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Lapinos - Page 27

  • Rentrée littéraire

    La puérilité des lettres françaises se concentre dans le phénomène de la "rentrée littéraire". La phénoménologie de l'esprit chère aux philosophes en costard-cravate n'est pas très éloignée, en fait, de la foire commerciale.

    Il s'agit d'être placé en tête de gondole. Valérie Trierweiler dame cette année le pion à la concurrence et berne ainsi le milieu littéraire avec une histoire de chair crue. Les plus "fair-play" ont reconnu qu'en matière de bovarysme, à quoi la littérature bourgeoise se résout, il fallait bien accorder la palme à l'Autrichienne de service.

    L'oisiveté est mère de tous les vices, et le problème c'est que le vice est aussi ennuyeux que la vertu, il suffit de lire Sade ou de fréquenter les salles de cinéma pour s'en rendre compte. Seul le christianisme remet vraiment en cause la vertu, puisque le vice, lui, ne peut pas se passer d'elle pour exister.

    Depuis quelques années, certains plumitifs ont eu l'idée de rehausser leur prose d'allusions chrétiennes, comme on verse un peu de vin dans son eau de rose pour renforcer la couleur. Il faut dire que le catholicisme a presque le parfum du vice en ces temps de moraline laïque ou hygiéniste. Ou bien est-ce parce que les bonnes femmes achètent 80% de la production de nouveaux romans et qu'elles aiment un doigt de foi pour allonger le stupre ?

    Il y a un an ou deux, ce fut un "Sermon sur la Chute de Rome" qui fut ainsi primé, empruntant à saint Augustin son titre. Dans ce sermon, le théologien explique la raison sacrée de l'indifférence des chrétiens à l'égard de la civilisation, en l'occurrence de l'Empire romain à l'agonie [qui de toutes façons n'avait jamais été grand que par la taille, comme la Russie ou les Etats-Unis]. On voit que l'Eglise romaine a, depuis, entièrement adapté sa théologie aux circonstances, puisque après le Boche de l'école de Francfort, radié pour ses médiocres résultats en termes de propagande, le nouveau pape François est sur le point d'aller se faire baiser l'anneau par les représentants de la ploutocratie européenne réunis à Bruxelles. L'anthropologie chrétienne vise à neutraliser l'Esprit de l'apocalypse, si fort que Satan ne peut l'affronter selon les règles de la guerre conventionnelle, mais doit passer par le maquillage moderne.

    Cette année, Emmanuel Carrère dans le "Royaume" évoque sa lecture de l'évangile de Luc, son athéisme primitif, puis sa conversion, puis son retour à l'athéisme. Comme certains théologiens chrétiens le notent, y compris de médiocres, la foi n'est pas un thème chrétien, puisque la question du salut chrétien éclipse celle de la foi en dieu. Le problème de la foi en dit beaucoup plus long sur la bourgeoisie. La question de la foi concerne beaucoup plus Satan et ses sectateurs, épris par exemple de culture latine. Par exemple : Nitezsche a-t-il vraiment foi dans Satan ? La réponse est : relativement, oui. La doctrine satanique de Nietzsche est en grande partie le fruit d'une illumination ou d'une exaltation religieuse démoniaque.

    E. Carrère : "La comparaison entre le christianisme et le marxisme-léninisme (...) vient d'autant plus facilement à l'esprit qu'il s'agit dans les deux cas d'une forme de religion, avec une visée millénariste, se présentant comme l'avant-garde d'une mutation de l'humanité (...) Les lettres de Paul sont des textes mystiques, bien sûr, mais aussi politiques."

    Notations superficielles pour quelqu'un qui prétend avoir lu attentivement pendant trois ans d'affilé les évangiles une ou deux heures par jour. Lénine fit déjà le parallèle lui-même, non pas entre le marxisme-léninisme et le christianisme, mais plus exactement entre le socialisme soviétique et la religion d'Etat catholique au XVIIe siècle. On voit qu'E. Carrère est obsédé par la politique, et que la religion qui pointe le plus le néant spirituel de l'activité politique ne l'a en rien débarrassé de son obsession. Entre la forme civile du christianisme et les évangiles, il y a un gouffre, dans lequel Paul de Tarse ne tombe pas, dissuasif au contraire de croire dans le "salut par les oeuvres".

    E. Carrère : "(...) Sans parler du concept d'un dieu crucifié, à l'opposé des dieux grecs auxquels il est tellement plus facile de s'identifier, avec leurs passions et leurs comportements qui ressemblent tant à ceux des hommes."

    Ici l'écrivain feint d'ignorer que c'est le Christ ressuscité que les chrétiens s'efforcent d'imiter, reprenant le poncif néo-païen d'un christianisme masochiste. Son point de vue sur la religion grecque est d'ailleurs tout aussi débile, puisqu'il en fait presque une religion romantique.

    Il va de soi que si dieu n'existe pas, la foi dans l'homme et ses oeuvres devient primordiale, la moindre brève de comptoir mérite d'être recueillie. 

     

     

     

  • Le plan de Satan

    L'Eglise (L.-F. Céline) ou la démocratie judéo-chrétienne détestée, en tant que discours religieux dominant, il ne fait aucun doute pour un chrétien que c'est là le plan de Satan, car c'est en tant que doctrine sociale que le christianisme est le plus haï ; or c'est à cause de son anarchisme que les pharisiens et les veuves ont comploté contre le christ Jésus et l'ont mis à mort.

