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Mon Journal de guerre - Page 2

  • Orwell dérange toujours (2)

    Certains journalistes prétendent qu'il y a "des controverses à propos de l'interprétation de "1984" ; deux objections :

    - Il est évident que l'on ne doit pas tenir compte de la récupération d'Orwell par tel ou tel démagogue de gauche ou de droite ; ces citations opportunistes ne font qu'illustrer le propos d'Orwell sur les "faits alternatifs" ; idéologiquement, Trotski s'oppose à Goebbels ou Churchill, mais on tient là trois représentants des méthodes totalitaires d'oppression, sous des drapeaux différents. La dialectique gauche/droite est elle-même totalitaire, comme le mouvement des Gilets jaunes l'a montré en France en dévoilant le système.

    - La comparaison entre G. Orwell et A. Huxley, entre "1984" (1948) et "Brave New World" (1932) permet d'éviter la plupart des erreurs d'interprétation. Si Orwell était convaincu comme Huxley de l'impasse totalitaire dans laquelle les élites occidentales s'étaient fourvoyées, Huxley a écrit un roman d'anticipation (il anticipe de quelques années les méthodes de la médecine nazie, puis du régime soviétique et des Etats-Unis), au contraire d'Orwell qui fait la satire de la société de son temps, en proie à la Guerre froide, sans faire de science-fiction, mais en forçant le trait.

    Orwell ne décrit pas un pouvoir totalitaire hyper-puissant, comme Huxley, mais une sclérose de l'action politique, dont l'Etat oppressif actionné par quelques technocrates est la manifestation, un Etat que la nécessité du mensonge permanent affaiblit. Big Brother n'est pas effrayant en raison de sa puissance, mais en raison de son emprise sur l'âme humaine.

    A côté des quelques critiques que nous évoquions dans le chapitre précédent sur ce blog, le hors-série "Orwell dérange toujours" ("Le Monde", sous la direction de N. Truong) recense quelques hommages.

    Les éloges de Raymond Aron et Simon Leys se distinguent par leur rareté. Autant dire que "1984" était prédestiné à faire "flop" dans l'intelligentsia française. Il y a quelques (mauvaises) raisons à cela : la plus évidente est le culte de l'Etat qui sévit en France dans presque tous les milieux sociaux, à gauche comme à droite. Les moins fanatiques partisans de l'Etat sont capables de comprendre que "trop d'Etat tue l'Etat", mais ils sont une infime minorité incapable d'agir, dans un contexte totalitaire paradoxal (sponsorisé par quelques millionnaires pour tenter de réduire la voilure de l'Etat, E. Macron aura mené une politique de dépense publique extravagante).

    - Raymond Aron voyait dans "1984" une thèse sociologique plus large que la seule satire du stalinisme et de la ruse trotskiste complémentaire. Il est incontestable que le propos d'Orwell vise l'Occident en général, et non la Russie. Le régime soviétique représente une phase de modernisation de la Russie, selon la description de Lénine lui-même. L'extrême violence de la révolution russe s'explique en grande partie par cette modernisation à marche forcée.

    Cependant le qualificatif "sociologique" pose problème, car la sociologie est en France une "discipline" contrôlée par l'Etat - autrement dit universitaire. Tandis que G. Orwell est aussi indépendant qu'on peut l'être. Big Brother est parfaitement capable de rédiger et d'imprimer en quantité industrielle des ouvrages de sociologie rédigés par O'Brien. Quel sociologue du XXe siècle prête aux intellectuels, ainsi qu'Orwell le fait, un rôle essentiel dans l'élaboration du mensonge d'Etat ?

    Il va de soi, et R. Aron ne fait que le souligner : le totalitarisme n'est autre pour Orwell (contrairement à Huxley) que le produit de l'économie capitaliste. La classe laborieuse est soumise à l'Etat ; la "lutte des classes" a tourné court.

    - Pour le sinologue Simon Leys, "Orwell était un animal politique, un homme obsédé par la politique, et tous ceux qui l'ont connu n'ont pas manqué de souligner cet aspect central de sa personnalité."

    Cette description d'Orwell a le mérite de souligner que Orwell a pensé le XXe siècle comme un siècle fondamentalement antipolitique. La politique menée par les régimes totalitaires nazi, soviétiques et libéraux est une politique inadaptée à l'être humain, donc ce n'est pas une politique véritable. Ici on retombe sur la dénonciation de la médecine darwiniste protonazie par Huxley : ce n'est pas une véritable médecine, car elle revient à traiter l'homme comme si c'était une bête de somme.

    L'utopie politique est, d'après "1984", destructrice de la politique ; elle dissout l'action politique dans l'idéologie. Ce phénomène est encore plus nettement perceptible en 2023 qu'il n'était en 1950. Un "libéral" comme R. Aron serait obligé de reconnaître aujourd'hui que le libéralisme est un néofachisme, suivant ce pronostic d'Orwell : "Le fachisme ne renaîtra pas sous le nom du fachisme."

  • Orwell dérange toujours (1)

    Sous ce titre a paru un numéro "hors-série" de "Le Monde" au début de l'été, sous la houlette de Nicolas Truong, et (très) largement diffusé (en kiosque).

    Dire que Orwell dérange toujours est un euphémisme. "1984" a été conçu par Orwell au terme se son existence comme l'outil d'une prise de conscience, au stade où la culture occidentale est conçue pour étouffer la conscience individuelle, en particulier celle de l'homme du peuple (subalterne), accomplissant ainsi le projet de J. Goebbels d'une opinion publique soumise à la "raison d'Etat". La culture de masse totalitaire est la preuve la plus concrète du projet d'abrutissement du peuple par les élites.

    Ce "hors-série" se compose d'extraits de textes choisis d'Orwell, de photos, de dessins et divers documents, ainsi que de quelques points de vue critiques sur G. Orwell et son oeuvre satirique.

    Passons en revue quelques-unes de ces critiques succinctement, en commençant par les critiques négatives.

    - Milan Kundera est l'auteur de la critique la plus virulente, puisqu'il n'hésite pas à associer Orwell à "l'esprit totalitaire" et à le qualifier de propagandiste. "Il réduit (et apprend à réduire) la vie d'une société haïe en la simple énumération de ses crimes."

    Mais Orwell n'énumère pas tant les crimes de Big Brother qu'il montre comment l'Etat totalitaire repose surtout sur le mensonge, plus encore que sur la contrainte physique. Orwell a toujours dit qu'il s'interdisait de haïr les nazis ou les trotskistes pour pouvoir comprendre ces idéologies analogues. La société décrite par Orwell n'en est pas vraiment une, mais plutôt une caricature du monde occidentalisé dans lequel il vécut.

    La critique de Kundera est tellement inepte que l'on peut se demander si elle est sincère ; un article de Maurice Nadeau, inséré dans le hors-série, rappelle que Orwell a fait l'objet d'une campagne de diffamation dans la presse britannique et française ("The Guardian", "Le Monde", "Libération") en 1996. L'anti-intellectualisme d'Orwell peut expliquer à lui seul les attaques posthumes de l'intelligentsia contre Orwell.

    - Salman Rushdie (avant d'écrire ses fameux "Versets sataniques") a proposé une critique qui consiste à caractériser l'oeuvre d'Orwell comme "défaitiste" et "désespérée". S. Rushdie suggère que la maladie grave dont souffrait Orwell explique ce désespoir. Il s'agit là d'une critique sans doute superficielle. Il n'est pas rare que les écrivains souffrant de graves maladies produisent a contrario des oeuvres teintées d'optimisme ou d'utopisme.

    Une telle critique, adressée au "Brave New World" (1932) d'A. Huxley, serait plus juste. Le roman de Huxley est plus humoristique, moins dur, mais Huxley était persuadé que les élites totalitaires étaient quasiment inarrêtables. Prêter un tel défaitisme à Orwell est incohérent, car il est probable qu'il a trouvé la force d'écrire un tel ouvrage, malgré la maladie, dans son utilité sociale. Certes, Winston Smith échoue dans sa quête de vérité et de liberté, mais son erreur (l'idéalisme) est un exemple à ne pas suivre pour le lecteur de "1984". L'honnêteté ébranle, selon "1984", un système qui repose sur la duplicité ("double think") des intellectuels (on ne peut s'empêcher de remarquer ici que K. Marx prêtait à la bourgeoisie la même duplicité intellectuelle).

    - Georges Steiner déprécie l'oeuvre d'Orwell, qui n'est pas selon lui celle "d'un grand écrivain". Steiner voit dans "1984" "l'allégorie à peine voilée du stalinisme". La spécificité du conflit entre Staline et Trotski amoindrirait donc la portée de "1984".

    On doit rappeler ici un détail : Orwell a situé cette prétendue "allégorie du stalinisme"... à Londres. Ce décalage indique que Orwell ne croyait pas que Staline et le stalinisme étaient spécialement russes. La culture de Trotski, que Steiner identifie à Samuel Goldstein, n'est pas moins "occidentale" que celle de Goebbels.

    La méthode d'Orwell est analogue à celle de Shakespeare dans ses pièces "historiques" ; le portrait de personnages politiques emblématiques sert de support à un propos historique plus général. Staline et Hitler, peut-être plus encore Goebbels et Trotski, sont emblématiques pour Orwell du XXe siècle. Le gaullisme n'a-t-il pas les mêmes caractéristiques que le stalinisme ? On peut d'autant plus le penser que de nombreux slogans de "Mai 68" sont "orwelliens". Le régime gaulliste s'appuyait sur une démagogie typiquement bonapartiste. Néanmoins, compte tenu du déclin politique de la France, de Gaulle est un personnage d'importance politique moindre que Staline et Trotski.

    Autre élément de dépréciation, Steiner rapproche le style d'Orwell du style de la littérature de gare. En temps que critique littéraire, Orwell a lui-même déprécié des ouvrages "de style" (Virginia Woolf, James Joyce...), conçus pour le divertissement de quelques "happy few". L'effet littérature de gare est volontaire. Orwell souligne la médiocrité de la condition de Winston Smith, ses goûts, ses manies de petit bourgeois ; la littérature de gare, produite en quantité industrielle, est le type même de littérature que les citoyens d'Océania sont encouragés à lire.

    "1984" prend progressivement la dimension d'une tragédie, celle de l'anéantissement de l'homme par l'homme, du retour à la barbarie derrière l'apparence d'un Etat moderne sophistiqué. La sophistication elle-même est un élément du totalitarisme. L'immonde O'Brien est beaucoup plus raffiné que Winston Smith. La littérature ne se réduit pas au style.

    (A suivre)

  • Tocqueville ou Marx ?

    "Tocqueville a eu raison contre Marx" : opinion assez répandue de nos jours... mais surtout par des journalistes ou des essayistes au service d'une oligarchie qui se proclame "libérale".

    Plus courant encore le préjugé selon lequel la Russie communiste serait le produit du marxisme, et les Etats-Unis une démocratie selon le voeu de Tocqueville.

    Marx est persuadé comme Tocqueville que l'histoire permet d'éclairer la politique, qui, sans cet éclairage, se conduit comme une voiture sans phares. Pour Marx c'est la classe ouvrière, surexploitée, dont l'aspiration à la liberté est la plus forte et qui mérite d'être aidée dans son effort, nécessairement conflictuel, pour s'émanciper.

