ans plus tard, lorsqu’on est contemporain de Finkielkraut, de Littell, de Philippe Sollers ou du petit d’Ormesson ? Bourget apparaît comme un auteur génial si on le compare à Jean d’Ormesson.
    On est submergé par la honte désormais. Drieu s’est-il trompé, ou bien la civilisation agonise-t-elle lentement, comme le héros d’une tragédie de Corneille ?

    *

    Pour la très synthétique Simone Weil, plusieurs événements tragiques, la deuxième guerre mondiale en est un, forcément, aux yeux de Drieu, plusieurs événements tragiques se succèderont, qui pourrront faire croire que la bascule est imminente, avant que cette bascule ne soit effective. Il est raisonnable de penser que, comme l’URSS s’est effondrée seule ou presque, comme un château de cartes, l’oligarchie internationale capitaliste, beaucoup plus solidement fondée que la dictature soviétique, sur une base sociale plus ancienne et cohérente, cette oligarchie s’effondrera aussi d’elle-même, victime de ses propres turpitudes.
    Les États-Unis ont vaincu grâce à la supériorité de leur économie, protégée par la bombe A (c’est un aspect important, quand on constate la nullité de l’armée yankie - les Yankis ont une dette énorme vis-à-vis de l'ingénieur von Braun et du général Mac Arthur) ; les États-Unis seront probablement vaincus par une défaillance de leur système économique ou du bouclier nucléaire.
    Pour Drieu, les civilisations durent mille ans : 900-1900. J’avoue que j’ai des lacunes sur l’an 900 ; ce que je sais mieux, c’est qu’à partir de 1900, voire un peu avant, les artistes ont commencé à être maudits, spécialement les peintres, supérieurs aux écrivains, notamment parce qu’ils ont joué un rôle plus grand dans la civilisation. Drieu aurait aimé être peintre.

  • Emblèmes

    À chaque époque correspond plus ou moins un type emblématique ; par exemple au XIIe siècle le chevalier errant en quête d’aventure, au XVIIIe la belle Pompadour, à l’Empire Napoléon-le-Sanglant ou son grognard, au XIXe siècle l’agioteur immoral, puis le poilu dans son cul de basse fosse au début du XXe siècle, etc.
    C’est la caissière de supermarché qui me paraît le mieux incarner la nôtre, d'époque ; incontestablement elle se tient à un des points névralgiques du système actuel.

    *

    Observant dans mon panier à provisions que je me suis ravitaillé pour le pain, le fromage et la barbaque, hors de son magasin, la caissière de la supérette du coin se fait un devoir de me tancer, avec modération, mais de me tancer quand même, pour mon infidélité.
    C’est là qu’on se rend compte qu’un siècle d’idéologie féministe, de bouleversements sociaux, travail des femmes et égalitarisme capitaliste, n’a pas fondamentalement changé la nature féminine. Si ma caissière, appelons-la Stéphanie ou Nathalie, engage la conversation avec tous les hommes célibataires apparemment en bonne santé physique et financière, entre vingt et quarante ans, c’est bien sûr qu’elle rêve d’échapper à sa condition d’esclave capitaliste en tee-shirt uniforme. Il s’agit pour Stéphanie de saisir le pigeon au vol. Comment lui en vouloir ? Bien sûr, elle a appris par cœur sa leçon sur les femmes émancipées, mais le décalage est tel entre la légende dorée de l'émancipation et sa réalité, que son bon sens a refait surface.
    Et ce reproche qu’elle me fait d'aller m’approvisionner ailleurs que dans sa crèmerie, trop hygiénique à mon goût… comment ne pas y voir une résurgence de la bigoterie féminine ? C’est absolument désintéressé de sa part, elle n’est pas actionnaire de la supérette qui l’emploie - dans des conditions, encore une fois, totalement inesthétiques et donc dégradantes, particulièrement pour une jeune femme ; elle prêche donc bien pour sa paroisse de façon réflexe, elle veut me convertir absurdement à sa religion de fait, sans se poser de questions. Je retrouve là, sans doute parce que je suis misogyne, une constante du caractère féminin à travers les âges, l'absence de doute.

