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  • Le Diable dans l'Eglise (4)

    Le plus gonflé de la part de l'ancien directeur de L'Express Jacques Duquesne, qui constate que l'Eglise catholique a effacé le diable de ses tablettes, c'est de s'en féliciter sur le plan de la responsabilité (et donc de la morale).

    Je reviens sur ce mensonge éhonté : le capitalisme, en tant que facteur d'hyperpolitisation, et je ne crois pas qu'on puisse aller plus loin dans le totalitarisme, le capitalisme possède l'effet "désinhibant" d'une drogue (le drogué est un puritain qui interprète l'effet de la drogue comme un effet "libérateur").

    On peut poser de fait que "moins l'individu est libre, plus il est aliéné à un système politique comme c'est le cas aujourd'hui, moins il est responsable". A cet égard, l'invention de l'"inconscient" par Freud est une invention typiquement capitaliste et qu'il est difficile de concevoir en dehors d'un tel régime. L"'inconscient" est d'ailleurs étroitement en rapport avec l'idéologie génétique, qui a le même effet déresponsabilisant.

    *

    On peut même voir que l'inconscient freudien occupe dans la religion laïque ou existentialiste la même place que le purgatoire dans la religion chrétienne (médiévale). Non seulement parce que le médecin ou le psychiatre occupe le rôle dévolu autrefois au confesseur (un rôle politique clef), mais parce que l'inconscient a le même caractère de science-fiction que le purgatoire. Dans le cas du purgatoire il s'agit d'un temps linéaire, dans le cas de l'inconscient d'un temps cyclique, c'est-à-dire que l'"après" existentialiste, le "post-mortem" bourgeois est à peu près équivalent à l'"ante-mortem" (on le comprend bien à travers la litanie pédérastique de Proust, dont le gain de temps procède d'une rétrogradation). Contre les mathématiques bourgeoises imbéciles, il faut redire que la ligne est un perfectionnement du cercle et non l'inverse. Le signe le plus primitif, c'est le cercle.

    La ligne du purgatoire, opposée à la spirale de l'inconscient a une raison : elle est architecturale. Le purgatoire n'est pas seulement un "temps", c'est un "espace-temps" plus raffiné. Ce critère permet de comprendre que la conception médiévale est moins animiste que le concept de la religion bourgeoise existentialiste. La "circulation libre" des âmes ou des fantômes est le propre du tribalisme. Le séjour délimité des morts a un effet de libération sur les vivants ; clairement, il libère en partie d'un poids généalogique.

    D'ailleurs, à propos du moyen âge et de sa conception géométrique du séjour des morts, il faut dire que Dante Alighieri, traversant le Purgatoire, l'Enfer et le Paradis, a détruit ces architectures ou ces sciences-fiction en les banalisant. Etant donné l'importance du purgatoire au regard du pouvoir temporel de l'Eglise, et l'hostilité de Dante à ce pouvoir, synonyme de compromis avec les marchands, que Dante dénonce bien avant Luther ou Marx comme une pente vers l'Enfer, on mesure l'impact de la théologie de l'Alighieri, peut-être plus fort que l'impact de Thomas d'Aquin, plus "politiquement correct".

    Pour résumer et dire en un minimum de mots à quoi tient l'aliénation capitaliste, désormais à l'échelle mondiale, on peut dire que le capitalisme a réintroduit l'idée de destin au coeur de l'humanisme et de l'humanité (destin qui pour un chrétien se note 666).

    Si l'on veut en savoir plus sur le diable, mieux vaut lire Baudelaire plutôt que les dix derniers papes. Le tabou brisé par Baudelaire est le suivant : parler du diable dans un régime bourgeois, alors qu'en principe on ne parle pas de corde dans la maison d'un pendu.

  • Chrétien et soldat ?

    Dans un square parisien, comme je suis en train de glaner un peu d'internet gratuit, un Témoin de Jéhovah m'aborde. Il m'offre deux de ses brochures sans se douter que j'attends l'apocalypse avec autant d'impatience que lui (patience est vertu de petit rentier).

    La gazette des Témoins de J. s'appelle "La Tour de Garde". Je la feuillette sur un banc après avoir rédigé une note pour ce blogue. Elle est fabriquée manifestement aux Etats-Unis, tire à trente-sept millions d'exemplaires et est traduite dans une centaine de langues différentes.

    Mon attention est attirée par deux articles dans le n° daté du 1er octobre 2009. Le premier sur l'Esprit saint dont l'auteur nie qu'il puisse être une "personne" ; après avoir fait le tour de la gazette, ça me semble être la seule différence notable entre les Témoins et la théologie catholique... Le rédacteur ne critique pas directement la conception catholique trinitaire qu'il n'a pas l'air de bien connaître. Vu que quasiment aucune ouaille catholique n'est capable de donner une explication claire du "trois-en-un divin", on ne saurait reprocher aux Témoins de J. leur ignorance.

    *

    Plus intéressant l'article intitulé "Peut-on concilier guerre et christianisme ?" d'Olivier O'Donovan ; j'ai même un léger sursaut en lisant ce titre, qui serait beaucoup trop politiquement incorrect pour un journal français chrétien ayant pignon sur rue aujourd'hui. Le "civisme" est prôné aujourd'hui jusqu'à l'absurdité par les plus hautes autorités chrétiennes en France, et le "civisme" implique de larguer des bombes sur des civils innocents en Afghanistan comme en Irak naguère, afin de protéger l'économie française capitaliste de la concurrence.

    D'ailleurs O. O'Donovan se garde de répondre à cette question brûlante de la possibilité d'accorder le statut de soldat et celui de chrétien dans son article. Mais il pose quelques jalons intéressants. Il cite d'abord saint Augustin (en 417 "de notre ère", est-il précisé, je suppose à l'attention du lectorat yanki de "La Tour de Garde") :

    "Gardez-vous de croire qu'on ne puisse plaire à Dieu dans la profession des armes (...). Il en est (...) qui, en priant pour vous, combattent contre d'invisibles ennemis ; vous, en combattant pour eux, vous travaillez contre les barbares trop visibles."

    O'Donovan qualifie malicieusement Augustin de théologien "catholique". En réalité le renom d'Augustin est plutôt dans les pays de confession protestante. Chez les catholiques, ce sont les jansénistes qui ont remis à la mode saint Augustin au XVIIe siècle pour des raisons politiques (que l'extrait cité par O'Donovan permet aisément de deviner).

