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Lapinos - Page 30

  • Céline antisémite ?

    Au préalable, je dois dire que la repentance de l'Eglise catholique pour sa complicité dans les massacres perpétrés au cours de la Seconde guerre mondiale compte parmi les motifs qui m'ont conduit à quitter l'Eglise romaine, la tartuferie de cette démarche de la curie romaine me paraissant impossible à assumer. Il ne s'agit nullement de nier la culpabilité de l'Eglise, puisque cela reviendrait à nier l'implication de l'Eglise romaine dans la société civile. Il s'agit de nier que le Christ et ses apôtres entretiennent un quelconque rapport de complicité avec une quelconque société civile. Il faut de tout pour faire un monde, dira-t-on, y compris des Italiens ou des diplomates, puisque l'acte de repentance est une ruse diplomatique. Mais, au monde, l'évangile n'apporte rien, et le point de vue social, en soi, est négateur de la révélation. Le point de vue social est illustré dans l'évangile par la décision de la foule des Juifs de mettre à mort le Christ Jésus plutôt qu'un criminel de droit commun.

    L'invitation à distinguer le "Céline écrivain", que la censure bourgeoise n'a pas réussi à censurer, du "Céline antisémite", relève de la même tartuferie "post-moderne". Comme l'Eglise peut continuer de fourguer ses indulgences, l'éditeur de Céline peut continuer de fourguer des rééditions de Céline en toute bonne conscience. Au pays de Molière, on devrait relever plus souvent que la casuistique a un rapport direct avec l'hypocrisie, et donc les mathématiques modernes, science casuistique s'il en est.

    L'antisémitisme de Céline est donc une construction juridique a posteriori, destinée à fonder les décrets moraux en vigueur aujourd'hui.

    En tant que chrétien, je suis enclin à penser que l'écrivain athée Céline est antisémite et antichrétien, puisque celui qui n'est pas avec le Christ est forcément contre Lui, c'est-à-dire un homme ou une femme en perdition. Mais, à vrai dire, l'antisémitisme de Céline est compensé par le sentiment d'horreur et de dégoût que la guerre lui inspire, et sa volonté d'expier sa complicité dans le génocide de 14-18. En somme Céline conçoit les Juifs comme des fauteurs de guerre, plus encore que les Allemands, à une époque où l'acte d'inculpation de l'Allemagne n'a pas encore été rédigé.

    Pour bien faire, il faudrait que les chrétiens comme les Juifs abjurent leur foi officiellement, et ne l'abandonnent pas seulement de facto, dès lors qu'ils acceptent des charges publiques, afin de n'être pas soupçonnés par les païens ou les athées de machiavélisme, c'est-à-dire de prôner une religion de paix tout en tirant les bénéfices de la politique et de la guerre. Bien sûr ce n'est pas possible, car pour cela il faudrait que Satan n'agisse pas dans le monde.

    L'antisémitisme de Céline est beaucoup moins fort et satanique que celui de Nietzsche. La différence est aussi que la doctrine de Nietzsche est aristocratique, tandis que Céline réagit aux "grandes idéologies modernes", à commencer par le stalinisme, en étant conscient qu'elles ont conservé un arrière-plan de morale "judéo-chrétienne" et que le peuple sera forcément la première victime de ces idéologies.

    Le triomphe de la morale judéo-chrétienne moderne représente pour Nietzsche le triomphe du mal absolu, de sorte que la vertu satanique est le modèle du bien et du beau.

     

  • Nietzsche antisémite ?

    L'antisémitisme revêt aujourd'hui, comme on le sait, le caractère de péché majeur, selon une sorte de casuistique de la haine d'un genre nouveau, dont l'inefficacité à endiguer la haine confirme le caractère de casuistique. Pourquoi l'antisémitisme et pas l'avarice ou le délit d'initié ? Allez savoir...

    - Plusieurs intellectuels, philosophes ou artistes ont été inculpés pour cause d'antisémitisme, suivant des critères et un calendrier un peu flous. Le cas de L.-F. Céline est bien connu en France. Il me semble que les cas "limites" sont les plus intéressants : Karl Marx et Simone Weil ont été appelés post-mortem sur le banc des accusés, en dépit de leurs origines sémites, par un pitre universitaire américain du nom de Francis Kaplan, sans doute désespéré de trouver une matière plus sérieuse à étudier.

    Plus récemment, un tribunal français a condamné pour antisémitisme un ouvrage de Léon Bloy, entièrement conçu par ce dernier pour la défense des juifs, mais hélas dans des termes démodés pour les magistrats d'aujourd'hui.

    - Quant à Nietzsche, la balance penche plutôt en sa faveur ces derniers temps, en dépit des accointances de sa famille avec le célèbre chancelier A. Hitler, et des références et révérences d'à peu près tous les mouvements et intellectuels fachistes européens à Nietzsche. On note en effet certains efforts pour blanchir Nietzsche de divers essayistes ; une bande-dessinée a même été produite il y a une dizaine d'années pour prouver qu'en dépit de son satanisme, Nietzsche était "cool" avec les Juifs.

    - Ce qui fait défaut dans ce type d'affaires, c'est une notion à peu près claire du Juif. L.-F. Céline les assimile par exemple à une caste de ploutocrates, un peu comme le pape et les papistes. Mais on sait que Moïse en personne a maudit les adorateurs du veau d'or. Sigmund Freud précise que seuls peuvent être considérés juifs les sectateurs de Moïse, qu'il a tendance à assimiler à une bande de brigands.

    Le nationalisme juif ou sionisme qui cristallise l'attention aujourd'hui était alors embryonnaire.

    Le témoignage d'un ami de Nietzsche, Franz Overbeck, une sorte de "théologien athée" comme il se définit lui-même le plus sérieusement du monde est sans doute le plus éclairant sur, non pas tant l'opinion de Nietzsche sur les Juifs en général, mais sur la consistance de sa théologie satanique (in : "Souvenirs sur Nietzsche") :

    « Je crois que, dans notre manière de considérer l’antisémitisme, nous avions, Nietzsche et moi, des convictions particulièrement proches. De même que nous étions tous deux également fort éloignés de tout fanatisme, qu’il relève d’une haine nationale ou religieuse, même s’il se peut que cela ait été pour des raisons très différentes ayant leurs racines dans nos origines respectives, nous n’avions foncièrement aucune sympathie non plus pour l’antisémitisme. Sans que ce rejet nous ait distingués du reste des Européens de notre temps. Car la radicalité de notre rejet n’aura guère été différente de celle des contemporains qui vivent sous nos latitudes.

    Sous ces dernières, on peut bien dire que tout homme, ou du moins tout homme cultivé, ressent une certaine aversion pour les Juifs, à tel point que même les Juifs de chez nous partagent cette aversion. (...) L’expression la plus claire de ce dégoût que nous éprouvions Nietzsche et moi à l’égard de l’antisémitisme apparaît dans le fait nous avons pourtant parfois abordé le sujet au cours de la conversation, mais jamais avec passion, car, dans le fond, nous n’avons jamais pris ce sujet "au sérieux" et nous l’avons considéré comme une mode des temps qui ne méritait guère qu’on s’y attarde. (…) Les écrits de Nietzsche attestent aujourd’hui encore de façon particulièrement claire (..) que cette attitude n’est pas incompatible avec une certaine dose « d’antisémitisme », en tout cas avec un manque de sympathie à l’égard des Sémites.

    (…) Nietzsche a été un adversaire convaincu de l’antisémitisme tel qu’il en a fait l’expérience. Il voyait en effet dans l’une des «formes les plus malhonnêtes de la haine» une «rage de dénigrer et de détruire». Il n’empêche que lorsqu’il est sincère, les jugements qu’il porte sur les Juifs surpassent tout antisémitisme par leur sévérité. Le fondement de son antichristianisme est essentiellement antisémite. »

    Pour résumer le propos de cet intellectuel allemand, l'antisémitisme était une opinion beaucoup trop vulgaire pour que des hommes cultivés comme lui et son ami Nietzsche y cédassent. En revanche la doctrine satanique de Nietzsche était suffisamment solide pour que ce dernier la fasse reposer sur le rejet dépourvu d'ambiguïté du judaïsme.

