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christianisme - Page 2

  • Tolstoï contre Shakespeare

    Bien plus que le marxisme, l'idéologie de Tolstoï coïncide avec la politique du régime soviétique. Ce dernier fut contraint à ses débuts de composer avec les masses paysannes et de leur accorder le partage des terres auquel la monarchie orthodoxe tsariste s'opposait. Lénine a eu l'intelligence ou la ruse de ne pas se mettre à dos la paysannerie, contrairement au nouveau pouvoir républicain en France, issu de la crise du régime monarchique de Louis XVI qui renonça à amadouer les paysans et préféra les affronter.

    Tolstoï rêvait d'une réforme agraire, préalable à une révolution sociale. Beaucoup d'idées socialistes progressistes sont nées dans la cervelle d'aristocrates chrétiens. Tocqueville est presque le seul moraliste français à avoir foi dans l'idéal démocratique égalitaire. On peut penser que de tels idéaux résultent de l'accord impossible entre les valeurs aristocratiques et le christianisme. De cette impossibilité résulte un moyen terme idéologique désastreux, dans la mesure où le socialisme constitue le coeur de l'idéologie totalitaire, liée à une traduction antichrétienne du message évangélique.

    Marx, quant à lui, est assez éloigné de croire que l'amélioration de la société puisse être une source de progrès véritable, voire un but de progrès. Sans doute est-il beaucoup trop juif ou chrétien pour le croire, car pour un juif ou un chrétien le progrès est du domaine de la métaphysique, à l'exclusion du domaine social entièrement charnel. Le discours de la "doctrine sociale chrétienne" est le vecteur de l'antichristianisme, que ce soit dans la version de Tolstoï, des pontifes romains modernes, ou dans la version laïcisée de Lénine. La version de Lénine est une fornication moins grande, car Lénine cherche moins à faire passer le progrès social pour une valeur chrétienne. Il n'en reste pas moins que la doctrine des soviets est tributaire de cette contrefaçon du christianisme que constituent les différentes doctrines sociales chrétiennes, tentatives dirigées contre l'esprit de dieu d'accorder l'amour de dieu avec la nécessité et les besoins humains.

    Comment appliquer les paraboles de Jésus-Christ sur le plan social ? Il ne faut pas chercher à le faire puisque le Christ n'a pas permis à ses apôtres de le faire sous peine de damnation. Il y a certainement une part de fornication dans la détermination de Judas Iscariote, c'est-à-dire de refus d'accepter la radicalité antisociale du message évangélique.

    Shakespeare, loin de témoigner de sa foi dans le progrès social comme Tolstoï, illustre non pas "le choc des cultures", expression presque entièrement dépourvue de sens puisque le sentiment identitaire implique une détermination guerrière (comme il est pacifique, le chrétien se purifie de tout sentiment identitaire), mais le heurt entre la détermination culturelle et le christianisme.

    Shakespeare a conscience que le christianisme fait table rase de toute forme de culture, autrement dit qu'il signe l'arrêt de mort de l'art. La littérature d'Homère illustrait déjà un tel phénomène, puisque Achille symbolise la culture, et Ulysse le progrès de la conscience humaine contre la culture. Ulysse est aussi individualiste qu'Achille est prisonnier de considérations sociales. Ce qui diffère chez Shakespeare, et ce pourquoi Tolstoï trouve qu'il manque de simplicité par rapport à Homère, c'est l'illustration que l'affrontement a lieu dans les temps modernes entre le christianisme et une culture qui se réclame du christianisme, directement ou indirectement, de sorte que la plupart des hommes ne mesurent pas l'enjeu de leur existence. Autrement dit l'apparente complexité de Shakespeare ne tient pas à Shakespeare lui-même, mais à une réalité sociale plus complexe et des ténèbres plus noires que celles de l'Antiquité.

  • Dieu est mort

    Extrait du chapitre de mon "Dialogue avec l'Antéchrist" consacré à l'athéisme de F. Nitche.

    «Dieu est mort» : tout en contribuant à la renommée de son auteur, ce constat a donné lieu à une interprétation erronée de la doctrine de Nietzsche. Celle-ci n'est pas athée au sens moderne le plus courant, mais païenne ou antiquisante. Or l'Antiquité païenne n'a pas connu l'athéisme, mais tout au plus une certaine indifférence à l'égard de la théologie de la part de rares philosophes.

