Le chrétien n'a pas de valeurs, d'aucune sorte. Le chrétien se veut fidèle à la vérité, intemporelle, qu'il aimerait mieux connaître, voir "face à face", dit Paul de Tarse, comme elle EST dieu. Et la vérité selon les évangiles n'est ni charnelle ou organique (juridique), ni abstraite (mathématique), cette seconde manière d'appréhender les choses n'étant qu'une sublimation de la première, où la rhétorique bascule dans le pur fantasme. Le fait est observable sur le plan de l'idéologie politique moderne de la souveraineté populaire ou de la démocratie, sous-jacente au totalitarisme. Karl Marx, dont la critique radicale du droit est sans aucun doute chrétienne (Jésus méprise le droit de façon ostentatoire, et reproche aux pharisiens d'avoir dévoyé la loi de Moïse en lui prêtant une valeur juridique - si Moïse a permis la répudiation des femmes, c'est en raison du manque de spiritualité de son peuple), Karl Marx montre que l'idéologie républicaine déborde le cadre assigné habituellement à la science juridique, c'est-à-dire l'organisation pratique de la société. On peut ajouter ici que, sur ce terrain de la morale pure ou de l'idéologie pure, la confusion du droit et de la géométrie est presque parfaite. Le millénarisme indispensable au totalitarisme moderne est ainsi rempli de ce néant : il est assimilable à l'état léthargique, seul état où les rêves prennent sens, avec l'hypnose. On comprend ici que la révélation chrétienne comporte un avertissement contre l'art technocratique du cinématographe ("image animée de la bête"), en raison de l'effet d'altération de la conscience qu'il a sur ses adeptes, et parce qu'il est un art aussi archaïque et barbare que les pyramides. Les avocats les moins malhonnêtes du cinéma sont ceux qui, assez nombreux en Californie, le font du sein de sectes sataniques, car le cinéma ne fait qu'ourdir la plus bête culture de vie. Et si le culte prométhéen en vigueur aux Etats-Unis est plus dangereux encore que le nazisme, c'est en raison de son masque judéo-chrétien.
Tandis que Satan est omniprésent dans le monde, le dieu des chrétiens n'est pas "absent" mais "caché". Tandis que les imbéciles ont foi dans le hasard ou la fortune, le chrétien fait l'expérience de son dieu dans les choses qui, contrairement au hasard et à la fortune, ne sont pas nécessaires.
L'ignorance est donc ce qui sépare l'homme de dieu et non "le manque de religion", celle-ci pouvant principalement être définie comme ce qui lie l'homme à ce monde, autrement dit la "culture de vie" païenne la plus arriérée, c'est-à-dire la moins scientifique. La conscience chrétienne authentique, des apôtres ou de Paul, est bel et bien scientifique, défiant le clergé. Cela explique l'effort des savants humanistes chrétiens de la Renaissance : Rabelais, Bacon ou Shakespeare, de promouvoir une science et un progrès purifiés des valeurs technocratiques ; qu'est-ce que la "science sans conscience" de Rabelais, si ce n'est la technique et son arrière-pensée érotique, puis pornographique au stade totalitaire ? Ou encore la science prométhéenne dénoncée par Bacon ou Shakespeare, et que l'on peut traduire comme l'art ou la science auxquels sont assignés une vocation anthropologique. Le propos de l'humanisme n'a rien à voir avec une science morale ou éthique : seul un imbécile ou un hypocrite, un de ces faux savants qui pullulent au sein des "comités d'éthique", tous les polytechniciens les plus malveillants à l'égard de l'humanité, peut ignorer que l'évolution technique détermine les changements d'orientation de la morale publique ou privée, autrement dit que l'éthique pharisienne ne fait qu'entériner les nouveaux systèmes d'exploitation.
Le combat des chrétiens doit être inlassable par conséquent contre ceux qui se disent baptisés dans l'Esprit et ne font que mettre celui-ci au service de valeurs : la famille, l'écologie, le cinéma, la civilisation, l'Europe, la France, la propriété, les Etats-Unis, l'éthique, la démocratie, la croisade... ou le diable sait quelle supercherie encore, qui n'ont aucun fondement évangélique, mais remplissent au contraire la fonction d'occulter la spiritualité chrétienne véritable, telle que nul autre que Shakespeare ne l'a mieux mise à jour dans l'Occident moderne. Ce combat n'est pas vain ni perdu d'avance, car le fatras des valeurs modernes fait surtout office de refuge, de sorte que le principal argument de l'éthique moderne est en termes de confort, opérant surtout sur les esprits les plus lâches et les moins raffermis : pratiquement, les enfants, parce qu'ils ne savent pas marcher par eux-mêmes, et les vieillards parce qu'ils titubent, après une vie passée à tourner mélancoliquement en rond ou à poursuivre des chimères. La volonté de puissance, sur laquelle on voit Satan en personne appuyer sa tentative d'infléchir Jésus, opère essentiellement, ainsi que l'art érotique, sur les lâches ou les impuissants qui aspirent à un état ou une position moins douloureuse. Mais l'humanité n'est pas entièrement composée de lâches, quoi que ceux-ci ont désormais les rênes bien en main. Ne serait-ce que survivre, dans les milieux populaires, demande beaucoup d'effort et de résistance. La résignation aux caprices de l'élite, à sa culture et à son cinéma abjects, est une force qui peut être détournée du masochisme féminin et de son inclination à se résoudre au plan social macabre.