    Thomas d'Aquin (XIIIe siècle) est ensuite cité :

    "Les guerres sont licites et justes (...) dans la mesure où elles protègent les pauvres et tout l'Etat contre les violences des ennemis".

    Ici on ne peut s'empêcher de penser à Bernard Kouchner. C'est-à-dire que le propos de Thomas d'Aquin constitue un progrès considérable par rapport à celui d'Augustin, à la stricte condition qu'il ne soit pas fait une application hypocrite de cet "humanisme militaire" protecteur des pauvres. Un peu d'histoire suffit pour connaître que l'hypocrisie prévaut généralement dans le déclenchement des conflits militaires, surtout au cours de l'histoire récente, et bien sûr au-delà du seul cas de Bernard Kouchner.

    O'Donovan s'en abstient, mais il aurait pu citer des formules plus pacifistes encore datant de la Renaissance, celles d'Erasme, par exemple, afin d'illustrer le progrès vers l'orthodoxie chrétienne jusqu'au XVIe siècle. Orthodoxie qu'on peut traduire comme la correspondance de la théologie avec l'Ecriture sainte qui la surpasse toujours ; orthodoxie dont on peut vérifier historiquement qu'elle coïncide avec une dépolitisation de la théologie.

    O'Donovan cite justement : "Remets ton épée à sa place, car tous ceux qui prennent l'épée périront par l'épée." prononcé par le Messie contre l'apôtre Pierre, sûrement pas par hasard (Matth. 26:47-52).

    Il aurait pu citer aussi, qui dissuade plus largement encore le chrétien de se compromettre dans la carrière des armes : "Que celui qui a des oreilles entende ! Si quelqu'un mène en captivité, il sera mené en captivité ; si quelqu'un tue par l'épée, il faut qu'il soit tué par l'épée. C'est ici la patience et la foi des saints." (Ap. Jean 13: 9-10)

    Bien sûr, on est en droit de trouver ça naïf et utopique. Mais la politique du point de vue chrétien est une utopie qui a la puanteur du Danemark, la couleur pourpre, écarlate ou orange des âmes corrompues.

    "La Tour de Garde" des Témoins de Jéhovah s'avère donc une lecture très saine en définitive pour des catholiques, par comparaison à la chienlit et la cinéphilie immonde des gazetiers démocrates-chrétiens actionnés pour beaucoup d'entre eux par "Le Figaro", dont les arrières-pensées politiques précisément sont transparentes comme le cristal.

  • Sorbonagreries

    Ce n'est pas seulement le sérieux des commentateurs de François Bacon qui est douteux (ainsi lorsque J. Ratzinger ou M. Le Doeuff en font le père fondateur de la science polytechnique moderne pour servir leurs propagandes respectives) ; beaucoup de commentaires touchant Shakespeare sont aussi mensongers ou ridicules. Même si les deux colonnes d'Hercule de la bêtise boche que sont Freud et Nitche paraissent infranchissables, les commentaires pédants et oiseux de René Girard appartiennent à la même catégorie qui consiste à plier Shakespeare aux exigences de la science laïque moderne, qui semble toujours dire en regardant le passé : "Miroir, mon beau miroir, ne suis-je pas la plus belle ?"

    Avant de prendre un exemple précis, l'erreur en général est de qualifier le théâtre de Shakespeare de "baroque" toutes les dix lignes, sans démontrer qu'il en possède les caractéristiques. Le refus de caractériser l'art baroque est lui-même typique du savant baroque, au sens de "bordélique" (Le baroque est bas de plafond dans la mesure où il ne conçoit pas grand-chose en dehors de son architecture grotesque et de ses jeux de miroir.) Le crétin italien Stendhal, colporteur du goût pour l'opérette, Stendhal pas plus ne justifie l'étiquette de "romantique" qu'il colle à Shakespeare et qui lui va si mal.

    L'intention ou le procédé artistique de la "mimésis" que Girard prête à Shakespeare ne fait qu'accroître l'incompréhension puisque c'est un vaste fourre-tout. En admettant que l'art grec "imite la nature", expression floue : Girard feint d'ignorer que pour certains Grecs, non des moindres, la nature est double, éternelle ou corruptible. Encore faut-il préciser à quel courant Shakespeare se rattache, méditatif (disons Pythagore) ou contemplatif (disons Parménide ou Aristote) ? L'imitation conduit beaucoup d'artistes, à commencer par les musiciens, à faire correspondre ce qui, dans la nature offerte aux sens en éveil, coïncide le mieux avec la propre nature animée de l'homme. C'est à peu près ça l'art baroque ou romantique, les paysages de Constable en peinture, et Shakespeare ne correspond guère à cette "mimésis", il est beaucoup plus "sculptural" et donc classique que ça. Du crâne du héros grec Ajax, peint sous les traits d'un possédé par Shakespeare, s'échapperait s'il était brisé... de la musique. Tout laisse croire par ailleurs que Shakespeare ne croit guère au destin ; que Hamlet n'est pas dans la disposition d'esprit de s'en remettre à la Providence. Encore un signe qu'on ne peut faire endosser l'uniforme (de marin) romantique ou pré-romantique à Shakespeare. Delacroix, pourtant du même bordage libéral que Stendhal ou Girard, a mieux vu qu'eux la distance séparant Shakespeare de l'idéal musical et reproche à Shakespeare en somme de n'être pas assez "musicien".

    *

    Jean-Pierre Villquin dans l'édition 2008 de la "Pléiade" commente la pièce "Thomas More" découverte tardivement, en prétendant que l'éphémère ministre catholique d'Henri VIII est présenté sous un jour favorable dans la pièce -de façon "paradoxale" ajoute-t-il, puisque More (1478-1535) était papiste.