    Les Juifs trouvent grâce aux yeux de Nietzsche quand ils ne sont pas vraiment Juifs mais "fidèles à leur culture et traditions" ; de même, les catholiques romains bénéficient de l'indulgence de Nietzsche en raison de leurs efforts pour restaurer la culture de vie païenne à l'intérieur du christianisme.

  • Pour en finir avec...

    le féminisme.

    La réticence des Français au féminisme, contrairement aux Allemands qui sont plus modernes, s'explique parce que le féminisme est largement le produit du cléricalisme. Ce cléricalisme catholique romain, d'un genre un peu particulier, commence il y a plusieurs siècles par l'apologie de l'exemplarité des femmes sur le plan social, prêtes d'une certaine manière à endurer pour le service de la société plus que les hommes n'en sont capables. Le clergé catholique romain a donc très tôt pris parti dans la guerre des sexes pour le sexe féminin. A ce féminisme clérical répondit d'ailleurs une littérature anticléricale ET misogyne (Machiavel, par exemple).

    - Anticléricaux, les philosophes des Lumières sont assez peu féministes, même si leur volonté n'est pas exactement une volonté d'abolition de la direction de conscience religieuse, mais plutôt une volonté de la renouveler (en quoi la critique marxiste montre que les Lumières ont échoué, c'est-à-dire qu'elles n'ont pas "rayonné" ou fondé une culture bourgeoise plus scientifique et moins religieuse que la culture du XVIIe siècle).

    - Condorcet tient bien un discours féministe, où il fait valoir le droit des femmes à se livrer à des tâches non seulement ménagères, mais aussi intellectuelles. Mais ce discours ressemble fort à l'exhortation que l'on pourrait adresser à un homme du peuple de se comporter plutôt en roi qu'en homme du peuple, sans lui en donner les moyens. L'idée que la société puisse contribuer à l'émancipation de tel ou tel est un voeu pieux, bien plus qu'elle n'est une science. De la même façon bien des ouvrages intellectuels ne valent pas certains offices rendus par les femmes à la cuisine. Par exemple, toute la sociologie ne vaut pas un verre de vin.

    - Presque cocasse le cas du marquis de Sade, que certains moralistes officiels continuent de citer en exemple de philosophe humaniste, quand bien même la haine que Sade nourrit à l'égard de la société se traduit par le fantasme d'étranglement, d'égorgement ou de tortures diverses de femmes réduites à l'état d'objets, sans qu'il entre dans la prose sadienne une once d'humour, ainsi que la bestialité l'exige. Sade bénéficie de la même indulgence dont bénéficient les cinéastes et les publicitaires aujourd'hui, qui sans l'exploitation des femmes ne seraient rien. La fascination pour Sade indique que la passion moderne pour la société et les questions sociales, comme elle est un fanatisme, en réalité s'avère très proche de la haine de la société et de la volonté de la détruire. De même le principal danger couru par les femmes vient de la culture moderne qui tend à en faire un objet de consommation. La propagande féministe contribue largement à faire diversion, c'est-à-dire à pointer du doigt des causes de l'exploitation des femmes qui n'en sont plus depuis longtemps, ou bien ne l'ont jamais été comme la "domination masculine".

    - Le discours clérical féministe a évolué en fonction des circonstances économiques, mais cette rhétorique est restée substantiellement la même. Il s'agissait au moyen-âge de faire valoir l'héroïsme féminin sur le plan social, compte tenu des exigences d'une société et d'une culture chrétienne-paysanne. La répartition du travail n'est plus la même aujourd'hui dans l'Occident où la culture féministe s'est épanouie, et qui a désormais "délégué" les travaux de force à des nations inférieures en puissance économique et militaire. L'héroïsme de la femme tient désormais dans sa disposition d'esprit, censée être plus moderne que celle que l'homme. Le sexe féminin sert donc d'emblème ou de drapeau à la culture moderne ; elle est chargée de la démonstration que l'Occident a accompli un progrès. Comme le féminisme clérical médiéval fut dans l'intérêt exclusif des élites de ce temps, le féminisme aujourd'hui est une rhétorique destinée à fournir la preuve de la supériorité de l'Occident dans le domaine moral. C'est un élément de la mystique sociale aujourd'hui comme hier. On peut s'interroger sur sa racine ou son origine chrétienne, dans la mesure où le christianisme est le moins mondain des messages, puisque le lien social y est pratiquement synonyme de péché et de mort. Sous quel effet cette religion du non-engagement social a pu devenir un mysticisme social complet au point de phagocyter dieu ? L'imbécillité des clercs du moyen-âge et de la philosophie allemande subséquente, débouchant sur le grand merdier de la rhétorique américaine, n'est sans doute pas une réponse suffisante. L'argent est un élément du mysticisme social moderne parfaitement laïc, et non moins décisif que la philosophie post-moderne.

    - Certaines féministes s'étonnent de ne pas percevoir les fruits du discours féministe, que certains partis politiques ont pris pour "credo", mais que son application concrète ne semble pas préoccuper outre mesure. Pour que le féminisme se traduise par une avancée concrète, encore faudrait-il qu'il ne soit pas un simple "credo" religieux illusoire. De plus c'est comme un être de devoir exemplaire que la femme est exaltée par la propagande féministe, c'est-à-dire pratiquement comme le sont nonnes et soldats, à qui les gratifications les plus symboliques sont généralement offertes. Bien plus cohérent serait un mouvement féministe anarchiste, c'est-à-dire indifférent aux questions sociales, puisqu'il n'y a socialement que deux positions possibles, celle de maître et celle d'esclave, la guerre introduisant dans ce schéma quelques variations, et la ruse permettant aux femmes de se hisser bien au-dessus de certains hommes.

     

  • Grandeur et décadence

    "(...) la civilisation moderne nous a menés à l'opposé de la civilisation antique et l'on ne peut comprendre comment deux choses opposées pourraient n'en faire qu'une seule, et se prétendre toutes deux civilisations. Il ne s'agit pas là de minces différences, mais de contradictions essentielles : ou les Anciens n'étaient pas civilisés, ou c'est nous qui ne le sommes pas."

    Léopardi ("Zibaldone", 1820)

    Pour être plus précis, la manière des modernes d'être civilisés est de répéter en boucle qu'ils le sont, d'avoir inventé des moyens de propagande et de censure extraordinaires au service de ce discours. Aux efforts qualitatifs de l'antiquité pour s'élever au niveau de la civilisation, c'est-à-dire d'une certaine mesure et équilibre, s'opposent les efforts quantitatifs de la civilisation moderne.

    Une autre différence qu'il faut remarquer, c'est l'appui sur la matière des civilisations antiques, tandis que la modernité s'appuie sur le temps. Une théorie scientifique moderne, pour s'accorder au restant du train de la culture moderne, devra nécessairement postuler le primat du temps sur la matière, aussi difficile à rapporter soit cette preuve. La métaphysique moderne est une pataphysique, car ce qui est postulé au-delà de la matière par le métaphysicien moderne n'est en réalité qu'un effet relatif à la matière, comme le mouvement. La civilisation antique peut se concevoir assez bien en dépit de la civilisation moderne, tandis que le contraire est beaucoup moins vrai.

    Si Léopardi ne tranche pas nettement en faveur de l'antiquité comme Nitche, c'est peut-être parce qu'il est chrétien et sait que le monde et ses actionnaires sont, par avance, condamnés ? Les utopies politiques qui encombrent la culture occidentale depuis le moyen-âge sont certainement le meilleur moyen pour les élites occidentales d'occulter l'apocalypse de Jean, où l'anarchisme chrétien s'avère le plus explicite. Ces utopies politiques forment, avec la propagande, le substrat de la culture et de la civilisation modernes. La culture moderne est une nef peuplée de militants qui s'encouragent mutuellement par leurs cris d'espoir à croire que l'infini est pour bientôt.

