Est-ce un enthousiasme excessif qui me fait dire que Lénine est le plus grand homme politique du XXe siècle, avec G. Orwell ? Ce dernier est admirable parce que, tandis que les élites technocratiques s'efforçaient de l'éteindre, Orwell a maintenu la flamme de la politique allumée. Orwell est le théoricien de la persistance et de la banalisation du nazisme, par-delà la chute des dignitaires de ce régime. S'il est une cible privilégiée des diffamateurs professionnels depuis cinquante ans, l'efficacité de la démonstration d'Orwell en est la cause. Orwell refusait de faire le deuil de la "vérité objective", que les propagandistes du bloc russe ou du bloc atlantiste piétinent allègrement tous les jours "au nom des Droits de l'Homme", de la "civilisation", du "camp du bien", "de l'Occident"... et parfois même au nom d'Orwell lui-même !
La grandeur de Lénine se mesure au fait qu'il traite, en 1905, de problèmes politiques dans lesquels l'humanité se trouve plus que jamais empêtrée en 2025 et devant laquelle l'Intelligence artificielle, cette surfemelle alpha, reste muette.
Donald Trump, qui rêve en quelque sorte de susciter une nation, là où il n'y a que des Etats mal unis par le dollar, trouverait dans la lecture de Lénine plus de lumières que chez tous les publicistes du XXIe siècle réunis. Qui sait si D. Trump ne rêve pas déjà d'une dictature qui prorogerait les pouvoirs de son gouvernement au-delà de la courte période légale qui lui est impartie ? La façon dont D. Trump a pris le pouvoir aux Etats-Unis n'est pas si différente de la manière dont Lénine s'en empara, "au nom du peuple ouvrier et paysan" opprimé par l'Etat profond oligarchique.
On recommande en particulier "L'impérialisme, stade suprême du Capitalisme" : "J'ose espérer, écrit Vladimir Oulianov dans sa préface rédigée en 1917 à Pétrograd, que ma brochure aidera à l'intelligence du problème économique capital, sans l'étude duquel il est impossible de rien comprendre à ce qu'est la guerre d'aujourd'hui et la politique d'aujourd'hui, à savoir : à ce qu'est la nature économique de l'impérialisme."
Le problème politique majeur auquel D. Trump est confronté est bel et bien celui de "la nature économique de l'impérialisme". Son programme politique nationaliste de la dernière chance indique qu'il en a conscience. Le Parti démocrate d'Obama, Clinton et Biden a agi avec une stupidité qui fait penser à celle des Romanov.
Lénine est le plus dissuasif de se laisser prendre au truc de la "guerre de civilisation" agité par les domestiques de l'oligarchie française, ou par V. Poutine lorsque son "opération spéciale" militaire a tourné au fiasco. Au stade de l'impérialisme, il n'y a plus de civilisation, il n'y a plus que la guerre sans fin entre Océania, Eurasia et Estasia.
L'impérialisme est encore un problème pour les Gilets jaunes et leur Comité de salut public virtuel ; non seulement le choc entre l'OTAN (Océania) et la Russie (Eurasia) déstabilise un peu plus la société française et fait courir le risque d'une dictature libérale (les oligarques français se sont rapprochés par précaution du parti de la police), mais la formule impérialiste franco-allemande lancée en 1999 est en train d'embarquer des paquets de mer par le travers.
Paradoxalement (l'histoire du capitalisme est paradoxale), la chute du régime soviétique en 1991, devenu impérialiste comme les Etats-Unis, sous l'effet de l'impulsion guerrière, a contribué doublement à l'embourgeoisement et à la consolidation de la nation russe au cours du mandat de V. Poutine. Ce paradoxe, Lénine l'avait exposé.
Pour la petite histoire, les marxistes "de stricte obédience" (Plékhanov) ont reproché à Lénine et aux bolchéviks d'avoir pris l'initiative de la révolution et de la dictature, dont la responsabilité incombe selon Marx au "peuple" lui-même, qu'il définit d'une façon assez restrictive qui correspond à peu près aux Gilets jaunes, c'est-à-dire à la fraction du peuple qui subit les outrages du grand Capital et qui désire mettre un terme à cette oppression.
F. Engels n'avait pas une très haute opinion des Russes, qu'il estimait arriérés, suivant un préjugé répandu en Europe occidentale jusqu'en 1900 ; Engels n'imaginait donc pas du tout que le peuple russe puisse "prendre son destin en main". A quoi Lénine réplique qu'il s'est formé en Russie très rapidement dans la petite bourgeoisie (V. Oulianov lui-même appartenait à une famille de la noblesse de robe) une petite élite socialiste prolétarienne instruite des réalités politiques.
La culture paysanne se caractérise pour Marx et Engels par l'indifférence à l'Histoire. Le seul mouvement qui compte, pour le paysan, c'est le mouvement des saisons. Si Lénine admet le caractère réactionnaire de la culture paysanne, il pensait pouvoir convertir les paysans russes au progrès.
Notons avec Orwell que la culture technocratique contemporaine renouvelle le mépris paysan de l'Histoire. Le technocrate ne songe qu'à une chose, c'est mettre fin à l'Histoire ou la remplacer par un récit qui fasse de la bureaucratie l'apogée de la civilisation. Le technocrate n'est pas moins philistin que le paysan. Quant au progrès, il est entièrement contenu dans le gadget technologique aux yeux du technocrate.