    Nietzsche avance la thèse d'un escamotage de dieu imputable au christianisme. La "mort de dieu" indique le terme de cette évolution, au détriment d'une notion païenne authentique de dieu ou du divin. Paradoxalement cette translation de dieu de la Nature à la rhétorique a entraîné une tension religieuse plus forte. N. juge cette évolution néfaste, car excessivement aliénante et conduisant au nihilisme. La mort de dieu n’a donc pas pour conséquence l’irréligion, bien au contraire.

    A l'opposé de Nietzsche se situe l'athéisme de Ludwig Feuerbach, dont l'influence sur la culture moderne est plus marquée, comme l'art moderne atteste, plus rhétorique (démonstratif) que l'art antique pris par Nietzsche pour modèle.

    L'analyse par L. Feuerbach des rituels chrétiens («L'Essence du Christianisme»), d’où celui-ci déduit que la métamorphose de la théologie en anthropologie constitue un progrès de la conscience, contredit l'interprétation morale de Nietzsche. Cependant elle confirme sa thèse selon laquelle la culture moderne est comme «suspendue à la question de dieu». Le dieu chrétien hante la culture moderne comme un fantôme ; il a remplacé les dieux concrets, identifiables à la Nature, auxquels l’Antiquité rendait un culte plus sain.

    Par ailleurs la démonstration de Hegel d'un progrès historique indexé sur les valeurs chrétiennes concorde avec l'élucidation par Feuerbach d'une religion chrétienne propice à l'émancipation de la raison humaine de la chrysalide de la théologie. Or la démonstration de Hegel tend à réduire dieu à un "concept historique". Perspectives et projets humains reçoivent grâce à Hegel l’onction chrétienne. Mais, que la référence chrétienne soit conservée (Hegel), ou bien qu’elle soit jugée démodée (Feuerbach), l’homme s’est hissé au rang des dieux sur la foi de sermons apparemment chrétiens.

    C'est contre cette anthropologie chrétienne que l'athéisme de Nietzsche se dresse, afin de restaurer un culte moins fanatique.

     

    Il reste à examiner dans un autre chapitre si la théologie chrétienne ouvre bien droit à un développement anthropologique, et si la suggestion d’un accomplissement du salut chrétien dans le temps a un quelconque fondement évangélique. La validité de la psychologie de l'histoire moderne selon Nietzsche, en dépend.

  • Science et christianisme

    Si la philosophie de Thomas d'Aquin est aujourd'hui caduque, et la formule de l'Eglise catholique romaine qui consiste à honorer ce philosophe chrétien-platonicien vide de sens, la raison en est que l'Eglise romaine a perdu à peu près tout crédit scientifique au fil des siècles ; on est plus habitué aujourd'hui à entendre le clergé se prononcer sur les questions sexuelles les plus triviales, de "bonnes femmes", que sur les questions de science. Parfois le clergé catholique romain se plaint de l'obsession des médias pour des matières aussi peu spirituelles, mais à vrai dire l'Eglise romaine est une institution féminisée à l'extrême où l'on se passionne vraiment pour les problèmes de moeurs et les questions juridiques.

    Or l'effort de Thomas d'Aquin porte justement surtout sur les moyens d'accorder la vérité chrétienne à la vérité scientifique "commune", accord à vrai dire impossible en ce qui concerne Platon, qui n'est pas un véritable savant, mais qu'il faut regarder plutôt comme un prêtre païen.

    Un autre exemple illustre à quel point Thomas d'Aquin est caduc : la théorie de l'évolution ; de très nombreux catholiques romains s'en font aujourd'hui les avocats, certains même comme s'il s'agissait d'un article de foi, par crainte de ne pas être à la mode, handicap fort gênant du point de vue de la propagande. Or il est fort peu probable, compte tenu de sa formation intellectuelle aristotélo-platonicienne, que Thomas d'Aquin eût cautionné l'hypothèse du transformisme. La science naturelle païenne est en effet incompatible avec la thèse du transformisme, qui sent l'anthropologie moderne à plein nez. Les savants païens sont très loin de croire les singes capables d'apprendre la lecture ou l'écriture, voire la présentation d'un JT, contrairement aux savants modernes. Ce sont d'ailleurs généralement les mêmes catholiques romains qui ont foi dans le darwinisme ET la démocratie, pure superstition juridique.