    Pour Tocqueville c'est plutôt la classe moyenne qui concrétise le progrès démocratique, à savoir une sorte de nivellement positif allant à l'encontre des excès politiques de l'Ancien régime.

    Bien moins que de très nombreux économistes ou sociologues, M. et T. fournissent matière à une formule toute faite du progrès. Le conservatisme des classes dominantes rend, du point de vue marxiste, les conflits violents et les révolutions inévitables ; néanmoins T. n'excluait pas, pour ne pas dire qu'il envisageait, que la démocratie puisse devenir un despotisme, pire encore que l'ancien despotisme, en raison même du dispositif égalitaire de la démocratie.

    Ce n'est pas être déterministe que d'estimer, selon Marx, que l'Occident capitaliste n'a pas la maîtrise de son destin, contrairement aux prétentions affichées par certains intellectuels occidentaux (G.W.F. Hegel en particulier).

    La lecture de "De la Démocratie en Amérique" nous apprend que le libéralisme n'est plus, aujourd'hui, un mouvement de pensée reposant sur l'étude de l'histoire et des moeurs : le libéralisme est devenu un discours de propagande - de sorte qu'il a subi la même transformation que les intellectuels soviétiques ont fait subir à la critique marxiste de l'idéologie.

    Se dire "libéral", en 2023, c'est surtout manifester son adhésion à la caste dominante, politiquement et culturellement, que l'on en fasse partie ou que l'on s'y soumette. Un tel libéralisme n'a qu'un lointain rapport avec Tocqueville, que l'on imagine mal se satisfaire de l'état actuel de la société aux Etats-Unis ou en France - manifestement des régimes démagogiques et non démocratiques.

    On a tort d'opposer radicalement le libéral Tocqueville et le socialiste-révolutionnaire Marx, car tout deux étaient persuadés, non seulement de l'utilité de l'Histoire, mais que la démocratie conduirait à la liberté, après avoir surmonté les obstacles qu'ils désignent, l'un comme le capitalisme, l'autre de façon moins nette comme la survivance d'anciens réflexes aristocratiques, liée à un abus d'égalité.

    Marx et Tocqueville convergent encore pour penser la démocratie moderne comme étant essentiellement chrétienne (1). Ils divergent quant à la méthode ou au cheminement politique, et quant à l'évaluation des obstacles sur lesquels la démocratie achoppe.

    Aucun des deux ne prétend détenir la toute la vérité, étant conscients de la difficulté à décrire parfaitement le mouvement historique de démocratisation en cours. Aucun des deux ne s'inscrit non plus dans le sillage du relativisme bourgeois, c'est-à-dire de l'arbitraire totalitaire (cf. dénonciation de la physique quantique par S. Weil).

    Pour ma part j'estime que l'évolution politique du monde au XXe siècle donne plutôt raison à la critique marxiste.

    La lutte des classes n'a pas abouti à la victoire du prolétariat ; l'économie capitaliste continue de s'imposer comme l'âme de la démocratie ; la Chine n'a pas moins de raisons de se dire "démocratique" que la France, car la Chine contemporaine est tout aussi capitaliste, si ce n'est plus que la France.

    Ce sont là les deux arguments avancés par les journalistes ou les publicistes libéraux du XXe siècle (qui citent souvent F. Fukuyama en référence) afin de reléguer la critique marxiste au rang des vieilles lunes.

    Mais le second argument revient à poser l'équation de la démocratie et de la démagogie. La démocratie authentique selon Tocqueville s'oppose à la culture de masse, que l'on a vu se répandre au XXe siècle, en particulier aux Etats-Unis, terrain d'expérimentation de la démocratie, à l'initiative de la bourgeoisie industrielle.

    L'échec de la "lutte des classes" est une objection plus consistante. Cependant la guerre mondiale, qui occupe tout le XXe siècle et se prolonge par la Guerre froide, est un conflit d'une extrême violence, à l'instar de la lutte des classes. De plus la guerre mondiale (1870-2023) peut effectivement être résumée à une compétition économique capitaliste, engageant totalement les nations qui s'affrontent.

    La bourgeoisie occidentale n'a pas perdu le pouvoir selon le pronostic de Marx, mais elle continue d'exercer ce pouvoir dans un contexte conflictuel chaotique. L'idéologie nationaliste propagée par la bourgeoisie (culture de masse) est elle-même contre-révolutionnaire, de sorte que le conflit décrit par le schéma marxiste n'est pas conforme à ce schéma, mais persiste bien, exigeant de la bourgeoisie un effort politique constant.

    Tocqueville croyait, lui, dans l'adoucissement progressif des moeurs au gré de la démocratie. La mobilisation en masse de soldats et de civils, ainsi que le perfectionnement de l'armement, a largement compensé l'adoucissement des moeurs observé par Tocqueville (peut-être réel au plan individuel). Esprit critique, Tocqueville aurait certainement vu dans ce militarisme et ce militantisme nationalistes une sorte de fanatisme séculier, impulsé par un Etat centralisé, contrôlé par une petite élite se réclamant du communisme, du nationalisme ou de la démocratie, mais en fait technocratique ; autrement dit : le constat glaçant de G. Orwell ("1984") contredit Tocqueville, en même temps qu'il le confirme : en effet l'appareil d'Etat au XXe siècle a peu à peu acquis le monopole de la violence policière et militaire, qui lui a été cédé par des citoyens aux moeurs relativement placides.

    Le risque de centralisation excessive est un risque ou une déviance que T. avait bien envisagée, mais il n'a pas vu, comme Marx, l'effet puissamment centralisateur de l'économie capitaliste. Cet effet est d'autant plus net aux Etats-Unis au cours du XXe siècle, qu'il s'est produit au sein de la culture la plus hostile, en principe, à un tel Etat centralisé. Par conséquent un esprit libéral critique a toutes les raisons, en 2023, de prendre la démonstration de Marx au sérieux, suivant laquelle l'économie capitaliste, loin d'accompagner ou de soutenir la démocratie, engendre un Etat totalitaire.

    Tocqueville place l'égalité au coeur du processus démocratique. Mais (comme Rousseau) T. ne défend pas une conception juridico-mathématique de l'égalité, c'est-à-dire une conception totalitaire. L'égalité est pour T. une manière de nivellement de l'aristocratie, qu'il estime positive, tout en étant conscient du risque de "nivellement par le bas". L'égalitarisme totalitaire se présente en effet comme un nivellement pour le nivellement, exactement comme si le moyen de la démocratie en devenait le but (et non la conséquence).

    T. n'ignore pas que l'égalité est une notion équivoque, au moins autant que la liberté. A partir de Tocqueville, on peut déduire une conception du totalitarisme comme étant un dévoiement de la démocratie. Marx ne croit pas plus que T. ou J.-J. Rousseau dans le pouvoir de la norme juridique d'entraîner l'égalité. - Il est parfaitement inégalitaire, dit Marx, de verser le même salaire à un ouvrier, père d'une famille de cinq enfants, qu'à un ouvrier célibataire, bien qu'ils aient accompli le même travail.

    Le "droit pur" est sans doute une conception opposée au matérialisme historique. Sur ce point, Marx permet mieux de comprendre que la conception totalitaire du droit (L'Etat de droit est un tel concept juridique totalitaire) n'est que le reflet de l'économie capitaliste, conçue comme une économie parfaite.

    Tocqueville a justement analysé, peut-être mieux que Marx, le lien de subordination culturel entre les ouvriers et employés salariés et les industriels qui les emploient. Ce lien de subordination accru explique le succès de la culture de masse industrielle, notamment aux Etats-Unis ; la religion chrétienne privée n'oppose qu'une relative résistance à la culture de masse. La classe moyenne offre, selon T., une meilleure résistance à cette sous-culture industrielle.

    Il semble que Tocqueville, contrairement à Marx, ait entretenu un préjugé favorable à l'égard de la religion et des moeurs puritains des premiers Américains. T. témoigne ainsi de son admiration pour les femmes américaines, qu'il estime mieux éduquées (plus honnêtes) et moins niaises que les femmes françaises.

    Ce préjugé (2) a peut-être empêché T. de concevoir que l'Argent puisse se substituer à Dieu, et faire office de nouvelle transcendance dans le cadre démocratique, en remplacement de la religion catholique, non par le biais d'une révolution comme la laïcité (culte de l'Etat) s'est imposée en France, mais par glissement, pour compenser le manque d'Etat dans une nation hétéroclite.

    Cette transformation de la démocratie des pionniers nord-américains en ploutocratie ne correspond bien sûr pas au voeu de T. C'est un processus qui conduit à la généralisation de l'esclavage, sous une forme larvée, moins brutale, mais plus large (le citoyen-consommateur est esclave de ses désirs). En dévoilant "le mystère de l'argent", Marx met plus directement le doigt sur la dérive fanatique de l'Occident moderne.

    L'économie capitaliste crée l'illusion de la surpuissance du Capital (ou des Etats-Unis). Dieu, conçu comme une abstraction (le Dieu de Blaise Pascal) perd dans ce nouveau contexte théocratique son emploi. Le bourgeois libéral peut alors dire à son employé  : - Un dollar vaut mieux que Dieu, tu l'auras !

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    1. "La démocratie est à toutes les autres sortes de régimes ce que le christianisme est à toutes les autres religions." K. Marx

    2. Ce préjugé de Tocqueville en faveur des femmes américaines est assez typiquement "rousseauiste" ; la femme française ne désire pas, le plus souvent, une "égalité" qui lui ôte son pouvoir de séduction. Il y avait plus d'intimité entre les sexes en France, mais une incompréhension plus grande. Quoi qu'il en soit, Tocqueville parle des femmes américaines AVANT que le capitalisme ne bouleverse la culture et les moeurs des Américains.

  • Orwell et l'Ukraine

    Je vais essayer dans cette note de présenter clairement le point de vue orwellien sur la reprise de la Guerre froide, dont l'épicentre est actuellement en Ukraine.

    Au lendemain de la seconde guerre mondiale, Georges Orwell décrit dans "1984" un monde engagé dans une impasse politique. L'Etat omnipotent (Big Brother) apparaît comme "la fin de l'Histoire" - la fin au sens du but ou du terme définitif.

    La politique est partout : sous la forme de l'art engagé, de la littérature engagée, du sport engagé, de la gastronomie engagée, de la propagande enseignée comme l'Histoire (roman national), ce qui a pour effet de dissimuler le déclin de la politique, au sens positif et pragmatique du terme.

    A la politique se substitue depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale une compétition économique et militaire entre "blocs" continentaux (les idéologies dont ces blocs se réclament n'ont d'importance que pour les sous-citoyens soumis aux castes dirigeantes). Cette compétition (O. parle "d'exercice du pouvoir pour le pouvoir") remplit le but de la politique en même temps qu'elle en est la modalité principale.

    La comparaison de la politique contemporaine (1950-2020) avec le sport tel qu'il est pratiqué aujourd'hui me paraît éclairante : en effet la compétition sportive a l'apparence du sport, tout en corrompant les principes du sport (résumés par l'adage : "Un esprit sain dans un corps sain."). La performance, autour de laquelle le sport de compétition est organisé, est un principe technocratique et non sportif.