    *

    Le temps imparti à Stéphanie à chaque rencontre en caisse avec un homme qui incarne un avenir meilleur, au soleil plutôt que sous les néons, ce temps est très bref - du speed dating, selon l’expression consacrée. Alors, pour me convaincre en un éclair qu’elle a du caractère et de la vertu, Stéphanie ajoute cette confidence : « Ce matin il y a un mec qui m’a mal parlé dans un rayon. Redis-ça encore, je lui ai dit, et je te démonte ta gueule ! Cash ! »
    Je suis censé émettre un sifflement admiratif ; je n'y arrive pas. Stéphanie ne peut pas savoir que j’ai vécu quelques mois “à la colle” avec une gonzesse qui, bien qu’elle professât des idées très traditionnelles et antiféministes, était capable de briser des éléments de vaisselle en faïence peints que je lui avais offerts, sur un mur à quelques centimètres de mon visage, lorsque je rentrais du turbin plus tard que prévu ; par conséquent le “caractère” de Stéphanie ne m’impressionne pas ; à vrai dire j’ai même depuis lors une attirance particulière pour les femmes masochistes qui accepteraient par principe de se faire fouetter par leur homme ou qui accouchent huit ou neuf fois à intervalles resserrés sans rechigner (le problème, c’est que ce genre de femme est toujours plus ou moins mariée, et qu’à moins d’une jeune veuve…).
    Cependant, bien qu’elle soit encouragée par les tribunaux actuellement, où les magistrats de sexe masculin se font de plus en plus rares, je ne crois pas que la violence des femmes soit un phénomène nouveau. L’amour courtois, les gentilles damoiselles qui tombent en pâmoison pour un rien : c’est déjà les prémices de l’idéologie féministe !
    Je tâcherai de changer de caisse la prochaine fois.

  • Revue de presse (XI)

    Le dernier numéro de “Beaux-Arts magazine” est consacré à l’érotisme. Un numéro comique. De grands penseurs ont été sollicités par ce magazine destiné à tresser des guirlandes au “marché de l’art” à grands coups de badigeons de litotes et de syllogismes bobos.
    Pour faire passer la dynastie Pinault pour une dynastie d’humanistes, il ne faut pas lésiner sur le maquillage, le stuc et les chromes… même si on peut considérer la collection d’actrices sud-américaines entamées par l’héritier Pinault comme un progrès par rapport à la collection de merdes contemporaines de son papa. « Chassez la nature, elle revient au galop », on ne peut pas s’empêcher de penser à cette vieille prophétie en observant les courbes de Salma Hayek, l’élue du millionnaire rouquin.
    Nul doute que même Baudelaire, bien qu’il prétende préférer l’art à la nature brute, entre une après-midi à la fondation (sic) François Pinault et une soirée avec Salma Hayek, eût fait le bon choix.

    Parmi les grands penseurs sollicités par ce torchon décadent sur papier glacé, cette face de Philistin de Guillaume Durand. Pour qui Guillaume Durand est-il érotique en dehors des pétasses mi-frigides mi-intellos de la Rive Gauche qui lisent “Elle” avec ferveur ? Dans le fond elles rêvent toutes, ces salopes ruminantes, de se faire saillir par un taureau, mais elles ne savent pas faire la différence avec un bœuf.