     

     

     

  • L'Homme moderne

    Toute l'activité de l'homme moderne, je pense en particulier au pape, semble faite pour se prouver à lui-même qu'il n'est pas mort. Les hommes, avant d'être "modernes", se contentaient de vivre ; désormais, ils ont tendance à fournir la démonstration qu'ils existent bel et bien, à faire toutes sortes de dépenses qu'ils ne feraient pas s'ils vivaient vraiment. Si l'Occident gaspille autant, c'est bien parce qu'il est peuplé surtout de morts-vivants : les morts peuvent se permettre de flamber. 

    Est-ce que l'homme moderne ne se maudit pas lui-même dans son for intérieur, par exemple d'être aussi impuissant et de devoir toujours paraître et dire le contraire, pour répondre à l'attente féminine du monde ? Est-ce que l'homme moderne n'accomplit pas contre lui-même l'oeuvre du jugement dernier en se maudissant dans sa fuite ?

    Les rêves prouvent bien qu'il n'y a pas de frontière nette entre la vie et la mort, et que le point de vue technique médical est un peu limité.

  • Exit la culture

    Le goût d'un néo-païen pour le cinéma - mettons Hitler - trahit l'influence sur lui de la culture chrétienne médiévale. Un païen authentique a bien trop de goût pour apprécier le cinéma, que Nitche aurait regardé comme une manifestation de l'art judéo-chrétien le plus efféminé. Disons que le "surhomme" n'a pas besoin de se mentir à lui-même, il rejette ce type de "couverture sociale" en quoi consiste le cinéma, qui est une forme d'onanisme intellectuel ou de prière.

    Ce qui est notamment intéressant chez Nitche, c'est la sûreté de son goût, dans une culture moderne où les mille façons de mourir l'emportent sur toutes les autres religions. L'analogie, par exemple, entre démocratie et cimetière, est évidente du point de vue nitchéen. L'intérêt festif pour la guerre de 14-18, non seulement est le meilleur moyen d'occulter l'histoire et les causes réelles de ce conflit meurtrier, mais il traduit une fascination macabre, démocratique, pour de jeunes connards patriotes transformés en martyrs.

    Il faudrait situer Nitche à l'extrême opposé de Baudelaire, si ce dernier faisait l'apologie de la laideur et de la charogne, de la drogue, mais Baudelaire constate plutôt ce bouleversement esthétique qu'il ne le salue. Baudelaire exprime d'ailleurs son dégoût de la démocratie. La mentalité de Baudelaire est d'ailleurs très proche de celle de Hitler, en raison de cette bipolarité païenne et chrétienne.

    On peut voir Rimbaud comme une sorte de jeune SS, sacrifié à la poésie de Baudelaire ; ce qui plaît d'ailleurs le plus souvent chez Rimbaud, ce n'est pas Rimbaud mais le martyr, la victime. La foule aime le sang, elle aime les hosties, et le prêtre moderne est là pour lui enseigner à ne pas désirer plus. Ni Rimbaud ni les jeunes SS ne rêvaient de finir écrabouillés.

    Qui sait à quel fléau apocalyptique il faut rattacher la culture moderne, sorte de cérémonie funèbre d'un art qui fut autrefois vivant ? A l'odeur de décomposition du Danemark ? Au cheval pâle, que la mort chevauche, du quatrième sceau de la vision de Jean ? 

  • Théorie du plaisir

    S'il n'y a pas chez Léopardi, contrairement à Nitche, d'accusation contre le christianisme en général d'être la source du malheur moderne, c'est parce que le poète italien est conscient qu'il est absurde pour l'homme de s'assigner le bonheur comme but dans l'existence. C'est tout au plus le fruit d'une saine éducation. La détermination au bonheur comme fin ultime est tout aussi absurde que celle, plus contemporaine, qui découle de la foi dans le progrès social, dans laquelle on décèle sans peine un avatar de la morale chrétienne, mais non du christianisme en général.

    Autrement dit, il ne peut y avoir de véritable spiritualité liée à la quête du bonheur, tout comme il ne peut y avoir de civilisation véritable qui ne vise à la conservation du bonheur, autant qu'il est possible, c'est-à-dire à condition d'exclure le principe égalitaire.

    L'utopie politique est un vecteur de destruction de la politique, sans pour autant posséder la moindre valeur spirituelle, ni même scientifique. Léopardi accorde au christianisme une consistance spirituelle que Nitche ne lui concède pas, et l'Italien ne relègue pas la métaphysique au rang des illusions.

    Après tout c'est le minimum pour un chrétien de savoir qu'il y a un décalage radical entre les exigences de la civilisation, nécessairement sataniques, et celles de la foi chrétienne. De même c'est le minimum pour un homme civilisé de concevoir que la civilisation est essentiellement conservatrice.

    Les nations où la drogue se répand comme une épidémie, tels les Etats-Unis, sont nécessairement des nations puritaines, car la jouissance que procure la drogue correspond à la promesse de jouissance macabre contenue dans les religions puritaines. On peut dire des drogues comme des religions puritaines qu'elles promettent beaucoup mais tiennent peu. A l'opposé la jouissance physique, fondant la culture de vie satanique (nitchéenne), est beaucoup plus immédiate et moins intellectuelle. Drogués et puritains ont en commun d'être rongés par la culpabilité, et rendus impuissants par elle.

    A quoi bon mener campagne contre la drogue ou l'alcoolisme si une institution aussi perverse que l'Education nationale persiste, son idéologie de caserne la plus propice afin de diriger les gosses vers l'autel de la consommation et en faire des victimes masochistes de la modernité ?

    - Léopardi considère comme Nitche la morale et l'art bourgeois existentialistes comme un mouvement de décadence, mais la fin du monde n'est pas pour Léopardi une fin qu'il faut exclure, au contraire de Nitche qui voudrait retrouver, grâce à l'extinction du christianisme qu'il espère proche (le christianisme libéral ou social n'est déjà plus aux yeux de Nitche qu'une vague pétition de principe sans plus de rapport avec le Christ et ses apôtres qu'une kermesse n'en a avec l'évangile) le chemin de la civilisation et de la vertu païenne. L'éternel retour de Nitche est à la fois un principe cosmologique assez simple, moins abstrait que la théorie de la relativité qui a pour effet "surréaliste" de transformer l'homme en démiurge de l'univers, un principe qui ne heurte pas la raison commune par son excessive originalité. Cependant il est la marque d'un intérêt pour le cosmos limité lui aussi au rapport que l'homme entretient avec lui, une philosophie naturelle plutôt qu'une science désintéressée. Léopardi envisage beaucoup plus sérieusement la "programmation" de la destruction du monde humain et il n'exclut pas que la décadence de l'Occident résulte d'une force bien supérieure à celles que l'homme puise hors de lui, mais dont il a décidé, parvenu à un état de gâtisme avancé, de s'attribuer la propriété intellectuelle.

     

  • Big-bang... pschittt !

    On pourrait prendre les critiques récentes de la théorie du "big-bang", c'est-à-dire d'une explosion de matière présidant à la formation de l'univers, comme un signe positif de scepticisme scientifique, si cette hypothèse séduisante n'avait été prônée auparavant comme une science supérieure par ceux-là même qui émettent des doutes aujourd'hui sur sa validité, ou qui du moins ne peuvent s'empêcher de remarquer la difficulté à faire coïncider cette hypothèse avec certaines observations de planètes situées en dehors du système solaire.

    Ces savants ne semblent pas se douter qu'ils reviennent ainsi à une ancienne remarque de certains savants matérialistes selon laquelle l'observation de l'ordonnancement des choses de la nature offre le démenti le plus catégorique à l'idée de chaos, ou de bordel comme on dit aujourd'hui, idée dont la racine semble dans l'homme et les comportements erratiques de l'espèce humaine, auxquels l'art et l'économie modernes s'efforcent d'apporter une justification positive. En art, la quête absurde d'originalité en est une. Une poignée d'avocats de la théorie de la relativité en charge de la démonstration du caractère fondamental de cette théorie offrira aussi une image du chaos en raison de la difficulté d'accorder ces plaidoyers entre eux. Une "prime" de rationalité peut être décernée à Poincaré, en raison de sa remarque que l'héliocentrisme copernicien n'est qu'un mode de calcul de la position des étoiles, et non une science fondamentale.