    Le point de vue orwellien est le plus éloigné de la prétention civilisatrice du discours du président russe V. Poutine, comme de la prétention pacificatrice du bloc OTAN, dont les porte-parole rabâchent des slogans onusiens démentis par la réalité de conflits à répétition d'une extrême violence. Quel que soit son commanditaire, l'attentat contre les gazoducs NordStream discrédite les discours de propagande grandiloquents, russe et otanien.

    Le point de vue orwellien, en soulignant le chaos politique persistant à l'échelle mondiale, s'oppose évidemment le plus radicalement à la propagande du "nouvel ordre mondial". Il s'y oppose de façon "radicale", c'est-à-dire non-complotiste, en soulignant l'inaptitude de l'Etat moderne technocratique à maintenir l'ordre autrement que par la violence - à l'échelle nationale comme à l'échelle mondiale. Ces efforts technocratiques ne datent pas de la dernière campagne de vaccination à l'échelle mondiale, mais du début du XXe siècle.

    "1984" est une description du chaos mondial : à ce stade, l'ordre public ne repose plus sur la citoyenneté ou un quelconque principe de civilisation effectif, mais sur la police et l'armée - une police dont le pouvoir est étendu à la pensée, de sorte que l'Etat policier est perçu comme acceptable et compatible avec la démocratie.

    *

    A propos du conflit actuel entre la Russie et l'Ukraine, on a pu entendre ici ou là qu'il avait "surpris tout le monde". Il est, a contrario, du point de vue orwellien, le moins surprenant du monde. On ne peut même pas parler de reprise de la Guerre froide, puisque celle-ci n'a jamais cessé de structurer la politique des blocs opposés, compte tenu du facteur déterminant de la compétition économique.

    Promoteur en chef zélé de l'alliance entre la France et les Etats-Unis, Bernard-Henri Lévy s'est rué en première ligne dès 2015 pour apporter sa contribution à la stratégie de l'OTAN, manifestement conscient que l'Ukraine est située entre deux plaques tectoniques. La Pologne, voisine de l'Ukraine, s'est offert un système de défense antimissile américain en 2018.

    Quand les médias sont conçus pour endormir l'opinion publique, rien d'étonnant à ce qu'ils ne la tiennent pas en éveil.

    - La bonne question est plutôt celle de la limite entre la Guerre froide (c'est-à-dire indirecte) et la Guerre mondiale (où les blocs s'affrontent directement). Cette frontière théorique existe-t-elle vraiment ? Aussi navrantes soient les conséquences des bombardements militaires en Ukraine, il faut rappeler que l'économie capitaliste (mondialisée) est très peu économe en vies humaines, bien que beaucoup d'Occidentaux préfèrent se voiler la face à ce sujet et ne s'offusquent des conséquences dramatiques de la mondialisation que lorsqu'elle les frappe directement.

    - La Russie et les Etats-Unis semblent épuiser en vain dans le conflit ukrainien leurs dernières forces. Le projet d'annexion rapide de l'Ukraine par la Russie semble un projet politique relativement rationnel a priori. La résistance inattendue de l'Ukraine lui a fait perdre son intérêt, sans pour autant en faire naître un nouveau (du point de vue européen, américain ou ukrainien), compte tenu des ravages subis par l'Ukraine et de l'exode d'une partie de la population. Ce conflit paraît aussi absurde, en définitive, que la tentative de la Russie, puis des Etats-Unis, de conquérir l'Afghanistan pour asseoir leur domination mondiale.

    - L'attaque sous-marine contre les gazoducs NordStream sonne le glas de l'Europe ; en particulier de l'Allemagne, moteur de cette Europe conçue dans les ruines, qui a ignoré l'attaque de façon assez stupéfiante. On voit que le projet européen, qui s'était substitué au nationalisme allemand défait, n'était qu'une velléité politique.

    On conçoit que la France et l'Allemagne, au sortir de la Seconde guerre mondiale, avaient intérêt à s'unir, comme deux personnes faibles ont intérêt à se marier pour s'apporter un soutien mutuel et passer à la postérité. En soixante-dix ans, la France et l'Allemagne ont été incapables de s'unir effectivement : on peut voir dans cette passivité politique la confirmation du diagnostic de "1984".

    En effet, l'union de l'Allemagne et de la France ne pouvaient se faire passivement. L'union de la France et de l'Allemagne aurait probablement comblé le vide juridique où Poutine s'est précipité, en profitant de la crise aux Etats-Unis - on ne s'attardera pas sur cette hypothèse.

    - L'union monétaire européenne, argument ultime des européistes, semble relever du mirage bien plus que de la politique active. Les Etats-Unis sont le modèle du consortium européen où l'Allemagne joue le rôle de banquier ; or les Etats-Unis eux-mêmes semblent rongés de l'intérieur par ce principe monétaire qui soude entre eux des Etats assez disparates. Autrement dit, l'unité de l'Amérique ne paraît pas pérenne.

    "1984" attire l'attention du citoyen lambda sur la démarche suicidaire des élites occidentales (non seulement d'A. Hitler).

    "1984" est dissuasif de prendre les sciences sociologique et économique au sérieux ; ces "sciences" apparaissent du point de vue orwellien comme des contributions à la théorie totalitaire de la fin de l'Histoire.

    "1984" redonne* à l'Histoire la fonction d'éveil des consciences. Orwell insiste en effet sur l'effort de Big Brother pour effacer l'Histoire la plus récente, et asservir ainsi l'opinion publique à une vérité officielle, conçue par une poignée d'intellectuels (suivant les directives de Goebbels ou Trotski).

    *Redonne car Marx et Engels concevaient déjà l'Histoire comme l'instrument de la prise de conscience du peuple, réduit en esclavage.

  • Shakespeare et la Musique

    Je donne ci-dessous des extraits d'une étude d'une vingtaine de pages sur SHAESPEARE & LA MUSIQUE à paraître prochainement dans une nouvelle revue littéraire ("La Revue Z" - pour + d'infos écrire à zebralefanzine@gmail.com).

    L'omniprésence de la musique dans le théâtre de Shakespeare (surtout les comédies) a valu au dramaturge anglais le surnom de "barde" ; nous montrons dans cette étude que Shakespeare développe un point de vue philosophique complet sur la musique, et qu'il ne s'est pas contenté de la mettre au service de sa dramaturgie.

    Intro

    Le retard de la France à traduire Shakespeare se double d’un retard à admettre le dramaturge anglais comme un philosophe à part entière ; mais avant de nous pencher sur la place de la musique dans la philosophie de Shakespeare - philosophie qui recourt au procédé de la fable -, voyons d’abord pourquoi et comment Sh. incorpore la musique à sa dramaturgie.

    Les études savantes déclenchées par la présence -pour ne pas dire l’omniprésence de la musique dans le théâtre de Sh-, mentionnent d’emblée l’expansion de la musique au cours du règne d’Elisabeth Ire ; cette expansion coïncide avec celle du théâtre en Angleterre. Dès le début du XVIe siècle, l’Angleterre a la réputation, entre toutes les nations d’Europe, de s’adonner à la musique avec un enthousiasme exceptionnel. On estime que la Renaissance anglaise est avant tout littéraire et musicale.

    Un érudit a dénombré mille références à la musique dans les pièces de Sh., dont une centaine de chansons ou ballades, tantôt inventées par l’auteur, tantôt puisées par lui dans le répertoire populaire de son temps.

    On ne s'attardera pas ici sur ce qui a été déjà exposé en détail par des spécialistes dans de nombreux articles dédiés à la musique au temps de Sh. ; nous en avons dit le minimum en préambule pour nous attacher à l’usage original de la musique par Sh., en tant que dramaturge, puis à son propos sur la musique en tant que métaphysique ; la musique eût en effet ce statut élevé dans l’Antiquité (les pièces de Sh. situées dans l’Antiquité y font plusieurs fois référence), mais aussi au Moyen-âge et à la Renaissance, du fait de l’appropriation par la culture occidentale de la culture antique.

    La musique dans le théâtre de Shakespeare n’est pas seulement ornementale ou destinée à le rendre plus attractif et populaire. Les moyens du théâtre public commercial, qui étaient ceux de Shakespeare, ne lui permettaient pas de rivaliser avec le théâtre de cour, beaucoup plus richement doté en musiciens et chanteurs qualifiés. Seule une poignée de musiciens et acteurs-chanteurs était employée par le théâtre du « Globe ».

    Sh. met la musique au service de sa mise en scène, précédant ainsi l’usage par les metteurs en scène de cinéma d’accompagnements musicaux pour « créer une atmosphère » ou stimuler les sens du spectateur ; de surcroît les chansons qui émaillent les pièces (dont les mélodies se sont envolées avec le temps) jouent un rôle de révélateur des personnages, qui s’expriment ainsi sur un autre registre, moins conscient.

    Plan de l'étude :

    - Une Comédie parfaite (Etude de l’intrigue dédoublée et des personnages de « La Nuit des Rois ».)

    - Eloge de la Folie (De l'importance de comprendre Erasme pour comprendre Shakespeare.)

    - La Musique démystifiée (Sh. et la musique comme métaphysique.)

    - Miroir, mon beau miroir… (Sur les limites de l'anthropologie.)

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  • Chrétiens en guerre (2)

    Le christianisme est une religion de paix, mais les chrétiens s'affrontent depuis des siècles au cours de guerres sans pitié. Il y a là sans doute de quoi dégoûter du christianisme...

    Je lisais il y a quelques heures sur un réseau social les messages d'un soi-disant chrétien, un de ces cadres supérieurs de la nation, ayant occupé un haut rang dans l'échelon administratif militaire : il éructait littéralement de haine. L'un de ses parents venait-il d'être fauché par une balle ou écrasé par un obus ? Il ne semble pas.

    Tournons-nous plutôt vers un artisan de paix : Francis Bacon. J'hésite à le qualifier d'humaniste car le terme a perdu toute signification précise. F. Bacon tire de la Bible cette leçon, illustrée aussi par Homère, que la modération est ce qui fait le plus défaut à l'homme naturel (sans morale), le précipitant tantôt vers Charybde, tantôt vers Sylla.

    Sur le plan religieux, F. Bacon décrit donc le pacifisme radical de certains chrétiens (les "anabaptistes", par ex.), d'une part, et la justification de la guerre par des motifs chrétiens d'autre part (les exemples ne manquent pas), comme deux erreurs ou deux écueils opposés.

    Autant que possible la guerre doit être évitée par les dirigeants chrétiens ; et, bien sûr, on ne prévient pas la guerre grâce à des incantations pacifistes ou en faisant la course aux armements - ni en faisant les deux en même temps (ce qui est assez caractéristique du régime démocrate-chrétien).

    Et, lorsque la guerre éclate malgré tout, comme la guerre relève de la politique, elle ne doit en aucun cas être justifiée par des arguments chrétiens, car les chrétiens doivent "rendre à César ce qui est à César" selon la réplique de Jésus aux pharisiens.

  • De quoi Benoît XVI est-il le nom ?

    Tâchons de faire le bilan critique de l'oeuvre intellectuelle de Benoît XVI (1927-2022), de la façon la moins polémique possible. J'explique ailleurs (sur ce blogue) pourquoi j'ai renié la religion catholique de mon enfance, à l'âge adulte, reniement qui n'est pas directement lié à Benoît XVI, mais plutôt au culte de la personnalité des papes, accru dernièrement par leur canonisation quasi-systématique et, bien entendu, l'usage de moyens de propagande médiatiques.