    Thomas d'Aquin est caduc au sens où je viens de l'indiquer que la communauté scientifique catholique est dissoute depuis longtemps et l'Eglise romaine soumise aux diktats technocratiques désormais. En un sens moins visible, il n'est pas complètement "out", car les clercs du moyen-âge sont tout de même à l'origine de cette grande broderie qu'est l'anthropologie moderne, continuée par d'autres philosophes après eux jusqu'à aujourd'hui, plus ou moins déistes ou athées - anthropologues d'abord. Contrairement à l'affirmation gratuite du pape-philosophe Ratzinger, issu de l'école des crétins philosophes de Francfort, le christianisme ne peut fonder un discours anthropologique, puisque l'amour vient exclusivement de dieu et que la chair, elle, est faible. "Pas de salut chrétien par les oeuvres", dit en outre Paul de Tarse, ce qui exclut la philosophie naturelle. Cette prétendue "anthropologie chrétienne" n'est en réalité qu'un résidu de la philosophie païenne de Platon.

     

     

     

  • Culturisme

    Il faudra plusieurs vies à un homme pour acquérir une culture approfondie, tant la culture, reflétant l'homme dans l'espace et dans le temps, est diverse et variée ; tandis que quelques années peuvent suffire à faire un homme de science, car la science ne réside pas dans l'homme.

  • Déphilosopher

    Lors de deux conversations successives avec deux catholiques romains, il m'est arrivé de les entendre exprimer leur mépris de la philosophie, assimilée par le second à la pure casuistique. Ce mépris n'a rien de catholique, bien entendu, mais relève bien plutôt de l'esprit français.

    En effet le catholicisme romain est une religion de philosophes, plus qu'aucune autre. On le discerne facilement, puisque même les papes, désormais, se piquent de philosophie et se sentent dans l'obligation de rédiger de loin en loin une encyclique afin d'affirmer leur compétence dans ce domaine. Le culte de la personnalité aidant, ces ouvrages de pure rhétorique confèrent à leurs auteurs une aura spéciale auprès des jeunes filles et des séminaristes.

    Il serait plus dans le tempérament des catholiques français d'avoir un pape-artiste, ne cédant qu'un minimum aux obligations de la rhétorique, comme Picasso par exemple. Au lieu d'encycliques philosophiques, ce pape-artiste publierait dans les journaux de beaux dessins de colombes ou des portraits expressifs de Jésus-Christ.

    On constate en effet que les deux penseurs du XIXe, Marx et Nietzsche, qui se sont fait un devoir de faire la guerre à la philosophie, le premier comme à une menace contre la science, le second comme à un discours éthique et politique irrationnel, accusent l'Eglise et ses clercs d'être à l'origine de cette inflation de spéculations philosophiques. Marx parle des sommes théologiques médiévales qui n'imposent pas tant le respect par leur contenu que par leur volume. Nietzsche et Marx sont tous deux persuadés de la supériorité de la philosophie antique sur la philosophie moderne, en particulier hégélienne. Nietzsche se vante d'être le premier à avoir caractérisé la philosophie de Platon comme une philosophie décadente, mais Marx fait la même observation, ainsi qu'au sujet d'Epicure et de sa morale, de sorte que la culture romaine ou latine est entièrement décadente aux yeux de Marx.

    Il n'y a pas de philosophe parmi les apôtres, sauf peut-être Judas Iscariote ?

     

  • L'Art et l'Eglise

    L'Eglise catholique romaine représente la branche officielle du christianisme la plus sociale ; c'est ce qui explique que l'art moderne le plus débile porte sa marque, en filigrane. Le besoin d'un pâtissier contemporain d'apposer sur son travail l'étiquette de l'art (et demain de la science), tentant d'effacer ainsi tout ce que la gastronomie a de trivial, est un besoin que le clergé catholique a inoculé aux peuples de l'Occident (bien sûr, une fois purgé de la critique de Luther, le clergé protestant a suivi le mouvement).

