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Lapinos - Page 152

  • Je pleure déjà

    Veillé devant ce reportage sur l'avortement diffusé sur une chaîne publique... Retour brutal à la "civilisation".

    Quand je parle d'une reprise des hostilités, c'est pas pour l'appeler de mes voeux, mais parce que la propagande ne me laisse aucun répit. Bien sûr, il y a encore de rares pacifistes à officier, comme Franck Ferrand sur Europe 1 ou ce pianiste brillant, Jean-François Zygel, qui propose une nouvelle émission musicale sur France 2, captivante, même pour moi qui préfère le silence... mais jusqu'à quand tolèrera-t-on qu'un Ferrand ou un Zygel se permette de faire ressortir ainsi par contraste la féroce ignorance de ses confrères ?

    Le reportage sur l'avortement était précédé d'un film de propagande en faveur du divorce, L'Amour au soleil (B. Botzolakis). A la fin, un couple âgé organise une boum pour l'anniversaire de la petite-fille, et ils en profitent pour annoncer leur divorce programmé. Enlacés. Ils se roulent même une pelle pour bien montrer que c'est par amour qu'ils divorcent, contrairement au préjugé qu'on pourrait avoir. Je me tape sur la cuisse. Je suis sensible au comique de propagande.

    Le reportage sur l'avortement était moins drôle - l'avortement du temps où il était illégal, histoire de démontrer qu'on a basculé depuis grâce à mesdames Veil et Neiertz dans un monde meilleur, plus hygiénique. Des femmes qui avaient avorté dans les années cinquante, soixante, soixante-dix, témoignaient. C'est toujours risqué les témoignages, même filmés. Ils auraient dû se contenter de faire parler des femmes qui avaient déjà eu plusieurs enfants. On pouvait comprendre plus facilement les motivations sociales, économiques, de ces femmes. Même si leur mépris pour les avorteurs ou les avorteuses qui s'enrichissaient en faisant un "sale boulot" n'est pas très logique. Elles croient peut-être que les obstétriciens font ça désormais par philantrophie, pour pas un rond ?

    Les témoignages de celles qui avaient avorté de leur premier enfant, qui déclaraient que la perspective d'un accouchement les avaient remplies d'horreur, carrément, m'ont laissé perplexe. Le truc frappant c'est qu'aucune ne parle du père, pas même un prénom, elles ne disent jamais "nous", même pas une accusation, un reproche, exactement comme si elles avaient attrapé une maladie se propageant dans l'air. Pas un mot sur leurs rapports sexuels non plus. Pas de contexte. C'est tout juste si l'une d'elle évoquait un vague "plaisir très cher payé".

    Là où ça vire quand même au cauchemar, c'est quand l'une, devenue militante active, après avoir elle-même avorté en Angleterre, raconte benoîtement comment elle se faisait un devoir d'assister un chirurgien et de laver dans une passoire les restes expulsés après le curetage, pour montrer à la patiente ce qui ne ressemble en fait qu'à de petits lambeaux de peau, pour la rassurer au cas où elle aurait des problèmes de conscience. Ouais, là, j'ai eu envie de pleurer. Peut-être même que j'ai pleuré, je me rappelle plus. Décidément, je suis beaucoup trop sensible, une vraie fillette.

     

     

  • Le sexe des moines

    A peine trois jours que je suis de retour à Paris et déjà je ne peux m'empêcher d'aborder un sujet trivial : la sexualité des moines.

    J'aime bien l'ombre douce des monastères, mais je ne suis pas dupe, je sais que j'ai un tempérament trop... disons belliqueux, pour m'accommoder de vivre en communauté.

    L'aptitude aussi des moines à se passer complètement des femmes ne peut que fasciner un misogyne comme moi, imparfait. Bien sûr, il y a parmi ces moines un certain nombre de pédés qui doivent sublimer leur goût sexuel en amitié virile, mais ce n'est pas le cas de tous, évidemment, j'ai pu entrevoir des personnalités plus rabelaisiennes.

    Je m'en veux un peu, je le répète, de me poser une question aussi saugrenue sous une voûte romane. Je crois y échapper en me réfugiant dans la lecture au pied d'un chêne-liège. Craignant de ne ne trouver dans la bibliothèque des moines que des ouvrages trop compliqués pour moi, j'ai emporté quelques bouquins persos, les Ecrits sur l'art de Baudelaire, comme je veux réfuter sa distinction par trop arbitraire entre "coloristes" et "dessinateurs", Une Guerre au couteau de J.-P. Angelleli, et Le Siècle de 1914, un essai de D. Venner, le fameux historien-poète-guerrier-autodidacte.

    Mais dans l'ébauche de portrait de Delacroix que trace Baudelaire, ce petit extrait me ramène à mes sottes réflexions - quasi-anachroniques :

    "Sans doute il [Delacroix] avait beaucoup aimé la femme aux heures agitées de sa jeunesse. Qui n'a pas trop sacrifié à cette idole redoutable ? Et qui ne sait que ce sont justement ceux qui l'ont la mieux servie qui s'en plaignent le plus ? Mais longtemps déjà avant sa fin, il avait exclu la femme de sa vie. Musulman, il ne l'eût peut-être pas chassée de sa mosquée, mais il se fût étonné de l'y voir entrer, ne comprenant pas bien quelle sorte de conversation elle peut tenir avec Allah.

    En cette question, comme en beaucoup d'autres, l'idée orientale prenait en lui vivement et despotiquement le dessus. Il considérait la femme comme un objet d'art, délicieux et propre à exciter l'esprit, mais un objet d'art désobéissant et troublant, si on lui livre le seuil du coeur, et dévorant gloutonnement le temps et les forces."

  • Reprise des hostilités

    J'ai un peu craqué, j'avoue. J'ai fui, je me suis retiré quelques jours en Combrailles, auprès d'un monastère bénédictin. Les psaumes en latin, le silence, l'anonymat, tout ça est réconfortant. Et pas un seul bobo à l'horizon ! La détente complète, quoi.

     

    Paris, c’est très joli, il y a tout ce qui faut, la peinture classique du Louvre, de jolies femmes, de bons restaurants, des librairies, mais je finissais par me sentir un peu assiégé, tout de même.

     

    J’ai pu communier à la “nostalgie du Moyen-âge” des moines, c’est-à-dire l’aversion pour les gadgets et une certaine lenteur indispensable pour accomplir de belles choses. Sauf au réfectoire. Ils bouffent trop vite. C’est mauvais pour la digestion quand on est pas habitué. Très nette cette nostalgie chez certains, surtout le frère Guillaume, venu de l’Arizona, habitué à l’inconfort de la campagne mais pas à l’architecture romane. Pétrifié d'admiration, il est.

     

    Avec ça un peu de “lapining” pour me défouler, ce sport dont je suis adepte depuis ma prime enfance, qui consiste à gambader joyeusement dans les fourrés, par-dessus les clôtures et les rochers, à dévaler les pentes - certains préfèrent l'expression plus martiale d'“azimut brutal”.

