De toutes les personnalités publiques encore vivantes et qui hantent la terre, le pape Benoît XVI est la plus "nitchéenne" d'entre elles. Quelques-uns de ses sbires en France s'attachent par conséquent à démontrer, sans économiser les "loopings" rhétoriques, que l'antéchrist, a contrario de ce qu'il a écrit noir sur blanc et argumenté longuement, est parmi les plus fidèles apôtres chrétiens. Cela revient à trahir Nitche pour mieux trahir Jésus-Christ.
Il y a encore trop de vérité dans Nitche pour la démocratie-chrétienne, sans doute la frange la plus représentative de la faillite de l'esprit français. Les arguments de la démocratie-chrétienne se limitent à : "Le général de Gaulle a dit que...", alors même que Napoléon III paraît un géant à côté de ce dernier ; la dimension politique de de Gaulle est une invention de l'éducation civique, proportionnelle au poids de la télévision dans l'éducation civique.
Mais Nitche, contrairement au pape, n'est pas démocrate pour un sou : il hait le peuple tant qu'il peut, et tous ceux qui ne lui trouvent pas moins de mérite qu'à l'élite : Jésus-Christ, les communistes, les anarchistes. Mais qu'a-t-elle fait, la démocratie-chrétienne, pour le peuple ? Moins qu'Adolf Hitler ou l'ex-RDA. Ah, si, elle lui a léché le cul : mais le peuple n'a jamais demandé ça. En termes d'oppression, la démocratie-chrétienne excède la puissance de l'idéologie nazie ou soviétique. L'idéologie nazie ne fait qu'indiquer le retard de l'Allemagne à se conformer au modèle totalitaire : retard par rapport à l'idéologie soviétique, et plus encore par rapport à la démocratie-chrétienne dont le modèle est anglais. Les méthodes de Hitler pour hypnotiser le peuple sont rudimentaires.
Nitche étant un irresponsable parfait, ne briguant aucun mandat électif, mais seulement les privilèges anciens d'une caste déchue, celle du propriétaire agricole, il est naturel qu'il se tamponne de la démocratie et ne dissimule pas sa vocation purement démagogique. Nitche n'a nul besoin de gauchir son discours ou de le féminiser pour séduire. Sans inséminateur mâle, d'ailleurs, fini les comices agricoles sous le haut-patronage de Bacchus, fini l'écologie authentique. Nitche est le tenant d'un ordre démoniaque révolu à jamais ; il oublie un des principaux dons de l'Antéchrist : le don de métamorphose, que Shakespeare met en revanche en exergue tout au long de son théâtre, entreprise de démolition de la culture médiévale, dans laquelle le dernier tragédien de l'ère chrétienne fait ressortir la permanence d'un culte païen primitif jusqu'au coeur de l'Occident apparemment chrétien - si peu chrétien, en réalité, nous explique Shakespeare, qu'il n'a opposé aucune résistance à la polytechnique islamique ou arabe, pourtant la plus radicalement opposée à l'esprit chrétien. Les nations mahométanes sont aujourd'hui opprimées par des puissances hyperboréennes à qui elles ont enseigné l'art de maîtriser les forces naturelles précédemment... dans la seule mesure où Satan permet aux polytechniciens et tous ceux qui ont passé un pacte avec lui de le faire, ajoutera le chrétien à la suite de Shakespeare. Ce sont aujourd'hui les musulmans qui ont le plus de raison de faire la critique de l'islam. Etrange malice du destin ; n'y a-t-il pas là, comme Shakespeare, le plus grand motif de se méfier de la Providence, qui fait les cocus cocus, et les mahométans mutilés par leurs propres armes ? A trop étudier l'islam en profondeur, en effet, à l'instar du protestant Jacques Ellul ou de R. Guénon, les Occidentaux risquent d'y découvrir un Occident -et un Etat israélien-, non pas exactement façonné par l'islam comme dit Ellul, mais plutôt animé par des valeurs culturelles identiques. On constate que l'opposition entre la culture occidentale et la culture musulmane est artificiellement creusée par les partisans du choc culturel ou de la guerre : avec plus de ruse de la part des Occidentaux qui possèdent un net avantage militaire : le terrorisme musulman profite d'abord à l'Occident, qui n'a de cesse de l'exciter pour conserver le principal argument au service de l'exploitation colonialiste.