    L'homme qui, de ce fait, se situe au niveau de dieu, ou bien, ce qui revient au même, à qui l'existence semble d'un grand prix, a un tempérament "bipolaire" où l'immodestie et l'arrogance alternent avec des périodes de doute puéril. "Je suis athée, mais si j'étais croyant j'irais certainement au paradis, vu ma conduite assez irréprochable.", dit un célèbre journalisme parisien, sur le ton totalement dépourvu d'humour d'un gosse à qui sa mère ne cesse de répéter qu'il est le meilleur.

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    Sur le thème de l'art et de la vérité, la difficile conciliation de ces deux mobiles ou buts, Bernard-Henry Lévy a pondu l'année dernière un ouvrage abondamment illustré d'oeuvres anciennes et récentes, censées être représentatives de l'art occidental. Le thème de l'art et de la vérité englobe nécessairement le christianisme, le judaïsme, la philosophie païenne recyclée de Platon, voire l'antichristianisme, étant donné le recul apparent des Eglises chrétiennes officielles au cours des derniers siècles.

    Cet ouvrage globalisant ou de synthèse n'a pas de fondement scientifique sérieux. C'est entièrement une démonstration philosophique réfutable, à peu près dans les mêmes termes utilisés par Marx pour réfuter la thèse hégélienne du sens de l'histoire.

    Suivant une logique athée, BHL s'efforce de nier la réalité et le sens de l'interdit juif de l'art, ce qui revient à essayer de transformer la religion juive en ce qu'elle n'est pas et ne peut pas être, à savoir une religion "anthropologique".

    Il est donc fascinant de constater que BHL répète le travail subversif opéré par les clercs catholiques du moyen-âge, et qui consiste, contre la lettre et l'esprit évangéliques à faire du christianisme une religion anthropologique. Nul mieux que Shakespeare n'a illustré le caractère tragique de cette méthode, qui consiste à inventer une morale chrétienne (aujourd'hui une "éthique judéo-chrétienne"), alors même que le Messie des chrétiens n'a jamais donné la moindre leçon de morale à quiconque, mais qu'il inaugure un temps nouveau, bref et apocalyptique. Le Messie ne présente pas la pauvreté comme un avantage d'ordre moral sur la richesse, mais comme un avantage spirituel.

    Le christianisme est incompatible avec une doctrine sociale quelconque, et donc une position sociale quelconque, pour la simple et bonne raison qu'il se figure la société comme l'enfer, c'est-à-dire comme la conséquence du péché. S'il est proposé à l'homme un remède à ses errements, en aucune façon le christianisme ne propose de tirer la société de l'état de médiocrité dans laquelle elle se trouve, c'est-à-dire de l'état le plus souhaitable du point de vue de la civilisation ou de l'art.

    On pourrait dire que la métaphysique chrétienne s'oppose à l'art, le faisant apparaître comme beaucoup plus trivial ou limité qu'il n'est, mais surtout, ce qui est plus grave pour les élites dirigeantes, le christianisme détourne de la fonction sociale de l'art. Parce qu'elle est l'art le plus social, la musique est du point de vue chrétien l'art le plus nul, une sorte de berceuse pour les enfants.

     

  • Culture de vie

    "Culture de vie" : l'expression sonne bien, elle a le charme des slogans positifs, surtout dans un monde efféminé et vieilli, pour ne pas dire atteint par le gâtisme.

    On entend parfois ce slogan dans la bouche de chrétiens : pourtant, il ne saurait y avoir de culture de vie chrétienne - l'arrière-plan biologique de cette idéal réactionnaire, dont Nietzsche a expliqué et justifié le mobile antichrétien et antijuif, exclut de le confondre avec la spiritualité chrétienne, pure et fondée sur la méfiance de la chair et des femmes, enclines à inventer des stratagèmes pour vampiriser les hommes.

    La vie éternelle, dont parlent les évangiles, ne peut fonder une quelconque culture humaine. Les tenants chrétiens de la "culture de vie" sont les rois des imbéciles : ils ignorent doublement de quoi est faite la culture, et que le christianisme implique le renoncement à la fortune. Ce sont les rois des imbéciles, et ils exposent leurs enfants à cette imbécillité dangereuse.

    La "culture de mort" dominante en Occident, s'explique par le fait que le christianisme ne permet pas de cautionner une culture conservatrice, ainsi que l'est nécessairement la culture de vie. Sur ce point, Nietzsche se trompe légèrement : la culture égyptienne est une culture de vie beaucoup plus pure que la culture grecque, dans laquelle on peut légitimement soupçonner l'influence de la métaphysique juive, notamment chez Homère.