     

  • Dans la Matrice

    L'amour est tout aussi improbable que dieu, mais il est apparemment plus flatteur pour l'esprit humain de croire que l'amour existe. Y a-t-il religion plus idiote à travers les âges que celle des chanteurs chantant l'amour sur tous les tons ?

  • Humain, trop humain

    Rien de plus humain que le néant, l'infini, les nombres irrationnels, la perspective, et donc l'architecture et la géométrie algébrique moderne. Descartes a ainsi contribué à faire accepter l'anthropologie comme une science, alors qu'elle est un discours religieux avant tout. Au nom du cartésianisme, on devrait prendre pour rationnelles les hypothèses de mathématiciens modernes à deux doigts de la folie, quand ils ne sombrent pas carrément dedans. Au nom du cartésianisme, on devrait prendre les ingénieurs modernes pour de savants rationalistes, quand bien même ils ne sont pas responsables de leurs actes ni de leurs recherches.

    Cet anthropocentrisme n'est pas sans lien avec le diagnostic de folie posé par certains moralistes à propos de la société américaine. En faisant de la notion d'égalité la pierre angulaire de l'idéal démocratique, Tocqueville isole d'ailleurs l'influence du raisonnement algébrique dans la foi dans la démocratie. Le droit et les mathématiques modernes ont en commun une détermination irrationnelle. Cette tendance confirme la remarque du savant matérialiste chrétien F. Bacon de la convergence entre le raisonnement mathématique et le raisonnement juridique, qui conduit de dernier, au nom du progrès scientifique, à n'accorder à la géométrie algébrique que le rang de science secondaire. L'histoire moderne des sciences s'applique d'ailleurs à occulter la véritable signification du réveil scientifique prôné par Bacon contre la science scolastique médiévale, notamment la foi chrétienne de Bacon. Celle-ci est pourtant essentielle pour comprendre la relégation par Bacon de la science juridique et des mathématiques. Le christianisme ne peut fonder en effet aucune alternative à la philosophie naturelle païenne - et par conséquent aucune règle sociale. La monarchie chrétienne de droit divin, de même que la démocratie, sont parfaitement antichrétiennes. En revanche le judaïsme et le christianisme fondent une science métaphysique par-delà la philosophie naturelle des païens. Autrement dit : les lois de la biologie ne s'appliquent pas à l'ensemble de l'univers. La philosophie naturelle n'est pas une science fondamentale du point de vue chrétien, donc les mathématiques et la science juridique ne sont pas des sciences fondamentales non plus. Lorsque l'évêque de Rome Ratzinger proclame que les mathématiques sont une sorte de langage divin, il ne parle pas comme un prêtre chrétien mais comme un prêtre égyptien.

    - Tocqueville à propos de la démocratie et de son sens égalitaire ne semble pas s'apercevoir du paradoxe suivant : la volonté et le principe d'égalité qui gouvernent la conscience du citoyen moderne n'ont rien de populaires : l'égalité est un principe religieux forgé par une élite de prêtres ou de philosophes, comme son abstraction et son irrationalité attestent. 

    Quand le crétin Karl Popper prétend que la science n'est pas faite pour dévoiler la vérité mais que la quête de vérité prime, c'est-à-dire les questions et les hypothèses sur les réponses, il inféode le but au moyen de la science. Il avoue ainsi indirectement le tour anthropologique de la recherche scientifique moderne, et donc religieux.

  • Dieu et la science

    Dieu et la science brisent l'un comme l'autre le cercle de la nécessité et des obligations sociales.

    La société s'organise donc contre dieu, selon l'enseignement évangélique, mais aussi contre la science. Tout mouvement social implique renonciation à la science. Les événements politiques récents fournissent un exemple de ce phénomène : le mouvement communiste a très vite rompu avec le leitmotiv de critique scientifique de Marx et Engels au profit du négationnisme de l'histoire et de cérémonies religieuses de commémoration en l'honneur des héros du passé. De marxiste qu'il était, le communisme est devenu sartrien, c'est-à-dire un culte conforme au catholicisme romain. Si l'on voit dans la critique marxiste un antiélitisme "au nom de la science et de la vérité", ce qu'elle est très largement, cette critique conserve son intérêt, car un esprit modelé par un régime technocratique totalitaire n'a pas conscience de l'opposition des plans scientifique et politique. En revanche, si l'on voit le marxisme comme une doctrine sociale alternative, ce qu'il est très peu, le marxisme perd tout son intérêt, car la bestialité humaine est insoluble sur le plan politique.

    L'intelligentsia stalinienne s'est hâtée de rebâtir le temple de spéculations philosophiques édifié par Hegel, que Marx avait entièrement démoli. La dignité de l'Etat bourgeois esclavagiste ("Le travail rend libre") a été restaurée, afin d'inspirer le respect au prolétariat, comme le clergé catholique usa autrefois de la tradition et des sacrements pour fabriquer un culte identitaire afin de subjuguer la paysannerie.