    Or plusieurs passages de la pièce sont très loin de présenter More sous un jour favorable :

    - un voyou, Jack Falkner, qui réclame justice à More, est éconduit brutalement (Acte III, sc.1) ;

    - plus grave, More est parjure ; après avoir obtenu la reddition d'une bande d'insurgés grâce à sa promesse de leur obtenir la vie sauve, il se dédit (un "les promesses n'engagent que ceux qui les reçoivent" avant l'heure). Et Doll, l'une des rebelles trahis par More a ces mots sarcastiques :

    "C'est un gentilhomme honnête, avisé et qui cause bien. Pourtant j'aurais loué bien davantage son honnêteté s'il avait tenu sa parole et sauvé nos vies. Les mots ne sont que les mots et ne paient pas ce que les hommes promettent avec." (Acte II, sc. 4)

    Ici on ne peut s'empêcher de penser que c'est Shakespeare qui s'exprime, ce passage dirigé contre la rhétorique et les rhéteurs n'étant pas isolé dans son oeuvre. Plus largement More incarne comme Wolsey son prédécesseur, ou Cranmer (si ce n'est Polonius même), le "pouvoir des évêques" et une forme de politique théocratique à laquelle Shakespeare n'adhère pas, conformément à une tradition chrétienne (ni particulièrement antipapiste, ni anglicane). Les Eglises anglicane, allemande, suisse, n'ont pas modifié substantiellement la pratique théocratique catholique ; elles furent bien plutôt, c'est très net dans le cas de Hobbes (qui fut secrétaire de Bacon mais ne le cite presque jamais) les chevilles ouvrières de l'endossement par l'Etat et ses institutions d'habits religieux empruntés à l'ordre pyramidal catholique (La critique de Marx consiste en partie à le démontrer en ce qui concerne l'Eglise allemande luthérienne ; le fonctionnaire, l'"homme nouveau" de la doctrine nationale-socialiste hégélienne auquel Marx et Engels opposent le prolétaire, emprunte son sacerdoce au curé catholique à travers le pasteur luthérien).

    Il est fait allusion à l'ironie "légendaire" de Thomas More à de nombreuses reprises, ironie de More qui lui a aussi valu quelques aphorismes de Bacon ; mais l'ironie ou l'humour n'est guère valorisé dans la tradition chrétienne. Hamlet le manie bien dans son semblant de folie, mais comme une arme pour se défendre contre les saillies de ses ennemis ou de ses soi-disant "amis" Rosencrantz et Guildenstern. Baudelaire remarque à juste titre que "les Evangiles ne rient pas". Encore une fois, More est le dindon de sa propre conception théocratique qui l'entraîne à accepter sa décapitation avec longanimité. Mourir crânement comme More n'épargne que son amour-propre. Ni Shakespeare ni son public n'ignorent qui plus est que la condamnation de More est le résultat d'un imbroglio sentimental et politique peu reluisant qui a déjà eu, lorsque Shakespeare rédige sa pièce, des conséquences tragiques. Pour avoir fait du remariage de son roi un élément-clef de ses intrigues, le cardinal Wolsey a été placé au centre d'une pièce de Shakespeare où celui-ci fait nettement allusion à la pourriture pourpre et écarlate qui colore dans l'apocalypse de saint Jean le pacte entre l'Eglise et le pouvoir temporel.

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    Autre exemple de commentaire gratuit voire ubuesque, celui de Pierre Spriet, à propos de "Troïlus et Cresside" : "Shakespeare a moins d'estime pour les Grecs que pour les Troyens.", écrit Spriet dans sa notice.

    Il semble ici que le commentateur prenne encore ses désirs pour la réalité. En effet, les rôles-titres que sont Troïlus et sa fiancée Cresside (et Troïlus est le "Troyen-type") sont brocardés du début à la fin de la pièce, leur idéal d'amour courtois en particulier, rabaissé au niveau de celui d'un cocu petit-bourgeois, qui lorsque sa dulcinée lui est enlevée pour être offerte en cadeau de compensation à Diomède, ne sait que s'incliner en bafouillant quelques stances ridicules.

    Il me semble que l'idée a dû venir à S. Freud (loin d'être le premier à l'avancer) de l'identité de Bacon et Shakespeare à cause de l'usage subtil de la mythologie grecque par ce dernier. Shakespeare n'a de fait pas manqué de remarquer que le dieu qu'adorent les Troyens, Apollon (le "destructeur") est le nom de Lucifer dans le Nouveau Testament.

    Que tel ou tel commentateur s'identifie plutôt à More, Ophélie, voire Claudius (!) n'est pas gênant en soi ; dans le cas de Nitche, qui présente le même tempérament de petite salope puritaine qu'Ophélie, c'est pleinement justifié. Ce qui est malhonnête, c'est le ton d'apparente neutralité universitaire sur lequel ce genre de commentaire est fait. Une pièce flatteuse pour More ? Paradoxe ! Et l'argument de la poésie pour couvrir cette gnose de profs lorsqu'elle est par trop incohérente. Blablabla.

    *

    Et maintenant, voici deux apophtegmes de François Bacon où l'humour de Thomas More est lui aussi évoqué.

    "Sir Thomas More n'eut d'abord que deux filles et sa femme ne cessait de prier pour avoir un garçon. Enfin elle eut un garçon, qui ayant atteint l'âge adulte, s'avéra simple d'esprit. Sir Thomas dit à sa femme :

    - Tu as prié si longtemps pour avoir un garçon qu'il en restera un jusqu'à sa mort."

    "Un barbier fut envoyé à Sir Thomas More le jour de sa décapitation, parce qu'il avait les cheveux longs, ce qui pensait-on risquait d'apitoyer plus encore la foule sur son sort. Le barbier s'approcha et lui demanda comment il lui plaisait d'être coiffé ?

    - Ma foi, mon brave (dit Sir Thomas), le roi et moi réclamons tous les deux ma tête, et tant que le cas ne sera pas tranché, je n'engagerai aucun frais dessus."

    F. Bacon, "Apophtegmes" (1624)

    Et encore ceci :

    "- More : Depuis quand portes-tu ces longs cheveux ?

    - Falkner : Je les porte depuis ma naissance.

    (...)

    - More : Dis-moi à présent canaille depuis combien de temps tu n'es pas allé chez le barbier ? Depuis quand cette chevelure épaisse est-elle sur ton crâne ?"

    "Thomas More" (Acte III, sc. 1) (1594 ?)

    Une scène entière quasiment est consacrée à l'obsession qu'a More de la façon dont Falkner, venu le voir pour réclamer un jugement impartial, est coiffé. Ce qui est loin d'indiquer l'estime de Shakespeare pour l'utopie politique de Thomas More, dont il a été fait utérieurement par Rome le "saint patron des hommes politiques" sans tenir compte de l'avertissement de Jésus-Christ contre la tentation d'édifier le royaume de Dieu sur la terre (Je veux dire par là que Shakespeare ne manque pas d'arguments chrétiens pour contester le point de vue de Thomas More, nécessairement le résultat d'un compromis avec le paganisme.)

    Il semble donc que l'opinion en faveur de More soit surtout celle de M. Villquin, non celle de l'auteur de la pièce lui-même.

