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Lapinos - Page 138

  • Déclin et suicide

    Fin du "Journal" de Drieu. Ça se lit comme un roman existentialiste. Le meilleur jamais lu à ce jour en ce qui me concerne. Gilles, il y a une dizaine d’années, m’avait rasé. Moins de néant que chez Sartre, mais plus de suicide.

    Il y a des passages comiques, comme chez Rousseau. Ils tiennent au masochisme de Drieu, flagrant, et qu’il reconnaît lui-même : il parle de rêves érotiques où des femmes se tripotent entre elles ; d'après lui, ce genre de rêve est une preuve de masochisme. Tiens donc ?
    Plus nettement maso lorsqu'il se définit sévèrement comme le chantre de la force virile… en pantoufles. Certes, Drieu n’est pas un guerrier et passe le plus clair de son temps vautré dans son canapé, à lire et à méditer sur les religions, mais il a quand même fait la guerre de 14-18 vingt ans plus tôt, subi de terribles assauts aussi bravement que possible. Un autre que lui aurait pu bâtir toute une épopée à sa gloire à partir de ces quelques faits d’arme et tirer la couverture à lui. Céline, qui n’est pas aussi masochiste ne se prive pas de rappeler sa médaille et ses cicatrices d'ancien combattant pour mieux faire ressortir la lâcheté de ses détracteurs.
    Qu’on songe à BHL aujourd’hui : un petit tour dans une tranchée de Sarajevo, quelques caméras attestant sa présence là-bas ont suffi à ce paltoquet chafouin dépourvu de style et d’ambition pour se confectionner un cévé d’intellectuel résistant héritier de Malraux…

    *

    Autre épisode comique : lors d’un dîner avant guerre, l’écrivain Bernstein raille le titre du dernier roman de Drieu, L’Homme couvert de femmes. Dans son for, Drieu approuve Bernstein et reste pantois, rougissant même, honteux de ne pas trouver une répartie.
    Peu avant la déroute complète de l’armée française, Drieu croise cette fois Bernstein fortuitement dans le jardin des Tuileries. Il prend pour de l’ironie un « Courage ! » que lui lance l’autre et se rue dessus, furibard, lui flanque quelques coups de poings ; Bernstein gueule alors : « Frapper un vieillard de soixante-quatre ans ! », se défend en donnant quelques coups de pied ; et Drieu : « Rien de plus lâche que les coups de pied ! »… On imagine la scène.
    Aujourd’hui les nouveaux Bernstein ne courent plus le risque de croiser des écrivains incorrects. Le dernier pugilat que j’ai en mémoire était entre W. Volkoff et trois petites frappes sans honneur, dont Karl Zéro, sur un plateau de télé... mais c’était un traquenard. Depuis, tous ceux qui admiraient Volkoff, au moins pour son franc-parler, rêvent de croiser cet immonde Zéro dans Paris pour venger Volkoff… à la régulière.

    *

    J’éprouve comme un sentiment de fraternité pour Drieu. Ça tient surtout au fait que je suis, comme lui, un Français de souche. « J’ai reporté sur la France la défaillance de l’être en moi. Mais si je suis ainsi, la France doit être ainsi puisque je porte la France dans mes veines et que leur pulsation dit prophétiquement la santé de la France. » Paradoxalement, ça fait de nous des européistes acharnés ; le simulacre de France, désormais, toutes ces cérémonies laïques d’embaumement, puent le formol ; l’Académie française aussi pue le formol, il n'y a plus aucune sève ni aucune verdeur là-dedans.
    Le nationalisme est une idéologie de métèques pour qui la France est synonyme de IIIe République. Ça vaut aussi pour le métèque breton Le Pen. Drieu est plus charnel.

  • De Blum à Kouchner

    L’hécatombe de civils en Irak est une leçon d’histoire et de morale pour les Français et les Algériens.
    Si les Algériens pendant leur guerre de “libération” n’ont pas eu à subir très longtemps le terrorisme, c’est que l’armée française, en usant de la torture, a anéanti rapidement l’armée secrète terroriste algérienne, ce que les démocrates yankis sont incapables de faire avec les résistants irakiens.
    (La défaite française, ensuite, fut de la responsabilité des hommes politiques. Jacques Chirac aurait-il mieux résisté aux pressions internationales que De Gaulle dans les mêmes circonstances ? Ce n’est pas impossible.)

    Et Bernard Kouchner voudrait nous faire admirer le néo-colonialisme ! À jouer les matamores contre l’Iran il nous rappelle Léon Blum, les “lettres” en moins. Drieu La Rochelle est encore vif :
    « Ce qui était le plus loin de toute connaissance politique sérieuse, de toute science de l’homme dans l’action (…) appelèrent aux armes et au suprême dévouement. Les enjuponnés de la synagogue et de la loge, les braillards de congrès et de parlement poussèrent au combat ceux qu’ils avaient minutieusement désarmés depuis cinquante ans par les soins de leurs instituteurs et de leurs sorbonnards, de leurs journalistes et de leurs romanciers. » (“Journal 1939-45”)

    *

    Le point de vue yanki est compréhensible ; l’Iran ne fait peser aucune menace particulière, mais lorsque tous les états possèderont la bombe, toutes ces bombes s’annuleront, et on peut penser que la dissuasion nucléaire aura vécu.
    Il est logique que les États-Unis s’accrochent à cette dissuasion nucléaire, d’autant plus que la guerre d’Irak, déclenchée par les médias plus que par l’administration Bush, a révélé au monde entier la faiblesse de l’armée yankie, connue des seuls historiens jusque-là. Elle la leur a révélée à eux-mêmes, beaucoup plus que le 11 Septembre, qui n'est qu'un accident.

    Même si les yankis baignent dans l’idéologie libérale la plus stupide, il leur reste assez d’instinct pour se douter que leur puissance économique dépend largement de leur pouvoir politique, donc du pouvoir d’intimidation de la bombe.
    Dans la partie de poker-menteur qu’ils jouent avec l’Iran, les États-Unis peuvent compter sur un atout : ils ont fait preuve précédemment en Irak d’une stupidité politique propre à inquiéter les Iraniens.
    Si les anciennes croisades étaient pour libérer le tombeau du Christ, la “nouvelle” est plus sûrement pour protéger la valeur boursière de Microsoft & Cie.

  • Revue de presse (XVI)

    Ce n’est certes pas un hasard si le talent de Michel-Ange s’épanouit dans la Florence des Médicis et dans la Rome d’Alexandre Borgia et de Jules II.
    Un dessinateur de Charlie Hebdo, je ne sais plus lequel, mais un peu moins benêt que son rédacteur en chef P. Val, à qui on demande quel personnage, selon lui, incarne le mieux le XXe siècle, cite Courtial des Pereire, l'ingénieur charlatanesque de Mort à Crédit, à l'affût du moindre gadget.
    Le Pr Etienne Baulieu, c'est pour moi une sorte de Courtial des Pereire, en plus dangereux. On imagine mal un tel "talent" s'épanouir en dehors du régime démocratique et capitaliste. Interviou dans L’Express (6/9/2007).


    « (…) J’ai crée une fondation Vivre longtemps (…). Parvenir et, dans un premier temps, retarder ne serait-ce que d’un an - un minimum - la survenue de la dépendance pour 10% des personnes victimes de la maladie d’Alzheimer représenterait pour la collectivité une économie de 1 milliard d’euros. »
    Au contraire l’allongement de la durée de la vie, auquel le Pr Baulieu prétend contribuer, fait peser sur la collectivité une charge économique de plus en plus lourde. Le capitalisme, avec ses fonds de pension, est décidément un système politique de vieillards cyniques qui ne reculent devant aucune contrevérité. Ce système devrait mourir avec eux dans un état de sénilité avancée.

    « (…) les sommes nécessaires aux recherches auxquelles la fondation veut s’atteler immédiatement - de l’ordre de 4 millions d’euros - sont une goutte d’eau, à la portée, j’espère, de quelques mécènes (…) »
    Les pauvres, quand ils font la manche, réclament deux euros, voire dix maximum ; les bourgeois capitalistes, eux, carrément 4 millions d’un coup !

    « (…) Et, à propos de la DHEA, même si elle n’est pas encore reconnue pour toutes ses fonctions, nous savons qu’elle peut sauver de graves maladies. »
    La DHEA, c’est l’élixir de jouvence du Dr Baulieu. De la charlatanerie pure. Mais L’Express se sent néanmoins obligé de s’incliner devant ça, de soutenir le Pr Baulieu dans sa recherche… de fonds privés ou publics.
    Pour simplifier, partant de l’observation que les taux d’hormones diminuent chez l’homme et la femme lorsqu’ils vieillissent, le Pr Baulieu a imaginé d’en injecter artificiellement pour empêcher le vieillissement. Grâce à la propagande des magazines féminins, notamment, les femmes après la ménopause ont été convaincues du bénéfice de ces traitements hormonaux. Pour le moment, ces traitements comme la contraception hormonale sont surtout fortement suspectés de provoquer des cancers. Ce qui explique la méfiance d’une partie de la communauté scientifique.
    Le Pr Baulieu est une des vedettes de la recherche médicale capitaliste dont la caractéristique est de n’avoir rien inventé depuis cinquante ans en dehors de produits dopants qui font la fortune des laboratoires yankis et de leurs petits frères européens, pilules que les vieillards yankis consomment comme des friandises.
    Le Pr Baulieu est aussi le “père” de la pilule abortive RU486 et il se vante de cette horrible “paternité”. L’enfant représente pour la société à la fois la vie et la mort. C’est comme si ce faux savant encensé par L’Express voulait abolir simultanément la vie et la mort. Ça donne froid dans le dos.