    Les lois sociales sont le produit d'un pacte avec la nature, et c'est ce pacte que le judaïsme et le christianisme dénoncent. Ils le dénoncent dès le mythe de la Genèse, à tel point qu'on peut penser, contrairement à Nietzsche, que la culture grecque antique est déjà marquée par le judaïsme et que la philosophie naturelle ne constitue pas pour les Grecs un horizon indépassable ; plusieurs philosophies et mythes témoignent de l'aspiration scientifique des Grecs par-delà la philosophie naturelle, à commencer par Homère, aussi peu juridique que possible. "Gréco-romain" ne peut se dire sans occulter complètement Homère, on ne peut plus éloigné de Virgile.

    Le voeu de la communauté des technocrates d'une science moderne qui soit "éthique" rejoint cette idée de "philosophie naturelle" antique. Elle trahit de la part des savants modernes la double ignorance, d'une part de l'origine et du but de la morale, d'autre part de la source et du but de la science. Les comités d'éthique scientifique sont donc des institutions totalitaires. Ce mariage forcé de l'éthique et de la science entraîne un double fiasco moral et scientifique, dont la manifestation est la plus visible dans la culture occidentale moderne, non pas "médiocre" comme se doivent toutes les cultures, mais qui tend vers la nullité, c'est-à-dire la pure rhétorique ou la science sociale.

  • Du rêve démocratique

    Alexis de Tocqueville situe utilement la démocratie en Amérique, bien qu'on peut concevoir cette idéologie comme la métastase d'un mouvement politique né en Europe.

    Rares sont les penseurs français à ne pas avoir pressenti la nature totalitaire de l'idéal démocratique. Tocqueville lui-même est circonspect ("De la démocratie en Amérique"), et son propos modéré au regard du mysticisme contemporain de la religion des "droits de l'homme".

    Tocqueville cherche à comprendre la démocratie plutôt qu'à l'imposer, et il en brosse par conséquent un portrait contrasté. Il rêve d'une démocratie aristocratique ou élitiste ("Pourquoi l'étude de la littérature grecque et latine est particulièrement utile dans les sociétés démocratiques").

    Même si elle comporte quelques détails pertinents, dans l'ensemble l'analyse de Tocqueville est insuffisante. "De la démocratie en Amérique" est un ouvrage qui vaut surtout pour les fanatiques d'une idéologie, dont il peut servir à tempérer les ardeurs. Indissociable du totalitarisme, le rêve démocratique a viré au cauchemar au XXe siècle.

    Tocqueville explique que la centralisation de L'Etat est une tendance démocratique. Il est ainsi permis de voir dans le régime despotique de Louis XIV et son administration centrale un préambule à l'avènement de l'Etat bourgeois ("Que les idées des peuples démocratiques en matière de gouvernement sont naturellement favorables à la concentration des pouvoirs").

    Tocqueville lie à juste titre l'idéologie démocratique à la notion d'égalité ou d'égalitarisme. Sous cet angle plus étroit, on peut d'ailleurs croire les Français attachés à la démocratie ; ils sont en réalité attachés à leur indépendance, à quoi le principe d'égalité peut paraître favorable. C'est sur le plan religieux que les remarques de Tocqueville s'avèrent intéressantes, car celui-ci se montre conscient que le culte démocratique est en partie le produit de la morale judéo-chrétienne.

    Le chapitre "Comment l'égalité suggère aux Américains l'idée de la perfectibilité indéfinie de l'homme" contribue à élucider la nature religieuse de l'idéologie démocratique, et le rôle de l'onirisme dans la culture des régimes bourgeois totalitaires. Il faut ajouter que l'idéologie égalitaire est typique des idées qui sont à première vue imputables au christianisme. La plupart des cultes païens sont "providentiels", et par conséquent hermétiques à l'idée d'égalité. Tocqueville considère pratiquement la démocratie comme un catholicisme qui aurait débordé les frontières juridiques de l'Eglise romaine.

    "L'égalité suggère à l'esprit humain plusieurs idées qui ne lui seraient pas venues sans elle, et elle modifie presque toutes celles qu'il avait déjà. Je prends pour exemple l'idée de la perfectibilité humaine, parce qu'elle est une des principales que puisse concevoir l'intelligence et qu'elle constitue à elle seule une grande théorie philosophique dont les conséquences se font voir à chaque instant dans la pratique des affaires.

    Bien que l'homme ressemble sur plusieurs points aux animaux, un trait n'est particulier qu'à lui seul : il se perfectionne, et eux ne se perfectionnent point. L'espèce humaine n'a pu manquer de découvrir dès l'origine cette différence. L'idée de la perfectibilité est donc aussi ancienne que le monde ; l'égalité ne l'a point fait naître, mais lui donne un caractère nouveau.

    (...) Ce n'est pas que les peuples aristocratiques refusent absolument à l'homme la faculté de se perfectionner. Ils ne la jugent point indéfinie ; ils conçoivent l'amélioration, non le changement ; ils imaginent la condition des sociétés à venir meilleure, mais non point autre ; et, tout en admettant que l'humanité a fait de grands progrès et qu'elle peut en faire quelques-uns encore, ils la renferment d'avance dans de certaines limites infranchissables."