  • Langue de bois de fer

    Tentative opportuniste d'un jeune crétin, François Huguenin, de blanchir Benoît XVI de l'accusation d'être un pape plein de préjugés en faveur du capitalisme et du libéralisme. "Opportuniste" car il s'agissait plutôt avant la crise de la part des démocrates-crétins de légitimer le capitalisme avec des arguments chrétiens, à la suite du R.P. Bruckberger : "Le capitalisme, c'est la vie." - ou des révérences de Jean Guitton en direction de la science polytechnique capitaliste.

    En admettant même que la crise ait pu révéler toute la hideur du capitalisme à de jeunes chrétiens qui l'ignoraient jusque-là, ignorant aussi le double avertissement messianique contre la politique et l'argent, il ne paraît pas que le pape a beaucoup changé son fusil d'épaule dans le laps.

    L'inanité des encycliques sociales qui se sont succédées depuis que Rome a eu l'idée de ce genre de bobard, le cynisme du "patronnat chrétien" enclin au féminisme pour des raisons salariales déguisées en humanisme, etc., etc., tout ça incite à regarder la dernière encyclique du pape comme une hypocrisie de plus. Qui plus est, le socialisme en tant qu'utopie politique n'est pas plus fondé sur le Nouveau Testament que le capitalisme ou l'écologie (derrière lubbie du primate des Gaules Mgr Barbarin).

    Marx, à qui le freluquet Huguenin ne risque pas de voler la palme de la contestation du capitalisme, sait parfaitement le danger plus sérieux que les socialistes font courir à l'humanisme véritable, en raison d'une aptitude particulière au jésuitisme dont les réactionnaires sont incapables (à tel point, on vient de le voir avec Sarko, qu'un réactionnaire une fois élu est obligé de se rallier à la langue de bois socialiste, au grand dam des cul-bénis sociaux-démocrates privés de leur outil de sidération favori.)

    (La récupération des deux derniers papes par la propagande du Pacte Atlantique, le faux-cul du "Figaro" Patrice de Plunkett inclusivement, cette récupération a été très largement consentie par les deux papes en question ; c'est ainsi que les Russes l'ont pris, et on ne peut pas leur donner tort sur ce point ; or la Russie a donné au cours des dernières années des signes de bellicisme moins grand que les Etats-Unis.

    Je cite l'ex-maire de Plancoët, commune bretonne, qui avait fait ériger une statue du pape Jean-Paul II en présence de l'agent de la CIA Alexandre Adler, propos afin de justifier l'implantation de caméras de surveillance dans sa commune : "Je ne suis pas chrétien, moi, quand on me frappe je rends oeil pour oeil, dent pour dent." pour saluer ce propos, car il montre qu'à défaut d'adhérer au pacifisme chrétien, au moins cet édile admirateur de Jean-Paul II en a eu vent.)

  • Panthéonade

    Le choix d'Albert Camus pour figurer au Ciel républicain et bénéficier de ses 2,5 mètres carrés de gloire (environ) est celui d'un grand petit homme de lettres par un grand petit homme de loi : parfaitement proportionnel.

    D'autant plus que la presse résume Camus (tant mieux, ça m'évite de le lire au-delà de mes anciens devoirs scolaires) au démonstrateur de l'absurdité de la condition humaine (surtout quand elle se termine par un transfert au Panthéon) ; or son admirateur Nicolas Sarkozy prouve, lui, avec non moins de style (plus ?), l'absurdité de la condition de chef d'Etat.

    Le conseiller littéraire et artistique de Sarkozy est un véritable génie à mes yeux (je soupçonne X. Darcos), car l'initiative précédente d'offrir un bouquin de Bernanos à Benoît XVI m'avait parue aussi extrêmement judicieuse et urgente ; Madame de La Fayette est certes encore plus oiseuse que Camus et ne risque pas d'empêcher les fonctionnaires de le rester ; Louis-Ferdinand Céline mérite que même les Français d'origine hongroise le lisent pour comprendre l'identité française, etc., etc. (Je soupçonne d'autant plus Darcos que le ministère du Travail est un ministère qui laisse des loisirs dans les régimes capitalistes en voie de décapilotade et de cinéphilie.)

  • Censurer internet ?

    Mon dabe, plutôt goguenard vis-à-vis d'Internet, se plaint qu'il se traduise par la mort de la presse écrite. C'est-à-dire que mon paternel ne trouve plus dans les quotidiens depuis qu'Internet est entré dans les moeurs ce qu'il y trouvait avant ; et vu qu'il est incapable de se connecter à Internet...

    Tu parles d'un drame ! Pour moi je serais ravi jusqu'à l'orgasme si l'internet pouvait achever définitivement la presse écrite, dont la mort est parfaitement rationnelle, pour qu'on soit débarrassé enfin de tous ces plantons de la politique qui n'en assument même pas les désagréments. Même symboliquement, juste avant l'apocalypse.

    Il faut dire que pour un marxiste (mon dabe ne l'est pas), compte tenu du mépris de Marx pour la politique et les politiciens, la responsabilité des savants est beaucoup plus grande, l'imposture scientifique s'incarnant pour Marx dans la philosophie (Marx n'a pas eu le temps comme F. Bacon de s'étendre sur les liens étroits qui unissent la philosophie aux mathématiques -et pour partie à la poésie-, arts éminemment spéculatifs, comme qui dirait "orphiques" selon Bacon ; Bacon a vu avant Marx le caractère "orphique" de l'art bourgeois.) Hitler est moins coupable que Hegel en quelque sorte, puisque celui-là n'a pas l'intelligence de celui-ci, et qu'un homme politique quel qu'il soit est comme pris dans un engrenage. Sarkozy est sans doute particulièrement "en phase" avec la société française actuelle, mais lui ou Ségolène Royal, François Bayrou, qu'est-ce que ça change ? Tout le monde a pu constater comment Fillon, chrétien libéral (putain de sa race maudite), s'est mué subitement au gré des événements en chrétien social injectant de l'huile dans les rouages et cédant au mécontentement des moins riches qu'il se proposait de mettre au pas deux semaines auparavant. Si la société n'était pas aussi pédérastique, le constat de l'inanité de la politique serait tiré par tout le monde. Après la nuit des rois, celle des présidents et même des parents : c'est l'ordre politique même qui l'exige. Si la politique ne se dirigeait pas inéluctablement vers le cercueil, elle ne serait pas anthropologique. Or Marx démontre que le seul mobile de l'anthropologie, c'est la politique (c'est vérifiable sur le plan de l'art aussi) ; et Shakespeare souligne, derrière le mobile de la politique, l'action du diable (Toutes confessions confondues, on peut poser qu'un dévot de la politique -il faut l'être aujourd'hui compte tenu de ses résultats- détestera Shakespeare à condition qu'il soit un minimum alphabétisé et ne confonde pas Shakespeare avec le boeuf Verdi ou Rossini.)