    *

    Au détour d’un paragraphe, une citation de Malraux : « Il faut faire de l’érotisme une valeur ! »
    Avec le recul, c’est le côté grotesque de Malraux qui s’impose, cette tête de batracien du monolithique qui éructe des sentences de Sorbonnard incongrues. Complètement déphasé, le Malraux : est-ce la proximité avec l’art de messieurs les professeurs Picasso, Chirico, Derain & Cie qui l’aveugle, au point de ne pas voir, qu’entre le Ve siècle avant J.-C. au moins, jusqu’à Manet ou Renoir, malgré quelques éclipses, l’art occidental fut naturellement érotique ? Malraux était-il capable de VOIR un tableau de Raphaël ou d’Ingres, de Rubens ou de Delacroix, en dehors de la perspective d’en tirer une incantation gaullienne abstraite ?
    Il faudra un jour s’attarder sur le caractère typiquement grotesque du gaullisme, qui ne touche pas seulement Malraux, car DeGaulle a aussi un grand corps caverneux, une tournure monstrueuse, non pas de batracien mais pachydermique. Le grotesque gaulliste est complètement involontaire, contrairement à celui de Brueghel ou de Teniers.
    S’imagine-t-on à la Renaissance de tels laiderons tenir les rênes du pouvoir ? En coulisses, peut-être, mais certainement pas au grand jour, en face du peuple, qui aurait jeté des pierres à ces gargouilles contemporaines.

  • La putain et le démocrate

    Le résultat de quarante années de féminisme en France, c’est l’érection de la pute en idéal moral commun : pute-chanteuse, pute-actrice, pute-écrivain ou pute-pute… quelle fillette ne réclame pas à sa mère une panoplie de pute, ne rêve pas ouvertement de devenir une pute célèbre ?

    Mais attention, pas n’importe quelle pute, on est en démocratie : ces demoiselles veulent devenir pute de luxe, c’est-à-dire récolter un maximum d’argent et de célébrité pour un minimum d’efforts, pas comme la pute venue de Roumanie qui travaille comme une ouvrière à la chaîne sur les “maréchaux”, dans l’anonymat le plus complet ; non, on veut être une pute propre, une pute libre, qui bosse en “free-lance”, sur papier glacé, à la télé ou sur internet, un pute sans maquereau, coupée de la clientèle libidineuse par un écran pudique.
    Un rêve de pute, en somme, habite la plupart des jeunes gonzesses abreuvées de féminisme chic par Elle, Madame Figaro, Christine Ockrent ou Claire Chazal.

    Dans ce contexte, le succès de Jean d’Ormesson, largement entretenu par les magazines féminins, Le Figaro, et les prestations télévisées de l’homme de lettres, ce succès est parfaitement logique.
    Cet académicien poli, aux dents blanches et aux yeux myosotis, qui ne bande plus très dur, représente l'homme exquis, le partenaire achevé pour une jeune fille d’aujourd’hui. S'il épousait Lorie, Alizée ou la Schtroumpfette en dernières noces, quel beau couple ça ferait !

  • Encore une question

    On dit que telle ou telle femme a "du charme". Qu'est-ce que le charme ? Une laideur qui ne fait pas fuir, une laideur "rachetée".
    La beauté sans le charme, est-ce possible ? Il ne semble pas, sauf à parler de la beauté des photographes, des mathématiciens ou des chirurgiens esthétiques - formules magiques.

    Notre époque, qui caricature la Renaissance, surtout les critiques d'art kantiens ou heideggeriens, totalement ineptes, fait de Léonard de Vinci un théoricien de la beauté, alors que Léonard est tout sauf un professeur de beauté. Léonard est avide de beauté, en quête de beauté et de vérité, ce n'est pas la même chose ; il n'a pas trouvé la beauté, il la cherche. De la même façon, Ingres, observant qu'un des canons qui fait un bel homme, c'est d'avoir le cou large… ou lorsqu'il conseille à ses élèves de ne pas hésiter à exagérer la "santé" de ses modèles. Quand on pense qu'Ingres est pris de haut par notre époque de cinéphiles et de petites cervelles kantiennes qui se pâment devant les navets de Bergman ou d'Antonioni ! Il y a de quoi être sardonique !