  • Étuvé

    L'aversion instinctive des artisans et des artistes vis-à-vis de la modernité tient au fait qu'elle est très peu fiable et elle complique beaucoup l'existence.

    Je veux parler de ces murs en briques ou en béton qui protègent pas de la chaleur : faut installer la climatisation qui tombe en rade une fois sur deux et les centrales nucléaires ne suffisent pas à fournir toute l'énergie que ces stupides machines pompent - on est forcés d'acheter de l'électricité à l'étranger !

    La modernité, c'est bon pour les jean-foutres, les gens pas très sérieux, le genre qui se promène avec un i-pod dans l'oreille, ou pour les philosophes encore, qui s'accommodent de tout, qui bouffent à tous les râteliers pourvu qu'on les laisse jouer avec leurs mots-croisés.

    La modernité elle s'use très vite aussi, et ça c'est une note d'espoir… Putain, en attendant, qu'est-ce qu'il fait laid !

  • La France en noir et blanc

    Petite séance de cinoche hier soir chez moi. Je regarde Le Chagrin et la Pitié de Marcel Ophüls qu'on m'a offert - et vivement recommandé, sachant mes réticences vis-à-vis du cinéma.
    Mon alibi c'est qu'il faisait un peu trop chaud pour bosser dans mon appart', surtout après avoir enfourné quatre cannellonis dans mon four hyperpuissant. Quel couillon !

    Je regarde ces images d'archive avec intérêt quand même, je dois admettre. On apprend en effet dans Le Chagrin que Mendès-France a beaucoup plus d'humour que Laurent Fabius, mais pas seulement.

    On n'en fait plus beaucoup des documentaires comme ça. Ophüls se contente en effet d'aiguiller le spectateur vers ses idées préconçues sur l'antisémitisme viscéral des Français et l'utilité de l'éradiquer en tournant des films, mais il le laisse quand même libre de tirer ses propres conclusions. Tandis qu'aujourd'hui on a basculé dans la manipulation grossière, les bobos applaudissent les tripatouillages de Karl Zéro ou de Michaël Moore (ou de Spielberg, pour les gosses) comme si c'était de véritables "œuvres", on ne se soucie même plus de paraître "objectif". Les cervelles sont préparées, on n'a plus qu'à y déposer les petits principes manichéens qu'on veut et à refermer la boîte.

    Avec Ophüls, je me sens encore libre de préférer le personnage de l'ancien capitaine de la wehrmacht qui ne regrette rien, par exemple.
    Qu'il regrette rien, jusque-là c'est facile à comprendre : son boulot c'était d'être soldat, et après tout c'est un boulot plus honnête que journaliste ou politicien. Non, là où il m'épate vraiment, mon capitaine, c'est qu'il a le culot de pas céder de terrain face au journaliste qui voudrait bien que le méchant perdant se mette à genoux et balbutie une ppetite repentance toute faite. Allez, ça mange pas de pain et ça donne toujours au gars devant son écran un sentiment superficiel de justice et puis que tout est bien qui finit bien… Niet ! Le type est pas Boche pour rien : la wehrmacht meurt mais ne se rend pas.

    Ophüls essaie bien de le rendre caricatural, ce capitaine allemand, et c'est pas trop difficile vu la germanophobie du public français en général, mais il se défend, le bougre, il est tenace, il s'accroche à ses médailles et à sa bravoure. Il regrette que d'avoir perdu la guerre en définitive, et c'est logique. Il trouve pas la civilisation yankie ni la civilisation soviétique qui l'ont vaincu particulièrement édifiantes (Je rappelle que le reportage d'Ophüls date de 1969, depuis quelques voix se sont élevées pour contredire la version en vogue en France à la fin des années soixante selon laquelle l'Union soviétique était en passe de devenir un pays de cocagne laïc.)

    L'impression que laisse cette séance est une impression de dégoût, très nette. Dégoût des Français bien plus que des Boches. Même les Résistants sont pas reluisants. Cet ex-colonel fantoche de la Résistance qui emmène l'équipe d'Ophüls sur les lieux de ses exploits passés, dans sa grosse Mercedes, a beau avoir une gouaille paysanne sympathique, en fait d'exploit il se souvient que de la tentative désespérée de trois gamins de son équipe d'échapper aux soldats Allemands. Ceux-ci ont déboulé à l'improviste dans le village tenu par le "colonel", en son absence, pendant qu'il était en vadrouille dans la cambrousse avec son "état-major". Un véritable officier se vanterait pas d'avoir perdu trois "hommes" aussi bêtement.

    Il semblerait que l'exaltation du martyre juif puisse pas se faire sans que la France soit traînée dans la boue.

  • Dans Paris libéré

    Fortes chaleurs. Mais dans Paris enfin libéré des bobos, je respire beaucoup mieux. Je me prends à espérer qu'un tsounami les emporte, eux et leurs gadgets… Si Paris pouvait rester à jamais une ville peuplée de touristes allemandes !

    Je ne désespère plus de dénicher la rousse idéale qui posera pour moi, ma "Lizzie". L'idée m'est en effet venue de la remplacer par un nègre. J'en ai repéré un l'autre jour, planté à quelques mètres de sa bagnole d'où sortaient quelques notes d'un rap quelconque, qui ferait l'affaire. Fier comme Artaban, il exhibait son torse nu au soleil sur le trottoir et cette occupation, écouter du rap à poil, n'avait pas l'air de l'ennuyer.

    Vu qu'il a l'air assez désœuvré, donc, je vais aller le trouver pour lui proposer de poser pour moi. Je pense pouvoir le convaincre avec une offre assortie de quelques compliments sincères sur son anatomie exceptionnelle - il ne ressemble pas à un de ces singes qui ressortent les muscles déformés des salles de musculation, vous voyez le genre ?

    Naturellement, je connais les préjugés que peuvent avoir certains nègres vis-à-vis des pédés, et je n'ai pas l'intention d'aborder ce type sans lui annoncer franchement la couleur, que je n'ai jamais eu envie de me faire enculer ni d'enculer personne et que c'est pas lui, malgré son physique avantageux, qui me fera changer d'opinion.

    C'est que si je veux l'amener à se foutre à poil devant moi pour une poignée d'euros, j'ai intérêt à me montrer plus diplomate que d'habitude. Il y en a qui ont des reflets bleus, celui-là en a des rouges.

  • Une muse sinon rien

    Par cette chaleur, je m’efforce de porter un regard intéressé sur les jolies femmes, ça m’aide à garder mon sang-froid. Suffit que je me pose la question de savoir si telle ou telle aurait l’aptitude pour poser pour une Vierge, une Marie-Madeleine, ou un morceau plus profane, pour que mon enthousiasme retombe un peu. Assez pour pas dire ou faire une connerie.
    Celle-ci, en bermuda moulant, alors que je me serais enflammé pas plus tard que l’hiver dernier pour ses yeux, je l’inspecte de la tête aux pieds et je finis par lui trouver une disgrâce, une démarche pataude, des gestes brusques, un truc rédhibitoire. Et comme la rousse idéale, à la fois élancée et charnue, à la peau d’albâtre, ne croise pas souvent ma route…

    La petite anecdote qui suit me paraît propre à expliquer à quoi tient la hargne féroce des féministes à l’encontre des derniers misogynes, alors même que les hommes sont réduits désormais à échanger entre eux discrètement quelques vannes vaseuses sur la cupidité ou la jalousie des femmes, voire à noyer ce qui leur reste de virilité dans l’alcool.