    Il n'y a sans doute positivement pas lieu de se réjouir des progrès accomplis par Internet, surtout vérifiables dans le domaine de la prostitution (d'où on peut déduire la totale hypocrisie du féminisme, idéologie presque entièrement adossée au capitalisme depuis un siècle) ; mais on peut néanmoins interpréter le fait que la liste des vieux cons qui pestent contre le web ne cesse de s'allonger, comme un signe assez encourageant ; pour mémoire je note ici ma liste :

    - Eric Orsenna ;

    - Maurice Dantec ;

    - Jacques Séguéla ;

    - Alain Finkielkraut ;

    - Pierre Arditi...

    (Les nouvelles contributions de vieux cons sont les bienvenues, à condition qu'il s'agisse bien d'authentiques vieux cons, actionnaires depuis des lustres de l'évolution de la bourgeoisie vers la fange.)

  • Pour un art communiste

    "Peut-on vivre sans art ?" : question posée nécessairement par un bourgeois pour dissimuler que depuis plusieurs siècles la bourgeoisie s'accommode fort bien de la mort de l'art, se contentant du style.

    Il est douteux en revanche que la bourgeoisie puisse se passer d'une gastronomie, où se situe la véritable assiette de la République. Le "Ritz" ou l'"hôtel de Crillon" sont les derniers endroits où la merde ne peut faire office d'art sans offusquer la clientèle.

  • Apocalypse 2012

    Dans un vieux n° de "Famille chrétienne" récupéré à la sortie d'une église sur un présentoir (dans l'église, je me tiens plutôt vers la sortie), une interview de Didier Decoin, président de l'Académie Goncourt.

    Cette gazette, précisons pour les profanes, a inventé le christianisme génital et en détient le brevet : "Cuisine, Cinéma et Couches-culottes", derrière Christine Boutin et Frigide Barjot, ses plus célèbres VRP.

    On trouve même dans ce canard un théologien parfaitement croquignolesque, Fabrice Hadjadj, auteur d'une description de Dieu comme une sorte de vulve géante. Théologien qui s'est fendu aussi récemment d'un bouquin sur le diable et prétend que la fête de Noël Lui fait très peur (au diable). Sans doute est-ce là un moyen de démontrer que Lucifer n'a pas le sens de la fête et du business, que les atmosphères familiales le mettent mal à l'aise ? Mais laissons cet Hadjadj (qui collabore au "Figaro", par ailleurs) assumer ses conneries...

    *

    Didier Decoin s'étonne que le sujet de l'apocalypse soit aussi peu souvent évoqué dans l'Eglise catho. (Je réponds que c'est parce c'est un texte trop "politiquement incorrect".) Il dit ensuite son intérêt pour la théologie d'Origène, avant, pour conclure, de comparer Origène à Michel Polnareff : "On ira tous au paradis."

    Etant donné que l'apocalypse dit exactement le contraire, que tous seront appelés mais que peu seront élus, sans compter l'usage (sans doute spontané) d'une symbolique satanique par Polnareff dans ses clips musicaux, on peut en conclure que l'académisme en littérature mène à un souci tel de l'orthographe que l'académicien ne sait même plus lire.

    Un aspect "politiquement correct" est ici dans le fait que l'apocalypse précise l'existence de "chrétiens hypocrites" à l'intérieur de l'Eglise, thème un peu délicat à aborder en face d'ouailles souvent persuadées que l'égrenage de chapelets ou la consommation de cierges leur vaudront une indulgence spéciale. Aussi délicat par le fait que l'Apocalypse n'ouvre pas droit à une vision architecturale ou juridique de l'Eglise, qui est celle du prêcheur le plus souvent. La vision de l'apocalypse est beaucoup plus pragmatique. Le témoignage et la réception universelle de ce témoignage FONT l'Eglise, en quelque sorte. Jésus répète d'ailleurs qu'il est venu remplacer le baptême juif dans l'eau par le baptême chrétien dans l'Esprit, pour signifier la possibilité de la réunion à Dieu. Jésus détruit d'ailleurs le rapport hiérarchique que les disciples pourraient être tentés de restaurer, entre des esprits forts et des esprits faibles, en lavant symboliquement les pieds des apôtres avant la Cène.

    Le nombre des élus (144.000) est d'ailleurs en rapport avec le nombre des apôtres du Christ. Dans le système géocentrique d'Aristote, Ptolémée ou François Bacon (qui n'est pas "stricto sensu" un système, puisqu'il n'est pas "légal"), le nombre des élus est en outre en rapport avec la sphère des étoiles. Non seulement la découpe du ciel est en douze décans, mais la section du soleil est d'une mesure en rapport avec le nombre 144.000.


  • Bonne presse

    Raphaël Enthoven (vu à la télé et dans plusieurs romans bcbg) s'étonne que Lénine continue d'avoir "bonne presse". Je m'étonne que Raphaël Enthoven ait commencé d'avoir "bonne presse".

    Ce type est emblématique à mes yeux de la connerie janséniste-libérale, qui comprend l'hommage gratuit du bourgeois à la politique (c'est-à-dire à lui-même), assorti en l'occurrence d'insultes au seul homme politique du XXe siècle qui ait un minimum d'intelligence. Churchill n'est pas idiot non plus, mais Lénine est le seul homme politique des deux voire trois derniers siècles à avoir été capable de prévoir le climat politique des cinquante années suivant son propre règne.

  • Apocalypse 2012

    Pour la première fois de ma vie il m'a été donné d'entendre dans une paroisse catholique un sermon entièrement consacré à l'Apocalypse. Les virages théologiques -parfois de véritables revirements-, ont toujours été imprimés à l'Eglise catholiques de l'extérieur ; à chaque grande "hérésie", l'Eglise a répondu en s'adaptant pendant des siècles avant d'être étouffée par l'étatisme. On prête généralement à Marx et Engels des opinions anticléricales ; en réalité ils épargnent leurs forces pour lutter contre le fonctionnaire, sachant que le clerc a perdu son pouvoir depuis longtemps déjà et appartient au folklore. L'anticléricalisme qui subsiste en France est plutôt un produit politicien, une idéologie qui se prétend héritière de la Révolution française mais ne l'est pas : il suffit pour s'en rendre compte de lire le VRAI d'Holbach et de le comparer à la traduction qu'un clerc moderne comme Michel Onfray en donne.