    À part ça j'ai encore eu une hallucination, à la piscine cette fois…

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    (Toute ressemblance avec une blogueuse célèbre pour ses thèses complètement fumeuses est presque fortuite.)

  • Question sans réponse

    Pourquoi Sartre a-t-il tenté de régler son compte à Baudelaire ? Par pure méchanceté, comme le collégien qui, mû par l’instinct, tente de mutiler une statue en lui jetant une pierre à la figure ? Ou est-ce à cause de cette sentence de B., qui concerne Simone de Beauvoir : « Une petite sotte et une petite salope ; la plus grande imbécillité unie à la plus grande dépravation. Il y a dans la jeune fille toute l’abjection du voyou et du collégien. » ("Fusées")

  • Explication de texte

    Toujours à propos de Baudelaire, voici un exemple, tiré de Patrick Besson, de la façon dont certains auteurs contemporains lui font dire n'importe quoi. « Ce qu’il y a d’enivrant dans le mauvais goût, c’est le plaisir aristocratique de déplaire. » (dans "Fusées") : de cette tirade de Baudelaire, Patrick Besson déduit que le bon goût est "bourgeois". Il a dû lire Baudelaire par-dessus la jambe d'une petite pintade.
    (C’est souvent comme ça avec les Serbes, j'ai l'impression ; au début on les trouve amusants, mais au bout d'un moment ils finissent par vous agacer ; ils n'ont pas le sens du paradoxe comme les Français, mais l'esprit de contradiction.)

    Le contresens ou l'anachronisme est parfait : en effet l'idée que le bon goût est l'apanage des bourgeois est une idée on ne peut plus à la mode aujourd'hui… dans la bourgeoisie ; alors que Baudelaire dénonce justement le conformisme bourgeois et loue l'indépendance d'esprit aristocratique.

    Le plus dur, et ça l'histoire contemporaine nous le montre bien, c'est de distinguer le bon goût du mauvais goût, le diamant du strass, un amateur d'art de Bernard Arnault. Et ça Baudelaire savait le faire. Était-il plus bourgeois que Patrick Besson pour autant ? Rien n'est moins sûr.

  • Baudelaire ne ment pas

    La lettre de Baudelaire à sa mère, où il dit qu’il aimerait posséder une photographie d’elle, est grossièrement interprétée comme une contradiction par rapport au discours rageur de Baudelaire contre la photographie.
    De la même façon avec Ingres et Delacroix, la propagande a essayé d’adoucir leurs propos résolument hostiles aux premiers “artistes photographes”, arguant par exemple que ces deux peintres s’étaient eux-mêmes servis de photos.
    En ce qui concerne les anathèmes de Barbey d’Aurevilly, c’est plus simple, on en a fait un auteur entièrement aristocratique et ringard dans son ensemble. C’est tout juste si le cinéma ne lui a pas “rendu service” en l’adaptant.

    C’est après la confusion des genres que Baudelaire en a, cette confusion des genres que, il le voit bien, la démocratie favorise.
    Il n’a rien contre l’usage documentaire de la photographie, il faut être un idéologue borné comme Finkielkraut pour penser que la technique est mauvaise en elle-même. Baudelaire est un moraliste.
    Après, au plan documentaire, il faut voir ce qui est le mieux, une photo d’entomologiste ou un croquis d’entomologiste ? Ça se discute. La photo se détériore très vite. Un reportage de guerre illustré par des photos, ou un reportage de guerre illustré par des croquis ? Derrière la photo, il y a l’idée, naïve, que la photo ne ment pas. Il se trouve qu’une des photos de guerre les plus connues, de Robert Capa, d’un partisan communiste espagnol fauché par une balle pendant la guerre civile d’Espagne, est une photo “posée”. La technique photographique n’est pas plus “vraie” en elle-même que la technique graphique, tout dépend de l’honnêteté de celui qui met en œuvre la technique.