    Je matais deux jeunes Anglaises dernièrement à la piscine, justement d’un regard froid. Concentré, j’en oubliais tout le reste, j’inclinais la tête, hochais les épaules, croquais ces filles en mon for intérieur - je les soupesais comme on soupèse des modèles dûment rétribués, quand la plus effrontée des deux fonce vers moi, l’air agressif, s’arrête à deux brasses et me somme de lui fournir une explication sur mes regards appuyés en fronçant les sourcils et en encensant pour m’impressionner. J’ai eu qu’une phrase à dire pour désarmorcer le courroux de la miss : « But it’s just because you are pretty! », et la voilà qui se met à glousser et à se rengorger. Et sa copine qui s’y met à son tour, rassurée sur mes intentions purement esthétiques.

    Voilà pourquoi les chiennes de garde sont aux abois. Elles savent bien qu’un petit compliment ou un clin d’œil peuvent suffir à démolir tout le féminisme d’une gonzesse. Une femme c’est pas fiable idéologiquement, surtout quand elle est pas laide. Conséquence que je tire : les pires féministes sont des hommes (et parmi eux un certain nombre de prêtres).

  • Malgré la canicule

    L’empressement de Chirac à se couvrir de la gloire de Zidane à Berlin, puis à se couvrir de l’innocence de Dreyfus à Paris… toute ces déplacements de notre Président, joyeux vieillard ingambe malgré la canicule, me font douter qu’il se résigne à partir à la retraite.
    Il ne rêve que de faire mordre la poussière au premier de la classe, le petit Nicolas Sarkozy, quitte à léguer son sceptre à Ségolène, pour être galant jusqu’au bout. Cette analyse politique me séduit.

    À propos de l’innocence de Dreyfus, le vicomte de V., qui a un peu de sang juif, me fait remarquer à la terrasse d’un café que si cette innocence est à peu près établie en ce qui concerne les faits dont il était principalement accusé, cela ne signifie pas son innocence complète. La justice des hommes a peut-être été trop prompte à peindre en blanc ce qu’elle avait peint en noir la veille ? Les maîtresses de Dreyfus, son goût pour les jeux d’argent ne le rendaient-ils pas facilement corruptible ?

    Je trouve que mon ami le vicomte de V. abuse de sa position ! Sous prétexte qu’il a une grand-mère juive, il peut énoncer à haute voix ses opinions, et moi je suis à la merci du premier délateur venu au cas où je franchirais la ligne rouge ? Quelle injustice ! Je lui pardonne parce qu’il est peut-être le dernier Français juif à avoir de l’humour.

    Pour moi, je préfère m’en tenir à la présomption d’innocence de Dreyfus. Pas le temps pour me faire une opinion particulière en me plongeant dans les milliers de pages des opportunes biographies qui lui sont consacrées.

    Pourquoi autant de pages, bon sang, est-il si difficile que ça à discupler, Dreyfus ?

  • L'anti-journal d'Elkkabach

    • Petite noblesse : le vicomte de Villiers, heureux qu'on lui tende enfin un micro sur "Europe 1" pour s'exprimer sur sa vision du foot. Il songe à rebaptiser son club de supporteurs "Mouvement pour le foot".

    • Démocratie : vingt millions de téléspectateurs qui veulent forcer les quarante millions restants à se réjouir devant leur poste.

    • Ferveur : l'indice de ferveur est actuellement de cinq morts en France. On est encore loin du score obtenu à La Mecque.

    • Catch : il paraît qu'il y a seulement une poignée de supporteurs de catch à croire encore que les matchs de catch ne sont pas truqués. Plus naïf, tu meurs… ou tu cries « Allez Zizou ! »

    • Italiens : peuple d'Europe du Sud à peine sorti du fascisme ; Berlusconi a encore quelques-uns de ses hommes dans l'équipe nationale : No pasaran !

  • Didier, Pierre, Sébastien, etc.

    • Didier s’est marié alors que Delphine était déjà enceinte. Elle voulait pas qu’il l’épouse sous l’emprise du devoir, de son point de vue à elle c’était une mauvaise idée. Mais Didier avait le sens du devoir trop aiguisé, il a passé outre cette objection.
    La première fois que Didier a voulu échapper un peu à la promiscuité de la vie moderne qu’il menait dans le XVIIe arrondissement de Paris avec sa femme et son fils - escapade avec une jeune préposée de passage -, sa femme en a profité à son retour pour grimper sur un perchoir de moralité en soulevant sa robe à fleurs, et, de là-haut, elle lui a tenu un discours nettement condescendant, comme si c’était un gosse qui se branlait trop souvent après le couvre-feu, et elle sa mère ! Didier n’a pas supporté longtemps ce ton : il a dû se résoudre à trahir son devoir et à demander le divorce.

    • Quant à Pierre, pas loin d’être aussi critique que moi à l’égard de l’Église, qui envoie de jeunes innocents au massacre matrimonial en se contentant de leur bourrer le trousseau avec quelques slogans pseudo-évangéliques, quelques trucs et astuces psychologiques, il voulait juste pas qu’on puisse l’accuser d’avoir trahi son camp. Il avait la fleur au fusil, mais c’était juste pour la photo. Je suis sensible à l’argument du patriotisme religieux, mais il semble que le divorce de Pierre en cours ne lui donne pas entièrement raison. « À moins que je parvienne à convertir mon divorce en annulation de mariage !… Mais autrefois il suffisait de graisser la patte de l’official, aujourd’hui il faut le séduire, le draguer. C’est dégueulasse… » J’ai rien répondu pour une fois, je me suis contenté de hocher la tête et de remplir son verre.

    • Sébastien est un cas un peu à part. Un gars spontané, peintre impressionniste. La théologie moderne, il s’en tamponne le coquillard. Pas assez sensuelle. Ce qui l’a rapproché de l’autel où son union a été célébrée, par un vendredi très froid de novembre, la nef était entièrement blanche, fraîchement ravalée, l’impression de pureté bien rendue, Séverine la mariée que je découvrais pour la première fois, elle, était d’une finesse de bouche et de jambes remarquable, je crois pouvoir dire que c’est la peinture, les grands maîtres, les caravagesques surtout.
    Les grands sermons n’avaient pas beaucoup d’effet sur mon pote, mais un tableau de trois mètres sur deux, il se sentait tout minable à côté. L’humilité lui nouait la gorge, le mettait à genoux.
    Séverine était violoniste, elle, aussi le jeune vicaire a-t-il beaucoup abusé de métaphores artistiques dans son homélie romantique. Sébastien et Séverine ont conjointement demandé le divorce au bout de six mois. Pas le genre à se contenter de métaphores ?