    Le "hic" avec les scientifiques américains, puisqu'il s'agit surtout d'eux, comme les prestigieuses universités dont ils sont issus représentent le "nec plus ultra" de la science physique ou cosmologique actuelle, est qu'ils sont à peu près ignorants de l'histoire des ou de la science ; peut-être vaut-il mieux dire qu'ils sont "tenus dans l'ignorance", compte tenu de l'hostilité pluriséculaire des universités occidentales à l'égard des études historiques dans tous les domaines (l'Etat s'édifie contre l'Histoire), ce qui incite les milieux académiques à regarder la technocratie moderne comme le produit raisonnable de l'histoire, quand bien même les avancées technocratiques ne constituent pas la preuve d'un progrès scientifique du point de vue de l'historien. L'instrument, aussi sophistiqué soit-il, ne fait pas le savant. Plusieurs indices montrent que les hypothèses astrophysiques modernes reflètent d'abord les instruments de la science moderne, plutôt qu'elles ne sont l'expression concrète de la matière et de l'univers. Il ne faut pas creuser beaucoup pour que ces savants technocrates admettent que l'univers, en dépit des modèles mathématiques et des hypothèses qui paraissent procurer une conception globale, demeure très largement "terra incognita". C'est là un aveu paradoxal d'impuissance, puisque la science technocratique s'impose largement par sa puissance de feu, de calcul, etc.

    Etant donné le rapport entre la géométrie et l'architecture, on est en position de se demander si la science technocratique moderne n'est pas comparable à la science antique, moins "humaine", c'est-à-dire moins "culturelle", comme l'architecture moderne est comparable à l'architecture antique, autrement dit si la science du nombre fractal et l'hypothèse du néant n'est pas une régression par rapport à une science reposant sur les nombres naturels.

    Au demeurant en examinant comment les savants modernes procèdent pour confirmer leurs hypothèses, s'efforçant de reconstituer à l'échelle humaine, en laboratoire, des phénomènes macrocosmiques pour tenter de vérifier la validité de leurs hypothèses, on ne peut s'empêcher de remarquer que cette méthode renverse celle prônée par les savants, avocats de la science expérimentale, incitative à ne pas formuler d'hypothèse en l'absence d'observations concrètes multiples préalables invitant à le faire - incitative de surcroît à conserver la conscience de la distance entre l'hypothèse scientifique et la vérité scientifique avérée.

    L'aveu de l'un de ses savants théoriciens du "big-bang", que lui et ses confrères ont toujours conservé dans leur for intérieur, l'idée ou l'impression que leur théorie pouvait être une explication erronée, et que la découverte d'indices contradictoires confirmait presque de manière jouissive ce sentiment inconscient qu'ils se trompaient, est un aveu d'une étonnante... simplicité. Autrement dit : bailleurs de fonds de l'astrophysique moderne, soyez remerciés d'offrir aux lauréats de la science moderne des joujoux assez sophistiqués pour les désennuyer.

    *

    Revenons sur cette critique récente de l'hypothèse du big-bang, qui relève l'inadéquation entre l'hypothèse d'une explosion originelle et l'aspect "peu chaotique", l'ordonnancement auquel l'univers serait parvenu "immédiatement après" cette explosion initiale, prenant ainsi forme, comme dirait un artiste classique, selon un mécanisme auquel l'hypothèse du big-bang s'avère incapable de fournir une explication plausible. Cette critique n'est que très relative, puisque nos savants technocrates se proposent seulement d'amender le modèle, sans s'interroger sur les limites scientifiques de la modélisation. Autrement dit, au lieu de chercher les preuves concrètes, observables, expérimentales, de notions abstraites telles que le néant ou l'infini, vis-à-vis desquelles la science antique plus matérialiste, jusqu'à la Renaissance, a exprimé beaucoup de méfiance, ne vaut-il pas mieux se demander si ces notions abstraites, inhérentes aux calculs et modèles mathématiques ne sont pas nécessairement transposées à l'objet de la science lui-même. Il faut noter que cette réflexion mathématique, sur la base de modèles algébriques, a pour effet psychologique de faire de l'homme - en théorie - la cause première de l'univers. Disons-le autrement : la divinisation de la science (en réalité de la technique), corrélative de l'athéisme ou de l'agnosticisme moderne, place l'homme en position de démiurge, non seulement du monde terrestre restreint, mais de l'univers dont il fournit la définition la plus exhaustive possible, ou, plus précisément, une définition en constante évolution. A la question "innocente" d'un enfant qui se demanderait ce qui a précédé l'explosion du big-bang, critiquant ainsi involontairement la démarche qui consiste à rechercher et identifier une "cause première", la seule réponse possible serait : l'homme qui a conçu cette hypothèse première.

    Cette nouvelle tournure d'esprit scientifique (-XVIIe siècle) est sans doute plus facile à observer au plan de l'art moderne. Bien que largement occultés, plusieurs critiques ont fait la démonstration claire et nette, pour le déplorer comme Nitche, ou seulement le constater tel Léopardi, d'une poésie ou d'un art moderne progressivement de plus en plus scindé de la nature et vecteur d'une forme de radicalité anthropologique nouvelle, "libérée" du frein que Nitche se fait un devoir moral de reconstituer par le biais de sa théologie satanique, le principe de l'éternel retour pouvant seul fonder une anthropologie "joyeuse", et donc saine.

    De fait nul ne peut nier le rapport de l'art moderne avec l'existentialisme au sens large, l'introspection, et par conséquent une démarche plus religieuse que scientifique. Certains savants modernes sont à vrai dire très mal à l'aise avec la démarche scientifique de l'hypothèse, capables de comprendre son lien avec une certaine forme de théologie, bien plus qu'avec l'expérimentation scientifique. La recherche d'une cause première est bel et bien analogue à la tentative de certains théologiens de définir dieu/le grand architecte comme la "cause première", extérieure par conséquent à l'univers. C'est cette "extériorité" que la modélisation mathématique perpétue par sa quête temporelle d'une cause initiale, s'exposant à la critique ou la remarque que cette cause initiale présente toujours un aspect théorique voire dogmatique, d'abstraction inexplicable.

    Nitche, et Léopardi plus précisément encore, font remonter le tour abstrait pris par l'art moderne à la philosophie médiévale, de sorte que pour le critique italien, loin de théoriser à la manière de Hegel un progrès de la conscience artistique vers une spiritualité plus grande, la Renaissance et la philosophie des Lumières représentent des parenthèses en réaction à cette détermination philosophique médiévale, l'idée de "modernité" étant essentiellement sous-tendue par une détermination philosophique médiévale. Ainsi la civilisation occidentale serait principalement mue par un "matériel philosophique médiéval", l'athéisme moderne n'étant lui-même que le prolongement de spéculations religieuses chrétiennes, ce qui explique le caractère dogmatique de la laïcité et de la science technocratique modernes. De fait on observe que l'homme moderne, qu'il soit classé dans la catégorie des poètes, des artistes ou des savants, produit surtout des objets de culte, procédant d'une auto-glorification un peu simplette et remplissant le besoin religieux primaire de consolation ; mal, puisque le fétichisme artistique moderne remplit psychologiquement le rôle d'accoutumance ou de résignation à la mort.

     

     

  • Camp des saints

    A la demande d'une amie athée qui fait le rêve mystérieux depuis l'enfance d'un archer monté sur un cheval blanc, je lui fais une lecture de la vision apocalyptique de Jean à Patmos, qui recèle le sens de l'histoire chrétien dissimulé par les évêques catholiques romains.

    Nous confrontons cette lecture aux illustrations vivement colorées de Lucas Cranac'h, visant nettement l'Eglise romaine puisque les figurations de la bête de la terre ou de Satan portent des tiares caractéristiques de la tutelle théocratique de Rome sur l'Occident, et que rois et nations soumis à Satan - soumis nécessairement à Satan car toute puissance temporelle dépend de lui.