Au contraire c'est dans un but pacificateur que certains font l'effort de rapprocher la culture islamique de l'art occidental (on peut constater que l'art iranien a évolué d'une manière identique à l'art européen, c'est-à-dire qu'il n'est pas moins marqué par le mercantilisme que l'art occidental au bord de la crise cardiaque) : ils vont ainsi au devant d'une impasse qui n'est pas moins tragique que la guerre, événement érotique où la culture retrouve une nouvelle vigueur (à condition que l'extermination ne soit pas générale) : celle qui consiste à fournir la preuve que l'argument de la modernité est une supercherie "hénaurme", et que le même souci d'exploitation anime toutes les civilisations depuis l'origine, doublé d'une grossière conscience religieuse au niveau de la culture de vie, c'est-à-dire du tribalisme. Cela revient à tuer définitivement le dieu que Nitche a voulu sauver à travers cette dernière parade de la modernité.
La seule vérité, à l'écart de ce débat éthique ou purement stylistique, demeure l'avertissement de Shakespeare contre la culture, qui n'est qu'un masque de beauté, un vernis d'autant plus épais que la croûte à cacher est bourbeuse ou grossière. Tant qu'on n'a pas arraché le masque de la culture, on ne sait pas qui ou quoi se cache derrière. Le culte identitaire, maquillage le plus économique et vulgaire, n'est encouragé dans le peuple par un clergé cynique qu'à la seule fin de rendre celui-ci le plus manipulable et dévoué possible. Si l'on autopsie le cadavre de quelque pauvre bougre, suicidé sous la pression sociale, ex-employé d'une entreprise de télécommunication, on y retrouvera la programmation identitaire, puce électronique de base des citoyens tatoués des régimes identitaires.
- Même s'il est moins absurde et mensonger, je m'étonne du rapprochement que certains "nitchéens" opèrent avec Voltaire. Voltaire, conseiller du prince prussien, est une sorte d'Alain Minc qui aurait fait des études plus poussées, de sorte que si Voltaire avait fini évêque au lieu d'académicien, il aurait été parmi les deux ou trois évêques les moins ignares de toute l'histoire de l'Eglise romaine, qui a toujours promu à ces postes des bellâtres ignares (dans le genre de Mitt Romney) afin de mieux capter l'attention des femmes.
Nitche ou Benoît XVI sont plus proches de Pangloss, dont celui-là porte les habits sacerdotaux, empruntés au culte de Mithra : crosse et chapeau pointu. L'immobilisme moral, dont l'ataraxie bouddhiste n'est pas loin, c'est-à-dire le penchant confessé par Nitche, et le pousse à s'opposer à tout ce qui lui semble incarner le changement, en bien ou en mal, est en effet justifié mathématiquement par Pangloss-Leibnitz, dans sa formule fameuse : "Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes." Cette formule implique que, puisque la nature est structurellement ou mathématiquement inaltérable, la société dont les principes éthiques ne font que refléter l'âme du monde, ne peut mieux faire que rester figée, elle aussi, dans des rapports de force immuables, où la violence trouve sa place, aussi bien que le plaisir ou le profit. Les mutations sociales ne peuvent aller que dans le sens d'une dégradation. Leibnitz complète la morale privée de Nitche d'un plan géométrique ou astronomique.
On raconte que Voltaire était "franc-maçon", mais lorsqu'il s'attaque à la religion de Pangloss, c'est au culte démoniaque de l'Egypte antique qu'il s'attaque, perpétué surtout par les moines du moyen âge et non seulement certains cercles maçonniques laïcs modernes ou le nazisme. Voltaire ne peut s'accommoder du caractère statistique de la culture, et de son recyclage à l'infini des mêmes valeurs réconfortantes pour les élites.
Sur ce point Voltaire suit Shakespeare (et précède Marx) dans la critique radicale du monachisme romain et l'instrumentalisation du christianisme au profit des élites. Le culte de Baphomet qui sévit aujourd'hui aux Etats-Unis, exprimé plus moins franchement en fonction des castes, n'est que la queue d'un ancien dragon. Dans cette société américaine, la plus strictement inégalitaire ou pyramidale, où l'argent seul transcende les castes, le christianisme affiché partout fait office d'argument démagogique. Il comble la lacune d'un ancien paganisme où la domination des masses était assurée à l'aide d'instruments plus rudimentaires que la drogue, la publicité, la télévision ou le millénarisme démocratique.
+ L'illustration représente le culte de Mithra, à côté du "Sol Invictus", culte perse, iranien, ou encore installé à Rome, et à quoi l'Eglise romaine catholique a progressivement ramené le christianisme sous couvert de "tradition" (en l'occurence une trahison) afin de pallier l'absence de solution morale ou éthique dans la spiritualité chrétienne, inutilisable par l'élite.