Je n’ai pas encore terminé ma lecture du “Journal” de Drieu La Rochelle (1939-1945), mais j’en sais déjà assez pour être édifié. Ce qui frappe le lecteur contemporain au premier abord chez ce défenseur passionné de la civilisation européenne, comme d’ailleurs chez Bloy, qui défend plus précisément l’Église, y compris contre l’imbécillité de ses prêtres, c’est le sentiment de Drieu, le sentiment de Bloy, d’avoir touché le fond et de ne pouvoir descendre plus bas dans la laideur et la médiocrité capitaliste ; aspiré dans un marécage insalubre, il n’y a plus que les narines du croisé qui surnagent, il va bientôt crever d’étouffement.
Bloy fustige Zola ou Bourget, Drieu vomit Bernstein ou Porto-Riche. Que dire soixante-dix ans plus tard, lorsqu’on est contemporain de Finkielkraut, de Littell, de Philippe Sollers ou du petit d’Ormesson ? Bourget apparaît comme un auteur génial si on le compare à Jean d’Ormesson.
On est submergé par la honte désormais. Drieu s’est-il trompé, ou bien la civilisation agonise-t-elle lentement, comme le héros d’une tragédie de Corneille ?
Pour la très synthétique Simone Weil, plusieurs événements tragiques, la deuxième guerre mondiale en est un, forcément, aux yeux de Drieu, plusieurs événements tragiques se succèderont, qui pourrront faire croire que la bascule est imminente, avant que cette bascule ne soit effective. Il est raisonnable de penser que, comme l’URSS s’est effondrée seule ou presque, comme un château de cartes, l’oligarchie internationale capitaliste, beaucoup plus solidement fondée que la dictature soviétique, sur une base sociale plus ancienne et cohérente, cette oligarchie s’effondrera aussi d’elle-même, victime de ses propres turpitudes.
Les États-Unis ont vaincu grâce à la supériorité de leur économie, protégée par la bombe A (c’est un aspect important, quand on constate la nullité de l’armée yankie - les Yankis ont une dette énorme vis-à-vis de l'ingénieur von Braun et du général Mac Arthur) ; les États-Unis seront probablement vaincus par une défaillance de leur système économique ou du bouclier nucléaire.
Pour Drieu, les civilisations durent mille ans : 900-1900. J’avoue que j’ai des lacunes sur l’an 900 ; ce que je sais mieux, c’est qu’à partir de 1900, voire un peu avant, les artistes ont commencé à être maudits, spécialement les peintres, supérieurs aux écrivains, notamment parce qu’ils ont joué un rôle plus grand dans la civilisation. Drieu aurait aimé être peintre.