    Je mentionne au passage que la robe de bure blanche portée par Balzac au travail selon le témoignage de son ami Théophile Gautier évoque la tenue portée par les fidèles témoins de la parole de Dieu dans la vision de Jean, ce que l'intérêt de Balzac pour l'exégèse du théologien Swedenborg confirme.

    Du point de vue athée, on peut mentionner la charge de Gilles Deleuze (disciple de Nitche) contre l'apocalypse, son absence de style (caractéristique des écrits à caractère mythologique, dont la vérité est le plus souvent extérieure à l'homme, et n'a pour cette raison pas ou peu de valeur éthique ou morale).

    Au contraire de la propagande luthérienne, dans laquelle L. Cranac'h est impliqué, l'exégèse de Swedenborg et les pièces apocalyptiques de Shakespeare (cf. le rapport entre "Hamlet" et les prophéties de Daniel) se refusent à polémiquer, c'est-à-dire à tomber dans le registre de la culture, qui comporte nécessairement un aspect de propagande mensonger. Swedenborg précise en préambule qu'il se tient à l'extérieur de toute Eglise instituée (sous-entendu : par l'homme) ; quant à Shakespeare, non seulement les tentatives d'en faire un auteur catholique romain, ou protestant selon le goût, sont anachroniques, mais elles ne tiennent pas compte de la résistance de Shakespeare à "l'anthropologie chrétienne" et sa conscience que l'athéisme s'avance masqué derrière cet argument, de même que la culture la plus artificielle ; c'est bien Shakespeare qui prolonge les épîtres de Paul, le plus dissuasif de reléguer la parole de dieu au rang d'un "moyen humain pour parvenir au salut", et non les propagateurs de l'éthique démocrate-chrétienne au service des nations. Shakespeare est bien comme Nitche ennemi de la rhétorique et des rhéteurs, non pas comme ce dernier parce que l'enflure rhétorique entraîne l'éviction de la matière comme réalité première, dont découlent par force la plupart des actions humaines (non pas l'amour et l'intérêt pour la vérité), mais parce que la rhétorique, considérée comme la cause et la fin de tout, a aussi pour effet d'occulter les vérités surnaturelles ou métaphysiques.

    Shakespeare n'oppose pas contrairement aux encycliques pontificales à la conception matérialiste de la lumière, notamment solaire, une démonstration de la lumière spirituelle purement rhétorique, mais il lui oppose une réalité cosmique supérieure.

    Le divorce de la rhétorique moderne d'avec la métaphysique est encore plus net qu'il n'est par rapport à la science physique. On peut d'ailleurs voir Nitche comme un avocat de la "décroissance rhétorique" au profit d'une écologie ou d'une culture de vie véritable - il s'agit pour Nitche de redonner à la culture la simplicité et la joie que la rhétorique judéo-chrétienne a fait perdre à la culture. Tandis que Shakespeare, par-delà la considération de la culture, affirme la nullité des démonstrations spirituelles dans le domaine spirituel ou métaphysique. L'amour est aussi improbable par le moyen de la rhétorique que dieu lui-même, et un spécialiste de la biologie n'aura pas de mal à prouver que l'amour n'est qu'illusion, à peu près de la même manière qu'on peut démontrer que l'âme n'est qu'un principe vital, une idée de l'unité organique qui ne résiste pas à la mort et à la décomposition du corps.

     

  • Culture moderne

    L'alternance du puritanisme et de périodes de débauche sexuelle est caractéristique de la culture occidentale moderne. L'idée américaine idiote de libération sexuelle est étrangère à l'Antiquité, parce que celle-ci n'a pas eu l'usage sur le plan politique de la contrainte sexuelle, qui permet de lier plus facilement les masses laborieuses à leur outil de travail.

    Plutôt que de parler de "culture occidentale", on pourrait parler de "culture bourgeoise", car la caste bourgeoise a elle-même ce caractère relativement difficile à définir de la culture occidentale "évolutive". Ironiquement, on pourrait dire que le bourgeois est l'homme qui s'estime descendant du singe. C'est pourtant le cas - l'hypothèse évolutionniste est conforme aux valeurs bourgeoises, parmi lesquelles la mutation joue un rôle essentiel. La théorie américaine du "dessein intelligent" n'est nullement une théorie chrétienne, c'est d'abord et avant tout une théorie artistique. Ce qu'un artiste est amené par son art à mettre en doute, dès lors qu'il ne fait pas seulement commerce de son art suivant l'exigence bourgeoise, c'est l'aspect positif de la mutation. Nitche n'est pas loin de découvrir que la science évolutionniste est animée par un préjugé irrationnel issu de la morale judéo-chrétienne. Parce que l'existentialisme satanique est un existentialisme opposé à l'existentialisme bourgeois.

    De la même manière, le darwinisme de la culture nazie ou des autorités nazies trahit que le nazisme n'est pas seulement réactionnaire, mais moderne et bourgeois, en prise avec son époque. Il s'agit de dénoncer surtout l'aspect réactionnaire du nazisme afin de blanchir la culture bourgeoise moderne, dont le stalinisme est moins éloigné.

    Ce qui rend toute conversation avec des personnes puritaines très difficile, c'est qu'elles sont entièrement déterminées par le sexe comme les nourrissons, plus encore que les débauchés sexuels qui ont une conscience plus nette de leur aliénation.

    On pourrait dire que l'antiquité entretient un rapport moins passionné avec la sexualité, ce qui se traduit sur le plan religieux par un moindre fanatisme. Le "décrochage" de l'éthique d'avec l'esthétique au cours de l'ère dite "chrétienne", la musique devenant peu à peu primordiale, est d'une manière générale un signe de progrès du fanatisme religieux. Si la société bourgeoise du spectacle est une société barbare, c'est très largement en raison de sa passivité religieuse et du maquillage de ce panurgisme par ses élites en discipline scolaire, en civisme, en patriotisme ou en mouvement culturel.

    L'éloge bourgeois de la laideur s'explique par une plus grande passion, compensant une moindre vitalité ; mais comme la vitalité primera toujours sur la passion, la culture moderne est condamnée à mourir, si ce n'est déjà fait. Elle ne résiste que grâce aux efforts énormes de propagande auxquels elle a consenti au cours des temps modernes, car la culture bourgeoise occidentale est, de fait, la culture la plus religieuse de tous les temps. Probablement aucune culture n'a jamais prôné, comme la culture bourgeoise, que le questionnement et la recherche scientifiques priment sur les réponses scientifiques et l'élucidation de l'objet de la science. Un chrétien aura du mal à ne pas voir dans la culture moderne bourgeoise, en principe "judéo-chrétienne", portée par des actionnaires "judéo-chrétiens", une ultime réponse de Satan à la révélation chrétienne.

  • L'Opium du peuple

    La religion est un opium, c'est entendu, et il faudrait comparer le nombre des alcooliques russes et des drogués américains pour savoir laquelle de ces nations doit compter avec le plus grand nombre de fanatiques. Mais que font les athées pour se rassurer ?

     

  • Le bonheur, encore...

    L'aspiration au bonheur est le plus archaïque mouvement social, et sa persistance à une époque aussi reculée que la nôtre nous incite à croire, à l'instar de Nitche, que le progrès n'est qu'une illusion, le but commun restant le même, et les méthodes modernes pour y parvenir - drogue & cinoche - laissant elles aussi sceptiques quant au perfectionnement qu'elles sont censées représenter.

    Si Nitche est représentatif de la mentalité française, notamment parce qu'il est le plus incitatif à voir dans la culture américaine une culture masochiste. Un publiciste américain a parlé du "quart d'heure de gloire" ambitionné par l'homme moderne ; de même, sachant le rapport de la gloire et du plaisir, on pourrait parler d'un "quart d'heure de jouissance". Or, du point de vue français, un quart d'heure ce n'est pas assez : à quoi bon les sacrifices exigés par le progrès, si c'est pour jouir un quart d'heure tel un Américain moyen ?

    Athée, le Français l'est surtout en raison de sa méfiance vis-à-vis du progrès, à l'exception de tout un tas de producteurs et de consommateurs compulsifs de gadgets.