    • Erwan, lui, s’est marié par intérêt avec une aristo toulousaine - petite noblesse -, assez riche pour subvenir à ses caprices. Moi, les foucades de mon pote Erwan m’ont toujours pas mal diverti, mais il n’y a jamais eu de contrat entre nous qui m’oblige à supporter ad vitam aeternam ses coups de fil en pleine nuit pour tenter de m’enrôler dans telle ou telle guérilla sud-américaine ou africaine. Le jour où j’en aurai ma claque de ses coups d’État, où il voudra déclencher une grande offensive informatique contre la Maison Blanche, je pourrai toujours dire stop, raccrocher et brûler tous les documents.
    Claire, elle, a pris la poudre d’escampette, un train en pleine nuit, pour rentrer chez ses parents. Elle est revenue un peu plus tard récupérer ses deux mômes.

    • Pour pas qu’on dise que c’est Lapinos qui porte la poisse, je me sens obligé de citer aussi le cas de mon pote Ludovic, qui n’a pas divorcé du tout. Bien sûr, je lui en veux un peu, à Ludovic, d’ailleurs, parce qu’avec son physique à la Alain Delon (en plus viril), ses onze enfants, il entretient un peu artificiellement le mythe de Tristan et Iseut, du Prince charmant (avec une grosse bite), il me donne tort.
    Mais Ludovic s’est marié très jeune parce qu’il avait très envie de baiser. On voit bien ce que son cas a d’exceptionnel.
    Je ne parle même pas de quelques autres couples que je fréquente plus ou moins, qui sont encore mariés, eux aussi. Parce que dès le départ ils ont montré un pragmatisme, un sens de la préservation de leurs intérêts très solide, ou bien on pouvait deviner une quasi-absence de besoins sexuels. Des mariages tout juste valides, en somme.

    On note que dans mon petit conciliabule de crise, je tiens à éviter autant que possible le style administratif ecclésiastique dont je suis pas un spécialiste, et à examiner le problème sous l’angle de la politique. Je sais bien qu’Aristote a moins la cote aujourd’hui que les paragnostiques ou les fumistes complets, mais je préfère m’en tenir au constat que l’homme est un animal politique et ne pas multiplier les références inutiles.
    Ma manière de présenter les quelques cas vivants ci-dessus peut manquer au goût de certains de neutralité. C’est que je ne crois pas beaucoup à la pensée neutre, je suis plutôt adepte de la théorie des pics et des saillies. La neutralité est un concept bio-physique. Il ne faut jamais faire confiance à la bio-physique pour régler un problème grave.

  • Mes divorces

    Je suis passé très vite de l’âge où tous mes potes se mariaient les uns après les autres, faisant fi de mes conseils amicaux de prudence, à l’âge où ils sont contraints désormais d’entamer de douloureuses procédures de divorce.
    Compte tenu de la crise de la féminité*, pas sûr que j’atteindrai l’étape suivante un jour, l’âge où ils se remarieront ! À vrai dire, je prie même pour que ça leur serve de leçon, que ce soit “la der des der”. Parce que moi, un homme aux prises avec des avocats et des magistrats, ça m’émeut comme l’hallali (Les femmes sont faites pour s’entendre avec la gent judiciaire, bavarde, procédurière, irrationnelle, en robe, mais les hommes se perdent facilement dans les arcanes de la Justice, eux.)

    Qu’est-ce qui a donc poussé mes potes à se jeter dans la gueule du loup, à se marier, au fait, je tâche de me rappeler aujourd'hui ? Il faudrait que j'examine leurs raisons spéciales, à Didier, Erwan, Pierre et Sébastien…

    Mais avant ça, je tiens à mettre les points sur les “i”, à préciser que mes potes ne sont pas des lopettes, qu’ils ont pas hésité à embrasser la logique maritale : après avoir rempli toutes les formalités civiles et religieuses, promis au maire, à leurs parents, à Dieu, etc., zou, ils n’ont pas hésité à faire à leurs femmes autant de gosses qu’elles voulaient. Ils n’ont pas pris prétexte du trou dans la couche d’ozone ou de je ne sais quelle transformation hypothétique de la planète en pomme-de-terre radio-active pour se branler confortablement à l’intérieur de leurs gonzesses en attendant la fin du monde.
    Non, mes potes se sont mariés comme les pious-pious de 1914 montaient au front, la fleur au fusil, le sourire aux lèvres ! Et moi j’aimerais être leur général Pétain, quelque chose comme ça, mobiliser toute mon astuce pour éviter la débâcle totale, pendant que le Haut Commandement tire des plans sur la comète.


    *Bien sûr, je balaie d’un revers l’argument qu’inévitablement quelque bonne femme qui se targue d’être un peu cartésienne ne manquera pas de m’opposer, pour tenter de me déstabiliser, que la crise de la féminité se double d’une crise de la virilité. Mais de quoi et à qui croit-elle causer, cette féministe ? On ne peut pas être plus convaincu que moi que le commandement revient à l’homme. Et, par conséquent, si tout est parti en quenouille, a dégénéré jusqu'au "mariage gay", c'est forcément à l’homme qu'il faut l'imputer, il n'a pas su tenir son rang (l'homme en général, parce qu'en particulier il y a des cas de résistance héroïque notoires).
    Je ne m’inquiète pas de chercher des coupables mais de trouver une solution ou des remèdes. Dans cette perspective le redressement de la femme par l’homme me paraît être la seule voie- clouer le bec aux hystériques un préalable
    sine qua non.

  • Sous-humanité

    L’animateur d’Europe 1, Pierre-Louis Basset, voulant balayer définitivement le soupçon qui pèse sur l’internationale des supporteurs de foot d’être qu’un ramassis d’oblitérés, balance à ses compères sur le plateau, starlettes, politiciens et autres baveux qui tentent de s’approprier une parcelle de la gloire de l’Équipe de France, de sa voix gouailleuse :

    « Faut pas croire que le foot ça intéresse pas les intellos. Y’a même des écrivains qui aiment le foot, par exemple Philippe Claudel et Philippe Delerm ! »

    Ben je suis pas un spécialiste de la culture bobo, mais quand même, ça doit pas être difficile de trouver des arguments plus sérieux que Philippe Claudel et Philippe Delerm, si ?

  • Contre Barthes

    Archibald Haddock et Roland Barthes, hors leurs patronymes fumeux, ont ceci en commun : ils n’ont de cesse que de voler la vedette au personnage principal, sans complexe. Mais, d’aventure en aventure, la vraie nature du capitaine Haddock, qui passe d’abord pour un parasite aux yeux du public, reprend le dessus, et c’est celle d’un hobereau portant la culotte de cheval et le monocle avec élégance. En fouillant dans sa généalogie, on s’apercevra qu’Haddock est un authentique descendant de croisé wallon.
    Certains spécialistes estiment même que si Tintin est un jeune autodidacte qui suscite la sympathie de tous, c’est entendu, Haddock a quand même plus d’étoffe, de vocabulaire ; ils n’hésitent donc pas à conclure que c’est lui le véritable héros. Je me sens assez proche de cette école de pensée.