    Ce qui est paradoxal et amusant en même temps, dans l’exemple de Capa, c’est que c’est justement parce que la photographie n’est pas un art qu’il a été obligé de tricher. La photo est un résultat, on ne peut pas beaucoup agir sur un résultat, on peut juste essayer de l’anticiper, et rajouter quelques effets, mais l’art, ça n’est pas (peu) ça. Capa, donc, voyant qu’il ne parviendrait jamais à photographier un mort sur le vif, que l’instant était quasi insaisissable, a demandé à un soldat de prendre la pose. Pour ma part je crois qu’il y a plus de vérité dans un croquis tiré d’une observation attentive que dans une photographie.

  • Trêve

    Tâchons de considérer Sarkozy deux minutes autrement que comme le symbole du capitalisme et de l'américanisme arrogant en costume deux pièces à rayures, ou encore comme l'espoir du quatrième âge et des Alsaciens d'une France un peu plus calme où les rues seront mieux balayées (Il ne faut pas demander à un Alsacien ou à un Allemand une vue politique à long terme, ils ont d'autres qualités, pas celle-là), bref prenons le président Sarkozy en tant qu'homme, pour une fois…

    Du point de vue humain, il m'inspire plutôt la pitié, je dois dire, Sarkozy. Ses petits bécots, ses petits mots doux à l'attention de Cécilia, sa volonté de lui trouver une occupation digne d'elle, etc. : il a suivi une préparation au mariage chrétien avec le cardinal Lustiger lui-même, ma parole ! Ça m'en a tout l'air et je suis inquiet pour lui. Car ces sermons qui ne mangent pas de pain sur la communication dans le couple et les nouveaux pères, ça va bien quand on est marié avec une brebis, mais la Cécilia a l'air d'une autre trempe que celle dont on fait les gentilles crémières ou les gentilles boulangères. À sa place, moi, je m'empresserais de l'engrosser derechef, Cécilia, afin de l'immobiliser au moins quelques mois, de la priver d'initiatives pendant un certain temps. Et puis ça serait excellent pour son image, pour la campagne de 2012 (il n'est pas trop tôt pour y songer), un petit Sarkozy ou une petite Sarkozy à promener devant les caméras. Je vois d'ici Jean-Pierre Elkabbach, sérieux comme un pape, au premier rang à l'église pour le baptême.

    Maintenant c'est sûr que si elle ne veut pas, j'imagine qu'elle ne doit pas être facile à serrer dans un coin, Cécilia ; l'Élysée, c'est grand, et elle doit courir plus vite que son mari. Mais il y a Claude Guéant… cet homme a l'air très dévoué.

  • Vous avez dit funèbre ?

    Dans le genre funèbre, j'allais oublier Mgr Lustiger. On a dit que c'était un homme d'action ; admettons, mais pour le reste, ses sermons - de deux pages dans Le Figaro, ou d'une plombe à la télé -, étaient parfaitement imbitables. C'était tout sauf un écrivain, un artiste. Aucune dynamique dans ce qu'il disait, il arrivait à condamner l'avortement et en même temps à ne pas vraiment le condamner, par exemple. Et puis si "lustig" veut dire "gai", en voilà un qui ne méritait pas son nom ! Il est vrai que les noms juifs, la plupart du temps, étaient des sobriquets ; on peut imaginer qu'il a été attribué à un ancêtre du cardinal particulièrement peu porté sur la gaudriole, par dérision.

    Un prêtre libanais a témoigné qu'il était très gentil. Il faut avoir le culot d'un Libanais pour oser dire ça ! Son tempérament irrascible, au contraire, était connu dans tout Paris. Ce n'est pas une critique de ma part, juste un constat. "Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil" : au train où ça va, il sera bientôt considéré comme "fachiste" d'annoncer de la pluie ou de la grêle à la météo.