    Quant aux juifs et aux chrétiens, accusés par Nitche d'être "progressistes" et de répandre une éthique parfaitement irrationnelle, telle que l'égalité, en réalité ceux-ci sont dissuadés d'attendre un quelconque progrès visible en dehors du salut, réservé à quelques fidèles, et de la révélation qui marquera la fin de l'histoire pour toute l'humanité, et le soulagement général de celle-ci de ses souffrances absurdes, selon une description analogue à celle du mythe de la destruction des chars de pharaon par la mer rouge. Quiconque prétend compléter la parole divine d'une quelconque doctrine sociale sous-entend la participation de l'humanité au salut, doctrine incongrue en même temps que matrice des idéologies sociales totalitaires. Pour faire du christianisme une religion de masochistes et de faibles, à l'instar de Nitche, il faut lui ôter tout ce en croit Nitche ne croit pas - histoire, divinité de Jésus et résurrection, apocalypse, sans oublier Satan, en tant que démiurge et puissance vitale, équivalent de Prométhée.

    La volonté de puissance de Nitche, qui se renforce du refus d'envisager l'existence sous le respect de la mort par-delà la vie biologique, et se décharge des devoirs inutiles que ce respect engendre, est sans doute plus propice à la jouissance que l'éthique moderne, qui promet la récompense de la vertu dans l'au-delà. Cependant la charité chrétienne n'est pas dans cet absolutisme éthique moderne ; bien au contraire, le christianisme relativise encore plus que Nitche la vertu et ses bénéfices.

    Nitche propose de réduire la voile de l'anthropologie au strict nécessaire. En fait d'anthropologie chrétienne, il n'y a que des discours rusés, puisque la mort de dieu, sa réduction au langage ou à des personnalités juridiques surpuissantes n'est autre que le produit de l'anthropologie dite "chrétienne", flatterie de l'homme derrière l'éloge de sa faiblesse.         

     

     

  • Vacances

    Comme je suis heureux, c'est-à-dire à peu près satisfait, je n'éprouve guère le besoin de partir en vacances. La plupart des vacanciers ont des comportements masochistes et s'infligent des vacances comme une nouvelle épreuve.

    L'ennui, qui traduit un manque spirituel et non une tare physique, contrairement au malheur, l'ennui est un mal qu'aucun divertissement mondain ne permet de vaincre, ni les jeux du cirque, ni le cinéma. On est seul face à l'ennui, et la meilleure raison d'être anarchiste est de ne pas vouloir s'ennuyer.

    Il faut être heureux pour éprouver l'ennui, c'est-à-dire que le bonheur n'est qu'un moindre mal, auquel les espèces animales parviennent plus facilement que l'espèce humaine. Pour reprendre l'expression de Nitche, un genre de "surhomme" pourrait être l'homme qui ne s'ennuie pas. Pour l'antichrist, le modèle du surhomme est le poète ironique, faisant face à la mort, et dont cette perspective n'altère pas la bonne humeur. Pour le chrétien la mort n'est, comme la haine, qu'un manque d'imagination de l'homme.

     

  • La Haine

    Du point de vue chrétien, la haine n'est qu'un manque d'imagination ou, pour le dire d'une manière plus adaptée à notre époque, d'un excès d'ingéniosité.

  • Nostalgiques républicains

    Divers doctrinaires ou pédagogues nostalgiques de l'ordre républicain voudraient redonner à la jeunesse le goût du travail et lui réinculquer le goût de la discipline scolaire, si bien qu'on se croirait un peu retourné au régime de Vichy et à ses éditoriaux sur la défaite française, l'antisémitisme en moins. L'Etat d'Israël est, il est vrai, devenu un exemple de régime disciplinaire et laborieux, qui fait oublier l'image du juif séditieux et anarchiste qui inspira naguère la méfiance aux idéologues républicains.

    Ces théoriciens ne paraissent pas se préoccuper de l'objection simple qui peut leur être faite que les "valeurs républicaines", ayant représenté le moindre obstacle à la décadence et à des changements de moeurs dont l'économie capitaliste est la principale cause, il est plus que douteux que ces valeurs puissent s'interposer aujourd'hui contre le "bouleversement social". La meilleure chance du "retour aux valeurs anciennes" est la crise économique.

    C'est ici que Marx s'avère utile pour remettre du plomb dans la cervelle des adeptes de l'ordre républicain, par le rappel que la propriété est la SEULE valeur fondamentale défendue solidement par les régimes républicaines modernes, toutes les autres étant fictives (l'égalité) ou décoratives (la fraternité) ; la fraternité républicaine ne s'entend qu'au sens militaire ou militant, face au feu ; dans les états-majors militaires ou ceux des partis politiques, c'est la règle du coup tordu qui s'impose.

    Marx fait la démonstration que le cadre républicain moderne est le cadre idéal du développement de l'économie capitaliste. La meilleure preuve en est que les valeurs républicaines sont en principe conservatrices, et non "progressistes", ce dont les idéologues républicains contemporains ne paraissent pas avoir conscience. Tout le problème du progrès, quand on l'a fait miroiter au peuple comme un nouveau dieu plus vrai que les anciens dieux, avec des moyens de propagande similaire, c'est que le peuple finit par y croire dur comme fer, par vouloir le voir et même le palper.

    Une anecdote : un militant du PS m'alpague alors qu'il fait la chasse aux voix dans un quartier populaire ; comme j'ai brûlé ma carte d'électeur à 18 ans en signe d'émancipation religieuse, et que mes revenus me dissuadent de me sentir actionnaire de ce pays au fier passé, sans même chercher à détourner mon apôtre de cette bifurcation qui mène de l'urne au cimetière en passant par de folles espérances politiques, je lui fais signe que je suis un cas désespéré. Mais le type, comme c'est son métier (ou le sera quand il aura passé le cap du bizutage), insiste. Au terme d'une brève conversation où nous faisons un effort pour sympathiser, moi l'athée et lui le croyant, il finit par m'avouer qu'une monarchie constitutionnelle lui irait aussi bien (un militant du PS ! en même temps, il faut dire que la scène se situe à Paris, ou à peu près tous les pouvoirs sont regroupés). - Oui, parce que ce qui compte surtout, c'est ce qui manque, poursuit-il : la responsabilité des hommes politiques ! J'ai sans doute croisé-là le futur François Mitterrand. Ce ne serait sans doute pas une mince affaire d'aller expliquer au peuple - à nos chères têtes blondes d'abord, que la démocratie n'était qu'un doux rêve. Quel boulot ce serait pour le personnel enseignant ; où trouverait-il encore le temps d'apprendre à lire aux gosses les bouquins débiles de J.K. Rowling ? Et dieu dans tout ça (comme disait Napoléon) ?

    Plus ridicules encore, certains idéologues républicains, auxquels quelques chefs d'entreprise capitalistes joignent logiquement leur voix, intéressés qu'ils sont par la "valeur travail", fustigent l'individualisme de la jeunesse, décidément bien mal éduquée. L'individualisme ? Où ça ? Je sais bien qu'on est en France, et pas encore aux Etats-Unis, mais l'individualisme ne se rencontre plus guère que dans le titi parisien, espèce en voie de disparition. Et encore, beaucoup d'entre eux ont désormais un téléphone portable, signe d'individualisme défaillant, ou bien, comme dirait Freud, de cordon ombilical mal sectionné. Dans un pays peuplé d'individualistes, les publicitaires pourraient remballer leur doctrine et aller se faire voir ailleurs. Une des principales actions de l'école, dite républicaine, est de tuer l'individualisme dans l'oeuf, en enseignant l'arithmétique et toutes les sciences sociales superflues. La confusion est faite, plus ou moins volontairement, entre l'individualisme et le relativisme moral, forme dévoyée de celui-ci. Sur ce point, c'est Nitche, défenseur de la grande vertu antique contre la moraline moderne, qui a raison quand il indique que la vertu est liée en principe à la jouissance (de sorte que pour Nitche, seul un aristocrate ou un surhomme peut être vertueux, car il pèse sur le peuple-esclave une contrainte trop forte pour qu'il puisse jouir pleinement) ; on peut donc voir le relativisme moral comme étant lié à une volonté affaiblie, "féminine" dit notre poète-surhomme, et la conséquence d'un régime de frustration. Or la tactique de l'économie capitaliste est de créer l'insatisfaction afin de mieux soumettre un maximum d'insatisfaits.