    Quoi qu’il en soit, Haddock me casse moins les couilles que Barthes, ce corneux coin-coin avec son bric-à-brac de concepts et ses plans ontologiques à la mords-moi-le-nœud. Au moins, les trouvailles d’Haddock sont réutilisables. Je dirais même plus, en cette période troublée où l’on est cerné de plus en plus près par les abrutis, où les clanculs par le monde triomphent, il ne faut pas hésiter à apprendre (par cœur !) quelques bordées d’injures bien salées à toutes fins utiles. J’ai une préférence pour l’assaisonnement suivant à partir de divers auteurs : « Analphabète diplômé ! Bachi-bouzouk ! Catachrèse ! Crétin des Pyrénées ! Enculoman sans horizon ! Demi-lopes ! Touristes ! Citoyens ! ».

    N. Sadoul et B. Peeters, enthousiastes tintinophiles patentés (ceci n’est pas une insulte), attribuent plus de deux cents jurons à Haddock. On ne prête qu’aux riches, mais “Cornichon”, “Saltimbanque”, voire “Brontosaure”, ont dû servir lorsqu’Archibald était encore dans ses langes et tétait son biberon de lait additionné d'une larme de whisky.

    J’ai refait le calcul. En fait, Haddock ne peut pas revendiquer la paternité de plus d’une centaine de jurons. C'est déjà pas mal, et le peintre Ensor, d’Ostende, ne lui arrive pas à la cheville, même si j’ai quand même relevé : “Démolisseur à suçoirs”, “Manifestant stérilisé”, “Édile en mal de bronze”, “Casse-rétine” et “Architecte”.

    Qu’importe au fond la diversité des espèces, chère aux écolos, cette bande d’anthropophages à la graisse de panda, ce qui compte, c’est la variété des jurons.
    Je vous garantis que le jour où plus aucun juron intelligent ne sera prononcé, le chaos sera proche.
    Il me semble que tout réac qui se respecte, qui tient à se démarquer des petits Barthes de carnaval, doit sans arrêt réinventer des jurons pour entretenir le stock de munitions. Aussi en ai-je moi-même fabriqué deux bonnes demi-douzaines avec le pressentiment de devoir les utiliser bientôt (“Narcisse tatoué”, “Hexagone des Bermudes”, “Photographe”, “Incendiaire en pyjama”, “Uhlan rose”, “Inspecteur des hergés”, “Particule élémentaire”, “Sinistre clone”, “Rappeur blanc”, “Bobo des Abbesses”, “Énarchiste”, “Four Micro-onde”, “Antiraciste diplômé”, “Bonobo à la graisse d’humain”, “Nycthémère”). N'hésitez-pas à me faire partager les vôtres.

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  • Pour votre autodéfense

    Mon ami von K., qui a pas mal bourlingué à travers le monde et qui me veut du bien, me téléphone l'autre soir. Le problème, c’est que von K. n’est pas le seul à me vouloir du bien. Il y a aussi Ariel qui tient absolument à me faire cadeau du superbe poignard kurde qui trône dans son salon. Et H. de B. qui m'a légué une petite parcelle de sa fortune.
    Or, j’avoue que le cartésien que je suis (je ne peux m’en empêcher) est mal à l’aise dans ce genre de situation, devant tant de générosité. Je n’offre en retour qu'une froide politesse, comme si je n’étais qu’un parent assez éloigné du bénéficiaire des largesses en question ; cependant j’essaie, sous ce masque, de découvrir l’explication. Ils voudraient m’acheter qu’ils ne s’y prendraient pas autrement. Mais acheter quoi ? Que je sache, je ne vaux pas grand-chose. À contrecœur, je me résigne à vivre avec ces épées de Damoclès qui pendouillent au-dessus de ma tête. Et, bien que je ne sois pas à proprement parler un moulin à prières, je mouds à leur intention une dizaine d’avé de temps à autre pour tâcher d’être un peu à la hauteur de leur sympathie.

    Cette fois, dans le combiné, von K. veut juste me mettre en garde. Il ne faut pas se laisser enfermer dans Paris, me dit-il, et tirer les leçons de l’Histoire ! Louis XIV savait que Paris peut se refermer très vite comme un piège ; il n’a pas fallu longtemps aux Communards pour mettre la capitale à feu et à sang ; De Gaulle a bien fait de mettre les bouts, etc. J’ai beau faire quelques objections, von K. n’en démord pas ; il va se barrer à Naples dès que possible. Je ne le désapprouve pas, cette fois, bien que je ne connaisse pas du tout Naples.

    Mais il ne raccrochera pas sans me donner quelques conseils. Comme il s’est égaré dans Harlem il y a quelques années et qu’il a bien failli y rester, il croit pouvoir m’indiquer une ligne de conduite à tenir en cas de tentative d’agression :

    « Lorsque l’agresseur est encore à quelques mètres et s’amène vers vous, menaçant, Lapinos, fixez-le au garrot sans rien dire comme un chien prêt à mordre. Ne répondez pas à ses questions indiscrètes. »

    « S’il s’approche à moins de deux mètres, mettez-vous en garde, une garde très haute, pas comme dans les films. Ne frappez pas avec les poings, un coup de coude dans le plexus ou sous le menton, en projetant votre coude en avant, peut amocher salement la canaille qui en veut à vos idéaux, ou, plus vraisemblablement, à votre veste en daim. »


    Quelqu’un qui ne serait pas en mesure de se défendre prendra soin de se promener toujours avec un billet de vingt euros dans la poche pour acheter sa tranquillité. Ni plus ni moins. Surtout, ne jamais trimballer d’arme blanche ou autre sur soi. C’est très désagréable de se faire casser la gueule mais beaucoup moins que d'avoir la police puis un tribunal sur le râble, sans compter un avocat.

    Je crois que si von K. se montre si généreux avec moi, c’est que je suis probablement la dernière personne à accepter d'écouter patiemment ses divagations pendant plus d’une heure au téléphone.
    Ouf, j'ai bien cru qu'il m'avait fait rater le documentaire sur l'étonnante mésaventure advenue au seconde classe Anthelme Mangin à la fin de la Grande guerre (et qui inspira Anouilh et Giraudoux dans les années trente). Je ne sais si j’aurais pu lui pardonner ça, à von K.

  • Armistice

    À l’heure de l’armistice, on peut s'amuser à compter les points, pour la petite Histoire :

    L’opposition comptait fort sur une bavure policière pour la tirer de l’ornière où son artillerie lourde s’était enlisée, elle en a été pour ses frais de campagne. Dans l’ensemble, la consigne de ne pas faire de grabuge fut appliquée avec fermeté par les forces de l’ordre. C’est à peine si quelques jeunes flics, frais émoulus de l’École de police, sans doute, et guère rompus à la tactique, ont fait semblant d’entamer des poursuites, voire d’armer leurs terribles flache-bôles. De poursuivants qu’ils étaient, ils se retrouvent poursuivis, c’est la loi dans ce genre de série.