    Je crois avoir lu attentivement à peu près toutes les encycliques de Benoît XVI, y compris celles qu'on lui attribue sous lebenoit xvi,pape,mort,encyclique,fides et ratio nom de ses confrères. Il ne me paraît pas que Benoît XVI fût un "théologien", ni même un "philosophe". Joseph Ratzinger n'a pas conçu de nouveau dogme, ni cherché à élucider certaines prophéties comme Th. d'Aquin ; ni spécialement combattu l'hérésie comme Irénée ; son plaidoyer pour le mariage de la Foi et de la raison est bien de nature philosophique, mais assez minimaliste et problématique au pays de Voltaire et des Lumières, puisque les Lumières entendaient restaurer la raison, non pas contre la Foi, mais contre l'Eglise romaine. Benoît XVI s'inscrit-il comme G. Hegel dans la continuité des Lumières ? Ce n'est pas clair (pas plus clair de la part de Benoît XVI que ça ne l'est de la part de Hegel).

    - De mon point de vue, l'oeuvre de Benoît XVI, comme celle du concile Vatican II, est avant tout juridique et politique ; elle consiste à raffermir le lien entre la doctrine catholique (longtemps liée à la monarchie de droit divin) et la démocratie-chrétienne. On peut parler d'un effort de "rattrapage" par rapport aux Etats-Unis, nation fondée sur des valeurs démocratiques et chrétiennes (on peut voir au cours du conflit russo-ukrainien les dirigeants nord-américains invoquer des arguments et des textes chrétiens pour appuyer leur politique de soutien à l'Ukraine).

    Le double statut de chef politique et de chef religieux du président des Etats-Unis est assez évident, souligné par les querelles religieuses entre Républicains et Démocrates (en raison de sa culture "autarcique", la France est sur ce point un mauvais poste d'observation).

    Pour le dire plus simplement, il n'y a plus de différence entre un "catholique" et un "démocrate-chrétien", depuis la fin du XXe siècle, grâce à l'oeuvre de Benoît XVI et de ses confrères. Ce n'est pas un simple détail : cela pourrait faciliter, par exemple, le ralliement à l'évêque de Rome de certaines communautés dissidentes ou protestantes.

    L'ouvrage de Benoît XVI est donc un ouvrage de modernisation institutionnel. La meilleure preuve en est qu'il s'appuie sur la philosophie de Hegel, qui concilie la Foi et la raison ; K. Marx a montré que cette "raison" n'est pas n'importe quelle raison, puisqu'elle n'est autre que la raison d'Etat.

    C'est ici que le bât blesse, En effet, la différence entre "la raison d'Etat chrétienne" (présentée comme la "démocratie") et la monarchie de droit divin chrétien semble ténue, voire inexistante. Il semble donc que le point de vue politique et juridique de Benoît XVI soit le plus éloigné de la critique des temps modernes totalitaires. L'Etat totalitaire n'est-il pas justement "hégélien" ? Ne pèche-t-il pas par la volonté de viser autre chose que la satisfaction du bien commun ?

    D'autre part le point de vue institutionnel de Benoît XVI est réducteur. L'Eglise n'est pas un tas de pierre joliment agencées, comme les Juifs avaient tendance à croire, et certains conservateurs du patrimoine catholique ; mais elle n'est pas non plus une organisation étatique.

    NB : On peut reprocher à cette critique d'être réductrice ; elle est délibérément restreinte à la volonté de modernisation de l'Eglise de Benoît XVI, coordonnée avec celle de Jean-Paul II, son prédécesseur, et François Ier son successeur.

  • Les Amis de l'Argent

    On me demande d'expliquer la parabole de Jésus sur le mauvais intendant (Luc XVI, 1-15).

    Cette parabole désigne les pharisiens comme étant sataniques (adversaires de la Foi telle que Jésus l'expose) ; précisons à la suite de Paul que les pharisiens ne sont pas sataniques en tant que Juifs, mais en tant que clergé dépositaire de la Loi de Moïse, restée lettre morte sous leur ministère.

    Cette explication est d'autant plus utile que la culture bourgeoise occidentale nous incite à fraterniser avec l'argent, suivant un processus historique sur lequel je dirai seulement quelques mots.

    Comment puis-je affirmer que la "culture bourgeoise occidentale" incite à fraterniser avec l'argent ? Parce que Shakespeare en a fait la démonstration dans "Le Marchand de Venise" ; cette démonstration constitue en quelque sorte l'élucidation de ce que l'on appelle couramment "capitalisme", qui place l'argent au centre de la vie publique.

    Venons-en à la parabole sur le mauvais intendant (recopiée ci-dessous, après son explication) ; Jésus compare la gestion des biens terrestres à la gestion du trésor que représente pour les chrétiens la Parole de Dieu. Le trésor de la Parole représente pour un pauvre le seul trésor, auquel il a le loisir de se consacrer ; ceci explique la difficulté quasiment insurmontable qu'éprouvent les gens riches à se tourner vers Dieu, car la gestion de leurs biens les accapare et les inquiète au point qu'ils délaissent les choses spirituelles.

    Or le Messie fait une comparaison stupéfiante pour les Pharisiens qui l'écoutent, qui réagissent par des moqueries. En effet Jésus montre en exemple un mauvais intendant, un intendant véreux qui a dilapidé la fortune de son maître au lieu de la gérer convenablement ; et c'est cet exemple, dit Jésus, qu'il faut suivre ! "Faites-vous des amis avec la Richesse malhonnête", dit Jésus.

    De fait le mauvais intendant n'est pas un "ami de l'argent" : sa négligence le prouve. Il n'est pas non plus stupide, puisqu'il parvient in extremis à rétablir sa situation auprès de son maître, grâce à sa ruse.

    Le maître suspend la sanction. C'est lui aussi un "mauvais maître", d'une certaine façon ; un ami de l'argent pourrait le trouver laxiste de garder à son service un serviteur qui l'a spolié.

    Il ne faut pas se comporter de façon plus bête avec le trésor de la parole divine qu'un intendant véreux avec les biens d'un homme riche ; il y a là une invitation à se comporter intelligemment vis-à-vis de la Parole divine, et non en dévot.

    L'idée qu'il y a une justice dans l'argent est bien sûr très répandue dans la culture bourgeoise capitaliste. Encore une fois, je ne m'attarderai pas ici sur la démonstration de ce phénomène historique exposé par Shakespeare, mais la notion (déterministe) même de "lois économiques" ou de "science économique", contraire à la réalité des faits politiques, véhicule l'idée qu'il y a une justice comptable.

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    Luc XVI, 1-15 : "Il disait aussi à ses disciples : "Il était un homme riche qui avait un intendant ; celui-ci fut dénoncé comme dissipant ses biens. Il l'appela et lui dit : "Qu'est-ce que j'entends dire de toi ? Rends compte de ton intendance, car tu ne pourras plus être intendant." Or l'intendant se dit en lui-même : "Que ferai-je, puisque mon maître me retire l'intendance ? Bêcher, je n'en ai pas la force ; mendier, j'en ai honte. Je sais ce que je ferai pour que, quand je serai destitué de l'intendance, il y ait des gens qui me reçoivent chez eux." Ayant convoqué chacun des débiteurs de son maître, il dit au premier : "Combien dois-tu à mon maître ?" Il dit : "Cent mesures d'huile." Et il lui dit : "Prends ton billet, assieds-toi vite et écris : "quatre-vingts" Et le maître loua l'intendant malhonnête d'avoir agi d'une façon avisée. C'est que les enfants de ce siècle sont plus avisés à l'égard de ceux de leur espèce que les enfants de la lumière.

    Et moi je vous dis : - Faites-vous des amis avec la Richesse malhonnête, afin que, lorsqu'elle viendra à manquer, ils vous reçoivent dans les pavillons éternels. Qui est fidèle dans les petites choses est aussi fidèle dans les grandes, et qui est malhonnête dans les petites choses est aussi malhonnête dans les grandes. Si donc vous n'avez pas été fidèles pour la Richesse malhonnête, qui vous confiera le bien véritable ? Et si vous n'avez pas été fidèles pour le bien d'autrui, qui vous donnera le vôtre ? Nul domestique ne peut servir deux maîtres : car ou il haïra l'un et aimera l'autre, ou il s'attachera à l'un et méprisera l'autre. Vous ne pouvez servir Dieu et la Richesse."

    Les Pharisiens, qui étaient amis de l'argent, écoutaient tout cela et ils se moquaient de lui. Et il leur dit : "Vous, vous êtes de ceux qui se font justes aux yeux des hommes ; mais Dieu connaît vos coeurs ; car ce qui est élevé parmi les hommes est abomination aux yeux de Dieu."

  • L'Affaire NordStream

    Je suppose que tous les disciples d'Orwell ont réagi comme moi en apprenant que les gazoducs "NordStream" de la compagnie russe Gazprom avaient été sabotés sous la mer : - Ouah, les types (les sous-merdes) qui ont fait ça sont sacrément imprudents !

    Et là je suis obligé de donner une définition de la "sous-merde humaine", une définition orwellienne pour le cas où quelqu'un qui n'aurait pas lu "1984" passerait par là. Evidemment, pour Orwell, une sous-merde humaine n'est pas "un gros nazi", suivant la définition du dictionnaire, mais "un gros nazi qui se fait passer pour un antinazi pour s'approcher plus près de sa proie". Il va de soi que la sous-merde évolue en bas de l'échelle sociale : son humanisme est badigeonné à la peinture bleue sur son casque. Il agit par amour ou pour l'argent, comme un type binaire lambda. Au-dessus des sous-merdes, il y a ceux que j'appelle "lieutenants du chaos", mais vous pouvez leur donner un nom moins pompeux si ça vous chante. Quoi qu'il en soit, les lieutenants ne mettent jamais les mains dans la nitroglycérine ; parce que ça peut péter à la figure, mais surtout parce qu'ils ne doivent pas être pris la main dans le sac.

    Oui, je me souviens parfaitement où j'étais le jour de l'attentat contre le World Trade Center, ce jour où les Etats-Unis se sont pris en pleine poire le boomerang du chaos qu'ils avaient semé, en bons chrétiens, dans les déserts montagneux infertiles d'Orient ; mais l'endroit où j'étais n'a aucune importance, sauf pour moi. Je me souviens aussi de l'extraordinaire brouhaha médiatique qui a suivi, dès le soir même, comme un nuage de poussière recouvrant rapidement tout : les ruines, les morts, les survivants, les indices ou l'absence d'indices, un vrai simoun !

    J'ai toujours eu horreur des puzzles, depuis le jour où j'ai retrouvé mon oncle spécialiste de la conception de robots à quatre pattes sur le carrelage du salon de mes grands-parents pour faire un "1000 pièces". Il avait 39 ans ! La pluie torrentielle d'informations qui s'abat sur nous quand nous allumons la radio ou la télévision me fait le même effet que ces puzzles que l'on offre aux fous dans les asiles psychiatriques pour entretenir leur folie.