    Cependant la critique de la morale bourgeoise moderne par Nitche ne s'accompagne pas de moyens politiques efficaces de restauration d'un ordre inique mais équilibré. Le leitmotiv du changement s'impose, aussi dénué de but concret ou même politique soit-il.

    Pour ce qui est de l'individualisme véritable, Nitche ne le conçoit pas, pas plus qu'il ne conçoit la métaphysique ou le Christ, roi des anarchistes, autrement que comme un esprit faible et rêveur, tributaire du temps et non de la matière. La pensée de Nitche ne franchit pas le cap ou ne veut pas franchir le cap de la biologie ou de la physique, et il projette sur le cosmos un raisonnement, si ce n'est abstrait et dérisoire comme les modèles mathématiques, tout de même humain ou anthropologique, c'est-à-dire indifférent aux choses éternelles dans la mesure où elles paraissent inaccessibles à l'homme.

  • Marx chrétien ?

    On considère assez largement en France que Karl Marx est un critique ou un historien athée. Mais on ne trouve pas chez Marx comme chez Nietzsche l'affirmation d'un plan satanique civilisateur, antichrétien et antijuif, dont le principal mérite est de démontrer que la civilisation est nécessairement un plan antichrétien.

    Un chrétien selon la parole divine concédera qu'il n'y a ABSOLUMENT rien dans les évangiles pour fonder une culture, puisqu'il y a même de nombreux avertissements contre ceux qui, usurpant le Christ et la parole divine, braveront cette interdiction en encourant le châtiment divin. Pour le dire trivialement, l'esprit du christianisme n'est pas de faire concurrence au diable sur son terrain de prédilection, à savoir la société.

    L'ambiguïté de la critique marxiste est à peu près la même que celle de la philosophie des Lumières, à savoir : critiquer une religion chrétienne détournée de son but pour satisfaire les ambitions politiques et morales d'une élite constitue-t-il une démarche athée, ou cela permet-il au contraire de découvrir la vérité chrétienne, cachée derrière la tenture cléricale ? De cette ambiguïté, les philosophes des Lumières comme Marx sont conscients. Ils ont en outre en commun le fait d'avoir reçu une éducation chrétienne assez poussée, et même très poussée dans le cas de Marx.

    Le christianisme social, et donc truqué, auquel Marx s'attaque, notamment à travers sa formule hégélienne la plus moderne, la mieux adaptée au totalitarisme, peut être caractérisé comme un "providentialisme". Les cultes païens sont des cultes providentiels, en raison du rôle exclusif et central joué par la nature dans ces cultes - exclusif notamment de la notion d'histoire. Le providentialisme, sous la forme antique du "destin", ou plus moderne du "hasard", trahit le double discours du clergé catholique romain, à la fois païen et chrétien. De toutes les religions, le christianisme est en effet la moins providentielle. Le providentialisme est d'ailleurs étroitement lié à une notion, flagrante dans les cultes anciens, et occulte dans le régime démocratique bourgeois, à savoir l'élitisme. Autrement dit, il n'y a pas de civilisation équilibrée, de culture de vie païenne sans élitisme. C'est une ruse bourgeoise que celle qui consiste à faire croire que la démocratie est conçue dans l'intérêt du peuple, et le clergé catholique joue exactement le même rôle auprès de la bourgeoisie que celui qu'il joua autrefois auprès des princes quand il s'efforce de cautionner la démocratie.

    La particularité de la démocratie selon Marx, opposée à la démocratie républicaine ou bourgeoise, est qu'elle consiste à tenter de libérer l'homme de l'emprise de l'Etat. Marx conçoit la démocratie contre l'Etat républicain, et l'idéologie stalinienne consiste à rétablir l'Etat dans ses droits contre la critique marxiste - et donc le providentialisme. En cela le propos de Marx s'éloigne beaucoup moins du christianisme que les tentatives démocrates-chrétiennes de justifier la démocratie comme un régime plus juste et coïncidant avec l'esprit chrétien.

    Marx est en outre beaucoup moins révolutionnaire que les philosophes bourgeois qui, étant donné le changement de régime en faveur de la bourgeoisie, se sont efforcé de présenter la révolution française de 1789, mouvement distinct de la philosophie des Lumières, comme un "progrès".

  • Foot & parade militaire

    Le "Voyage au bout de la nuit" était interdit dans l'armée française jusqu'à une période récente. Sur la guerre moderne, bourgeoise & démocratique, l'ex-héros de guerre L.-F. Céline s'avère de fait un peu trop lucide et antialcoolique. On fera des connauds bons pour le service bien plus facilement à l'aide du cinéma, instrument indispensable de la politique moderne. Il est impossible de concevoir un humanisme contemporain qui ne mette pas en cause le rôle du cinéma comme machinerie au service de la guerre moderne, totale au point de requérir l'adhésion des consciences les plus faibles en "temps de paix". Le cinéma opère par l'arasement progressif de l'esprit critique.

    Ancien combattant lui aussi, Pierre Drieu La Rochelle explique que "la patrie est la force la plus immédiatement dangereuse qui circule au milieu de nous" : on peut en dire autant du cinéma, dont la valeur artistique est très proche de la valeur religieuse du cinéma, c'est-à-dire superficielle. On pourrait dire qu'il n'y a pas de civilisation bourgeoise, parce qu'il y a un cinéma bourgeois.

    Sans l'aide d'un psychiatre pour l'aider à gérer son stress post-traumatique, Céline soigne sa folie en noircissant du papier ; quel meilleur moyen de soigner la folie que de faire un effort pour recouvrir la conscience que l'élan ou le plan social obscurcit ?

    L.-F. Céline se montre conscient du lien entre la folie et la sexualité, ainsi que du caractère principalement érotique de la guerre. Comme beaucoup de jeunes soldats de son âge, Ferdinand part à la guerre comme on part à la conquête d'une jolie femme, et il est bouleversé de découvrir que la guerre moderne n'est qu'une vieille mégère infâme, qui préfère les chars et les pluies d'obus aux jeunes soldats héroïques. F. Vallotton, esprit sceptique lui aussi, évoque le caractère "mathématique" de la guerre moderne, c'est-à-dire son extraordinaire légalisme, en même temps que sa violence cataclysmique. Les longues périodes de trêve qui ont suivi les conflits mondiaux les plus violents traduisent-ils la volonté des hommes de faire la paix, ou tout simplement la difficulté à récupérer après un effort de guerre ultra-violent ? La France, en 1940, est-elle faible du fait de ses chefs, ou bien n'a-t-elle pas encore récupéré de ses efforts précédents ?

    Si la guerre est l'occasion d'une prise de conscience, celle de Céline par exemple, tandis que les parades militaires en temps de paix sont des spectacles conçus pour les veaux, comme le football, cela s'explique parce que la guerre est destructrice du mensonge social ; aucun abus de conscience, sous la forme d'un idéal ou d'une doctrine sociale quelconque, ne résiste à la réalité de la violence militaire. De même la prison est dissuasive d'adhérer à un quelconque idéal social. On ne comprend rien et on n'explique rien de Sade tant qu'on n'a pas dit que c'est un ancien officier, qui a tué très jeune de ses propres mains. Sans instinct, il n'y a pas de société, et à cause de l'instinct il n'y a pas de société idéale possible.

    On peut d'ailleurs observer que les prêtres qui commettent la folie de fournir leur caution morale à la guerre, sans aller jusqu'à tremper eux-mêmes dans le sang et la merde, le plus souvent ne veulent pas voir sa réalité barbare ou la camouflent. Les guerres modernes bourgeoises "au nom de la démocratie" sont d'abord des guerres religieuses pour cette raison qu'elles s'appuient sur une propagande qui, au lieu d'exalter la vaillance et les qualités viriles, prétend qu'il y a des guerres justes, et d'autres qui ne le sont pas. C'est ici que l'on peut situer le rôle extrêmement néfaste des doctrines sociales prétendument chrétiennes. Elles ne sont pas représentatives de la faiblesse, comme dit Nietzsche, faisant l'apologie de l'héroïsme et de la vertu antiques, mais de la ruse.