    Tocqueville ne songe pas à tancer le christianisme, à l'instar de Nietzsche, pour avoir doté l'humanité d'une anthropologie défaillante ou irrationnelle. Catholique, T. n'est pas éloigné de voir dans la démocratie une manifestation de la propagation de la religion chrétienne à travers le monde, tout en conservant sang-froid et prudence devant une métamorphose politique dont les bienfaits restent à prouver à ses yeux.

    Cependant le christianisme est absolument dépourvu de caractère anthropologique*, et l'idée d'un régime politique dans lequel le christianisme pourrait idéalement s'épanouir est contraire à la lettre et l'esprit évangéliques. Le cas de Tocqueville illustre que l'idéologie démocratique, bien plus sûrement qu'elle ne dérive du christianisme, dérive de principes aristocratiques mêlés absurdement ou par ignorance avec un culte chrétien superficiel, dégagé de ses obligations de respect de la vérité, qui dans le christianisme se confond avec dieu lui-même.

    (*Les soi-disant chrétiens qui affirment le caractère anthropologique du judaïsme ou du christianisme nient implicitement que le christianisme soit une religion révélée, et ne le font que pour rendre service aux élites capitalistes démocrates-chrétiennes.)

     

     

     

     

  • Critique littéraire

    Au-delà du style et de l'expérience de la férocité de l'entreprise bourgeoise, il faut dire que L.-F. Céline se situe à mi-chemin entre satanisme et christianisme, pas très loin de Baudelaire, mais de façon moins consciente car Baudelaire a compris que l'avènement de la laideur, c'est-à-dire de l'esthétique propre à la bourgeoisie, a un lien avec la révélation chrétienne.

    Céline n'est donc pas vraiment "moderne" au sens où le projet de l'esthétique moderne consiste à tenter de faire oublier, non seulement le Christ mais aussi Satan, en les noyant dans la rhétorique et la démagogie. En cultivant l'émotion, les esthètes modernes cultivent l'imbécillité.

    Satanique l'enrôlement du jeune Ferdinand dans un régiment de dragons, par goût de l'aventure et du sang. Satanique le carriérisme de Céline inculqué par ses parents, désireux de faire prendre à leur fils unique "l'ascenseur social". Le volte-face de Céline, lui, est sans doute humain, un réflexe de survie. Les anciens combattants qui ne passent pas par la critique des assassinats par procuration qu'ils ont perpétrés finissent le plus souvent comme des loques humaines ou des automates.

    Comment continuer d'aimer la démocratie quand on a fait la guerre la plus démocratique de toutes, la guerre la plus atroce ? C'est comme un enfant de choeur violé par un curé catholique. Il y a peut-être des Céline en puissance parmi les soldats israéliens excités à la défense de leur pré carré "au nom de dieu", quand le sionisme est une doctrine d'adorateurs du veau d'or équivalente de la démocratie-chrétienne européenne.

    - Chrétien car ce que le bourgeois condamne, exécute, crucifie, emprisonne, est toujours plus près du Christ que de Satan. C'est le froid glacial entre Jésus-Christ et Ponce-Pilate, non entre le Christ et les larrons condamnés à mort. La démocratie est d'ailleurs la tentative de séduire l'homme du peuple la plus éloignée du christianisme, puisque elle est assimilable à une tentative de l'acheter. 

  • Contre H. Arendt

    H. Arendt tente de trouver un remède politique au totalitarisme. C'est la part la plus médiocre de son analyse, et en quoi elle n'est pas chrétienne. Un chrétien analysera le totalitarisme globalement comme une radicalisation de la politique. De même l'antichrist C. Maurras fait fausse route avec son slogan "Politique d'abord !" : la logique démocratique est plus politique encore que ne l'est la logique monarchique, c'est-à-dire plus hermétique à la métaphysique ; c'est au stade bourgeois ou démocratique que l'Etat acquiert la qualité de divinité supérieure.

  • Sens de l'Histoire

    L'éthique judéo-chrétienne pharisienne et l'usage de cette éthique par les élites démocrates-chrétiennes afin de subjuguer le reste du monde, est assez dissuasif de croire que l'histoire n'a aucun sens, ainsi que le prétendent quelques philosophes néo-païens.

    Comment cette morale des faibles, judéo-chrétienne, nihiliste, peut-elle être l'éthique en vigueur dans les castes et les nations qui dominent le monde et l'ont asservi à ses besoins futiles, voilà ce que Nitche n'explique pas. 

  • Déclin et Chute

    Les sages ont quelque chose d'inhumain, tandis que les fous au contraire sont trop humains. D'où vient que les cultes excessivement anthropocentriques comme la démocratie ou la théorie de la relativité tournent rapidement à la barbarie.

  • Le nombre d'homme 666

    Dans les temps modernes, la notion de "philosophie naturelle" s'est perdue au profit de concepts éthiques plus flous et arbitraires, dans lesquels les hommes vertueux n'ont pas de peine à reconnaître un signe de corruption ou de décadence.

    Qu'est-ce donc que la philosophie naturelle ? Pour simplifier, disons que la philosophie naturelle est un cercle. Cette figure majeure de la géométrie, pour ainsi dire "divine", symbolise en effet au mieux la notion de philosophie naturelle, c'est-à-dire de sagesse issue de la Nature. Platon avait fait inscrire au fronton de son académie : "Que nul n'entre s'il n'est géomètre." Il aurait aussi bien pu écrire "666", car le cercle est le nombre géométrique, le nombre d'homme suprême - toutes les autres représentations abstraite de la puissance naturelle en dérivent.