    On peut citer ainsi l'adaptation de l'Eglise allemande luthérienne au capitalisme, par exemple, alors que celui-ci est peu compatible avec les invectives de Luther à l'endroit des marchands et des prétendues "lois du marché" par Luther.

    L'institution étatique ne semble pas elle-même posséder d'intelligence propre. Hegel, le "nec plus ultra" en matière de religion de l'Etat marche à côté de l'Histoire.

    Si l'on prend par exemple un apôtre de l'Etat ET du Capital typiquement "hégélien" comme Claude Allègre (qui a le mérite de ne pas opposer l'Etat au Capital, et le Capital à l'Etat, comme un banquier hypocrite ou un imbécile écologiste) ; Allègre peste à la fois contre l'idée de consensus scientifique, tout en déroulant dans ses bouquins de vulgarisation scientifique la panoplie des idées scientifiques les plus consensuelles, notamment celle de "neutralité" ou d'"objectivité" de la science laïque, qui prend pourtant racine dans le terreau scientifique le plus religieux qui soit (Descartes, Mersenne, Gassendi, Huygens, Newton, Leibnitz, etc.) ; on peut être sûr du caractère religieux d'une science lorsque celle-ci accorde aux mathématiques un rang élevé, quasiment de science autonome. C'est d'ailleurs exactement ce que fait le nazisme : à la science historique il substitue une raison historique mathématique, la "mutation" étant selon Marx l'exemple-type de la non-explication explicative religieuse. Marx fait observer ironiquement à propos de la scolastique médiévale de Duns Scot qu'elle s'impose par le volume de ses pages. C'est aussi le cas de l'évolutionnisme néo-darwinien, celui de Stephen Gould par exemple, qui s'impose rien que par la quantité de ses pages, impressionnante pour le dévot laïc.

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    On peut établir un parallèle entre le chef d'orchestre J.-C. Casadesus et Claude Allègre. Le premier veut rendre la "musique de chambre" accessible à tous, sans se demander si retirer sa vocation élitiste à la musique de chambre ne la dénaturerait pas. De même Allègre veut rendre Einstein compréhensible par tous, sans se demander si Einstein n'a pas vocation à rester énigmatique pour le plus grand nombre et si son art ne participe pas, comme celui de Pascal, d'une mystique religieuse insane. Sont idolâtres indubitablement les chrétiens qui se prosternent (comme Jean Guitton) devant des théories scientifiques auxquelles ils ne pigent que dalle. Le "veau d'or" n'est pas seulement l'allégorie de l'argent, il est aussi celle du pouvoir, qui repose aussi sur la rhétorique. Dans toutes les "grandes nations politiques" (comme l'Inde, l'Espagne), le culte du taureau, de la vache sacrée, du veau, etc., se retrouve.

    L'Allemand Schelling donne une explication très confuse du passage des dieux égyptiens, mi-humains, mi-animaux, aux dieux grecs beaucoup plus proches de la figure humaine. Il faut dire simplement que le culte de la figure animale est une double marque d'animisme et de politisation d'une société, très proche de la géométrisation des formes dans la peinture capitaliste. Le progrès grec s'effectue donc en grande partie CONTRE la politique et son mouvement de spirale (politique qui est le domaine de la relativité pour Aristote). Les dieux ou les monstres grecs qui demeurent à demi animaux (comme le centaure Chiron, Pan, la Sphinge, le minotaure, etc.) sont à la fois démoniaques et tous liés à la politique.

    On pourrait croire qu'il y a des Egyptiens aux Grecs un mouvement vers plus d'anthropologie, mais c'est le contraire. L'homme a tendance à se concevoir anthropologiquement comme un animal (politique). De là à dire que les animaux sont des mathématiciens et des musiciens hors pair, il y a un pas que je franchis allègrement.

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    Pour revenir à mon sermon sur l'apocalypse après cette digression, deux remarques :

    - Le clergé chrétien s'intéresse très peu à l'apocalypse parce que c'est un texte politiquement incorrect ;

    - Deuxièmement, si le sermon que j'ai entendu fut finalement vague et inepte, c'est parce qu'il était prononcé par un prêtre manifestement "augustinien" voire "kantien" : or l'apocalypse de Jean n'est pas un texte dont on peut tirer une morale, n'en déplaise aux gens de robes et aux jeunes filles des deux sexes qui composent à 99% les assemblées dominicales. Gilles Deleuze fait d'ailleurs cette fine remarque que l'apocalypse "n'a pas de style" : shocking! Manquer de style pour une oeuvre est comme se promener à poil pour un homme : ça effarouche les jeunes filles en fleur et les académiciens. Le style n'est autre en effet que le voile de la morale, et Deleuze est comme ces nonnes qui ne supportaient pas la nudité de la peinture de la Renaissance et firent appliquer des feuilles de vigne dionysiaques, en croyant que l'art de Michel-Ange est sexuel.

     

     

     

     

     

  • Politique d'abord

    Rien de plus politique que les voeux de "bonne année, bonne santé, etc.". Souhaits qui n'engagent en effet que leurs destinataires, comme les promesses électorales. C'est parce que la femme est "politique d'abord" qu'elle est aussi attachée à ce genre de formule. Marx définit la politique comme un projet, et le projet comme une utopie (que l'utopie politique est satanique, c'est Jésus-Christ qui le dit).

    Cela fait penser aussi aux déclarations d'amour que les femmes réclament souvent avec entêtement à leurs partenaires, alors qu'elles ne sont que de pures formules de politesse. Les hommes sont sans doute moins disposés que les femmes à accorder à la sexualité une quelconque dimension sacrée ou artistique. Il suffit que le poète fachiste Ezra Pound établisse un lien entre l'art et le sexe pour qu'on sache que c'est une femelle -sympathique, mais une femelle quand même. Le combat de Pound apparaît avec du recul comme l'effort pour s'extraire d'une nation, les Etats-Unis, entièrement pédérastique (plus encore que l'Allemagne nazie), et devenir un homme.