    *

    On a beaucoup glosé sur la réconciliation des catholiques et des Juifs, que Mgr Lustiger aurait permise : poudre aux yeux, évidemment. En ce qui concerne les préjugés antisémites, évidemment on ne les efface pas avec quelque discours théologiquement nébuleux sur la choa.
    La vérité, c'est que la pression médiatique interdit l'antisémitisme. Tant que cette pression durera, la fiction selon laquelle les rapports entre catholiques et Juifs sont bons, cette fiction durera ; après, eh bien après ça sera mieux ou pire. La campagne de Sarkozy a montré à quelle vitesse les discours officiels peuvent changer. Ce fut une leçon pour la gauche. Une bonne partie des journalistes, qui jusque là professaient des opinions de gauche, pensant que Sarkozy était le bon cheval, ont adapté leur discours au candidat Sarkozy. Et on peut penser que le jour où Sarkozy sera affaibli, les baveux tourneront leur veste une fois de plus.

    En ce qui concerne les raisonnements catholiques antisémites cette fois, les arguments de Léon Bloy ou de Simone Weil, par exemple, et leurs pendants anticatholiques, Mgr Lustiger ne les a pas approfondis. Autant dire que ses discours ont été des discours de circonstance. « Vanité des vanités… » : la théologie est parfois (souvent ?) d'une vanité extraordinaire.
    D'ailleurs Mgr Lustiger ayant des parents Polonais, c'est sur l'antisémitisme des Polonais qu'il était qualifié pour parler précisément, l'antisémitisme des parents de Jean-Paul II, par conséquent, pas sur l'antisémitisme de mes parents ou de mes grands-parents.

  • Pas d'éloge funèbre

    Antonioni et Bergman, deux représentants du cinéma chiant qui cassent leur pipe la même semaine : je suis gâté en ce moment ! Je m’offre un verre de bon pinard de Cahors pour fêter l’événement, en solitaire. En temps normal, j’aurais trouvé un ou deux potes pour lever leur verre avec moi, mais là ils se sont tous barrés en vacances, les lâches, les traîtres… je leur pardonne parce qu’ils sont mariés : ils doivent faire des concessions.

    *

    S’il y a bien quelque chose que je ne pardonne pas au cinéma, c’est d’être ennuyeux. Superficiel, passe encore, c’est dans sa nature, mais quand par-dessus le marché le cinéma est rébarbatif, ça devient une vraie torture.
    Si les démocrates s’efforcent de convaincre que l’art DOIT être philosophique et ennuyeux, c’est en réalité parce qu’ils ne savent pas faire autrement que philosophique et ennuyeux.
    Certes, l’art nazi est emmerdant, mais l’art démocratique l’est encore plus.

    *

    Je suis de ceux qui pensent que le cinéma atteint son apogée avec les frères Lumière, ou avec Buster Keaton si on veut. Déjà chez Chaplin, il commence à y avoir des longueurs. Idem pour la photographie, il y a Nadar et puis plus rien ; Nadar, avant de se recycler dans la photographie, était caricaturiste ; ça explique pourquoi, mieux qu’un autre, il arrive à faire passer la photo pour une production artistique. Cartier-Bresson aussi était artiste d’abord, mais d’un niveau très inférieur à Nadar ; autant dire que pour Cartier-Bresson, le recyclage était obligatoire ; et puis la morgue de Cartier-Bresson est insupportable, tandis que Nadar était un brave type.
    Après, dans le cinéma, il y a quelques rares types un peu malin qui parviennent à s’adosser à une technique littéraire ou à une œuvre littéraire et à faire une transposition - en général un pastiche - passable. Je ne pense pas ici à Godard, Godard n’abuse que les gogos avec son discours, ses films, eux, sont mortellement rasoirs et vains.