    L'anneau ou le cercle est donc le signe satanique par excellence. Il est humainement impossible de sortir du cercle, et jamais aucune institution humaine, politique ou morale, ne parviendra à le briser. Les temps modernes se moquent de Satan, comme le crétin qui a construit une digue élevée croit qu'elle pourra résister à une lame de fond. 

  • Du Totalitarisme

    Hannah Arendt a tenté dans divers essais d'élucider le phénomène du totalitarisme, c'est-à-dire de la tyrannie moderne, qui au contraire de l'ancienne sait se faire aimer.

    Shakespeare a fait mieux et plus tôt que tous les analystes ou adversaires du totalitarisme, puisqu'il a conçu une mythologie propice à faire tomber les écailles des yeux de celui ou celle qui le veut. Notamment Shakespeare montre comment une idée falsifiée de l'amour est au coeur de la tyrannie totalitaire.

    Il y a à boire et à manger dans l'analyse d'Hannah Arendt. Shakespeare, lui, est on ne peut plus synthétique. Il faut dire que, pour un chrétien, la capacité de synthèse est surhumaine, c'est-à-dire qu'elle prend sa source dans le divin, exactement comme la loi naturelle émane du point de vue païen de Satan. L'anthropocentrisme débordant de la culture moderne nihiliste n'est donc ni satanique, ni chrétien. Le caractère indéfinissable du totalitarisme est précisément ce qui le rend insaisissable, tandis qu'il est beaucoup plus facile d'appréhender la tyrannie classique oedipienne, comme Moïse fit il y a plusieurs millénaires, identifiant à jamais celle-ci avec l'Egypte des pharaons.

    Dans le passage ci-dessous, Hannah Arendt soulève le problème de l'histoire, du christianisme et de la civilisation moderne, d'une façon plutôt utile puisqu'elle décèle à peu près la ruse qui consiste pour l'Occident à prétendre incarner une sorte d'avant-garde historique. Cette ruse est une invention de l'Eglise romaine et des papes, reprise ensuite par des institutions laïques, qui tout en s'étant séparées de l'Eglise, ont prolongé la méthode et la ruse de leur matrice. Ainsi les "valeurs républicaines" revendiquées aujourd'hui par certains moralistes doivent beaucoup plus à l'Eglise romaine qu'elles ne doivent aux théoriciens et politiciens antiques.

    "A cause de cette insistance moderne sur le temps et la succession temporelle, on a souvent soutenu que l'origine de notre conscience historique réside dans la tradition judéo-chrétienne [concept frauduleux en soi], avec son concept de temps rectiligne et son idée d'une divine providence [l'idée de "temps rectiligne" n'a aucun fondement chrétien, et la "divine providence" coïncide avec la "monarchie chrétienne de droit divin"] donnant à la totalité du temps historique de l'homme l'unité d'un plan de salut - idée qui contraste en effet aussi bien avec l'insistance de l'antiquité classique sur les événements et faits singuliers qu'avec les spéculations de l'antiquité tardive sur un temps cyclique [c'est l'idée de temps rectiligne qui est excessivement spéculative et fonctionnelle, comparée à celle de temps cyclique]. On a cité beaucoup de preuves à l'appui de la thèse selon laquelle la conscience historique moderne a une origine religieuse chrétienne et est née de la sécularisation de catégories originellement théologiques. Seule notre tradition, religieuse, dit-on, connaît un commencement et, dans la version chrétienne, une fin du monde : si la vie humaine sur la terre suit un plan divin de salut [une telle description, anthropocentrique et contredisant la Genèse, n'est pas authentiquement chrétienne - autrement dit, la vie humaine n'est pas plus sacrée du point de vue chrétien que du point de vue païen antique - elle l'est moins], alors son seul déroulement doit receler une signification indépendante de tous les événements singuliers et les transcendant tous. Par conséquent on en conclut qu'un "tracé bien défini de l'histoire du monde" n'est pas apparu avant le christianisme, et que la première philosophie de l'histoire est présentée dans le "De Civitate Dei" de saint Augustin. Et il est vrai que chez Augustin nous trouvons l'idée que l'histoire elle-même, c'est-à-dire ce qui a un sens et est intelligible, peut être séparée des événements historiques singuliers rapportés dans la narration chronologique. Il affirme explicitement que "bien que les institutions passées des hommes soient rapportées dans le récit historique, l'histoire elle-même n'a pas à être comptée parmi les institutions humaines." [le problème du totalitarisme réside très largement dans le fait qu'il est impossible d'accorder le plan politique à l'exigence historique du salut autrement que sous la forme de l'illusionnisme, dont la philosophie de Hegel est emblématique et le concept de temps historique rectiligne]. 