    « (…) c’est en France que j’ai entendu les choses les plus étonnantes, dans la bouche du Pr Lejeune : il m’a dit un jour, à la télévision, que j’avais fait plus de morts que Hitler et Staline réunis ! »
    Le point d’exclamation s’impose, en effet.
    Une autre chose étonnante, et significative, vu que les libéraux ne cessent d’invoquer la liberté, la loi de l’offre et de la demande, pour justifier leur système odieux : le Pr Baulieu était à la fois employé par des laboratoires pharmaceutiques et lié de très près au Planning familial, c’est-à-dire dans la position de faire prescrire par un service public ses propres pilules chimiques… au nom de la liberté de la femme, ça va de soi.
    Pour démontrer les bénéfices des pilules comme pour démontrer leur innocuité, qu’elles ne sont pas la cause d’une augmentation des cancers du sein, par exemple, il y a une science que la médecine contemporaine au service des laboratoires maîtrise très bien, c’est celle des statistiques, auxquelles il est possible de faire dire à peu près tout et n’importe quoi.


    « (…) Même Darwin, qui a écrit à peu près sur tout, ne s’est jamais attaqué au vieillissement. »
    Ça, c’est pour la psychologie du personnage. La référence à Darwin comme le “savant des savants”, forcément, puisque l’évolutionnisme fait partie de l’attirail idéologique capitaliste.
    Le Pr Baulieu ne craint pas de se positionner au-dessus de Darwin. Lorsqu’on a mené une aussi brillante carrière sur le bluff, pourquoi ne pas continuer jusqu'au bout ?

    La suite se passe de commentaires ou presque.

    « Quel est votre héros ? Louis Pasteur, pionnier de la microbiologie ?
    - Plutôt Alexandre le Grand ou Napoléon. Ou Shakespeare, que j’idolâtre… Ou Valéry, le poète qui pense [sic]. J’aime les artistes.
    - Vous auriez voulu en être un ?
    - Pour être un artiste célèbre, il faut du talent, mais aussi être malin, savoir faire son marketing [sans le marketing, Shakespeare ne serait rien, c’est évident]
    - Beaucoup de grands artistes sont de vos amis : Jasper Johns, Frank Stella… Jean Tinguely et Niki de Saint Phalle vous avaient d’ailleurs rendu hommage en mettant la molécule du RU486 dans le Cyclop, la sculpture monumentale érigée dans la forêt de Fontainebleau.
    - Cela m’a touché… Je leur racontais des histoires scientifiques, cela les amusait. Andy Warhol m’avait demandé des clichés de cellules pour son travail. Un des souvenirs de Jean Tinguely que je préfère, c’est une petite feuille de papier que j’ai fait encadrer et que je garde dans mon bureau. Dessus, il avait écrit : « Etienne, t’es un artiste. »
    Un gâteux contre le gâtisme.

  • Cochons et truismes

    Tandis que je prépare ma colle de lapin au bain-marie, j'écoute "Europe 1". Encore une interviou de Finkielkraut. Je fais un effort pour comprendre ce qu'il dit, non pas tant le contenu mais la façon louvoyante dont il s'exprime. Typique.

    Effort pour démontrer que "Non, il n'est pas si souvent que ça dans les médias", évidemment, puisque toute la clef du personnage est là. « Je ne suis pas le Drucker de la philosophie », dit-il, apparemment content de sa sortie préparée à l'avance, alors que ce n'est pas très malin de souligner ce que tout le monde a en tête en l'écoutant, dans une formule concise. Ou : "de la philosophie de gare TGV".

    "Il n'y a pas une once de racisme en moi". Pardon, mais le racisme est défini aujourd'hui comme un préjugé, le pire des préjugés ; et qui est prêt à admettre à la radio qu'il a des préjugés ? C'est vraiment le niveau zéro de la philosophie, ça.

    *

    Je songe à ce que ça serait si, en lieu et place de Finkielkraut ou de ses comparses, il y avait dans le poste quelqu'un qui dit des choses précises sur un sujet précis, un historien, un scientifique, un prêtre, ou même, je ne sais pas, moi, un entomologiste, un jardinier… Ça arrive parfois, mais de plus en plus rarement : la psychanalyse, la philosophie et l'ésotérisme occupent presque tous les programmes.

    La "culture", Finkielkraut n'a que ce mot à la bouche, et il incarne assez bien, de fait, la culture démocratique qui a remplacé la science et les arts. On comprend en écoutant Finkielkraut tout ce que la culture a de superficiel, détachée de l'effort et de la discipline. "Ni Dieu ni maître", c'est la devise des libéraux.
    Ce qui prouve que les Français sont cultivés, c'est qu'ils vont souvent dans les musées nous dit-on.

    Évidemment quand Finkielkraut réaffirme qu'il n'est pas "réactionnaire", il a raison. Il faut être journaliste à "Libé" pour être payé pour proférer de telles énormités. La nostalgie de l'orthographe, de la culture, tout ça évoque plutôt la République laïque de naguère, Chevènement ou Mendès-France. La République laïque : tout ce que Baudelaire, de Maistre, Bloy, Barbey, Veuillot, détestent.
    Finkielkraut n'est pas le seul, il est juste un des plus caractéristiques. Il y a Brighelli aussi, ce prof qui occupe le créneau de fustiger la décadence de l'Éducation nationale, au nom de la laïcité, après avoir collaboré lui-même à des manuels scolaires néfastes parce qu'inutilisables, foutraques.

    Ces gens-là ont des trous de mémoire énormes. Ils oublient les pressions des laïcards pour évincer le latin, sous prétexte que c'était la langue des curés, le latin qui apprend l'effort et permet la sélection, comme les maths si on veut, mais qui a la différence des maths n'est pas absurde. Ces laïcards ont fait ainsi le lit du capitalisme, qui réclame des informaticiens, des ingénieurs, des polytechniciens, et non des savants.
    Le devoir de mémoire et autres pitreries parascolaires conduisent tout droit à l'amnésie.

  • Où sont les hommes ?

    Je veux pour preuve de la féminisation de l’Église cette jeune femme brune qui s’agenouille un rang devant moi à la messe, avec son mari. Elle porte une jupe de tulle blanc si légère qu’elle laisse apparaître un string surligneur et le reste. Comme si de rien n’était, comme si je n’étais pas là, à quelques centimètres derrière, à essayer de me recueillir, de chasser mes pensées profanes, dans une église et non dans un boxon !

    Nulle intention de provoquer de la part de cette gonzesse ; c'est ça qui est significatif ; le couple montre en effet tout les signes extérieurs de piété, ce ne sont pas des touristes.

    Avec un peu de recul, le mari aurait dû dissuader sa femme de pénétrer dans cette tenue, voire de circuler dans un tel accoutrement sur la voie publique.
    “Aux purs tout est pur” ; à la limite, je suis assez bien placé pour comprendre ce qui a pu passer par la tête de cette paroissienne qui s'est sapée comme une pute pour se rendre à l'office. Son buste, ses hanches, ses jambes sont bien dessinés ; son corps a toute la fermeté, la santé que requiert la beauté, tandis qu’elle a un visage assez ingrat, les joues creuses, les yeux ternes. Il a dû lui paraître inconséquent de cacher ce qu’elle avait de plus beau…
    Mais, manifestement, elle ignore tout de la façon dont sont faits les hommes et les caractéristiques de leur instinct - malgré son mari (Il faut dire que celui-ci a un peu un physique de démocrate-chrétien à la François Mauriac.)

    L’Église ne devrait pas laisser les paroissiennes faire la loi. Ici l’adultère est encouragé dans les murs mêmes de l’Église. Il faut retrouver le bon sens perdu au profit de discours fuligineux. Les hommes ne sont pas faits pour être des chevaliers servants.