    Soulignons aussi le rapport entre la littérature qui relève du genre dit de l'"amour courtois" (qui constitue encore le ressort principal de la "métaphysique des tubes ou des standards de la chanson", comme dit A. Nothomb, et la littérature "gay". Comme le révèle l'historien G. Duby, autant que les fragments les plus anciens de cette littérature permettent de le constater, le poème d'amour courtois avait un motif plus politique qu'amoureux. Si Duby avait été marxiste, il aurait pu ajouter que la politique est toujours une forme de sublimation du sexe, ce qui explique que la mécanique y tient une aussi grande place. Les ignares qui soutiennent cette aberration que "la France est une nation politique" seront d'ailleurs contraints de la ramener à Descartes ou à ses sous-fifres Chateaubriand, Sartre, Proust, etc. et d'occulter le fait que la France c'est aussi, contradictoirement, Rabelais, Molière, Voltaire, etc.

    Pas besoin d'étude poussée par ailleurs pour voir que la religion gay est largement le produit d'une récupération politicienne typiquement capitaliste (B. Clinton aux Etats-Unis, L. Jospin en France). Les apôtres du cuculte gay ne font d'ailleurs rien d'autre qu'imiter Abélard et Héloïse, en remplaçant l'Eglise par le Sida, qui vient pimenter, si ce n'est le coït, du moins ce genre littéraire.

    La rage entre les chrétiens cucul-la praline derrière Christine Boutin et la secte gay est largement due à la concurrence, au désir contrarié et très féminin de faire de la politique des uns et des autres. Mais intellectuellement, sur le fond, ils sont très proches. Encore faut-il préciser que le "désir de politique" est beaucoup plus "gay" que "chrétien". Les deux apôtres, Judas et Pierre, soumis à la "tentation de Venise" (si l'on prend Venise comme la tentative d'édifier une Cité de Dieu sous le patronnage de Marc (!), qui vire au Capharnaüm), sont en effet sévèrement tancés par Jésus-Christ, pour ne pas dire condamné à mort dans le cas de Judas.

    Ici je ne peux m'empêcher de remarquer encore l'extrême lucidité de Shakespeare, bien meilleur connaisseur de Venise et de la politique que de pauvres crétins comme Philippe Sollers ou Alain Juppé, Shakespeare qui a fait de Claudius, incarnation de la politique, un traître. Anecdote : les femelles allemandes ont un tel désir de politique que j'ai trouvé dans cette catégorie un universitaire qui prétend que Claudius est... le véritable héros de la pièce. La tentative de Freud de faire de Hamlet une sorte d'homosexuel existentialiste n'est pas très éloignée, la figure de l'"homosexuel existentialiste" étant à la fois celle du "mari idéal" et du "citoyen exemplaire".



  • Identité, piège à moules

    François Bacon (pas le patouilleur anglais du XXe, le savant du début du XVIIe siècle) se définit lui-même comme un "citoyen du monde", l'un des tous premiers humanistes, donc, à porter un regard critique sur le phénomène de la mondialisation.

    Dans un petit opuscule, "La Nouvelle Atlantide", parfois raillé par des savants bien moindres que lui (Pierre Vidal-Naquet, par ex., entiché de Platon au contraire de Bacon), Bacon décrit même avec assez de précision toutes les inventions ultérieures de la polytechnique jusqu'à nous, comme pour mieux en minorer le mérite. Que sont Edison, Faraday, Bell, Von Braun, si Bacon a pu décrire à l'avance les fonctions et l'usage de toutes leurs trouvailles ? Et leur métaphysique, quand ils ont comme Poincaré ou Einstein l'audace d'en commettre une ? C'est la métaphysique du bricoleur.

    F. Bacon entend se situer au niveau d'Aristote et de son imagination et méprise par conséquent la mécanique (déductive). S'il ne les méprise, il prend les mécaniciens pour ce qu'ils sont : des bricoleurs et des téléphonistes -sans fil ou avec. L'intérêt de tel ou tel penseur des Lumières françaises pour Bacon est un intérêt pour une science radicalement différente de celle de Descartes ou Newton (Descartes est plus proche de Newton que Newton de Bacon).

    *

    "Citoyen du monde", Bacon n'en est pas moins l'esprit le plus occidental qui soit, au sens le plus complet, c'est-à-dire cosmologique aussi. Bacon est en effet astrologue plutôt qu'astronome (comme des esprits attentifs bien que peu fonctionnaires ont remarqué que Hamlet, prince de ce pays septentrional qu'est le Danemark, l'est aussi ; et pour ceux que ça intéresse, on peut trouver facilement sur internet un bref extrait d'une thèse peu académique consacrée à l'astrologie d'Hamlet par Erwin Reed en 1905. J'ai relevé moi-même d'autres éléments que Reed n'a pas vu allant dans le même sens. C'est-à-dire que la thèse de Reed infirme assez efficacement la croyance universitaire selon laquelle le propos d'Hamlet relèverait d'une coïncidence banale, ou même qu'il serait secondaire pour comprendre la pièce).

    Seul un benêt italien tel que Stendhal peut croire que le principal souci de Shakespeare est de faire partager à son public des émotions, confondant ainsi Shakespeare avec le code civil ou le code pénal, principal ressort émotionnel du cinéma yanki.

    Non, pour dire mieux, il faut dire que Bacon est astrologue CONTRE l'astronomie. On saisira mieux le caractère occidental de Bacon si on comprend que l'astrologie est incompatible avec la science pyschologique. Ce sont les Romains, puis les Allemands à leur suite ("Heil Nero !"), qui ont ajouté de la psychologie à la mythologie grecque (en France on peut citer Versailles comme foyer d'irradiation psychologique, ville nouvelle où flotte d'ailleurs encore aujourd'hui un parfum d'inceste, exactement comme aux Etats-Unis ; d'où Stendhal tient-il que Racine est moins émouvant que Shakespeare ? Il y a dans Racine de quoi émouvoir des charrettes de jeunes filles en fleurs qui se tordront la gueule à condition qu'elles aient deux sous de jugeotte, en voyant le portrait que Shakespeare a peint d'elles en Ophélie).

    Helléniste beaucoup plus sérieux, Bacon accorde à la mythologie grecque une valeur scientifique et historique, politique à la rigueur, mais pas "psychologique". Derrière le duel entre Troyens et Grecs, il y a un duel entre Apollon et Athéna, dont celle-ci sort victorieuse. Bacon place le casque d'Athéna et la colombe de l'Esprit au frontispice de ses ouvrages savants. Shakespeare fait de Troie une place-forte païenne.

    L'esprit de Bacon mérite d'être qualifié d'"esprit universel", à l'opposé de l'esprit libre-échangiste ou capitaliste qui représente l'"esprit particulier élémentaire".

    En ne choisissant pas entre ces deux esprits antagonistes, le pape qui est en partie dépositaire des trésors intellectuels de l'Occident fait le diplomate. Autrement dit c'est un lâche.