    Cette similitude entre le concept chrétien et le concept moderne de l'histoire est cependant trompeuse. Elle repose sur une comparaison avec les spéculations de l'antiquité tardive sur l'histoire cyclique, et néglige les concepts d'histoire classiques de la Grèce et de Rome. La comparaison est encouragée par le fait qu'Augustin lui-même, lorsqu'il réfutait les spéculations païennes sur le temps, avait essentiellement en vue les théories cycliques de sa propre ère, qu'aucun chrétien en effet ne pouvait accepter à cause du caractère absolument unique de la vie et de la mort du Christ sur terre : "Une fois Christ est mort pour nos péchés ; et renaissant d'entre les morts il ne meurt plus." Ce que les interprètes modernes sont enclins à oublier est que saint Augustin a proclamé ce caractère unique d'un événement, qui sonne si familier à nos oreilles, pour cet événement seulement [on devine combien cet "oubli" est propice aux élites et aux mouvements politiques et culturels qui s'avancent derrière la bannière chrétienne] - l'événement suprême de l'histoire humaine, où l'éternité, pour ainsi dire, fait irruption dans le cours de la mortalité terrestre ; il n'a jamais prophétisé ce caractère unique, comme nous le faisons, pour des événements séculiers ordinaires. Le simple fait que le problème de l'histoire n'a fait apparition dans la pensée chrétienne qu'avec saint Augustin devrait nous faire douter de son origine chrétienne, et cela d'autant plus qu'il est apparu, selon les termes mêmes de la philosophie et de la théologie d'Augustin, du fait d'un accident.(...) [contrairement à la théologie démocrate-chrétienne des papes modernes, la "Cité de Dieu" d'Augustin fait référence pour étayer la notion d'histoire chrétienne à l'eschatologie évangélique. Augustin n'est ni premier ni principal dans l'explication de la conscience chrétienne, mais il est vrai que la scolastique médiévale constitue un recul par rapport à Augustin.]."

    H. Arendt (In : "La Crise de la culture") 

  • Le prophète Adam ?

    Je sursaute à chaque fois quand j'entends dire que, pour les mahométans, Adam est une sorte de prophète. Pour les chrétiens, Adam est plutôt un imbécile. Pour les Grecs, Adam c'est le benêt Epiméthée, qui tombe dans le piège de la vie.

    Je ne comprends pas, à quoi bon se méfier des femmes si c'est pour honorer Adam qui ne s'en est pas méfié ? Les mahométans sont comme les catholiques romains, ils n'ont aucun sens du péché.

  • Déphilosopher

    J.-P. Sartre est curé en diable. Il a joué le rôle de prêcheur pour les ouvriers en manque de prêtres. Même quand il est athée, l'homme est indécrottablement religieux (surtout quand il a été élevé sous la mère).

    Bernard-Henry Lévy poursuit l'oeuvre de Sartre en direction des téléspectateurs. Ceux-ci ne sont pas moins crédules que les ouvriers, mais ils sont plus mous ; c'est pourquoi BHL n'aura pas sa statue en bronze érigée dans un haut lieu symbolique de la foi et de l'espoir.

  • Nietzsche et la Musique

    La musique est un art allemand. Je parviendrai beaucoup plus facilement à démontrer à un Français que la musique, étant un art intellectuel, est un art mineur. Au contraire des Allemands et de leurs cousins américains, les Français ont beaucoup moins d'admiration pour les choses intellectuelles. En un mot, ils sont plus prudents ; de fait les grandes catastrophes modernes ont une dimension intellectuelle : la démocratie, pour ne citer qu'elle, est un concept entièrement forgé par des intellectuels au service de régimes totalitaires rouges, bleus ou noirs.

    Bien qu'il lutte contre sa décadence, Nitche n'en est pas moins attaché à la musique. C'est ici la limite du discours de Nitche sur l'Antiquité, qui est assez largement théorique. La tragédie se situe en effet aux antipodes de la musique. De l'aptitude de l'Antiquité à écrire des tragédies découle son relatif mépris pour la musique, art beaucoup trop social, beaucoup trop religieux, beaucoup trop féminin, en un mot beaucoup trop allemand. A l'inverse il faudra à l'amateur de musique un effort pour se tourner vers l'art de la tragédie, dépourvu de la rassurante perfection de la musique.

    On ne peut donc faire de la culture grecque ainsi que Nitche une culture païenne en harmonie la plus parfaite possible avec la nature. On observe que la limite d'Orphée, aussi héroïque soit-il, est montrée. Orphée ne parvient pas à relever le défi de ramener Eurydice du royaume des morts. Et Orphée est un musicien "positif", le contraire de notre cinéma moderne "négatif", qui exploite les émotions les plus basses, part du principe de la mort et non du principe de la vie comme Orphée ou Nietzsche. Nietzsche fait donc comme Freud : il accommode la mythologie antique à sa doctrine, tous les deux selon un axe "antisémite", c'est-à-dire qui consiste à occulter l'influence du judaïsme sur certains mythes grecs.

    Nitche reproche au judaïsme et au christianisme d'être excessivement "anthropocentriques", souhaitant restaurer une anthropologie plus rationnelle - en réalité le judaïsme et le christianisme sont moins anthropocentriques que la culture de vie satanique ou païenne prônée par Nitche. Il n'y a pas d'anthropologie juive ou chrétienne possible - il y a seulement des pharisiens pour tenter de faire croire le contraire. Cette anthropologie judéo-chrétienne visée par Nitche comme un nihilisme ou un mouvement suicidaire de la culture occidentale, n'est en réalité qu'un platonisme déguisé en culte chrétien.