  • Romantisme et romantisme

    J’avais promis à ma lectrice d’hier une ou deux pistes de réflexion, idées de lecture…
    Le discours que l’Église tient aux jeunes couples est teinté de romantisme, un romantisme qu’il est intéressant, je trouve, de confronter à celui de Baudelaire.
    Comme tu sais, M., Baudelaire est le fils d’un prêtre défroqué en raison de circonstances politiques ; il ne s’est jamais marié lui-même et s'amouracha d’une putain. Sa mère s’est remariée après le décès de son paternel avec un officier supérieur - il a de ce fait une idée du fonctionnement du "mariage bourgeois".
    Son point de vue est particulier, mais il n’est ni truqué ni superficiel. Autant dire qu’entre l’amour selon Baudelaire et l’amour selon une journaliste de “Madame Figaro” ou de “Elle”, par exemple, il y a comme un gouffre, un gouffre de spiritualité.
    (D’ailleurs le vigoureux militant catholique Louis Veuillot ne s’y trompa pas : comme il avait reconnu la spiritualité profonde de Baudelaire, il ne manqua pas de se rendre à ses obsèques, au grand dam des amis “ésotériques” du poète incompris, et, sans doute, de quelques catholiques bourgeois déjà soucieux, à l’époque, de lécher le fondement du Capital.)

    Un regard différent sur l’amour :
    - « L’amour, c’est le goût de la prostitution. Il n’est même pas de plaisir noble qui ne puisse être ramené à la prostitution. » (Bruckner et Finkielkraut n’ont rien inventé, ils ont tout pillé, taillé Baudelaire à leurs mesures de bourgeois socialistes fadasses.)
    (…)
    - Anecdote du chasseur, relative à la liaison intime de la férocité et de l’amour.
    (…)
    - « Je crois que j’ai déjà écrit dans mes notes que l’amour ressemblait fort à une torture ou à une opération chirurgicale. Mais cette idée peut-être développée de la manière la plus amère. Quand même les deux amants seraient très épris et très pleins de désirs réciproques, l’un des deux sera toujours plus calme ou moins possédé que l’autre. Celui-là, ou celle-là, c’est l’opérateur, ou le bourreau ; l’autre, c’est le sujet, la victime.
    Entendez-vous ces soupirs, préludes d’une tragédie de déshonneur, ces gémissements, ces cris, ces râles ? Qui ne les a proférés, qui ne les a irrésistiblement extorqués ? Et que trouvez-vous de pire dans la question appliquée par de soigneux tortionnaires ? Ces yeux de somnanbule révulsés, ces membres dont les muscles jaillissent et se roidissent comme sous l’action d’une pile galvanique, l’ivresse, le délire, l’opium, dans leurs plus furieux résultats, ne vous en donneront certes pas d’aussi affreux, d’aussi curieux exemples. Et le visage humain, qu’Ovide croyait façonné pour refléter les astres, le voilà qui ne parle plus qu’une expression de férocité folle, ou qui se détend dans une espèce de mort.
    Car, certes, je croirais faire un sacrilège en appliquant le mot : extase à cette sorte de décomposition.
    - Épouvantable jeu où il faut que l’un des joueurs perde le gouvernement de soi-même !
    Une fois il fut demandé devant moi en quoi consistait le plus grand plaisir de l’amour. Quelqu’un répondit naturellement : à recevoir, et l’autre : à se donner. - Celui-ci dit : plaisir d’orgueil ! - et celui-là : volupté d’humilité ! Tous ces orduriers parlaient comme l’Imitation de Jésus-Christ. - Enfin il se trouva un impudent utopiste qui affirma que le plus grand plaisir de l’amour était de former des citoyens pour la patrie.

    Moi, je dis : la volupté unique et suprême de l’amour gît dans la certitude de faire le mal. - Et l’homme et la femme savent de naissance que dans le mal se trouve toute volupté. »

    ("Fusées")

    Décidément, Baudelaire est un antidote aux discours démocratiques.

  • Une lectrice m'écrit

    « Cher Lapinos,
    Décidée à me marier pour fonder une famille le mois prochain, j’ai dû passer par une préparation obligatoire au mariage dans ma paroisse (Paris Xe). Pour te résumer, c’est un peu comme les séances du code de la route avant la conduite, avec un moniteur et des postulants qui posent des questions plus tartes les unes que les autres.
    (…) On m’a recommandé une méthode de régulation des naissances imitée de la reproduction des porcs modernes, que je connais bien puisque je suis originaire d’Ille-et-Vilaine où mes parents ont des fermes. Quelques postulantes ont cru bon d’approuver de la tête ce système. De quoi elles se mêlent, ces pucelles ?
    (…) Et puis pour pallier aux difficultés de la vie conjugale, on nous a recommandés “la communication dans le couple”. J’ai levé le doigt et j’ai dit :
    « D’accord quand tout va bien, mais comment faire pour communiquer calmement quand mon mari me trompera avec la voisine ? » Réponse du curé :
    « Mieux communiquer en temps ordinaire permet de mieux communiquer en temps de crise ! »
    Mouais. Comme je ne voulais pas être recalée, je me suis gardée d’insister. Mais j’aimerais savoir ce que tu penses de tout ça, car je sais que ces questions te passionnent et que tu as beaucoup réfléchi sur ce sujet.
    (…) Pendant que le curé causait, les séances étaient assez longues, il y avait un type, un des fiancés, qui faisait la sieste en douce, ça m’a paru le plus viril de la bande (hélas ce n’était pas le mien).
    Au fait, tu es invité à mon mariage si tu veux le 17 oct. à Saint-Lunaire - RSTP avant le 30 sept.

    M. de L. »


    Amusante lettre, qui soulève néanmoins un problème de société prégnant.
    D’abord M., je te fais remarquer que le verbe “pallier” est transitif direct : d’accord pour brocarder les prêtres conciliaires, mais à condition de ne pas causer comme eux !

    Le ton de ta lettre m’étonne, vu que les femmes ont pour habitude de se pâmer devant les hommes d’Église, quoi qu’ils disent. Je connais des curés qui se vantent d’avoir le dimanche un auditoire attentif à leurs sermons, des ouailles qui boivent leurs paroles. D’après moi, ils pourraient lire le bottin, ça serait la même chose. Combien d’hommes dans l’assemblée écoutent vraiment ?
    La femme est subjuguée par l’abbé qui lui parle comme un confident et non comme un maître ; pour peu que celui-ci ait un beau faciès, soit bien “gaulé”, elles ne se sentent plus d’aise.

    Ensuite, tu vas devoir te contenter de quelques remarques et de quelques pistes. Le mieux en ce qui concerne les prêtres conciliaires est d’attendre leur disparition. Bientôt on ne les distinguera plus de la foule et même les femmes se détourneront d’eux.

    La méthode de limitation des naissances suggérée par les prêtres conciliaires est moins radicale que les “pesticides” ; de ce fait on peut l’estimer préférable à la morale sexuelle en vigueur en Chine ou même dans les pays capitalistes, qui tend à réduire au minimum le nombre d’enfants sous divers prétextes philosophiques et existentialistes.
    Ce qui paraît malsain en revanche de la part du clergé conciliaire, c’est de faire passer une concession, une demi-mesure pour la panacée, en utilisant un vocabulaire flatteur vaguement écologiste, en qualifiant cette régulation de “naturelle” et autres bobards.
    On fabrique ainsi des principes douteux. L’Église d’aujourd’hui reproche à l’Église d’antan de s’être écartée des Évangiles, mais n'en passe pas moins le plus clair de son temps à bâtir des châteaux en Espagne.
    Comment le clergé conciliaire peut-il expliquer ensuite aux homosexuels que le mariage “rien que pour l’amour”, ça n’a aucun sens social, s’il tient lui-même des discours détachés de la réalité et se paye de mots qui ne veulent rien dire ? On ne bâtit pas sur du sable.

    *

    En ce qui concerne la “communication dans le couple”, dont Biba ou Marie-Claire font aussi grand cas, c’est une autre concession de l’Église à l’esprit du temps. La mièvrerie de ce genre de slogan ne résiste pas de toutes façons à la réalité.
    Quelles concessions l’Église réclame-t-elle à la société en contrepartie des siennes ? Le droit des prêtres à passer à la télé, eux aussi ?
    Au passage, cette exaltation de la vie de couple de la part du clergé, alors que les séminaires sont vides, est une aberration.
    Quand on sait que Kant est au programme dans certains de ces séminaires, il ne faut pas s’étonner que l’injustifiable soit justifié, avec aplomb de surcroît.

    *

    Je relève enfin que tu sembles inquiète, M., à l’idée que ton fiancé, une fois marié, puisse “aller voir" la voisine. Pour ménager la partie féminine de son auditoire, probablement le curé qui t’as instruite n’a-t'il pas osé rappeler que saint Augustin souligne et loue l’indulgence de sa mère, sainte Monique, vis-à-vis des foucades de son mari.
    On peut raisonnablement penser que si Monique avait attendu son mari derrière la porte avec un rouleau à pâtisserie pour se venger, elle n’aurait jamais été canonisée.
    Rien ne vaut les exemples concrets comme ça, pensaient les catholiques avant le Concile. Prends-en de la graine, M. !

    P.S. : Je te remercie pour ton aimable invitation, mais c’est plus fort que moi, les mariages me flanquent systématiquement le bourdon. Je ne les supporte que dans la peinture de Breughel. D’ailleurs on imagine mal un mariage gay peint par Breughel. Même dans le grotesque, il faut de la mesure !