    Au temps de l'attentat du WTC, j'avais entamé ma lecture de K. Marx pour soigner ma tête de con. J'aurais aussi bien pu lire "1984" à ce moment-là, qui est à la fois plus difficile (pour une tête de con) et plus facile que K. Marx. Dans les deux cas, il s'agit de lectures peu féminines ; il va de soi que les femmes préfèrent les trucs ludiques. Je n'ai lu "1984" que bien après le 11-Septembre, par acquis de conscience, comme on peut lire Flaubert après avoir lu Balzac.

    Le silence assourdissant qui fait suite au sabotage du pipe-line russe fournissant à l'industrie allemande le précieux sang dont elle a besoin pour inonder le monde de chimères en acier et en plastique, ce silence fait écho au vacarme assourdissant des commentaires plus autorisés les uns que les autres sur l'attentat de Manhattan.

    Un reste d'esprit spéculatif m'a poussé à me demander, je le confesse, qui avait commandité ce coup extrêmement bas, d'une bassesse subaquatique, des enculés russes ou des enculés du Pacte atlantique ? Assez naturellement j'ai soupçonné les Russes, que je tiens dans l'ensemble pour des joueurs d'échecs, des lecteurs de Dostoïevski, des Huns, des loups se faisant passer pour des chiens domestiques, des "mencheviks"... ne dit-on pas que Vladimir Poutine a été éduqué au KGB, ce qui est la meilleure façon de devenir une sous-merde en se prenant pour un gros malin. Le jeu d'échecs est proche du puzzle, bien qu'il y a une part de sadisme arachnéen supplémentaire dans le jeu d'échecs. Sous prétexte que tout est déterminé à l'avance aux échecs, les abrutis dans le genre de Gary Gasparov s'imaginent - ou plutôt déduisent -, qu'il en est ainsi partout : dans la vie, en politique, dans les arts comme à la guerre...

    Le silence assourdissant de la presse et des journalistes - d'une manière générale de tous les employés du grand souk médiatique tumultueux-, soudain muets, matés comme on voudrait qu'ils le soient définitivement, par l'officier suédois en charge de l'enquête sous-marine, ce soldat-belge du "secret défense", voilà qui a coupé net mes spéculations "racistes", comme disent ceux qui manipulent et financent des escadrons de nègres afin que leurs exactions proclament partout la supériorité de la race blanche... L'Empire du Mensonge vient de surgir dans les ténèbres de la Guerre froide, plus net et plus visible qu'au cours des Trente Glorieuses, brillantes comme une boule à facettes - l'Empire du Mensonge arc-bouté sur la soif de mensonge de la foule, tel qu'il n'a pas de secret pour les lecteurs de ce brave Georges Orwell.

  • Autour de "1984"

    On tient pour admis par le lecteur de cette note que "1984" n'est pas un roman d'anticipation ni de science-fiction. La brève correspondance entre G. Orwell et A. Huxley est, à cet égard, éclairante. En effet, tandis que Huxley a imaginé un régime totalitaire "nec plus ultra", un monde quasi-parfait dirigé par des technocrates darwinistes ("Brave New World"), Orwell s'est contenté de faire le portrait du XXe siècle totalitaire dans une sorte de fable.

    Il faut donc considérer "1984" comme un livre d'Histoire - le plus synthétique des essais de ce genre ; il souligne au premier chef que le mensonge est devenu un outil politique primordial, plus important que la force armée elle-même. Autrement dit, jamais le mensonge n'a autant contribué à cimenter la nation, et nul Etat ne peut se passer au XXe siècle d'un outil de propagande sophistiqué. Orwell montre que le mensonge politique réclame un effort constant de la part des propagandistes. "1984" dévalue la production dans le domaine des sciences sociales au XXe siècle, incitant à y voir des pseudo-sciences basées sur les statistiques.

    Bien entendu Orwell ne prétend pas que la propagande et la censure qui l'accompagne sont des inventions du XXe siècle, mais qu'elles ont atteint un sommet - en termes de sophistication, notamment. La propagande occupe un personnel considérable.

    On peut lire "1984" comme la Comédie humaine du XXe siècle, puisque Balzac a produit la description de la société de son temps la plus large, avec le souci de réalisme qui anime les zoologues décrivant les différentes espèces animales ou les botanistes décrivant les différentes sortes de plantes. Contrairement au réalisme artificiel des sociologues (réalisme "in vitro"), le réalisme de Balzac n'est pas coupé de l'observation attentive des comportements humains - il n'est pas déterministe comme les sociologues, sous l'influence du darwinisme.

    G. Orwell s'est mis en scène dans son roman ; le personnage de Winston Smith n'est autre qu'Orwell, mais un Orwell sur lequel l'auteur de "1984" a pris du recul, prenant conscience de ses erreurs de jeunesse.

    "1984" a bien sûr une dimension satirique dont l'oeuvre de Balzac est à peu près dépourvue. L'outrance de "1984" est volontaire (méthode empruntée à J. Swift), pour botter le cul du lecteur, lui montrer le lien direct entre la propagande d'Etat déversée doucement dans l'oreille du citoyen lambda, et la torture brutale de celui qui, justement, ne l'entend pas de cette oreille.

    Ce n'est pas la seule explication du volume réduit à quelques centaines de pages de "1984", en comparaison des milliers de pages que compte la Comédie humaine. Balzac était feuilletoniste, et les feuilletonistes ont tendance à tirer à la ligne, à faire visiter la Touraine à leurs lecteurs.

    Sans doute est-ce surtout la pauvreté des caractères et des types au XXe siècle qui explique la maigreur d'Orwell. L'humanité a rétréci, elle s'est schématisée ; il n'y a plus beaucoup de différence entre un homme et une femme. Ne subsiste plus au XXe siècle, de tous les types, que le "pauvre type". Winston Smith n'échappe lui-même que de très peu à cette dénomination ; son honnêteté suffit à en faire un type exceptionnel, en même temps que marginal - l'honnêteté est devenue antisociale ; la fidélité aussi, comme nous le montre une scène où Winston est torturé jusqu'à trahir sa compagne.

    Cette observation historique d'Orwell rejoint la description d'Adolf Eichmann par Hannah Arendt comme étant, non pas un sale type mais un pauvre type, un type banal. Encore faut-il ajouter : "banal" pour son temps, où la monstruosité se cache derrière le voile de la banalité.

    Cette observation est encore plus nette au plan politique, puisque d'une certaine manière le tyran Big Brother n'est personne. De tête, l'Etat totalitaire n'a pas - il n'a qu'une tête d'affiche. On peut imaginer le visage de Big Brother débonnaire, ou souriant à l'Avenir, ou impassible, ou sévère suivant l'humeur de la populace qui lui rend un culte complice. Pour les lecteurs de Shakespeare, il y a là un saisissant contraste avec la galerie de portraits d'hommes et de femmes politiques peinte par l'historien élisabéthain, marchant vers la gloire avec plus ou moins d'assurance et d'intelligence.

    G. Orwell n'est-il pas justifié de résumer la politique au XXe siècle à une tête d'affiche ? Cela concorde du moins parfaitement avec le propos selon lequel le culte du pouvoir pour le pouvoir est au coeur de la démarche totalitaire, du citoyen lambda au n°1 dans l'organigramme. En effet, quel homme ou femme politique, de ceux dont Shakespeare fit le portrait, se serait contenté des symboles du pouvoir politique, acceptant de n'être qu'une image ?

    *

    On peut objecter que le pouvoir politique est désormais entre les mains des acteurs économiques, et que c'est dans ce domaine que l'on trouve des hommes et des femmes ambitieux et volontaires, non plus au sein du personnel politique. Mais c'est sans doute ici la même illusion que d'opposer l'Etat au Capital, alors qu'ils sont solidaires. La guerre froide, qui dure depuis 1945, et que Orwell évoque, au second plan, comme la conséquence d'un mal intérieur, est une guerre qui se joue aussi bien au niveau économique qu'au niveau politique, sans que l'on puisse bien séparer ces registres. On ne distingue nulle part le fruit de l'ambition des entrepreneurs capitalistes s'ils en ont une. L'ordre mondial n'est pas une ambition mais une utopie chimérique.

    Les milliers de scribes appointés pour chanter les louanges de l'économie capitaliste, aussi nombreux soient-ils, ont du mal à dissimuler ses plus catastrophiques inconvénients. Le mensonge n'est pas moins requis sur le plan économique qu'il n'est requis sur le plan politique.

    L'honnêteté est devenue antisociale en même temps que l'argent s'est imposé comme un lien social primordial, suivant l'analyse de Karl Marx ; celui-ci décèle dans l'argent non seulement un moyen économique (pragmatique), mais aussi mystique (non pragmatique). K. Marx louait Balzac d'avoir montré mieux qu'un autre dans son oeuvre romanesque la transformation sociale opérée par le capitalisme : la juridicisation des rapports sociaux. Cette juridicisation se traduit de façon encore plus nette au XXe siècle par divers phénomènes, dont la disparition des cultures et modes de vie traditionnels (annoncée par Marx). C'est ce phénomène de judiciarisation qui confère à Big Brother, dans "1984", une légitimité qu'aucun citoyen ne songe à contester. On voit que même aux Etats-Unis, dans cette confédération initialement si réticente à se prosterner devant l'Etat comme devant Dieu, le capitalisme a eu raison de la sphère privée.

    *

    Ainsi on peut dire que la fragilité de l'Etat totalitaire, tel que Orwell le décrit, plus instable et moins capable de distribuer à tous une ration satisfaisante de bonheur que l'organisation idéale imaginée par Huxley, la fragilité de cet Etat tient à ce qu'il est une superstructure capitaliste ; qui plus est une superstructure non pas unique, mais concurrencée par plusieurs rivaux analogues. Chez Huxley, le totalitarisme rime avec la fin de l'Histoire, une fin heureuse orchestrée par des élites dirigeantes ayant renoncé à la science.

    Certainement Orwell n'est pas plus disposé à croire que le Balzac de "La Peau de Chagrin" que l'argent rend libre, ce qui constitue en somme le slogan principal du libéralisme ou de la démocratie-chrétienne, cette musique bourgeoise jouée en boucle dont il convient que le citoyen lambda, y compris quand il n'a pas un sou en poche, soit imprégné.

    Par conséquent Orwell ne décrit pas un avenir menaçant, mais plutôt une impasse dans laquelle l'Occident se serait fourvoyé, comme enivré par le progrès technique (omniprésent dans "1984"), sur quoi repose principalement le régime d'oppression de l'homme par l'homme. Aucun régime n'illustre mieux que le régime nazi cette ivresse dangereuse, la foi naïve dans l'intelligence artificielle et la confusion entre le scientisme et la science, confusion qui n'a fait que s'aggraver depuis.

  • Chrétiens en guerre

               « Heureux les pacifiques, car ils seront appelés les enfants de Dieu. » Math. V:9.             

                  « S’il est possible, autant que cela dépend de vous, soyez en paix avec tous les hommes. » Romains XII:18.

                Je propose, sous un titre volontairement ambigu, quelques réflexions sur la guerre et la foi chrétienne. L’ambiguïté reflète ici les postures adoptées par les chrétiens vis-à-vis de la guerre, différentes selon l’Eglise à laquelle ils adhèrent, leur nationalité, ou encore selon que la guerre les touche de près ou de loin.