    La synthèse impossible du christianisme et du bouddhisme n'est nullement le fait de Schopenhauer -cet amateur de musique-, mais de l'Eglise romaine bien avant lui, et peut-être même de l'islam encore auparavant.

  • Procès de Céline

    Un gouvernement un tant soit peu populaire ou révolutionnaire aurait tôt fait de réhabiliter Céline. C'est le caillou populaire dans la botte de la culture élitiste. S'attaquer au langage ou à la rhétorique, c'est forcément s'attaquer aux prêtres et à l'administration, pour qui les mots sont sacrés, car ils représentent un premier mur d'enceinte contre la plèbe, et sans doute le plus élevé. La culture n'est rien du point de vue scientifique, mais elle est tout du point de vue social. L'idée de "culture scientifique" indique un élitisme au stade démentiel.

    On peut bien réhabiliter Céline, quoi qu'il en soit pour un esprit scientifique ni la censure publique ni l'éloge public n'ont de signification au-delà des circonstances du moment. Il suffit que le mot "socialisme" soit prononcé, pour qu'un esprit scientifique soit averti que l'on va parler de tout sauf de science, comme autrefois les esprits indépendants faisaient la grimace quand on parlait de religion.

  • Dieu est mort

    Extrait du chapitre de mon "Dialogue avec l'Antéchrist" consacré à l'athéisme de F. Nitche.

    «Dieu est mort» : tout en contribuant à la renommée de son auteur, ce constat a donné lieu à une interprétation erronée de la doctrine de Nietzsche. Celle-ci n'est pas athée au sens moderne le plus courant, mais païenne ou antiquisante. Or l'Antiquité païenne n'a pas connu l'athéisme, mais tout au plus une certaine indifférence à l'égard de la théologie de la part de rares philosophes.

    Nietzsche avance la thèse d'un escamotage de dieu imputable au christianisme. La "mort de dieu" indique le terme de cette évolution, au détriment d'une notion païenne authentique de dieu ou du divin. Paradoxalement cette translation de dieu de la Nature à la rhétorique a entraîné une tension religieuse plus forte. N. juge cette évolution néfaste, car excessivement aliénante et conduisant au nihilisme. La mort de dieu n’a donc pas pour conséquence l’irréligion, bien au contraire.

    A l'opposé de Nietzsche se situe l'athéisme de Ludwig Feuerbach, dont l'influence sur la culture moderne est plus marquée, comme l'art moderne atteste, plus rhétorique (démonstratif) que l'art antique pris par Nietzsche pour modèle.

    L'analyse par L. Feuerbach des rituels chrétiens («L'Essence du Christianisme»), d’où celui-ci déduit que la métamorphose de la théologie en anthropologie constitue un progrès de la conscience, contredit l'interprétation morale de Nietzsche. Cependant elle confirme sa thèse selon laquelle la culture moderne est comme «suspendue à la question de dieu». Le dieu chrétien hante la culture moderne comme un fantôme ; il a remplacé les dieux concrets, identifiables à la Nature, auxquels l’Antiquité rendait un culte plus sain.

    Par ailleurs la démonstration de Hegel d'un progrès historique indexé sur les valeurs chrétiennes concorde avec l'élucidation par Feuerbach d'une religion chrétienne propice à l'émancipation de la raison humaine de la chrysalide de la théologie. Or la démonstration de Hegel tend à réduire dieu à un "concept historique". Perspectives et projets humains reçoivent grâce à Hegel l’onction chrétienne. Mais, que la référence chrétienne soit conservée (Hegel), ou bien qu’elle soit jugée démodée (Feuerbach), l’homme s’est hissé au rang des dieux sur la foi de sermons apparemment chrétiens.

    C'est contre cette anthropologie chrétienne que l'athéisme de Nietzsche se dresse, afin de restaurer un culte moins fanatique.

     

    Il reste à examiner dans un autre chapitre si la théologie chrétienne ouvre bien droit à un développement anthropologique, et si la suggestion d’un accomplissement du salut chrétien dans le temps a un quelconque fondement évangélique. La validité de la psychologie de l'histoire moderne selon Nietzsche, en dépend.

  • Dans la Matrice

    "Le jeune aime le monde tel qu'il est, il s'y adapte. Et pour cause, il n'a rien qui lui permette de penser qu'il pourrait être autre. Des mauvaises langues rappelleront que c'est pour cette raison que les régimes totalitaires se sont toujours appuyés sur la jeunesse pour faire advenir l'Homme nouveau."

    Natacha Polony, gérontophile.

    Les vieillards ont toujours su flatter les jeunes gens et le peuple afin de détourner leur force à leur profit. Le totalitarisme n'innove nullement de ce point de vue par rapport à la vieille tyrannie classique "oedipienne".

    La caractéristique du totalitarisme n'est nullement le jeunisme, mais l'intellectualisme, comme le relève par exemple Georges Orwell. La justification de l'Etat totalitaire est en effet l'activité principale des "intellectuels", qui s'efforcent de le diviniser. L'Etat totalitaire entretient par conséquent pléthore d'universitaires ou d'intellectuels à grand frais, dont la caractéristique n'est pas le jeune âge.