  • Brocante (4)

    En lisant cette page d’Escales parmi les livres, je n’ai pas pu m’empêcher de penser à Sarko. Parce qu’il fut longtemps ministre de l’Intérieur ; parce que, président moderne, il a une épouse moderne (c’est-à-dire que lorsqu’elle a ses menstrues toute la France peut le constater) ; enfin, parce que notre Président cherche désespérément une solution à la crise et que t’Serstevens la possède peut-être, qui sait ? Au point où on en est, il ne faut négliger aucune piste.

    Rapports de police

    « On ne saurait trop consulter, si l’on veut bien connaître les mœurs de l’ancien régime, les rapports secrets de la police, pieusement conservés dans nos archives.
    Un bon nombre ont été publiés, parfois sous le manteau, car ils ne se soucient guère de la morale ; mais j’en ai remué des masses dans le réduit de l’Arsenal, non sans le remplir d’un brouillard de poussière qui m’a obligé, en rentrant chez moi, à changer de vêtements et de linge, après une longue savonnade sous la douche.

    « Ce qui m’a le plus étonné dans ces documents sans pudeur, consacrés surtout aux relations entre époux de l’aristocratie et à la prostitution élégante, c’est la précocité des filles, qu’il s’agisse des unions légales ou du dévergondage.
    Elles se marient, principalement dans la noblesse, à douze, treize, quatorze, quinze ans, presque toutes avant dix-huit. Dès les seize ans elles sont des femmes accomplies, elles gouvernent leurs gens et leur maison, elles reçoivent avec grâce, elles mènent des intrigues, visitent les ministres et les gens de justice, savent les séduire et en obtenir ce qu’elles souhaitent, sans se compromettre, elles tiennent bureau d’esprit, fréquentent les hommes de lettres et correspondent avec eux sans orthographe mais dans la langue la plus châtiée.
    À vingt ans, elles ont connu plusieurs maternités, élèvent leurs enfants à merveille, selon les traditions de l’époque, administrent leurs biens fonciers, sont des compagnes tendres et dévouées ou pratiquent depuis longtemps l’adultère. A vingt-cinq ans, elles finissent dans les procès, le jeu ou la dévotion.

    « Presque toutes les filles débauchées dont nous parle dans ses rapports le terrible inspecteur Marais entrent dans la galanterie entre onze et quinze ans ; la moyenne, que j’ai pris la peine d’établir, est de quatorze, mais j’ai trouvé plusieurs cas de dix ans. A ces âges, elles savent déjà berner les amateurs, leur soutirer des rentes et des bijoux, conduire de front plusieurs aventures profitables, sans compter les “guerluchons”, se produire sur la scène du Français ou de l’Opéra, animer les petits soupers, bref mener une vie que pas une courtisane de vingt-cinq ans ne pourrait conduire aujourd’hui.

    « Je ne sais par quelles méthodes d’éducation on est arrivé, de notre temps, à retarder le développement physique et moral des jeunes filles, sans doute parce qu’on les farcit de connaissances inutiles, au lieu de leur apprendre à vivre, à être, dès les quinze ans, des épouses attentives ou des maîtresses délurées, à parler avec esprit, à marcher avec élégance, à séduire pour le bon ou le mauvais motif, à tirer parti de l’amour honnête ou malhonnête. Pendant des siècles les filles se sont passées de bachot et de diplômes et ont embelli de leur charme, dès leur puberté, une société plus exigeante que la nôtre, plus raffinée aussi, ce qui pourrait bien être la solution du problème. »

    Albert t'Serstevens

  • Brocante (3)

    Escales parmi les livres* : t’Serstevens a réussi trente ans plus tôt là où Charles Dantzig a échoué trente ans plus tard : un recueil de critique littéraire libre, truculente et impertinente. En effet Dantzig n’est ni truculent ni “recueilli”. Parfois impertinent seulement. Courbe descendante du progrès. Du cabotage littéraire de t’Serstevens au cabotinage de Dantzig.

    *

    Lege sed elige (Lis mais choisis), c’est la devise de t’Serstevens, qu’il n’a aucun scrupule à recopier sur un autre - éloge de la discipline et du style en littérature comme partout. Le même credo que Chardonne, mais une personnalité bien disctincte.
    On ne peut pas pousser les murs de sa bibliothèque, il faut donc toujours y faire de la place. T’Serstevens nous aide à nous débarrasser de quelques littérateurs inutiles, sans prendre de pincettes.
    C’est Buffon qui écope de la plus sévère raclée. Il en fait l’ancêtre de la science emphatique et inexacte - des évolutionnistes en quelque sorte. Éloge de Réaumur en revanche, modèle pour les créationnistes d’une science simple et désintéressée, qui ne vise pas d'applications prétendûment "pratiques".
    Voltaire en prend pour son grade aussi, et Béroalde de Verville, Casanova, l’orthographe, l’alexandrin, Romain Rolland, le romantisme, les frères Goncourt, Chateaubriand, Flaubert, même Pascal et Rousseau.

    Rousseau était-il si bête que t’Serstevens le dit ? Et était-il si sensible ? Personnellement je doute de la bêtise de Rousseau, malgré la naïveté de ses recettes politiques, et encore plus de la "sensibilité" du Genèvois, mais les arguments de t’Serstevens sont formulés de telle façon qu’ils touchent. Conclusion sur Rousseau :
    « Mais quelle langue ! déliée, souple, naturelle ! Rien de la redondance d’un Chateaubriand. Nul effort : un bonheur cursif, une musicalité tout intérieure. Tant de sincérité, d’abandon apparent, que c’est à peine si l’on peut parler de style.
    Mais le style, c’est cela. »


    *

    Comme j’ai avalé une cuillerée de Claudel pour me requinquer, et que je passai devant la maison de Mallarmé récemment, coincée entre une forteresse et un fleuve, voyons ce que dit t’Serstevens de ce genre de poète :

    MALLARMÉ

    … Aussi les plaintes et les larmes
    D’une enclume en travail d’enfant
    Fourniront d’attraits et de charmes
    Pour rendre un balai triomphant


    Ce n’est pas du Mallarmé, c’est du Berthelot, un facécieux poète du XVIIe siècle, qui intitule ce poème
    Gausserie.

    La chambre ancienne de l’hoir
    De maint riche mais chu trophée
    Ne serait pas même chauffée
    S’il survenait par le couloir.


    Cette fois c’est du sérieux, et c’est du Mallarmé.
    La bouffonnerie de l’un a le même ton que le lyrisme de l’autre.

    *

    Je l’ai baucoup admiré dans mes vingt ans, à pouvoir encore, aujourd’hui, me réciter par cœur la plupart de ses poèmes ; mais j’étais un peu sot, un peu snob, soumis à toutes les influences, et sans discernement, comme on l’est à cet âge. Je conçois bien que certains de ses vers ont la pureté et la sonorité limpide du cristal, que d’autres brassent la mordorure des nuages au couchant, ou révèlent une joaillerie inconnue des lapidaires ; mais que de préciosité dans la pensée et dans le verbe ! Que de fioritures et de rococo dans une syntaxe équivoque !
    Marque d’un temps, la Belle Époque, qui nous a donné les vases gélatineux de Gallé, les affiches en spaghetti de Mucha, les entrées du Métro, style place Saint-Michel, les majoliques flambées au parfum Pivert, et ces déformations du corps féminin qui faisaient dire à ma grand-mère, en voyant entrer une amie : « Bonjour ma tête ! mon cul viendra demain ! »


    *Aux Nouvelles Éditions Latines, rue Palatine, peut-être reste-t-il quelques exemplaires à la cave ?

  • Brocante (2)

    Massacre d’un écrivain belge à coups de couteau de cuisine… Pour couper un bouquin, il faut un tournemain… que je n’ai pas ! Ou je pousse trop doucement la lame, et dans ce cas la coupe n’est pas nette, ou alors je donne des grands coups francs et j’arrache les coins. Merde. Le plus dur, c’est quand il faut découper un angle.
    C’est comme avec les femmes au début, on manque d’entraînement, l’enthousiasme brouille la vue et on commet des indélicatesses. La différence, c’est peut-être que l’enthousiasme dure plus longtemps avec les livres, il y a une plus grande variété.

    *

    Les livres d’occasion de bonne qualité, c’est désormais la denrée au meilleur rapport qualité/prix, où la déflation est la plus nette. La loi de l’offre et de la demande fait que dans l’économie capitaliste les choses de prix n’intéressent plus grand monde, la concurrence est quasi-nulle.
    On peut ainsi se soûler de grandes œuvres au nez et à la barbe des démocrates, prêts à débourser, eux, jusqu’à sept euros pour une séance de cinéma, médiocre distraction de deux ou trois heures, voire jusqu’à quinze euros pour un de ces navets de la rentrée littéraire, le dernier Dantzig ou le dernier Dantec. Et je ne prends pas les pires ! Oui, il y a quand même quelque chose de courageux dans le cas de Dantec à exercer ce métier alors qu’il est incapable d’écrire correctement ; je suis sûr que sa mauvaise humeur vient surtout de là, de sa mauvaise posture.