     

     

  • Progrès & Football

    Si le progrès est chose pratiquement invisible, dont il ne faut pas s'attendre à des manifestations publiques (gare aux politiciens qui invoquent le "sens de l'histoire"), c'est en raison du goût de l'homme pour la culture avant tout. Il n'y a aucun exemple de société qui ne soit pas d'abord sous l'influence d'une culture, et n'entretienne avec elle le même rapport qu'un morceau de fromage avec la cloche qui le recouvre.

    Les cultures progressistes sont les plus laides et les plus artificielles, car elles méconnaissent simultanément le principe de la culture et celui du progrès. Les cultures progressistes privent l'homme à la fois d'une philosophie naturelle véritable comme elles le privent d'une théologie véritable, proposant à la place un existentialisme douteux - ce que le crétin occidental ultime appelle une "play list", c'est-à-dire un choix de morceaux de musique sur lesquels il va danser, jusqu'à s'essoufler, avant de crever ensuite quand il sera bien cuit.

    A un dieu invisible tel que l'est le dieu des chrétiens, dont la présence n'est pas aussi palpable que celle que Satan, correspond cette chose invisible qu'on appelle le progrès, qui sans ce dieu n'aurait pas traversé l'imagination humaine, contredisant l'art comme l'idée de liberté contredit celle d'éducation.

    La plus grande folie est de croire au progrès sans croire en dieu, car cela revient à tout miser sur le néant ou sur l'avenir, deux idoles du panthéon des cultures progressistes.

  • L'Art et l'Eglise

    L'Eglise catholique romaine représente la branche officielle du christianisme la plus sociale ; c'est ce qui explique que l'art moderne le plus débile porte sa marque, en filigrane. Le besoin d'un pâtissier contemporain d'apposer sur son travail l'étiquette de l'art (et demain de la science), tentant d'effacer ainsi tout ce que la gastronomie a de trivial, est un besoin que le clergé catholique a inoculé aux peuples de l'Occident (bien sûr, une fois purgé de la critique de Luther, le clergé protestant a suivi le mouvement).

    L'homme qui, de ce fait, se situe au niveau de dieu, ou bien, ce qui revient au même, à qui l'existence semble d'un grand prix, a un tempérament "bipolaire" où l'immodestie et l'arrogance alternent avec des périodes de doute puéril. "Je suis athée, mais si j'étais croyant j'irais certainement au paradis, vu ma conduite assez irréprochable.", dit un célèbre journalisme parisien, sur le ton totalement dépourvu d'humour d'un gosse à qui sa mère ne cesse de répéter qu'il est le meilleur.

    *

    Sur le thème de l'art et de la vérité, la difficile conciliation de ces deux mobiles ou buts, Bernard-Henry Lévy a pondu l'année dernière un ouvrage abondamment illustré d'oeuvres anciennes et récentes, censées être représentatives de l'art occidental. Le thème de l'art et de la vérité englobe nécessairement le christianisme, le judaïsme, la philosophie païenne recyclée de Platon, voire l'antichristianisme, étant donné le recul apparent des Eglises chrétiennes officielles au cours des derniers siècles.

    Cet ouvrage globalisant ou de synthèse n'a pas de fondement scientifique sérieux. C'est entièrement une démonstration philosophique réfutable, à peu près dans les mêmes termes utilisés par Marx pour réfuter la thèse hégélienne du sens de l'histoire.

    Suivant une logique athée, BHL s'efforce de nier la réalité et le sens de l'interdit juif de l'art, ce qui revient à essayer de transformer la religion juive en ce qu'elle n'est pas et ne peut pas être, à savoir une religion "anthropologique".

    Il est donc fascinant de constater que BHL répète le travail subversif opéré par les clercs catholiques du moyen-âge, et qui consiste, contre la lettre et l'esprit évangéliques à faire du christianisme une religion anthropologique. Nul mieux que Shakespeare n'a illustré le caractère tragique de cette méthode, qui consiste à inventer une morale chrétienne (aujourd'hui une "éthique judéo-chrétienne"), alors même que le Messie des chrétiens n'a jamais donné la moindre leçon de morale à quiconque, mais qu'il inaugure un temps nouveau, bref et apocalyptique. Le Messie ne présente pas la pauvreté comme un avantage d'ordre moral sur la richesse, mais comme un avantage spirituel.

    Le christianisme est incompatible avec une doctrine sociale quelconque, et donc une position sociale quelconque, pour la simple et bonne raison qu'il se figure la société comme l'enfer, c'est-à-dire comme la conséquence du péché. S'il est proposé à l'homme un remède à ses errements, en aucune façon le christianisme ne propose de tirer la société de l'état de médiocrité dans laquelle elle se trouve, c'est-à-dire de l'état le plus souhaitable du point de vue de la civilisation ou de l'art.

    On pourrait dire que la métaphysique chrétienne s'oppose à l'art, le faisant apparaître comme beaucoup plus trivial ou limité qu'il n'est, mais surtout, ce qui est plus grave pour les élites dirigeantes, le christianisme détourne de la fonction sociale de l'art. Parce qu'elle est l'art le plus social, la musique est du point de vue chrétien l'art le plus nul, une sorte de berceuse pour les enfants.

     

  • Critique littéraire

    L'autocritique est un art difficile, notamment parce qu'il suppose d'être en bonne santé. Si l'art de Proust est aussi dépourvu d'autocritique et rempli des justifications que le fétichisme procure, par conséquent destiné à plaire aux femmes, c'est sans doute parce que Proust est malade et drogué jusqu'aux yeux.

    Il arrive à ce genre d'auteur, comme Pascal ou Rimbaud, de réclamer à leurs ayant-droit de détruire leur oeuvre dans un regain de santé, comprenant qu'elle n'a été qu'une prothèse, et par conséquent une escroquerie sur le plan littéraire. Si l'on se penche d'un peu plus près sur la culture bourgeoise, on se rendra compte, d'ailleurs, qu'elle est entièrement thérapeutique, c'est-à-dire inutile à un esprit sain de corps et d'esprit. C'est un vin mauvais, un de ces petits vins sucrés traîtres qui font la joie des bonnes femmes. L'aspect thérapeutique de la culture bourgeoise est ce qui la rapproche de la sorcellerie et du tribalisme. Personne ne lit Proust = nul ne sait ce dont le sorcier du village est capable. Le respect pour la culture est la superstition moderne et la peur des fantômes.

    Il n'y a pas l'athéisme d'une part, et la religion de l'autre, ce sont là deux manières trop humaines de considérer la religion, mais plutôt une religion propice à l'autocritique (qui diffère de l'examen de conscience), et l'autre propice à l'autojustification (d'où le besoin des grandes bourgeoises allemandes protestantes du baume de la psychanalyse).

    L'effet néfaste de la chair sur la conscience est systématiquement souligné dans les religions (non seulement la religion chrétienne) propices à l'autocritique. Une religion que l'on peut confondre avec l'opium du peuple, comme dit Marx, est nécessairement une religion qui fait la part belle à l'érotisme, le plus souvent sous la forme maligne de la promesse de bonheur, c'est-à-dire d'une jouissance différée dans le temps. L'éthique judéo-chrétienne est l'ingrédient de base du totalitarisme. On ne peut contester ce point à l'antichrist Nietzsche, qui a le don de faire apparaître le satanisme comme un humanisme. Nietzsche "parle" à tous ceux que la culture moderne détruit, en particulier les enfants, parce qu'il s'est soigné en luttant contre les effets néfastes pour lui-même de la culture bourgeoise, la plus incitative à la passivité de toutes les cultures. C'est un plus grand sorcier que Proust ou Freud, dont les publics sont plus restreints.