    Le féminisme est bien plus caractéristique du totalitarisme que le jeunisme. Les régimes totalitaires et les femmes ont en commun la nécrophilie.

    C'est parce que les régimes totalitaires sont mus par des vieillards que le culture totalitaire est aussi pédophile (Proust). La pédophilie n'est pas caractéristique des jeunes gens mais des esprits et des Etats en état de décomposition.

     

     

  • De l'intellectualisme

    Les intellectuels et l'intellectualisme ne sont pas toujours combattus au nom de valeurs archaïques, comme ceux-ci le prétendent parfois pour leur défense. Promoteur du progrès, décisif dans la mesure où il cerne dans quels domaines l'homme n'est pas soumis à la nécessité ou au hasard, Francis Bacon a combattu l'intellectualisme d'une manière qui n'est pas sans rapport avec celle de notre Rabelais. Du point de vue de Bacon, c'est l'intellectualisme qui est un archaïsme, puisqu'il le rapproche de la scolastique médiévale.

    De plus, l'Angleterre a longtemps incarné le progrès aux yeux des élites des autres nations européennes. Or c'est certainement en Angleterre que l'on peut trouver le plus de détracteurs de l'intellectualisme et des intellectuels. George Orwell relie ainsi la cause des intellectuels au totalitarisme.

    De fait il existe une conception intellectuelle du progrès, médiévale ou cléricale dans la mesure où elle revient à ériger le progrès en religion. Au contraire Bacon s'emploie à démontrer qu'il ne peut y avoir de progrès humain dans le domaine éthique ou politique, c'est-à-dire à démolir une idéologie qui fera ultérieurement des centaines de millions de victimes, sacrifiées sur l'autel d'un progrès qui n'en est pas un, mais une pure illusion entretenue par des intellectuels - une méthode de gouvernement.

    Voici ce que Bacon écrit au chapitre consacré aux "Etudes" de ses "Essais" :

    "Les hommes pratiques méprisent les études ; les naïfs les admirent, et les sages en tirent parti : car elles n'enseignent pas leur propre fin, qui est une sagesse en dehors et au dessus d'elles, fournie par l'observation."

    On voit à quel point Bacon n'est pas moderne, puisqu'il place les hommes pratiques qui méprisent les études au-dessus des naïfs qui les admirent. Comme l'intellectualisme consiste à trouver dans les études sa propre fin, et que les intellectuels bénéficient d'un monopole dans le monde moderne totalitaire, il n'y plus de sages selon Bacon.

    "Etudier l'histoire rend sage ; la poésie, fin ; les mathématiques, subtil ; la philosophie naturelle, profond ; la morale, grave ; la logique et la rhétorique, habile à disputer. L'étude passe dans le caractère. Même il n'y a point d'obstacle ou d'entrave dans l'intelligence qui ne puisse être supprimé par des études bien choisies."

    Ici, dans le lien établi entre la sagesse et l'histoire, on peut encore reconnaître Shakespeare et son effort pour doter l'Angleterre d'une histoire véritable, contre la culture médiévale visant à maintenir l'homme au niveau inconscient de la culture. L'intellectuel descend du clerc catholique, dans la mesure où l'histoire prive le clergé et les intellectuels du rôle d'éminences grises qu'ils entendent jouer.

    On trouve par Shakespeare la représentation mythologique de l'intellectuel dans le personnage de Polonius-Copernic (responsable d'une définition intellectuelle de l'univers, dommageable pour la conscience). A moins qu'il ne sache pas lire du tout, un intellectuel se sentira forcément épinglé en lisant "Hamlet". 

     

  • Dans la Matrice

    Ceux qui tentent de penser le monde sont d'abord frappés par son aspect énigmatique. Un esprit rationnel, cherchant un objet d'étude rationnel, se tournera plus volontiers vers les castors ou les conifères que vers l'espèce humaine, dont le comportement semble parfaitement erratique.

    "Penser le monde" est d'ailleurs un luxe : le plus grand nombre se contente d'essayer de parer la violence du monde et les conséquences de cette violence pour soi. Toutes les sortes de drogues dont l'homme moderne est entiché remplissent cette fonction. L'option de défense de la culture moderne à l'égard du monde est la fuite.

    Les hommages à "l'humanité" viennent de personnes comateuses, dont l'oppression explique qu'elles s'accommodent de l'énigme et de l'absurdité du monde. De la même façon, certains vieillards ne luttent plus, non pas parce que la cause de la lutte a disparu, mais parce qu'ils n'ont plus la force de lutter, et que l'indignation ne sert à rien.

    En se modernisant, le monde est devenu plus complexe, plus énigmatique encore, en quoi quelque crétin tire parfois prétexte pour s'enorgueillir d'appartenir à l'espèce humaine, qui ne sait où elle va, ni pourquoi, ni comment.

    Le journalisme et la presse semblent faits pour empêcher de penser le monde, c'est-à-dire pour accommoder l'homme aux intentions et mouvements absurdes de l'humanité. Nitche aurait pu tirer de cela un argument supplémentaire afin de démontrer la supériorité de la culture antique sur la culture moderne : l'Antiquité n'a pas connu le journalisme, pour l'empêcher d'y voir clair, mais des philosophes pour tenter d'élucider le monde et son rapport avec l'univers.