    Dans le cas de Dantzig, un critique littéraire prend toujours des risques à étaler son absence de style après avoir étrillé Jean-Jacques Rousseau, Céline ou Barbey d’Aurevilly, même si on pense que les lectrices de Elle ou de Lire n’y verront que du feu, probablement.

    *

    Avant que l’avalanche de la rentrée littéraire ne nous recouvre, avec son lot de méchants nazis et de gentils Juifs récurrents, la énième envolée lyrique sur le 11 Septembre, les odes plus ou moins subtiles au nouveau pouvoir libéral-sarkozyste, la romance existentialiste de telle secrétaire de rédaction chez Grasset ou chez Gallimard, je parie sans prendre de risque que rien de tout ça n’arrivera à la cheville d’Escales parmi les livres du Belge Albert T’Serstevens, paru en 1969, une des dernières années érotiques, sans doute, où on pouvait encore découper les livres vierges avant de les lire.

  • Revue de presse (XIII)

    Comment expliquer, dans Objections, la revue d’un abbé, qui plus est d’un abbé en soutane (Tanoüarn) !, la critique élogieuse, naguère, des Bienveillantes de J. Littell ?? Bouquin plein d’une pornographie de gare, soutenu par le conformisme démocratique, farci de mensonges, et, le pire peut-être pour un chrétien, rédigé dans une langue barbare…

    Une certitude, cet abbé de Tanoüarn n’a pas lu lui-même ce nouveau “livre sacré”. Il a sûrement délégué cette corvée à un de ses enfants de chœur. Mais les erratums ne sont pas faits pour les chiens, ni même réservés aux musulmans !

    Une certitude et un doute. Je soupçonne cet abbé distrait, proche de l’Action française, d’avoir consenti qu’on encense un tel paquet sous prétexte qu’il était déversé dans le dos de l’Allemagne et des Allemands. Ne serait-ce pas la conséquence de la haine stupide et persistante des maurrassiens pour les “boches” ? D'autant plus stupide depuis que le chef de l’Action française, le vieux poète malentendant Charles Maurras, a été condamné par un tribunal d'authentiques FRANÇAIS, après une parodie de justice que les Allemands eux-mêmes n’auraient probablement pas osée.

    *

    Dans le numéro de juillet d’Objections, l'abbé de Tanoüarn évoque néanmoins lui-même le dernier livre du plus fameux des Allemands, c’est-à-dire le Jésus de Nazareth de Benoît XVI.
    Alors, opus magnus ou opus minus, cette nouvelle somme théologique ? Le moins qu’on puisse dire, c’est que M. de Tanoüarn fait peu d’objections.
    « [Benoît XVI] insiste sur le fait que le christianisme ne véhicule aucune morale particulière, mais simplement la morale commune, morale naturelle, qui correspond aux dix Paroles de Dieu à Moïse (…) »
    Quoi, encore cette “morale naturelle” ?? C’est marre à la fin de cette “loi naturelle” que “thomistes” ou “maurrassiens” ne savent pas justifier autrement qu’en disant qu’elle n’a rien de naturel.
    « Tu ne tueras point. » : on peut mesurer au nombre d’avortements prescrits tous les ans en France, ce que le décalogue a de “commun” ou de “naturel”.
    Et la Bible scandalisait le bourgeois Flaubert.
    Faut-il donc comprendre cette “morale naturelle” comme une morale que la plupart des Français adopteraient naturellement s’ils étaient plus chrétiens ?
    Au diable les vieux sophismes, et vive Baudelaire, qui exalte non seulement une morale mais une POLITIQUE chrétienne exceptionnelle.


    « On pouvait attendre sur un tel texte [les béatitudes] une allégeance du commentateur [Benoît XVI] à la religion humanitaire, dominante aujourd’hui. (…) il ne faut pas oublier que naguère, le cardinal Ratzinger fut le dénonciateur vigilant des dérives politico-sentimentales de ce qu’on a appelé "l’option préférentielle pour les pauvres". (…) il note donc : « La pauvreté dont il est question ici n’est jamais d’ordre strictement matériel. La pauvreté strictement matérielle ne sauve pas. »

    Après Baudelaire, je ne peux m’empêcher de penser à Bloy, auquel les maurassiens accordent quelquefois un peu de crédit uniquement parce qu’il a poussé quelques rugissements contre les Prussiens…
    Je me souviens aussi de ce sermon surréaliste, un soir, dans une paroisse perdue dans les sables de Bruxelles, de la bouche d’un curé conciliaire, tandis que deux petites fillettes de chœur grassouillettes se tortillaient sur la moquette à ses pieds.
    Benoîtement, ce prêtre expliquait à ses ouailles que le “jeune homme riche” n’était pas vraiment riche - d’ailleurs comment aurait-il pu l’être, étant jeune, cet argent devait sûrement être celui de son père, et non le sien, il fallait donc entendre “riche” au sens spirituel, ne pas prendre l'injonction du Christ à abandonner toutes ses richesses au pied de la lettre, etc.

    “L’option préférentielle pour les pauvres”, si elle est un abus de langage administratif, n’est pas un abus d’interprétation des Évangiles. Ce qui est abusif, comme cela s’est passé, c’est de la proclamer, cette charité à l’égard des pauvres, sans la pratiquer plus que d'autres. Tel fut l’hypocrisie des démocrates-chrétiens et de leurs bazars de la charité.
    Non seulement l’abbé de Tanoüarn n’a pas lu Littell, mais il ne lit pas les journaux. Ce que reprochait à Mère Térésa Bernard Kouchner, incarnation de l’humanitarisme télévisuel nouveau, c’était de ne pas se soucier assez des besoins “matériels” des pauvres indiens - pas assez de leur santé et trop de leur âme.
    La dérive humanitaire, c’est aussi d’avoir détourné des fonds collectés pour nourrir les pauvres afin d'armer des guérillas dont les pauvres ont été les premières victimes.

    Dans une société démocratique où on est contraint de détruire les excédents pour ne pas crever “étouffés sous les richesses”, l’exégèse de Bloy paraît plus utile que celle de Benoît XVI.
    L’esprit de pauvreté excessif ne semble pas guetter l’Occident, dont l'évangile capitaliste est : "L'argent ne fait pas le bonheur… mais il y contribue."
    D’ailleurs on se doute que l’agioteur rendu millionnaire par l’astuce, qui, tout d’un coup, à la faveur d’un krach perd ses millions, ne sera pas, de ce seul fait, automatiquement sauvé, juste parce qu’il est pauvre, désormais ; ça tombe sous le sens commun.

  • Revue de presse (XII)

    Interviou de Philippe Djian dans Le Monde 2 :
    « Dans la chanson “Les Bobos”, Renaud chante : « Ils lisent Houellebecq ou Philippe Djian, les “Inrocks” et “Télérama”/Leur livre de chevet, c’est Cioran/Près du catalogue Ikéa ». Comment le prenez-vous ?
    - Il m’a expliqué que c’était pour la rime : Djian avec Cioran, je ne peux pas me plaindre ! Je ne lui en veux pas. Après la sortie de l’album, il est venu sonner en bas de chez moi : « C’est Renaud. Tu peux pas descendre ? » Et, dans la cour, il s’est excusé. Mais je ne suis pas en sucre, il peut me traiter comme il veut.
    Le terme bobo n’est pas très beau [?]. Mais bourgeois-bohême, moi qui habite dans le 5e arrondissement de Paris et qui aime me balader à travers le monde, en ayant vécu à Boston ou à Florence, ça me va. Cela dit, je n’ai pas été tout le temps ainsi, j’ai aussi habité dans une bergerie, sans eau, sans électricité et sans chauffage, je n’avais pas d’argent.
    Que de grands éditeurs parisiens me paient plutôt bien est une chose relativement récente ! Je n’ai pas pour autant de 4x4 (…) »
    Djian ou “La vie des grands bobos parisiens”.
    Quelle sensibilité à fleur de peau ! Quelle dextérité dans l'usage de l'interphone ! On sent qu’un rien peut égratigner leur image de marque, à ces animaux-là…


    « Ma journée commence par la lecture de “Libération”, puis j’écoute “France-Inter” ou “France-Culture”. Je suis donc en phase avec mes contemporains. Ensuite, je vais faire ma gym avec des tas de petites bonnes femmes et des mecs en sueurs [torride !]. Je côtoie l’humanité tous les jours… »
    Un peu plus loin, Djian raille son confrère Marc Lambron, éditorialiste à Madame Figaro, il lui reproche d’être un peu trop casanier.
    Djian est de ces écrivains qui cultivent la “rebelle attitude”, comme Maurice Dantec ou Christine Angot (qui l’ont démodé).
    Pourtant, Madame Figaro ou 37,2 le matin, c'est un peu la même clientèle, non ?
    P. Djian se réclame de Céline ou de Bukowski - un Céline qui écouterait France-Culture et un Bukowski qui ferait du vélo d’appartement chez “Sport 2000”, dans ce cas. Il fait plutôt penser à Malraux ou à Sartre, Djian, avec son : "Je côtoie l’humanité tous les jours".