    *

    Même comme spectacle, comme pur divertissement, le cinéma est très limité. L’autre jour, j’ai regardé quelques minutes de ce film, Casablanca, sur Arte, ce film qui passe pour un chef-d’œuvre immortel du “7e art”, comme ils disent. De l’eau de boudin… Une bluette jouée par des acteurs médiocres sur fond de propagande hollywoodienne, voilà ce que j’ai vu ; et qu’est-ce que ça traîne ! Dès les cinq premières minutes, on a tout pigé de la psychologie des personnages et de l’intriguette. Et l’actrice principale n’est pas mon genre. J’ai coupé court.

    Un autre exemple : La Passion de Mel Gibson. Je ne serais pas allé voir ce truc seul, mais une belle Américaine (du Sud, bien sûr), a insisté pour que je l’accompagne, en utilisant des arguments quasi-religieux. Ah, et puis le truc d’entendre des acteurs parler latin, vu que les acteurs de cinéma ont souvent du mal à parler leur langue maternelle correctement, je me suis dit que ça pourrait être drôle. Quel nanard ! La moitié de la salle poussait des cris en voyant le sang qui giclait dans tous les sens, y compris (surtout) l’Américaine, qui a même dû aller se remaquiller après aux toilettes. Cette débauche de jus de tomate ne m’a fait ni chaud ni froid. Une simple petite bagarre de rue dégage plus d’émotion que cette torture de cinoche. Pour suggérer la vérité ou la beauté, un acteur de théâtre dispose de beaucoup plus de moyens.

    Pourquoi, dans ce cas, ces longues queues devant les cinémas, dira-t-on, ou cette affluence devant les "bacs" de dévédés ? Dame, c’est que les gens vont où on leur dit d’aller, surtout en démocratie. Quant aux Américaines, mieux que les Françaises encore, elles savent pleurer sur commande.

  • Drieu et moi

    À la bibliothèque, je tombe sur le Journal de Drieu La Rochelle (1939-45). Sur la page de titre intérieure, un "résistant" a rajouté au stylo bille après “Journal” : “…D'UN TRAÎTRE !” - pour prouver que l’esprit de résistance n'est pas mort en France.
    Ça me décide à louer Drieu. J’avais reporté jusqu’ici cette lecture, estimant que j'avais trop de choses en commun avec cet écrivain, notamment le fait d'être et de me sentir “Français de souche”, comme lui. Disons que Drieu n’était pas une priorité, ma curiosité me pousse plutôt en effet vers des écrivains au tempérament sensiblement différent du mien comme Chardonne, Diderot, Waugh, Céline, Marx, Simone Weil…
    Ça ne fait rien, je m’amuserai avec le “Journal” de Drieu au jeu des sept différences.

    *


    L’avertissement de Pierre Nora confirme ce que je pensais de ce type, à savoir que ce n’est pas la moitié d’un hypocrite ! Il défend la liberté d’expression en justifiant le lynchage des historiens révisionnistes, il publie Drieu “pour qu’on puisse mieux le juger”, tout en le condamnant dès la préface. On peut penser : « Mais au moins il le publie… » ; je ne crois pas à cette ruse ; s’il y a ruse de la part de P. Nora, c’est pour mieux se mettre, lui, en avant, et prendre une pose “voltairienne”, ce qu’il n’est pas ; pas plus que Voltaire, d'ailleurs.
    Pauvre Drieu, il aurait été furieux qu’on lui impose un tel “préfacier”. Mais on ne se suicide qu’une fois.

    Le mot “couverture” prend ici tout son double sens puisque l'éditeur a choisi une photo qui montre Drieu en compagnie de Brasillach et de deux officiers allemands.

    PS : Je ferme momentanément ma “boîte à messages”, n’ayant pas ces jours-ci le temps de répondre un petit mot gentil à chacun, comme d’habitude, ou presque. Surcroît de travail : je prépare avec un pote un "calendrier réactionnaire" illustré pour 2008.

  • Paris libre

    L’abstinence, la chaleur orageuse, l’exode des bobos, remplacées par des Allemandes, des Tchèques, des Japonaises, tout ça fait que je suis victime d'hallucinations en ce moment. Plusieurs fois par jour.

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