Par "nécessité de la révolution", j'entends son caractère inéluctable. Le roman national républicain enseigne aux gosses que la grande révolution de 1789 est le fruit d'une volonté révolutionnaire de mettre fin à l'arbitraire de la monarchie d'ancien régime - arbitraire déguisé en "droit divin".
En réalité l'effondrement de la monarchie est largement dû à sa gabegie et ses erreurs, et Louis XVI avait entamé une politique de réforme de l'Etat conforme à l'esprit des Lumières, visant à restreindre les privilèges exorbitants de l'aristocratie foncière. En ce sens la grande révolution était inéluctable.
A cela K. Marx ajoute que l'économie capitaliste est "révolutionnaire" : elle est un facteur de déstabilisation de l'Etat monarchique, comme de l'Etat bourgeois qui lui a succédé. On pourrait décrire l'Etat profond du XXe siècle comme un Etat qui se maintient contre l'effet déstabilisant de l'économie capitaliste. Pour imaginer un Etat totalitaire stable et non-violent, Aldous Huxley a dû mettre entre parenthèses le ressort capitaliste de l'Etat moderne, supposer un capitalisme qui n'est pas périodiquement secoué par des crises violentes. Cela revenait à ignorer que le parti nazi est un parti contre-révolutionnaire financé par la bourgeoisie industrielle allemande, menacée par une révolution prolétarienne.
La radicalité et la violence de la révolution s'expliquent par la soudaineté de la crise politique. K. Marx a expliqué pourquoi la révolution de Cromwell en Angleterre au milieu du XVIIe siècle fut un accouchement beaucoup moins douloureux. Il est d'ailleurs à craindre que le prestige excessif de la révolution de 1789 vienne de sa violence spectaculaire (violence d'où le cinéma totalitaire tire presque tout son pouvoir de fascination). La nouvelle aristocratie financière est d'ailleurs bien embêtée par cette apologie de la violence terroriste de la Convention, craignant que cette violence ne puisse se retourner un jour contre elle.
- La nécessité de la révolution des Gilets jaunes tient à plusieurs facteurs : le premier d'entre eux est la paralysie de l'Etat profond. Elle se traduit par l'incapacité des technocrates au pouvoir de réformer l'Etat. Elle se manifeste par l'explosion de la dette publique depuis le krach de 2008.
Aux Gilets jaunes écrasés par l'Etat profond, le gouvernement d'E. Macron a répondu par l'extension de l'Etat profond, sous la forme d'un endettement accru. La pandémie de coronavirus a fait apparaître la paralysie du service public hospitalier. L'Education nationale, service public ô combien crucial en France, où elle joue le rôle du bas clergé sous l'Ancien régime, n'est pas dans un meilleur état que l'hôpital public. Si le corps enseignant penche dans l'ensemble du côté de l'Etat profond, ce n'est pas forcément le cas des dizaines de milliers d'étudiants engagés dans des études qui ressemblent de plus en plus à une marotte.
L'Etat tire sa légitimité en France du service public. E. Macron s'est efforcé d'effectuer une transition vers un Etat "à la carte", sur le modèle des Etats-Unis, indexé sur les revenus.
A cette paralysie croissante de l'Etat profond s'ajoute le fait que la frange la plus jeune de la population, c'est-à-dire la plus dynamique sur le plan économique, n'est pas ou presque pas représentée sur le plan politique. Si elle n'était pas divisée sur le plan idéologique, elle pourrait constituer une force révolutionnaire au moins équivalente à la population estudiandine qui, en Mai 68, fit vaciller l'Etat profond gaulliste.
G. Orwell a montré que l'Etat profond est un Etat à l'échelle de la société. C'est aussi un Etat non-pragmatique : de cela aussi il meurt.