    “Le Monde 2” (18 août 2007)

  • Vieille revue française

    Ce qui saute aux yeux, dans cet “hommage” de la NRF à Claudel, ce sont donc les persiflages - de Piero Jahier, Robert Mallet, Jouhandeau, Ponge… Témoignage intéressant sur les mœurs littéraires des années cinquante. Comment s’étonner aujourd’hui de la crapulerie des Sollers, d’Ormesson, Beigbeder, Dantzig, et de leur manque total de style ?
    On a dit aussi de Léon Bloy pour tâcher de l’évacuer d’une manière ou d’une autre qu’il “exagérait” ; tout au plus ne faisait-il qu’anticiper un peu.

    Il y a cependant quelques hommages à peu près sincères ; l’hommage, un peu sec, de Jules Romains ; celui, emphatique, de Saint-John Perse : « Son ascension s’opère au cric de la raison », « Au tranchant de sa foi s’annule pour lui tout nœud gordien. ».

    *

    Et puis il y a un texte de Georges Perros sur la “Fureur dramatique”. Je ne connais ce penseur que par ouï-dire, mais sa tournure d’esprit aristocratique laisse entendre que je gagnerais à le connaître mieux :
    « Tout grand théâtre est comique, c’est-à-dire, très grossièrement, libre dans ses articulations. Distant.
    (…) L’homme qui aurait pu se coucher - ou n’importe ! - le voilà en instance de spectateur, et sourdement travaillé, préparé, comme le sont, à la lumière des lampes de loge, d’autres hommes en instance d’acteur.
    (…) On va se rassembler et, pour une fois, il va se passer quelque chose de beau, de bon, d’inoubliable.
    (…) Ce jeu théâtral peut être considéré comme un défi amusé, comme un extraordinaire pastiche à la mesure du monde, pastiche dans la glace déformante de laquelle va se prendre la réalité, qui ne cesse de nous échapper, va se prendre et se signer.
    (…) Un film médiocre nous laisse indifférent. (Jusqu’à preuve du contraire, on pourrait très bien se passer du cinéma.) Une mauvaise pièce nous attriste, ou nous irrite, comme si on venait d’assister à une dégradation. »


    Loin, très loin des billevesées existentialistes à la mode sur la “société du spectacle”.

  • Créationnisme (10)

    Pas de Bloy, en dehors d’une anthologie qui non seulement “tronque” les textes, mais encore ne présente pas les meilleurs - une anthologie de Jésuites ? Bloy ne se déguste pas par petits tronçons de phrases comme les grands moralistes français, La Bruyère ou La Rochefoucauld.
    L’Âme de Napoléon, cité notamment dans cette anthologie, ça n’a pas très bien vieilli. Si un Allemand aujourd’hui osait écrire un bouquin sur “l’âme d’Hitler”, dans un sens positif, ce n’est pas maudit qu’il serait, mais carrément jeté en taule !
    À la décharge de Bloy, il ignorait le détail et le volume des exactions atroces commises par les troupes françaises d’invasion et d’occupation dans les populations civiles européennes. Plus encore qu’Hitler ou que les révolutionnaires français, Napoléon a saigné son propre pays, irrémédiablement.
    Après Napoléon, c’en est fini de la France en tant que puissance politique, même si l’empire colonial a pu donner l’illusion du contraire. Lorsqu’on est Espagnol, on peut en vouloir à Napoléon en tant que chef de guerre criminel ; lorsqu’on est Français, c’est à Napoléon assassin de la France qu’on peut en vouloir. Avec Louis XVI, c’est un des personnages politiques les plus détestables de notre histoire moderne - pour un catholique français, s’entend.

    *

    Je me rabats sur Claudel, dont la beauté - trop formelle ? - ne m’a pas encore touché jusque maintenant. J’acquiers pour trois fois rien un numéro spécial de la NRF de septembre 1955, en hommage à Claudel, décédé cette année-là.

    Ce numéro de la NRF, c’est un gag ! En fait d’hommage, c’est à qui des thuriféraires convoqués par Paulhan flinguera Claudel le mieux, à coups d’encensoir. Ça confirme la méfiance de Drieu, et les insultes de Céline : ce Paulhan est un sournois, un grand sournois. Cette méthode des tueurs à gages est imparable.
    Le plus doué de cette bande d’assassins post-mortem, c’est incontestablement Francis Ponge :
    « Et voici mon Claudel comme et où je l’entends :
    Comme et où je l’entends c’est entre
    clame et claudique
    Mais comme clame et claudique un de ces gros dolmens branlants.
    Non tout à fait pierre-qui-vire : pierre branlante. »


    Il n’y a pas très longtemps j’ai lu un petit livre neuf mais néanmoins instructif de Michel Mohrt, témoignage sur ses années de collaboration à la NRF. Il y souligne l’influence néfaste de Paulhan sur la littérature française, son goût pour le gadget littéraire, pompeusement baptisé “surréalisme”.
    Au vu de ces strophes calamiteuses en “à la gloire de Claudel” (sic), moi je jette le Ponge avant de l’avoir lu ! Saligaud, va !

    *

    Parmi les quelques textes inédits de Claudel publiés à la fin de la revue, je trouve un beau credo créationniste de Claudel, qu’on opposera à tous les credos évolutionnistes lourdingues qu’on peut entendre un peu partout dans les médias* :

    « 1/ Je ne crois qu’aux choses et aux êtres concrets : Dieu, la Vierge, les Anges, un homme, un chien, un arbre… et je refuse toute existence autre que la logique à ces idoles qu’on appelle la divinité, l’espace, le temps, l’élan vital, etc.
    Il ne faut pas réaliser les abstraits et leur attribuer un pouvoir quelconque.
    2/ Je suis absolument étranger à l’idée du devenir dans la nature. Je crois que les formes ont une importance typique, sacrée, inaltérable, inépuisable. Je crois que ce que Dieu a fait n’est pas imparfait, mais fini, et qu’il a eu raison de trouver ses œuvres
    bonnes et très bonnes. Logiquement, l’idée d’un devenir, c’es-à-dire d’un être qui peut sauter en dehors de sa forme, me semble un véritable monstre et le dernier degré de l’absurdité. Il faut la déchéance intellectuelle du XIXe siècle pour avoir accepté une telle ineptie. (…) »

    Venu du terroir champenois, Claudel est un grand esprit intuitif et désintéressé, le genre d’esprit dont la science manque cruellement désormais.

    *À transmettre à l’évolutionniste X. Dor, nonobstant courageux militant pro-vie français, véritable écologiste comme Claudel.

  • Brocante (1)

    À la brocante des Jésuites où, chose promise chose due, mon pote m’a conduit, je n’ai pas trouvé d’édition ancienne du pamphlet antisémite de Bloy (Le Salut par les Juifs).

    “Salus ex Judaeis est”, tiré de saint Jean au chap. IV, est mieux traduit par “le salut vient des Juifs” ; ainsi Bloy traduit-il d’ailleurs le point de départ de sa réflexion sur les rapports entre le peuple juif et le peuple chrétien dans le corps de son pamphlet.
    Sur la couverture, “Le Salut PAR les Juifs” est une habileté de la part de Bloy. Le pamphlet antisémite de Drumont, La France juive, ayant connu un grand succès, Bloy estima qu’il était opportun de publier un opuscule se présentant comme le pendant exact de celui de Drumont, pour profiter de la publicité.
    Or Bloy ne dit pas exactement le contraire de Drumont. S'il méprise l’antisémitisme de celui-ci, inspiré à ses yeux par des sentiments bas, il promeut un antisémitisme médiéval plus profond, mystique. Pour Bloy tous les mots, toutes les expressions des textes sacrés ont un sens plus ou moins caché, même s’il serait injuste de qualifier Bloy de “gnostique”, car c’est plutôt la clarté qui le caractérise, y compris par rapport aux théologiens contemporains de sensibilités diverses, à commencer par Benoît XVI, chez qui les contradictions et les confusions ne manquent pas.

    *

    Bloy considère ainsi que la malédiction que les Juifs ont appelée sur eux-mêmes devant Pilate ("Que son sang soit sur nous et sur nos descendants !"), n'est pas un vain mot et ne pouvait pas rester lettre morte.
    Il est déjà assez cocasse d’entendre un philosophe officiel comme Finkielkraut citer Péguy, mais un “mendésiste” (sic) tel que Finkielkraut pourra toujours se justifier en disant que Péguy a été socialiste, pour commencer.
    Mais entendre un démocrate-chrétien citer Bloy, voilà qui tient de la mauvaise foi la plus épaisse ! Pour un démocrate-chrétien de tendance “lustigérienne”, ils sont les plus nombreux pour l'heure, le catholicisme n’est en quelque sorte qu’un perfectionnement du judaïsme et de la démocratie - rien à voir avec l’antisémitisme mystique de Bloy, qui se revendique de Balzac et de Shakespeare et qui hait la démocratie, tissu de divagations philosophiques la plupart du temps sacrilèges.
    Il y a néanmoins un cas où le démocrate-chrétien pourrait citer Bloy… Il pourrait bien le citer à comparaître devant un tribunal contemporain pour "propos à caractère antisémite" ou "antidémocratique". Alors, le démocrate-chrétien serait parfaitement dans son rôle d'hypocrite, de Ponce-Pilate.