    Cela peut laisser penser qu’il y a trente-six attitudes chrétiennes différentes vis-à-vis de la guerre. Ces tergiversations s’expliquent par la difficulté à être fidèle à la Parole de Dieu à cause du péché, non seulement à respecter cette Parole, mais aussi à l’entendre comme il faut.

    On voit ainsi que les apôtres de Jésus écoutèrent d’abord ses sermons et ses paraboles sans les comprendre ; l’apôtre Pierre manifesta plusieurs fois la volonté d’être fidèle à l’enseignement de Jésus, tout en faisant le contraire, par manque d’intelligence. Il se saisit ainsi un jour d’une épée pour défendre celui qu’il tenait pour son maître, contre des soldats venus l’arrêter, suivant un réflexe bien humain. Le Messie a condamné par avance toute intervention armée, sous prétexte de le défendre ; il a réparé immédiatement la blessure faite par Pierre à un soldat (symboliquement à l’oreille).

    ***

    Balayons pour commencer une contradiction apparente, pointée parfois par des adversaires de Jésus-Christ et de son enseignement, afin de démentir qu’il soit un prophète animé par un esprit de paix : « Ne croyez pas que je sois venu apporter la paix sur la terre ; je ne suis pas venu apporter la paix, mais l'épée. » Math. X:34.

    La guerre revêt ici une apparence symbolique ; le Messie se présente comme le chef d’une guerre sainte conduite contre leguerre,chrétien,témoins de jéhovah,pierre,royaume épée,paul de tarse mensonge, contre l’esprit de Vérité, c’est-à-dire Satan ; cette guerre dont l’apocalypse de Jean décrit symboliquement les étapes, ne passe pas par l’usage d’une épée en fer forgé, mais par la Foi chrétienne, représentée par une épée (on voit parfois l’apôtre Paul armé de cette épée dans des peintures chrétiennes, afin de rappeler le rôle primordial qu’il joue dans la guerre sainte de Jésus-Christ).

    La précision qu’il n’est pas venu apporter la paix « sur la terre » indique bien que le Messie n’est pas un chef ordinaire, qui chercherait à instaurer la paix civile dans tel ou tel pays ou contrée.

    Autrement dit le chrétien contribue par ses actions charitables à la guerre sainte contre Satan ; la parabole du Samaritain incite même à dire qu’un acte charitable, même s’il n’est pas accompli par un chrétien confirmé, contribue à la défaite annoncée de Satan.

    Précisons que les métaphores ou les symboles dans la bouche du Messie renversent l’ordre des obligations et des droits humains : en effet, la guerre qui est pour l’homme une nécessité, dans bien des cas (un acte de défense ou de survie), devient pour Jésus un acte d’amour, aux antipodes de ce que l’homme entend par « guerre » ; il en est de même pour le royaume, le mariage (de Jésus-Christ et de son Eglise), la pierre d’angle (la Foi)…, qui décrivent des réalités spirituelles célestes à l’opposé de ce que l’homme entend par royaume, mariage, pierre...

    On voit que le Messie n’affronta pas l’autorité civile romaine représentée par Ponce Pilate, détenteur d’une autorité politique et civile temporelle, qu’il ne contestait ni ne cautionnait. Le Messie affronta en revanche les pharisiens, le clergé juif, dans la mesure où celui-ci avait accaparé la Loi de Moïse et ne l’avait pas fait fructifier selon le plan de Dieu-Yahweh.

    ***

    Quand il parle de « paix » et de « guerre », Jésus-Christ parle donc de choses difficiles à concevoir pour l’homme, qui ont trait au salut et à la vie éternelle.

    Mais il n’est pas besoin d’être disciple de Jésus-Christ pour concevoir l’utilité de contenir les passions humaines et d’y mettre un frein pour éviter la guerre autant que possible.

    Le célèbre récit de « L’Iliade », plusieurs siècles avant l’ère chrétienne, nous montre que le guerrier le plus intelligent – Ulysse – est celui qui parvient à mettre un terme à la guerre, une guerre qui n’en finit pas, déclenchée par la passion illicite de deux amants.

    Sans trahir Homère, Shakespeare a prêté au personnage d’Ulysse dans son « remake » de « L’Iliade » (« Troïlus & Cressida ») l’intention pacificatrice, doublée de la ruse qui permet à Ulysse d’enrôler des guerriers guidés par leur orgueil au service du bien commun.

    La guerre fournit l’occasion à Homère, et plus nettement encore à Shakespeare, de montrer le mécanisme de la bêtise humaine.

    Il n’est pas besoin d’être chrétien pour comprendre l’utilité de contenir les passions humaines, cependant l’histoire des siècles récents XIXe, XXe et XXIe siècle, illustre combien la culture guerrière a pris le pas sur la civilisation. Le procès de régimes barbares comme le régime nazi ou le régime soviétique ne fait qu’ajouter à la barbarie l’hypocrisie, la moins susceptible d’infléchir le cours de la culture guerrière, qui va bien au-delà du nazisme et du communisme.

    Les chrétiens doivent au contraire remarquer que l’esprit belliqueux a contaminé des nations chrétiennes, ou qui se disent telles, à travers leurs représentants, leurs drapeaux, leurs constitutions…

    Ainsi un homme raisonnable, modéré ou encore civilisé, ne se résout à faire la guerre, ainsi qu’Ulysse, qu’en dernière extrémité seulement, et cela bien qu’il soit parfaitement entraîné au maniement des armes. La réticence d’Ulysse n’est pas celle d’une femme.

    ***

    Un chrétien se conformera à la prescription de l’apôtre Paul d’être en paix avec tous les hommes, autant qu’il est possible. Ce n’est sans doute pas une chose facile par les temps qui courent, tant la culture moderne a tendance à justifier les mouvements politiques violents.

    L’Evangile prohibe-t-il le métier des armes, suivant la pratique de certaines communautés chrétiennes (ordres religieux catholiques désarmés, « quakers » anglais au XVIIe et XVIIIe siècles…) ?

    Actuellement l’organisation des Témoins de Jéhovah proscrit le métier des armes à ses membres, ainsi que la conscription ; cela a valu à cette communauté chrétienne une interdiction de pratiquer son culte par la Fédération de Russie (en 2017), suivie de quelques arrestations pour infraction.

    Cette prohibition des Témoins de Jéhovah peut paraître à la fois une règle sage et une règle folle. Sage, car elle fait office de garde-fou contre l’esprit particulièrement belliqueux du monde contemporain, sa culture et son économie (« course aux armements ») qui semblent concourir à faire la guerre.

    Néanmoins la guerre n’est plus menée seulement par des soldats, maniant des armes, elle est aussi supervisée par des banquiers qui la financent, des ingénieurs qui travaillent à la conception d’armes sophistiquées, des physiciens qui découvrent l’usage létal de certains minéraux, des publicistes qui justifient les déclarations de guerre, des artistes qui exaltent le courage militaire, des ouvriers qui assemblent des chars… autrement dit la guerre mobilise beaucoup de monde et, suivant cette parole d’un philosophe : « Les citoyens d’une nation ne pourraient dormir tranquillement sur leurs deux oreilles si des soldats brutaux et prêts à toutes les exactions ne veillaient pas sur leur sommeil, postés aux  frontières. »

    On ne peut pas imputer aux seuls soldats et chefs militaires la responsabilité de guerres qui sont le fruit d’une volonté collective. On peut se demander si la proscription du métier des armes par les Témoins de Jéhovah est une mesure juste pour lutter contre l’esprit du monde ? Mais également si elle est une protection efficace contre cet esprit satanique ?

    Comme certains chrétiens ont confondu et confondent encore la « guerre sainte » avec la défense d’intérêts politiques terre-à-terre, la paix éternelle promise par Jésus-Christ ne doit pas être confondue avec la paix civile.

    Le pacifisme chrétien est donc un combat pour la paix. Déjà les prophètes de l’Ancien Testament faisaient coïncider l’avènement du royaume du Fils de Dieu, avec l’avènement de la paix :

    « Il [le Messie] sera le juge des nations, L'arbitre d'un grand nombre de peuples. De leurs glaives ils forgeront des hoyaux, Et de leurs lances des serpes : Une nation ne tirera plus l'épée contre une autre, Et l'on n'apprendra plus la guerre. » Esaïe, II,4.

    (Illustration : l'apôtre Paul représenté par Le Gréco portant l'épée de la Foi au côté de Pierre -XVIIe siècle)

  • Orwell et la "crise sanitaire"

    Article corrigé (4 févr. 2022) sous forme de fichier pdf à lire ici.

  • Faut-il dissoudre l'Eglise catholique ?

    Le rapport d'enquête Sauvé sur la pédocriminalité dans l'Eglise catholique en France vient d'êtrepédérastie,clergé,catholique,sauvé,sodoma,frédéric martel rendu public par les enquêteurs (CIASE). S'appuyant sur la méthode statistique, ce rapport évalue à 300.000 le nombre des crimes commis sur des enfants par des prêtres et des laïcs catholiques au cours des soixante-dix dernières années (1950-2020).

    L'ampleur de cette criminalité est-elle surprenante ?

    • Le rapport Sauvé ne fait que répéter l'enquête de Frédéric Martel ("Sodoma"), menée à l'échelle internationale, qui exhibait déjà toute la gangrène.

    Ce journaliste décrit, plus utilement que le rapport Sauvé, le procédé de "l'omerta" à l'oeuvre au sein de l'Eglise catholique, ainsi qu'une forme d'angélisme de la part de certains prêtres, non au sens spirituel du terme, mais au sens « d'imbécillité », propice aux exactions des prêtres sournois.

    Ajoutons ici que la dépravation sexuelle d'une partie du clergé trouve dans les malversations financières un prolongement logique. crimes sexuels et crimes d'argent sont des crimes cupides. Bien qu'ils frappent l'imagination moins durement que les crimes sexuels, les crimes financiers ont aussi toujours des conséquences atroces.

    • Le monde dans lequel nous vivons est ultra-violent. On pourrait citer de nombreux exemples de cette violence que la France ne veut pas regarder en face. La violence touchant les enfants choque particulièrement, mais c’est loin d’être la seule. Cette violence, Georges Orwell l’a très bien décrite dans « 1984 » comme une violence contributive à l’organisation sociale, dont l'Etat ne peut se passer ; or les représentants officiels de l’Eglise catholique représentent une des cautions morales du monde moderne dans de très nombreuses nations.

     L’ampleur des crimes n’est pas surprenante, mais le déguisement du prêtre catholique ajoute à l’horreur du crime. Il s’agit ici d’abus au nom de l’Amour. L’Antiquité considérait les crimes commis au sein de la famille, le parricide ou le fratricide, comme particulièrement odieux ; cette mesure semble dépassée ici.

    En conséquence, faut-il dissoudre l’Eglise catholique ?

                Souvenons-nous de cette parabole de Jésus-Christ, faisant écho aux prophètes : "Un bon arbre ne peut porter de mauvais fruits, ni un mauvais arbre porter de bons fruits. Tout arbre qui ne porte pas de bons fruits est coupé et jeté au feu." (Mt. 7:18-19)

                Jésus-Christ condamne ici la religion des pharisiens hypocrites, qui ne donna pas les fruits escomptés. Plus largement, il enseigne que la Foi se situe au-dessus des affaires et des institutions humaines. L’engloutissement de la Cité du Vatican dans une faille sismique, avec tout son personnel, laisserait la Foi intacte. On ne doit pas confondre, comme les prêtres juifs, le Temple et la Foi.