    Le front de l’information, lui, n’a pas été percé à jour. Il faut dire que la troupe des journalistes forme un bloc aussi soudé que puissant ; que seul un Kamikaze aurait pu faire sauter. Ces francs-tireurs (on dit aussi "snaïpeurs"), auront su avec métier se jouer de la naïveté des deux camps, passer de l’un à l’autre sans se faire prendre, d’un même micro défendre l’assureur et le voyou. Aucune caméra n’a brûlé !

    Rolls-Royce, Jaguar et Mercedes, sans oublier BMW, feront valoir désormais qu’apparemment leurs chars sont mieux ignifugés. On n'en a guère vu cramer, en effet.

    Plus jamais ça, on dit dans ces cas-là, avant de se croiser les doigts. Mais attention, Villepin n’est pas Pyrrhus, puisqu’on vous dit que c’est Bonaparte ! Quinze ans de méditation, entrecoupée de brèves illuminations, au chevet de son patron, l’ont dégoûté de l’inaction. Après la nouvelle agence pour l'égalité, qui distribuera des cartes chances et des retours à la case départ sans passer par la prison, il a songé au cours d’une de ces nuits d’automne où il faisait doux comme en été, à un grand concours de drapeaux. Afin de remplacer l’ancien, conçu pour d’autres émeutiers, mais qui ne colle plus aux attentes de la génération montante.

    Je soumets d’ores et déjà mon projet. Black, blanc, beurre, il me paraît assez œcuménique pour représenter notre République (du blanc rosé, pour n’oublier aucune communauté).

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  • Le cadeau de Noël

    Il peut paraître prématuré, le 10 novembre au matin, de se préoccuper déjà de ses cadeaux de Noël. Je ne parle pas des cadeaux qu'on se réjouit à l'avance de découvrir dans ses propres souliers le soir du 24 décembre après la Messe de minuit au pied du sapin, ou, pour ne vexer personne, le 25 décembre au matin - je connais en effet des familles un peu anticonformistes mais nonobstant très "comme il faut" où c’est l’usage -, je ne parle pas de ces cadeaux-là, naturellement, mais des cadeaux que l'on envisage soi-même d'offrir à autrui. Bien sûr, on se prive ainsi de l’excuse classique : « Flûte, je suis sincèrement désolé, mais je n’ai justement plus un sou vaillant sur mon compte courant en ce moment… ». Mais comme on dit la prudence est mère de toutes les vertus, alors…

    Attardons-nous maintenant si vous le voulez bien sans plus tarder sur les raisons qui doivent inciter à offrir un livre plutôt qu’une boîte de chocolats, puis je vous dirai ensuite à quel livre en particulier je songe (À ce stade il me paraît utile de ne pas cacher mon plan plus longtemps.)

    Oui, vraiment, le meilleur choix est d’acheter un livre ! Car convenez qu’un livre, lorsqu’on s’y prend à l’avance comme moi - et vous, puisque je ne désespère pas complètement de vous avoir convaincus -, a beaucoup d’avantages. Par rapport à une bouteille de lait entier biologique ou microfiltré (celui-ci n’est pas mal non plus), un livre se conserve beaucoup plus longtemps, primo, et de deux vous passeriez pour un excentrique en faisant cadeau d’une bouteille de lait, même en Angleterre. Or, si un excentrique par-ci par-là ne peut nuire à la bonne marche en avant de la démocratie sur l'autoroute de la prospérité et du bonheur, eh bien de l’avis de tous les commentateurs, un surcroît d’excentriques dans ce pays conduirait inévitablement notre gouvernement pour y remédier à introduire une dose de dictature dans un système encore perfectible, certes, mais qui est quand même parvenu à circonscrire la guerre et les tremblements de terre dévastateurs aux reportages des journaux télévisés, les événements récents ne doivent pas nous le faire oublier.

    Le recueil de nouvelles en question, qui portent toutes la signature prestigieuse de Robert Benchley, ne compte pas beaucoup de pages, soixante-dix grand maximum, et son prix est en rapport (proportionnel) avec le nombre restreint de pages. Pour peu que vous fassiez preuve d’un peu d’amabilité et d’un peu de chance, une ravissante préposée vous l’emballera en outre gratis dans un paquet-cadeau avec un ruban. J’ai même fait pour ma part d’une pierre deux coups car j’en ai acheté cinq que je pense écouler assez facilement. Trois coups même si j'ose dire puisque la préposée a accepté mon invitation à prendre un verre demain après le travail.

    Lorsque vous aurez vous-même ce petit recueil tant vanté entre les mains, vous comprendrez immédiatement pourquoi on ne risque pas, avec lui, de tomber dans le piège classique qui s'ouvre sous les pieds de presque tous ceux qui offrent un livre à leurs amis à Noël plutôt que des marrons glacés. Attention tout de même d'ici là de ne pas le manipuler trop longtemps ou avec des mains grasses car l’encre qui a servi à imprimer l’illustration de couverture bave un peu. Or, si votre ami ne sera pas gêné que vous lui vantiez chaudement les mérites de l’ouvrage que vous lui offrez, il n’appréciera pas dans neuf cas sur dix que vous l’ayez vous-même visiblement feuilleté au préalable, non sans une certaine hypocrisie, car comment auriez vous pu lui en faire l'éloge sans l'avoir ne serait-ce que feuilleté un peu ? Ce qui me fait conclure que les gens traitent parfois les livres comme si c'étaient des marrons glacés (On ne doit jamais sucer ceux-ci avant de les offrir.)

    Le danger est en effet d’offrir un livre à quelqu’un qui n’aura pas le souffle de le lire et qui s’en mordra les lèvres lorsque vous le reverrez, à Pâques par exemple. Je sais bien que ça peut-être très amusant de causer d’un livre qu’on n’a pas lu, mais quand on vous prend par surprise ça peut aussi s'avérer très désagréable, je suppose que ça n’est pas arrivé qu’à moi le jour du baccalauréat.

    Pardonnez-moi mais je crois que malgré toutes les précautions que je prends, je suis un peu ambigu deux paragraphes plus haut lorsque j’évoque une “préposée”. Il fallait comprendre : “préposée à l’emballage des livres pour en faire des cadeaux de Noël dans la librairie”, et non pas : “préposée des Postes”. Car, que ce soit bien clair, il n’est pas prévu que vous puissiez être aimable avec cette dernière, ni même que cette amabilité dont vous ne parvenez peut-être pas à vous départir dans aucune circonstance puisse vous procurer un quelconque privilège dans ce qui est encore un Service public.