  • Nid d'aigle

    Forcément, l'air de la montagne, ça rend un peu écolo. Dans le bled de mon pote - il préfère garder le coin secret, des fois qu’il organise un petit congrès réac l’année prochaine, ou bien un camp d’entraînement -, dans ce bled au milieu des sapins, ça grouille d’insectes, on est butiné de partout par les papillons, les guêpes, les courtillières, les fourmis… Il y a peu d’oiseaux, mais les lézards sont nombreux à se réchauffer sur les murs blancs dès que le soleil tape. Hier, j’ai débusqué un chevreuil dans la forêt vers onze heures du matin, et avec ça, pas un bobo en vue depuis mon arrivée ! Cet écosystème me convient assez, si ce n’est que, comme prévu, l'altitude me fatigue ; à minuit je tombe déjà de sommeil, ce qui n’est pas dans mes habitudes, et j’ai du mal à me concentrer intensément, je me sens diminué.

    Seule ombre à ce tableau bucolique : quelques enculés de motards viennent se défouler de leurs diverses frustrations de prolétaires sur les lacets, en contrebas, et font rugir leurs moteurs dans la pente. Foutrement envie de les dégommer à la chevrotine ou à l’arbalète de la terrasse du chalet, mais bon, dans un patelin comme ça on est vite repéré, j’imagine…
    Mon pote m'assure que ces motards sont beaucoup moins nombreux que l’année dernière.

    *

    Entre la poire et le fromage, on imagine quelques mesures écolos pour sauver la planète, à la limite du fachisme, sans doute :
    1/ Ne se laver que tous les quinze jours, et à l’eau froide. Qu’est-ce que des bobos en cols blancs ou en chemises à fleurs, enfermés dans des bureaux toute la journée, peuvent bien racler comme miasmes lors de leur douche quotidienne ? C’est du puritanisme yanki caractérisé : ils pensent sans doute laver ainsi les petites traîtrises quotidiennes, les menus larcins, la constante hypocrisie démocratique de cette façon, avec du gel-douche.
    Résumé de la morale universelle des Droits de l’homme : prendre une douche tous les matins… en n’oubliant pas de se récurer l’anus et de verser dessus une goutte d'ersatz de patchouli.
    2/ Obliger les militants écolos, néanmoins tous partisans de l’avortement, à porter une pancarte au cou avec l’inscription : « Je suis un crétin démagogique, une espèce nuisible en voie de prolifération ! ».
    3/ Ne pas renouveller la licence de TF1 et d’Arte, symboles de la collusion du capitalisme et du gauchisme, Nicolas Hulot faisant le trait d'union entre ces deux tendances. La Nature a besoin de gens intelligents, pas d’imbéciles comme Nicolas Hulot, qui t’explique que ce qui s’est passé sur l’Ile de Pâques est une “leçon d’écologie”, alors qu’on ne sait RIEN de ce qui s’est passé sur l’Ile de Pâques.
    4/ Lâcher José Bové sur le plateau du Larzac avec Bruno Rebelle et organiser une battue pour voir qui court le plus vite à travers les Causses, eux ou nous.
    5/ Manger des tripes une fois par semaine. Supprimer l’étiquette “À consommer avec modération” des vins français, interdire la publicité pour les marques yankies à la télé.

  • Anticapitaliste primaire

    Par la fenêtre du bolide, un paysage agreste à faire oublier tout l’art contemporain. Comme dit Drieu : « Restent les beautés physiques de la France. ».
    Deux jeunes Hollandaises en vis-à-vis aussi, qui s’extirpent enfin à moitié dénudées de leurs sacs de couchage et me dévisagent avec un sourire mi-ingénu mi-affranchi, surtout celle de droite. Pourvu qu’elles se taisent encore un moment…

    Je saute sur l’occasion de ce déplacement éclair, quelques centaines de kilomètres horizontalement et quelques centaines de mètres verticalement, pour analyser mon anticapitalisme dans ce qu’il a de plus primaire, j’ose dire : de “métabolique”. Ce transfert brutal d’un point géographique à un autre, me rendra tout patraque. Je suis un être sensible. Pas au sens de Proust, quand même, qui ne peut supporter le moindre inconfort et se retrouve tout bouleversé lorsqu’il passe brusquement d’un arrondissement à un autre…

    *

    Aujourd’hui, les humains se trimballent d’un point à un autre du globe comme des paquets, cette agitation est nécessaire à la marche absurde de l’économie capitaliste. Logiquement, ceux qui résistent le mieux à ce traitement sont ceux qui, moralement, sont les plus proches du sac de voyage ou du paquet : brutes yankies inconscientes, démocrates-chrétiens gavés, athées arrogants, jet-setteurs, abonnés du Monde ou du Figaro, sportifs dopés de haut niveau, représentants de commerce, etc.
    C’est dire à quel point le boeing jeté sur Manhattan était symbolique ! (Pas le symbole que veulent voir ces crétins de Beigbeder et de Maurice Dantec, bien sûr, ces deux suppôts travestis du capitalisme, l’un en écrivain mélancolique, l’autre en mafioso nippon.)

    Un exemple précis : ce que les pédants appellent “jet lag”, l’effet du décalage horaire brutal dû à une traversée du monde en avion. Un démocrate-chrétien, il lui faudra un jour-un jour et demi pour s’en remettre, un être moyen un peu moins abstrait, trois ou quatre jours ; moi, il me faut trois semaines pour m’habituer ! Pendant trois semaines, je continue à vivre à l’heure de mon terroir, à m’endormir lorsque le jour point, à me réveiller lorsque la nuit tombe. On devine ce que ce régime a d’aliénant.
    Bien sûr, j’ai pris un cas extrême, mais n’empêche, je redoute ce changement de pression atmosphérique brutal entre Paris et la montagne ; il va me déboussoler pendant trois ou quatre jours ; je serai réglé de nouveau qu’il me faudra repartir vers la capitale ! (Je serais curieux de savoir si les cycles menstruels féminins sont perturbés par les déplacements brutaux, qu’en est-il par exemple des hôtesses de l’air, perdent-elles leur féminité à force de transports brutaux ?)
    Trois ou quatre jours de perdus, ce n’est pas rien quand on sait que la mort nous guette à chaque virage, même si le train est moins dangereux que l’automobile.

    Ça explique pourquoi il a fallu les arguments extraordinaires de mon pote pour que je consente à monter dans un horrible TGV à deux étages, à respirer cette immonde odeur de plastique, et à m’infliger ce décors bouffon de Christian Lacroix. J’espère que mon pote va m’accueillir comme l’année dernière avec une de ces brioches à la châtaigne émouvantes.

  • L'invitation

    L’été dernier, il avait fait très chaud et cela m’avait beaucoup gêné dans mon travail. Au bout de quelques minutes, je ruisselais de sueur et mes membres devenaient de plomb. Aussi ai-je prié cette année pour avoir le temps le plus froid possible.

    *

    Depuis trois semaines, je résiste à l’invitation d’un pote à venir me reposer auprès de lui dans la montagne. Ce matin, je cède à la tentation et je pars prendre un train Gare de Lyon avec un mince bagage.
    Il faut dire que mon pote s’est montré particulièrement persuasif ces derniers jours : « On ne saurait concevoir lieu de villégiature moins démocratique, en dehors de quelques troupeaux de moutons qui paissent çà et là, rien ne rappelle la bêtise de nos contemporains, (…) l’endroit est quasi-désertique et la Nature a conservé la plupart de ses droits, les sources sont pures. » ;
    ou encore : « Fin août, les bobos sont déjà las de l’Ile de Ré, du Lubéron, de la Corse, de la Baule ou de la Côte basque, et ils rentrent tous à Paris ; c’est la fin de l’exode : il est préférable pour ton équilibre mental que tu n’assistes pas à ce reflux écœurant, qui ne manquera pas de se prolonger par une débauche de “shopping” indécent, cris hystériques des femelles bobos faisant leurs courses en compagnie de leurs “partenaires” efféminés. »

    Enfin, et c’est ce qui m’a décidé : « Non loin de mon home est une institution jésuite en pleine décadence, les derniers membres de cette société spéciale ont un pied dans la tombe. Nul doute que Xavier de Jassu doit se retourner dans la sienne en voyant ce petit tas de vieux démocrates-chrétiens échanger des sophismes à l’ombre des conifères en fleur, dans l’air parfumé. (…) Mais, car il y a un mais, ces vieux barbons marmottants, vêtus de grisaille, tous les ans bradent leur bibliothèque, ayant perdu toute notion de la valeur des livres prophétiques, plus enclins à lire La Vie, Pèlerin magazine, Le Monde des religions ou Famille chrétienne, toute cette presse avec laquelle je ne me torcherais même pas le cul (…). Dans cette braderie, on peut tomber sur des pépites, des éditions originales non coupées de Péguy ou de Claudel pour un ou deux euros ! Imagine, si tu tombes sur le brûlot antisémite et paradoxal de Bloy, Lapinos - Salus ex judaeis est -, NON COUPÉ !… Quelle tête feras-tu ? »

    Enfer et damnation ! Mon sang ne fait qu’un tour et je me rue vers cet Eldorado. Vingt-cinq minutes porte à porte entre mon terrier et ma place dans le Tégévé !
    En espérant que l’air des montagnes me fera le même effet qu’à mon pote, car je me suis senti un peu émoussé, dernièrement.