                Mais je suis mal placé pour parler de dissoudre l’Eglise catholique, en étant déjà sorti moi-même il y a plusieurs années, sans esprit de vengeance, comme on s’écarte d’une ruine branlante sur le point de s’écrouler.

                D’ailleurs ne peut-on tenir l’Eglise catholique pour d’ores et déjà dissoute ? Je m’explique : elle est partout et elle est nulle part. Le catholicisme imprègne en effet tellement la culture des nations occidentales, qu’il est très difficile de dire où le catholicisme commence et où il s’arrête. Même laïques, de nombreuses cultures sont déterminées par le christianisme ; quant à l'islam, il paraît souvent entièrement déterminé par le rejet des "valeurs occidentales". Le catholicisme EST la culture occidentale (Je ne m’étends pas ici sur cette imprégnation, comme je l'ai déjà longuement évoquée par ailleurs).

                L’Eglise catholique est donc déjà « dissoute » comme le sucre est dissout dans le thé chaud.

  • Sur la Dictature sanitaire

    Quelques mots à propos de la dictature sanitaire instituée en France en mars 2020.

    A ceux qui trouvent le terme « dictature » trop fort, on répondra qu’il décrit mieux la réalité du mode de gouvernement actuel que le mot « démocratie ».

    L’assentiment de la majeure partie des Français à la dictature n’enlève rien à son caractère de impérieux ; depuis plus d'un demi-siècle la France est une monarchie républicaine hypercentralisée, et le parlement joue un rôle symbolique, pour ne pas dire décoratif.

    La crise sanitaire, comme le mouvement des Gilets jaunes auparavant, a eu pour effet de souligner un élément caractéristique de l'organisation politique actuelle, un élément «orwellien» puisqu’il s’agit du rôle crucial joué par les médias. L’assignation des Français à leur domicile et un périmètre de promenade réduit aurait été impossible sans le rôle de "persuasion" de la télévision et de la radio ; l’armée et la police n’auraient pas pu contenir la population française à elles seules.

    On pense ici à «1984» car son auteur y souligne le rôle du mensonge dans la dictature moderne ; celle-ci ne repose pas tant sur la contrainte physique que sur l’adhésion du plus grand nombre aux discours de propagande répétitifs, remplaçant peu à peu la culture écrite.

    On peut parler de fable marxiste car ce que Orwell qualifie de "mensonge" est très proche de l'idéologie combattue par Marx au nom de la science. Les différentes idéologies se justifient les unes les autres, un peu comme « la droite » justifie « la gauche » sur l'échiquier politique français, et vice-versa.

    En effet le nazisme se justifie par rapport au communisme ; le communisme se justifie par rapport à la démocratie-chrétienne (bourgeoisie), et la démocratie-chrétienne se justifie par rapport au nazisme. Tandis qu’en historien, au contraire, Orwell souligne les points de convergence entre les régimes nazi, communiste et démocrate-chrétien ; en effet ce qu’ils ont en commun est plus important que les divers slogans démagogiques qui permettent de les distinguer.

    Orwell accuse de surcroît «les intellectuels» d’être les actionnaires du mensonge, c’est-à-dire de maintenir autant qu’il est possible le peuple dans l’ignorance, au niveau de l’idéologie. Je ne veux pas m’y attarder ici, mais il ne serait pas difficile de démontrer que la télévision et la radio sont avant tout des instruments de manipulation de l'opinion publique, afin de la réduire à une masse la plus malléable possible.

    Certains font observer que la dictature chinoise est beaucoup plus sévère ; peut-être, mais ce genre de comparaison est très difficile à faire ; le nombre de suicides est-il plus élevé en Chine ou en France ? On l’ignore. Quoi qu’il en soit, pour des raisons économiques évidentes, on ne peut plus distinguer nettement la France de la Chine, car une bonne partie des produits de consommation courante vendus en France sont fabriqués en Chine par des esclaves.

    De mon point de vue, la crise sanitaire n’est qu’un aspect de la crise économique qui frappe l’Europe, une réplique de la secousse violente de 2008. La crise sanitaire n’a quasiment de sanitaire que le nom. La paralysie du système hospitalier, d’où découle la décision de placer le pays dans un coma artificiel, faute de réponse appropriée à la situation, est un problème économique et non directement médical. Le système hospitalier tel qu’il fonctionne en France reflète d'ailleurs une conception capitaliste de la médecine, qui touche tous les aspects : l’organisation des hôpitaux, mais aussi les études de médecine et la recherche médicale.

    On pourrait multiplier les exemples concrets à propos de cette médecine qui n’en est pas vraiment une ; je n’en citerai qu’un, ô combien significatif : l’arnaque du viagra à l’échelle mondiale ; il n’est guère difficile de comprendre en quoi et pourquoi la fameuse pilule bleue est un « remède » typiquement totalitaire.

    Disons aussi pourquoi la fable de G. Orwell n’est pas «complotiste», pourquoi elle ne fournit pas une explication et une solution simplistes. Orwell pointe la responsabilité des «intellectuels», ce qui n’implique pas tant une action concertée de leur part, que la faiblesse morale des intellectuels, qui trouvent dans l’idéologie ou le mensonge un certain confort, exactement comme le soldat ne peut pas se passer de «l’esprit de corps», ou les femmes de la «famille». Orwell ne craignait pas l'inconfort intellectuel, ce qui est la marque d'un esprit plus scientifique que militant.

    Les médias et la presse ne forment pas plus que l’armée française un «complot». Ils sont simplement caractéristiques d’une organisation politique où le mensonge, c’est-à-dire la publicité, la substitution du rêve à la réalité, joue un rôle essentiel.

    «1984» ne signale pas tant l’activité politique sournoise d’un parti accaparant le pouvoir qu’il souligne la passivité politique du plus grand nombre, travestie parfois en activisme politique. Les rares dissidents sont considérés et traités comme des grains de sable enrayant la mécanique du pouvoir.

    «Big brother» pourrait aussi bien être une intelligence artificielle, résolvant les problèmes d’organisation, exactement comme si l’espèce humaine était une espèce animale comme les autres.

    *

    Et les chrétiens dans tout ça ? Les chrétiens sont dans une position particulière sous plusieurs rapports. D’abord parce que le mensonge médiatique revêt parfois une teinture ou une coloration chrétienne. La démocratie-chrétienne, qui associe la démocratie à Jésus-Christ au mépris de son interdiction de mêler le Salut aux affaires humaines, n’est que la queue d’un vieux procédé consistant à accommoder la Foi chrétienne aux besoins des élites dirigeantes. La démocratie-chrétienne est avant tout destinée à légitimer le pouvoir de la bourgeoisie.

    Or les chrétiens fidèles sont les mieux placés pour reconnaître cette apostasie et la combattre ; je prétends d’ailleurs que c’est ce que Shakespeare a fait dans de nombreuses pièces, abattant méthodiquement tous les pans de la culture médiévale dans laquelle ce mensonge s'enracine.

    D’autre part, suivant les explications d’Augustin d’Hippone dans son sermon sur la chute de Rome, il n’y a pas de nation ni de ville sacrée sur cette terre pour les chrétiens puisque la « Jérusalem céleste » est la seule terre sacrée des chrétiens, dont la signification est métaphysique.

    La rébellion contre la dictature n’est donc pas plus chrétienne que le soutien à celle-ci. Ces deux erreurs, qui sont comme des pièges tendus par Satan, n’en sont qu’une seule, en fait.

    Rebelles ou obéissants, les gens le sont généralement par nature et alternativement ; nul n’est justifié d’accuser son prochain. Le chrétien ne doit pas craindre d’être traité de lâche par les rebelles ou d’anarchiste par les tenants de l’ordre public dictatorial. La Foi soustrait le chrétien à la folie du monde.

    Le Christ s’est contenté de souligner l’extrême difficulté pour le jeune homme riche d’accéder aux choses spirituelles, et on peut penser que cela vaut plus globalement pour les parties du monde corrompues par une richesse excessive, telle que l’Occident aujourd’hui.

  • Joie chrétienne ?

    Peut-on parler de "joie chrétienne" ? Y a-t-il quelque chose de réjouissant à se savoir dans la Vérité, tandis joie,chrétien,job,mélancolie,albert dürerque les autres cheminent dans les Ténèbres de l'ignorance ?

    La charité empêche ici de se réjouir de savoir autrui dans les Ténèbres, y compris quand il s'y obstine suivant une pente humaine.

    La plainte du prophète Job adressée à Dieu fait écho à cette question un peu théorique. Loin de se réjouir ou d'être satisfait de son sort, Job envierait plutôt les païens et leurs dieux souvent généreux, pourvoyeurs de dons.

    Sans l'assistance de l'Esprit saint, la Vérité demeure comme un petit trou de lumière au bout d'un tunnel, y compris quand on est chrétien. L'effort de l'Apôtre pour faire comprendre à ses disciples pourquoi seule la Foi sauve, à l'exclusion des oeuvres, n'est ni un mince ni un vain effort ; ce n'est pas un effort caduc non plus, si l'on se fie aux âneries proférées parfois par de soi-disant "chrétiens".

    Un païen au cours de son existence terrestre connaît une certaine quantité de jouissances physiques et une certaine quantité de frustrations physiques dont l'équilibre approximatif et précaire représente à peu près ce que l'on appelle "bonheur".

    Le bonheur et la joie de vivre des chrétiens ne sont pas si différents du bonheur et de la joie de vivre terrestres des païens, dont la pierre angulaire décelée par leur philosophe (Epicure) est la modération. Pour la même raison que l'Apôtre recommande d'accomplir des oeuvres sur cette terre, il est recommandable de cultiver la vertu comme font les païens ou les athées ordinairement, s'efforçant d'être ainsi en bonne intelligence avec la Nature.

    - Comme je l'ai déjà écrit ici : il n'y a aucune raison de voir dans l'aliénation mentale et les délires hystériques qui les accompagnent autre chose que le vice. Les chefs des communautés chrétiennes, à l'instar de Paul, ne devraient pas permettre à tel alcoolique ou tel illuminé de se proclamer "chrétien" ; encore moins soustraire aux autorités civiles des criminels ou délinquants, ce qui revient à préférer la gangrène à l'hôpital.

    Quelques mots sur la mélancolie, par lesquels j'aurais dû commencer. En effet, aussi heureux soit-il, l'athée n'échappe pas à la mélancolie, "humeur" que le peintre érudit Albert Dürer a figurée sous les traits de Satan, ange déchu, entouré d'objets symboliques. De la mélancolie on peut dire qu'elle est le propre de l'homme -les plus belles oeuvres d'art ont toujours un caractère mélancolique, parfois imperceptible au commun des mortels qui préfère la musique à des arts moins légers. La mort a pour effet de conférer aux plus belles oeuvres et aux plus grandes jouissances humaines une légère amertume.

    Le chrétien, lui, n'est pas condamné à la mélancolie, ni sous la forme aristocratique de l'art, ni sous celle, vulgaire et entraînant la déchéance, de l'alcoolisme.