    Mais revenons à nos moutons (le temps passe vite). Ne levez pas le sourcil d’un air sceptique, il est prouvé depuis longtemps, le succès d’Harry Potter ne fait que le confirmer de manière éclatante, qu’il peut y avoir un hiatus entre le nombre d’exemplaires vendus d’un livre donné et le nombre de personnes qui le lisent réellement du début jusqu’à la fin. Avec ces cinq ou six nouvelles, vous ne risquez pas de vexer votre ami, car c’est bien le diable s’il n’en achève pas au moins une, Dormons-nous suffisamment ?, par exemple, qui m’a paru de prime abord la plus intéressante et qui ne fait en tout et pour tout que dix pages, cinq si l’on ne compte pas la version originale en anglais que l’éditeur, Le Rocher, a pris la précaution de faire figurer au regard de la traduction quitte à augmenter un peu le prix de l'ouvrage.

    Je me rends compte que j’ai failli occulter cet aspect des choses. Je ne saurais le négliger. Moi-même j'ai été un peu déstabilisé par cette petite particularité au début, je l'avoue, étant habitué depuis ma plus tendre enfance à lire le recto puis le verso des pages d'un livre. Je vous assure que vous auriez tort d’hésiter pour ça ! Il n'est pas mauvais de changer ses réflexes de temps en temps, cela peut ouvrir de nouvelles perspectives. Et puis il en va des livres comme des films en v.o., on en sort toujours avec la sensation grisante d’être plus ou moins bilingue et cultivé, sensation qui se dissipe dès qu’un ressortissant britannique vous demande dans sa langue maternelle le plus court chemin pour se rendre à la Gare du Nord et que vous lui demandez, à votre tour, de répéter sa question.

    Certains pourraient être tentés de renverser le problème, de voir dans cette publication simultanée une invitation à confronter l'original à sa traduction. Je me permets de leur rappeler deux choses : la première, c'est qu'il s'agit d'un cadeau de Noël, pas d'un exercice de maîtrise d'anglais ; la deuxième, c'est qu'il ne faut jamais rien entreprendre sans perdre de vue ces deux dictons qui tiennent un des tout premiers rangs dans la catégorie des dictons à mon humble avis : « Le mieux est l'ennemi du bien » et : « L'Enfer est pavé de bonnes intentions » - après, chacun se débrouille avec sa conscience.

    Voici maintenant un extrait tiré de la nouvelle intitulée Aux abris, pour achever de vous convaincre. Un extrait assez court puisque le recueil est bref :

    « Le mois prochain sera dur pour tous les gens dont la peau bleuit facilement car on annonce des pluies de météores. »

    Je ne peux m'empêcher de noter que bruise, de to bruise, qui signifie "meurtrir, contusionner, froisser", a été traduit par "bleuit", ce qui est très poétique, mais il n'est pas prouvé que Benchley ait voulu être poétique à ce moment-là, ni que toutes les peaux bleuissent lorsqu'elles sont meurtries par des météores. J'aurais plutôt traduit bruise par "marque", ce qui donne :
    « Le mois prochain sera dur pour tous les gens dont la peau marque facilement car on annonce des pluies de météores. » Mais ce qui est fait est fait.

    Inutile de me remercier pour tous ces conseils. N’est-il pas civique, en effet, lorsqu’on a la chance de disposer d’un minimum de logique et d'esprit critique, d’en faire profiter les gens autour de soi ?

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  • L'arrière tiendra

    On regrette parfois les décisions prises dans la hâte et la confusion. Et Villepin, si on ne peut s'empêcher d'admirer son mâle esprit de décision, la fermeté et la promptitude de sa riposte, en réclamant que soit créé sans barguigner plus longtemps un "Observatoire de l'égalité des chances", a peut-être manqué du sang-froid qui fit tant défaut à Napoléon lui-même (sauf peut-être à la fin de la campagne de Russie, lorsqu'il décida qu'on rentrait à la maison.)

    A-t-il seulement songé que son principal rival pour le moment, Nicolas Sarkozy, risque de lui réclamer vingt centimètres de plus, une belle mèche argentée, une paire d'yeux bleu acier, un timbre de voix chaleureux, un profil d'aiglon, et une boîte à coups tordus aussi bien garnie, au nom de l'égalité des chances, justement ?

    Il ne fallait pas s'attendre à ce que je traite de manière constructive cette stratégie. En effet, je crains beaucoup trop que du haut de cet "Observatoire" il ne me soit demandé des comptes pour toutes les chances que j'ai laissé passer, et Dieu sait que j'en ai laissé passer, pas seulement avec les filles. Toutes ces chances gaspillées, n'auraient-elles pas pu profiter à d'autres ?

    Et puis je suis sans doute un peu vexé que Villepin n'ait pas daigné me consulter. Je lui aurais donné ce conseil de transformer toutes les MJC qui n'ont pas brûlé en lupanars, de cesser de prendre ces gosses pour des niais en leur proposant des tables de ping-pong, des baby-foot et autres passe-temps pour gardiens de la paix.
    On irait chercher les filles sur les grands boulevards, ça tombe bien puisque les bobos en ont marre que ces putes les narguent sous leurs fenêtres ; on les inciterait juste à se syndiquer pour éviter les abus sexuels et on leur donnerait ce statut de demi-fonctionnaire que les agriculteurs n'honorent pas en manifestant sans arrêt contre Bruxelles. Toute cette testostérone mal employée serait dissoute immanquablement ! car ces filles de l'Est ont la réputation d'être de redoutables suceuses. On les tiendrait par les couilles, nos jeunes, puisqu'on n'a plus assez de pognon dans les caisses pour les envoyer tous aux sports d'hivers à Cortina, chez cet enfoiré de Berlusconi.

  • Post-scriptum

    Les récents débordements juvéniles déplorés avec toute la conviction et la sincérité de circonstance dans un pays aussi démocratique que républicain ont un peu occulté cette révélation de Jeanne Moreau : un beau jour, elle s'est retrouvée sous le bureau de Roger Nimier dans le cadre d'une plaisanterie que celui-ci voulait faire à Bernard de Fallois. Dès que j'en saurai un peu plus, je ne manquerai pas de vous tenir informés.

    J'ai appris ça de la bouche même de la belle Jeanne sur le plateau de Thierry Ardisson. On se demande bien qui pourrait disputer au révérendissime Thierry Ardisson le titre envié d'"Animateur le plus cultivé du PAF", « … et ce n'est pas difficile », ajoute-t-il avec sa modestie habituelle.

    Des révélations aussi sûrement dans Psychologies magazine, "le magazine de celles qui en ont dans la cervelle", puisque le dernier numéro est consacré à Johnny Halliday ; après tout, pourquoi Johnny n'aurait-il pas de psychologie, les oies ont bien un comportement, si on se fie à Konrad Lorenz.