  • Ultramodernité

    N’est-il pas vain, comme je m’apprête à le faire, de verser une page de Drieu La Rochelle, tirée de son "Journal" 39-45, dans le bordel public qu’est l'internet, machine à charrier des truismes et des lieux communs à une vitesse supersonique ? Bah, on ne sait jamais : le coup de la bouteille à la mer.
    (Toi qui est tenté de lire le dernier radotage insane de Maurice Dantec sur le 11 Septembre ou d’aller mater le dernier navet cinématographique de Michel Houellebecq, laisse-ça aux "autres" et lis plutôt le Journal de Pierre Drieu La Rochelle.)

    « Sous ce régime nous n’étions pas libres. Une certaine licence, diaboliquement portée vers la morne et monotone pente du désordre sexuel, faisait un rideau devant la profonde absence de liberté morale. On ne pouvait pas dire ce que l’on voulait dans la presse ni même dans les livres. Une censure sournoise et hypocrite se faisait par le concours spontané de tous ceux qui de près ou de loin servaient le régime, en attendaient des faveurs ou même simplement la plus sordide tranquillité.
    J’ai éprouvé cela tous les jours en plus de vingt ans de vie littéraire. Un certain ton de fierté, de mise en demeure était interdit.

    (…) Et la chose incroyable fut que ces gens qui avaient organisé la médiocrité, la somnolence, la perte du sens et la démission générale, brusquement voulurent tirer de cet amas de décombres une force de guerre. Les gens qui avaient tué toutes les vertus de l’esprit et du cœur chez les Français prétendirent les redresser soudain comme des guerriers capables de force, d’adresse et de sacrifice.

    Ce qui était le plus loin de toute connaissance politique sérieuse, de toute science de l’homme dans l’action - les Juifs, les clercs rationalistes, les journalistes de loge et de café, les politicailleurs de couloir appelèrent aux armes et au suprême dévouement. Les enjuponnés de la synagogue et de la loge, les braillards de congrès et de parlement poussèrent au combat ceux qu’ils avaient minutieusement désarmés depuis cinquante ans par les soins de leurs instituteurs et de leurs sorbonnards, de leurs journalistes et de leurs romanciers.

    Les apôtres de la faiblesse et de l’abandon, de la paix bêlante s’agitèrent soudain comme bellicistes à tout crin, fauteurs de bagarre, chercheurs de querelles slovaques ou polonaises.

    Les pauvres Français à qui on avait seriné que compte seule cette vie d’ici-bas et cette peau sans doublure spirituelle et l’apéro et la pêche à la ligne furent poussés vers la frontière sans avions, sans chars, derrière une demi-portion de ligne Maginot, avec la bénédiction d’un vieux président de la République ânonnant de peur et de responsabilité rentrée, d’un immonde d’ivrogne de Président du Conseil et de tant d’autres présidents avec pipe ou sans pipe - sans oublier la bénédiction des évêques que les maçons recrutèrent pour l’occasion.
    Et que peuvent dire pour se plaindre ces paysans et ces petits-bourgeois qui ont crevé sous les piqués d’avion et sous la chenille des chars ? Rien. Les gens qui les ont poussés à la boucherie, c’étaient ces députés qu’ils étaient si fiers d’élire tous les quatre ans - cette éjaculation électorale provoquée par les plus frauduleuses masturbations démagogiques leur donnant une si haute idée de leur virilité et de leur liberté.
    Tous ces imbéciles étaient fiers d’être gouvernés par des imbéciles qui n’eussent pas plus qu’eux d’imagination et de courage, d’audace et de persévérance. Chaque citoyen de France se réjouissait dans son cœur d’être sûr de n’avoir au-dessus de lui aucun supérieur. Ainsi se réalisait journellement le vice essentiel des Français qui après l’avarice est l’envie.
    Certes ils tiraient leurs chapeaux aux présidents, aux ministres, aux sénateurs, députés, etc. mais dans le fin fond de leur cœur ils se réjouissaient de n’avoir affaire qu’à des petits voleurs et non pas à de fiers et exigeants exacteurs. Seulement ces petits voleurs deux fois en vingt ans se sont révélés de grands assassins, de grands pourvoyeurs d’abattoirs, des équarrisseurs très exacts et très épuisants.
    Le petit-bourgeois, le fils du peuple envoie à la mort quand il est ministre aussi bien et mieux que le noble et le prince. L’instituteur dans sa morgue rationaliste vous arrange un un tour de main une hécatombe d’un million d’hommes. L’orgie de sang de la IIIe République (après celle de la Ire) laisse loin derrière elle les Parcs aux Cerfs de la légende. »


    Samedi 22 juin 1940.

  • Splendeur de la Vérité

    Je me suis amusé, pour comparer, à feuilleter au même moment dans un supermarché un bouquin de BHL, American vertigo, rapport qui se veut circonstancié mais n’est que redondant d’une tournée de BHL en Amérique du Nord, essai avorton de science politique.
    Autant Drieu est visionnaire, puis, tout d’un coup, extrêmement poétique, d’une profonde mélancolie, autant BHL, malgré les airs de d’Artagnan qu’il se donne, est commun, sa cartographie des États-Unis n’a aucun relief - des courbes de niveaux tracées empiriquement.
    « Pendant que j'écris il pleut dehors ce qui est délicieux et la rose qui est dans le verre sur ma table semble reprendre vie. » Voilà Drieu qui dépasse en poésie Nimier et Brasillach, sans conteste. On peut chercher, on ne trouvera pas un once, pas un dollar de vrai lyrisme chez BHL.

    Pour le moment, l’image que j’ai de Drieu, c’est cette image contrastée, celle d’un croisé qui enfile son heaume bravement, après l’avoir bien astiqué, fait quelques moulinets avec son épée au-dessus de sa tête, et puis d’un coup s’effondre sur un tabouret, touché par le désespoir : il va devoir laisser sa mie derrière lui, et puis, surtout, les croisades sont terminées, la guerre se fait maintenant à l’aveuglette, à l'américaine, des bombardiers lâchent des bombes du ciel sur des civils, c'en est fini de la virilité guerrière.

    *

    Par exemple, Drieu, malgré les victoires épatantes d’Hitler au début de la guerre, reste assez lucide. L’espoir qu’il place en Hitler, qu’on peut voir alors comme la seule tentative de s’opposer à la morale crapoteuse des marchands et des agioteurs anglo-saxons, l’espoir de Drieu est faible. Non pas dans la victoire des Allemands, l’issue du conflit est incertaine en 1940, mais la bannière idéaliste brandie par le führer ne le trompe guère. Finalement, pour Drieu, Hitler est assez banal, pas si différent que ça de ses adversaires anglo-saxons (Pour Drieu, la France et les Français sont frappés de paralysie depuis 1870, neutralisés, velléitaires, manipulables) ; Hitler a été porté au pouvoir par l’oligarchie bancaire et industrielle de son pays, plus encore que par les urnes, et il se bat pour élargir l'espace économique et industriel allemand.
    Bref, Drieu se trompe parfois dans ses analyses, la force sournoise des soviétiques est difficile à évaluer, mais il est conscient des enjeux, des données, il sait le nombre des divisions par cœur, ce n'est pas comme les purs idéologues auxquels on a affaire désormais.
    Dire dès 1937 que Hitler est banal (Simone Weil le pensait aussi), c’est faire preuve de lucidité ; le dire seulement après la guerre comme Jeanne Arendt, après avoir baisouillé avec un des profs de philo. les plus navrants qui soit et les plus naïvement entiché d’Hitler, Martin Heidegger, petit bourgeois sans profondeur qui ne doit sa gloire qu’à sa nullité particulière, le dire après la guerre c’est un truisme. Le succès de Jeanne Arendt dans le public démocrate-chrétien est donc parfaitement logique. Les démocrates-chrétiens aiment se prosterner devant des truismes, ils confondent - volontairement - l’évidence du moment avec la Vérité, et préfèrent les publicitaires aux prophètes.
    (Quant à faire de Hitler la réincarnation de Satan comme Mgr Aron Lustiger ou tel journaliste yanki, afin de se faire bien voir des médias, c’est de la théologie à l’usage des gosses qui lisent Pomme d’Api… ou plutôt Harry Potter, car Pomme d’Api c’est quand même moins chiant qu’Harry Potter ou un sermon de Lustiger, n’est-ce pas ?)