  • Pourquoi Shakespeare ?

    Léon Bloy (1846-1917) est l'auteur de pamphlets virulents contre la bourgeoisie en général et la bourgeoisie catholique en particulier, dont les mondanités le révulsent ; ces mondanités chrétiennes attestent du règne de Satan sur les esprits et les coeurs.

    La presse catholique ("L'Univers" et son directeur Louis Veuillot) est la cible de Bloy, qui lui reproche d'entretenir cet esprit mondain, contraire à la Foi et la Charité. Lui-même journaliste, Bloy rêve d'une presse catholique plus combative, mais son style pugnace heurtait la susceptibilité de ses confrères et du milieu littéraire.

    Le rôle du journaliste chrétien selon Bloy est de confronter l'actualité, du fait divers jusqu'aux événements politiques majeurs, à la révélation chrétienne, autrement dit l'apocalypse, récit prophétique du recul du monde et ses actionnaires face au progrès de la Vérité divine.

    Cette définition du journalisme correspond assez à "l'entreprise Shakespeare" ; Shakespeare a l'audace de raconter le choc d'une violence inouïe entre la volonté humaine et la Vérité divine, et les répercussions tragiques de ce choc, les convulsions qu'il entraîne, aussi bien dans les pièces dites "historiques" et celles qui ont le caractère de fables ou de mythes.

    Quelques critiques littéraires ont reproché à Shakespeare d'introduire la comédie dans la tragédie et l'altérer ainsi. Cela revient à introduire l'homme du peuple dans un cercle aristocratique, mais aussi à résumer "l'homme moderne" à un personnage de comédie, jouant dans une pièce écrite à l'avance.

  • Du Totalitarisme

    Pour un disciple de Karl Marx, le "totalitarisme" peut se définir comme la formule chrétienne de la dictature.

    K. Marx a ainsi immédiatement dénoncé les "Droits de l'homme" comme une ruse bourgeoise impérialiste ; "bourgeoise" c'est-à-dire chrétienne.

    K. Marx écrit ainsi : "La démocratie est à tous les autres régimes politiques ce que le christianisme est à toutes les autres religions."

    K. Marx sait-il que le "christianisme" dont il parle est satanique, contrecarrant l'avertissement divin : "Mon Royaume n'est pas de ce monde." ?

    Intéressons-nous plutôt à Shakespeare, vers qui Marx remonte comme Freud remonte à Platon.

    - Shakespeare est à la fois plus difficile et plus simple que Marx. Plus difficile, car notre époque en proie à l'intellectualisme a pris ses distances avec les récits mythologiques qui formaient le socle de la culture et de la sagesse antiques.

    La culture bourgeoise est une culture romanesque, privée de mythologie... Shakespeare est isolé au sein de la culture bourgeoise comme Hamlet est isolé au Danemark.

    On peut définir l'art de Shakespeare comme l'inverse de l'art cinématographique ; Shakespeare n'a rien de fascinant. La culture et la critique littéraires bourgeoises ont donc creusé un fossé entre Shakespeare et l'homme moderne.

    Cependant Shakespeare est plus simple que Marx car la mythologie va à l'essentiel. Shakespeare est beaucoup moins démonstratif que Marx. Shakespeare se débarrasse de l'intellectualisme en le caricaturant sous les traits de Polonius et en l'expédiant dans l'au-delà d'un coup d'épée.

    Il y a de nombreux points de correspondance entre Homère et Shakespeare, néanmoins Homère n'a pas connu la Révélation ; il n'a connu que l'Ancien testament.

    Francis Bacon explique d'où le mythe tire sa force et pourquoi il n'est pas démodé. Le théâtre de Shakespeare s'avère l'oeuvre laïque chrétienne la plus anticléricale de l'Occident moderne. Il est difficile de ne pas y voir la main de F. Bacon.

    - L'athée Georges Orwell a donné dans la fable "1984" une description assez précise du gouvernement totalitaire. Cette fable souligne le rôle décisif joué par les intellectuels dans la dictature socialiste de "Big Brother". Les intellectuels contribuent notamment à élaborer une "culture-opium" et à concevoir la "novlangue", qui ramène le langage humain au niveau d'un simple outil de communication animal.

    La foi chrétienne dispose mieux que l'athéisme à voir dans le totalitarisme un satanisme, c'est-à-dire non pas une simple dictature destinée à assurer la domination d'une petite élite sur une majorité d'hommes soumis (dans ce cas la dictature ne se présenterait pas sous la forme paradoxale ou complexe décrite par Orwell), mais un régime disposé et orienté contre la foi chrétienne, c'est-à-dire contre la Révélation.

    Bien qu'il soit athée, la réaction d'Orwell s'explique (il l'explique lui-même ainsi) par sa volonté de ne pas sombrer dans la folie ; Orwell est conscient qu'il n'y a pas de raison humaine autonome.

    La "Vérité", avec tout ce qu'elle suppose d'ardu et de risqué pour l'homme, a pour Orwell comme pour Marx une importance capitale.

  • Signes sinistres des temps

    simone weil,totalitaire

    "La politique m'apparaît comme une sinistre rigolade." Simone Weil.

    La politique au stade totalitaire où nous sommes rendus a en effet une dimension "bouffonne" proche de la physique quantique (dont S. Weil a dénoncé par ailleurs l'ineptie). Cette dimension bouffonne n'enlève rien à la férocité du totalitarisme nazi, communiste ou démocrate-chrétien.

    Et ce n'est pas faute d'avoir essayé, car Simone Weil s'est jetée à peu près dans toutes les impasses idéologiques, progressistes comme réactionnaires, avant de faire ce constat.

    Au stade totalitaire, l'homme politique est un démagogue qui manipule les foules, mais qui n'a lui-même que peu de prise sur les domaines où il prétend régner. Qu'est-ce que Hitler en comparaison de la puissance technologique de l'Allemagne et son besoin d'expansion ? Lorsque Lénine compare a posteriori son gouvernement à celui de Louis XIV, également meurtrier et absolutiste, n'est-ce pas une façon de mesurer sa faible marge d'action ?

    La foi chrétienne rend particulièrement lucide sur les oeuvres humaines, politiques ou artistiques : leur inachèvement, leur imperfection, leur conditionnement par le péché...

    La foi chrétienne rend aussi particulièrement attentif et hostile à cette tentative de vider la foi de son sens, qui se nomme "démocratie-chrétienne" et ne fait que prolonger la doctrine satanique du salut par les oeuvres. L'apostasie sort du sein de l'Eglise comme le pharisaïsme est sorti du clergé juif.

  • Satan dans l'Eglise

    - Je ne suis pas croyant, mais je suis très attaché à la culture catholique… je me pose des questions…

    Il ne se passe pas une semaine sans que je lise ou entende ce propos dans la bouche d’un journaliste ou d’un essayiste. L’incendie récent de vieilles cathédrales gothiques stimule ces professions de foi identitaire.

    L’approfondissement de la Foi, exigé par le Messie de ses apôtres, permet de reconnaître dans cette sorte de discours le satanisme le plus répandu et le plus actif, notamment en France et en Italie, dans tous les pays de « culture catholique » - étiquette absolument dénuée de sens spirituel.

    Ajoutons que la « culture catholique » et l’islam sont deux phénomènes identiques, très proches du nationalisme laïc.

    Ladite « culture catholique » ou « culture chrétienne » est en réalité un produit dérivé de la philosophie animiste de Platon.

    La religion des Pharisiens, ennemis de Jésus-Christ du temps de sa vie publique, peut elle-même être définie comme un judaïsme identitaire, c’est-à-dire un judaïsme coupé de la Foi des prophètes juifs, un judaïsme institutionnel.

    Comme l’homme se nourrit de pain et de vin, le chrétien se nourrit de la Parole divine. Il est donc le plus éloigné de l’idée de pain mystique ou de vin mystique, d’art mystique, de culture mystique.

    Le satanisme identitaire a un équivalent aux Etats-Unis, une formule encore plus grossière, qui tient compte de la culture particulière de cette nation "ultime" ; connue sous le nom d’« évangile de prospérité » et propagée par les fameux « télévangélistes » ; après le sacerdoce, le mariage, voici la martingale élevée au rang de sacrement.

    Avant d’être confirmés dans la Foi par l’Esprit, les premiers apôtres eux-mêmes ont fait le pari de suivre Jésus, aveuglément, comme des enfants suivent leurs parents. La Foi donne la vue aux aveugles, qui ne se laissent pas abuser par le faux-semblant satanique de la "culture chrétienne", du "génie du christianisme", de "l'évangile de prospérité", de la "démocratie chrétienne"...

  • La Grande Tribulation ?

    D'abord répondons brièvement à la question : - L'épidémie de coronavirus est-elle un châtiment divin ?

    Les deux siècles écoulés ne sont pas avares en fléaux causés par la main de l'homme : guerres couplées à des massacres de populations civiles, pillages de nations conquises brutalement...

    Récemment les conflits violents pour s'approprier les ressources pétrolières illustrent encore que "l'homme est un loup pour l'homme", ou que les Etats (auxquels nous appartenons) sont des "monstres froids".

    L'épidémie de coronavirus, comme celle de sida auparavant, est causée par la main de l'homme car elle est due à son imprudence. Il n'y a pas ou peu de hasard dans cette épidémie qui représente le revers de la mondialisation et place ainsi l'homme en face de sa propre bêtise abyssale.

    Par le vice, l'homme ne se punit-il pas lui-même, qui trouve au contraire sa récompense dans l'exercice de la vertu ?

    Nous pouvons simplement dire que Dieu observe la tragédie humaine d'en haut, lui laisse libre cours. Les prophètes disent qu'il mettra enfin un terme à la bêtise de l'humanité, à la suite d'une grande tribulation, où les hommes de Foi seront aussi soumis à l'épreuve, comme les Hébreux fuyant l'Egypte vers la Terre promise.

    A tout prendre, l'étrange religion promue par les quatre ou cinq derniers évêques de Rome, se réclamant pourtant du Christ et de la Foi chrétienne, est un signe plus net de la fin des temps que l'épidémie de coronavirus.

    A propos de cette grande tribulation, on peut mentionner plusieurs prophéties (Daniel, Jean de Patmos), dont celle de Jésus-Christ lui-même en Luc 21:6-36.

    Ce long passage assez détaillé où il est question de la fin des temps, du jugement dernier, de la résurrection des morts et du second avènement de Jésus-Christ est en ce moment même étudié à la loupe aux Etats-Unis par les chrétiens évangélistes, souvent plus attentifs à la Parole de Dieu que les chrétiens du "Vieux Continent" (pour des raisons qu'il serait trop long de démêler ici).

    Il n'y a pas lieu de s'en étonner car le christianisme est une religion historique, une religion de veilleurs, et non une religion indexée au temps, comme les religions païennes ou les fausses religions chrétiennes annoncées par les Evangiles.

    "Prenez garde à vous-mêmes, de peur que vos coeurs ne s'alourdissent dans les excès de table, l'ivrognerie et les soucis de la vie, et que ce jour ne fonde sur vous à l'improviste, comme un filet ; car il viendra sur tous ceux qui habitent sur la face de la terre entière."

    (A suivre...)