  • Dreyfus l'a dit

    Entendu sur "Radio-Sarko n°1", dans une émission de Jacques Pradel (reconnu andouille d'utilité publique AAA) :

    "Il s'en est fallu de peu que l'abolition de la peine de mort ne soit décidée par un autre ministre que Robert Badinder." Pauline Dreyfus ; ça me conforte, vu que j'ai toujours trouvé que Badinder a une gueule de coïncidence et pas plus.

    L'abolition de la peine de mort, par Badinter ou un autre, marque surtout un progrès du pharisaïsme capitaliste plutôt que de l'humanisme. Sans quoi une bonne dizaine de détenus n'auraient pas pétitionné il y a deux ou trois ans pour réclamer l'application de la peine capitale, semblant indiquer leur préférence pour une amélioration des conditions de détention d'abord, et une abolition de la peine de mort ensuite seulement.

    C'est agaçant que l'on cite Beccaria en exemple à chaque fois dans ce genre d'émission à thème carcéral, plus encore que Badinter, car s'il y a bien un crétin exemplaire du byzantinisme juridique, c'est Beccaria, dont l'utopie carcérale est d'un totalitarisme à faire pâlir Hitler de jalousie, puisqu'il s'agit de faire travailler les prisonniers pour leur rachat ("Arbeit macht frei"), tout en les obligeant à se surveiller les uns des autres, ce qui est une version améliorée du système du kapo, le tout dans des conditions d'hygiènes irréprochables (si le nazisme n'est pas hygiénique...). Système de Beccaria dont on devine facilement qu'il entraînerait ses cobayes dans une folie plus grande encore que celle qui les a conduits en taule.

    Le mieux qu'on puisse faire pour améliorer le système carcéral, c'est d'y jeter un maximum d'escrocs capitalistes en cols blancs, politiciens, banquiers véreux, etc., afin qu'ils en sortent révoltés et qu'à l'aide de leurs réseaux de relation ils puissent ainsi apporter quelque remède à un système qui déshonore le plus haut degré de civilisation démocratique et scientifique jamais atteint (je veux parler du nôtre).

    Aussi un truc qui tire l'opinion publique et la justice vers le bas, c'est le jargon pyschologique. Comme il n'est plus très bien vu pour les familles des victimes de crier vengeance à l'entrée et à la sortie des tribunaux, on préfère dire que les familles ont besoin de "faire leur deuil" et de "comprendre" le mobile des criminels ?? Sachant que ceux qui pardonnent carrément, comme ça arrive parfois, semblent ne pas avoir une démarche citoyenne tout à fait convenable. Au bout d'un moment les personnes qu'on oblige à "comprendre" ou à "faire leur deuil" pour des motifs hypocrites ont par-dessus le marché l'impression que l'on se fout de leur gueule. Incontestablement c'est le cas lorsque leur détresse est exploitée dans des émissions de radio ou de télé putassières.



  • Vive l'astrologie !

    Le culte de la politique est typiquement oriental. C'est donc justement que Drieu La Rochelle traite Maurras de "métèque". Si on lit le "Journal" de Drieu, on verra qu'il a été séduit lui-même par l'orientalisme nazi avant de pencher en définitive pour une sorte de spiritualité façon derviche tourneur. Pas à une incohérence près, par conséquent. Mais ce qui rachète Drieu, c'est qu'il se place au centre des turpitudes qu'il dénonce et s'auto-flagelle allègrement. Comme Céline ou le Britannique Waugh. Et même Voltaire auparavant, dans ce qui a le mieux résisté au temps de son oeuvre : "Candide".

    C'est même ce qui évite à ces écrivains de sombrer dans la littérature bourgeoise comme il s'en produit désormais chaque année par dizaines de tonnes, toute cette merde surgie d'entre les pavés du Quartier latin comme d'un puits de pétrole sans fond : les Beigbeder, Moix, d'Ormesson et Cie, qu'il faudra bientôt songer à rendre obligatoire dans le cursus scolaire si on ne veut pas que même les jeunes dindes fraîchement émoulues de Janson de Sailly la repoussent avec dégoût comme un potage trop peu salé. Et dire qu'on songe seulement à rééditer maintenant, à côté de ça, les oeuvres complètes de Drieu (sur papier Bible de la Pléiade pour les culs bourgeois sensibles) !?

    Par exemple Waugh s'est entiché du mariage chrétien après avoir été fait cocu ; c'est même ce qui l'a poussé à changer de religion ; il n'en écrit pas moins le dialogue le plus démystifiant du répertoire romantique moderne (démystifiant cette putasserie qu'est l'amour courtois, bien entendu) (In: "Vile Bodies", à ne pas mettre entre les mains puériles de Yankees élevés dans le cinéma sans s'assurer qu'ils n'y comprendront que dalle.)

    Le romantisme, que le doux crétin Paul Valéry se refuse à définir, se résume donc bien à un mouvement orientaliste. Quitte à faire ensuite quelques exceptions et nuances. Le libéralisme n'est bien sûr absolument pas incompatible avec le romantisme, bien au contraire, pas plus que le nazisme ne se passa d'une politique économique keynésienne efficace jusqu'à la guerre.

    Si la République avait voulu se préoccuper honnêtement d'éduquer et d'instruire les jeunes immigrés d'origine musulmane, elle n'aurait à mon avis eu aucun mal à en faire des citoyens français exemplaires à sa botte. Chaque fois que je vois Tariq Ramadan à la télé, je suis bien obligé de constater qu'il est beaucoup plus "Français d'abord" que moi. Il parle français et connaît l'histoire de France comme Sarkozy ou Guaino n'osent pas rêver que les petits Français de souche la connaissent. Alors quoi ? Les immigrés d'origine musulmane ne doivent pas seulement tirer la conclusion que la République française a été malhonnête avec eux, ils doivent aussi comprendre que la République est une idiote, puisqu'elle avait les moyens de faire d'eux de bons petits soldats, et qu'elle n'a préféré le bavardage médiatique. D'ailleurs pour ce qui est de la "culture française", autant laisser ce machin de côté tout de suite, vu que c'est une idée allemande, à peu près ce qu'il faut de vernis pour animer une conversation à la table de Mme Bovary.

    La question des racines ou de l'enracinement n'a jamais passionné que les déracinés, qui peuvent fouailler, creuser tant qu'ils peuvent, ne rencontreront jamais que la merde froide, un grand trou noir. Tous les généalogistes ont du mal à cacher que, dans le fond, ils s'ennuient énormément.