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  • L'inconfort intellectuel

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    En passant devant la gare RER ce matin, je me félicitai d'avoir emporté avec moi mon bob kaki. Il me protégeait de ce petit crachin breton qui s'était mis à tomber vers huit heures, sans m'empêcher de lire dans le regard de tous ces banlieusards se bousculant pour regagner leur lieu de travail dans un arrondissement encore sûr au cœur de la capitale, la détresse en plus de l'habituelle apathie du lundi. Notamment dans le regard de cette banlieusarde blonde et qui portait des bas - à notre époque c'est devenu assez rare à la fraîche quand on n'exerce pas un métier qui l'exige pour le souligner.

    La petite lueur triste qui flottait dans ses yeux pers disait assez qu'elle avait dû perdre sa voiture au cours de ce week-end agité. J'imagine que c'est un modèle qui lui donnait toute satisfaction et dans lequel elle s'offrait le petit plaisir grisant d'une pointe de vitesse à 160 km/h le dimanche lorsque les gendarmes étaient au repos, pour aller voir sa mère à Sens ou à Orléans.
    J'aurais voulu la consoler, lui dire qu'elle n'était pas la seule, que des milliers d'honnêtes citoyens comme elle avaient perdu leur moyen de locomotion préféré dans les mêmes circonstances dramatiques, que tous ceux qui avaient négligé de prendre une assurance multirisque partageaient son désarroi…

    Il ne paraît pas abusif de qualifier ces événements de "tragédie nationale". Car si la France d'en-bas est désemparée, que dire de tous ces responsables politiques pris au piège ? Ils pensaient que les subventions pour acheter des tables de ping-pong, des tables de mixage, etc. (tout ce sur quoi on peut tabler pour distraire un jeune adolescent d'origine maghrébine dans un contexte difficile), suffiraient à leur assurer un minimum de marge de manœuvres jusqu'aux prochaines échéances et qu'ensuite on aviserait… Leur avenir s'annonce beaucoup moins rose ou bleu désormais, selon l'étiquette, et la carrière de certains prend une tournure incertaine.

    Même l'opposition est gênée pour tenir des discours de progrès, c'est dire ! On ne comprendrait pas qu'elle réclame que les CRS fassent usage de leurs matraques, seule solution pratique pour dissuader rapidement ces gamins de continuer à s'en prendre à un des droits fondamentaux de la République moderne : la propriété privée à crédit. Ce serait en effet, quelque part, collaborer avec les forces du mal que les CRS incarnent malgré eux depuis 1968.

    Ayons aussi une pensée pour les journalistes, la situation d'inconfort intellectuel dans laquelle ils se retrouvent ! Ils annonçaient la grippe aviaire, et c'est la fièvre du samedi soir qui se propage dans tout le pays…
    Et puis ils sont trop intelligents pour ne pas sentir le reproche qu'on pourrait leur faire d'exciter cette "jeunesse des banlieues" en lui tendant des micros et des caméras. Celles-ci furent conçues tout de même à l'origine pour qu'on fasse le pitre devant dans le but d'amuser la galerie (songez aux Frères Lumières).

    Je n'ose même pas imaginer la situation de nos brillants éditorialistes, de Jacques Julliard en passant par Claude Imbert, François-Régis Hutin, Bertrand Poirot-Delpech, etc., etc. Tout ce gratin de signatures prestigieuses va être bien embêté pour résumer cette situation complexe à son lectorat et lui donner à penser le restant de la semaine au-delà du banal fait divers.

    Ah, si le Général avait été là !! Lui au moins se serait précipité à Baden-Baden avec son État-major pour organiser la Résistance contre cette chienlit !

  • Ça sent la crème !

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    À l’heure où je vous parle, des jeunes gens photographient en gros plan, au zoom, comme si de rien n'était, des crèmes brûlées et des ampoules dans leurs appartements en ville, et ils se couchent le soir contents d'eux.

    À part moi, qui songerait à les punir pour ça ? Comment voulez-vous que quelques adolescents excités qui s'amusent au gendarme et au voleur et font flamber tires et chignoles, sans distinction de couleur ni de marque, en comparaison, ça m'émeuve ? Et puis le feu, c'est très beau :

    « Les beurs ont mis la flamme à la banlieue miteuse,
    Écoutez chanter l'âme qui palpite en eux !
    REFRAIN : Monte flamme légère, feu de ferraille si chaud si bon,
    À Clichy ou à Montfermeil, monte encore et monte donc ! »


    Malheureusement, on n'a pas appris à ces pauvres enfants à chanter, on a préféré leur raconter des petits contes moraux à se droguer toute la journée.

    Je crois qu'on trouve dans Gombrowicz une ébauche d'explication didactique au drame des jeunes qui photographient des crèmes brûlées, lisez-plutôt :

    « J’avais pris le train à Cmielow et à Bodzechow, la gare suivante, monta un de mes oncles, un homme déjà âgé, propriétaire terrien de la région de Sandomierz. Il se rendait à Varsovie et s’assit à côté de moi dans un compartiment de première classe bondé, car à l’époque on voyageait comme on pouvait et personne ne prenait garde aux classes. Mon oncle était un excellent tireur et nous parlâmes de chasse, un sujet sur lequel je n’avais guère de notions. Subitement, mon oncle regarda autour de lui et dit, sans trop élever la voix mais distinctement :
    - Sortez s’il-vous-plaît.
    Nos compagnons de voyage le regardèrent d’un air surpris. Alors mon oncle mit la main dans sa poche, en ressortit un pistolet, l’arma et répéta, toujours sans hausser le ton :
    - Sortez, s’il-vous-plaît.
    Cette fois, le compartiment se vida en un clin d’œil. Un brouhaha s’éleva dans le couloir, on appela le conducteur, des femmes se mirent à pleurer. Mon oncle referma la porte du compartiment et dit avec un clin d’œil espiègle :
    - Enfin un peu de place. Il y avait une telle cohue que je ne savais pas ce que je disais. Ça ne va pas trop bien…, mes nerfs…, je n’arrive plus à dormir, je vais justement à Varsovie pour que ça s’améliore, car si ça continue mon état ne peut qu’empirer…
    Je compris : il était devenu fou. Il était devenu fou et il allait tirer si on le provoquait… J’étais inondé de sueur.

    À mon avis les gens simples ont sur nous cette supériorité qu’ils vivent une vie naturelle. Ils ont des besoins élémentaires, qui font que leurs valeurs sont simples, vraies, honnêtes. Par exemple : un homme simple a faim, donc le pain sera pour lui une valeur.
    Tandis que pour un homme riche le pain n’est plus une valeur puisqu’il en a à satiété. Nous vivons une vie trop facile, artificielle. Nous n’avons pas besoin de lutter pour survivre, et inventons donc des besoins artificiels. Ainsi les cigarettes peuvent-elles devenir une valeur - ou la généalogie, ou les lévriers… Cet artifice des besoins provoque l’artifice de la forme - c’est pour cela que nous sommes si extravagants et qu’il nous est difficile de trouver le ton juste…

    (…) c’était grâce à un pistolet chargé que j’avais conçu cette dialectique des besoins et des valeurs - comme auraient dit les marxistes (…).


    In : Souvenirs de Pologne, 1984.