    La culture judéo-chrétienne occidentale est essentiellement une culture de mort, et la "modernité" un concept dépourvu de sens en dehors des élites représentantes et actionnaires de l'éthique chrétienne. Et la culture de mort judéo-chrétienne est essentiellement truquée, dans la mesure où la parole de dieu ne fonde aucune culture, c'est-à-dire aucun discours anthropologique ; il ne peut pas y avoir, par exemple, de psychologie chrétienne ou d'art chrétien, et de cette impossibilité résulte la fragilité et l'arbitraire de la culture occidentale. Les tenants de la culture de vie chrétienne impossible sont en réalité des nostalgiques de la vertu, ce qui encore une fois peut se comprendre, compte tenu de l'état de corruption avancée de la société, mais n'a rien de chrétien - et celui qui n'est pas avec le Christ est contre lui et sera traité en adversaire.

    Le rêve de l'homme est de prendre ses quartiers dans le temps : écoutez plutôt la parole divine qui vous dit que le réalisme est de penser que cela ne sera jamais possible. A la fin, les suppôts de Satan s'entre-tueront sous le prétexte de la préservation de leur culture et de leurs valeurs, qu'ils se cachent sous le masque de la religion de démocrate-chrétienne, ou bien celui d'une autre religion moins subtile. Le chrétien n'a pas besoin d'une culture, conservatrice ou moderne, puisqu'il a Dieu - il voyage léger.

  • Vérité et politique

    "L'objet de ces réflexions est un lieu commun. Il n'a jamais fait de doute pour personne que la vérité et la politique sont en assez mauvais termes, et nul, autant que je sache, n'a jamais compté la bonne foi au nombre des vertus politiques. Les mensonges ont toujours été considérés comme des outils nécessaires et légitimes, non seulement du métier de politicien et de démagogue, mais aussi celui d'homme d'Etat. Pourquoi en est-il ainsi ? (...)"

    Hannah Arendt, in "La Crise de la culture", titre original : "Entre passé et futur", trad. française 1972)

    Dans ce chapitre, Hannah Arendt se réfère un peu plus loin à l'adage latin : "Fiat justitia, et pereat mundus", attribué à Ferdinand Ier, qui résume l'impossibilité de concilier politique et vérité. H. Arendt multiplie les exemples de défenseurs de la vérité, persécutés par la puissance publique. Elle mentionne l'idée ancienne de Platon selon laquelle la vérité ne peut être communiquée à une masse de personnes humaines, où transparaît que la République et la démocratie selon Platon n'ont rien de commun avec le système républicain et les démocraties libérales modernes, fondées sur le principe quantitatif inverse.

    Curieusement, dans le chapitre intitulé "Vérité et politique", Hannah Arendt ne mentionne pas directement le judaïsme ou le christianisme, religions que F. Nietzsche a maudites et justement qualifiées d'"anarchistes", précisément parce qu'elles sont "décalées de la vertu" et du rapport que l'institution politique entretient nécessairement avec la nature (physique). Les évangiles prétendent enseigner une vérité incompréhensible du point de vue social. Le néant est pour le chrétien la clef de toutes les doctrines sociales, par conséquent celles-ci contribuent toutes à entretenir l'erreur et le péché ; avec une mention spéciale, ainsi que le souligne Shakespeare, pour les doctrines sociales chrétiennes, qui comportent nécessairement un degré de mensonge supplémentaire. Shakespeare fait de la culture chrétienne, c'est-à-dire la subversion du christianisme, l'élément crucial de la tragédie du monde moderne. Si certains ont pu croire dans l'athéisme de Shakespeare, se fondant sur sa critique radicale de la culture médiévale chrétienne, c'est parce qu'ils ignorent que la religion chrétienne est la moins susceptible, en principe, de fonder une culture, et ne l'a jamais fait, comme une étude approfondie de la culture occidentale permettrait de s'en rendre compte, que par la "christianisation" d'institutions païennes, ce qui du point de vue chrétien authentique est le pire des péchés, qualifié de "fornication". "Roméo et Juliette" est ainsi une pièce dont le thème principal n'est pas la "passion amoureuse", comme certains critiques superficiels ont pu le penser, mais une pièce qui porte, bien plus profondément, sur la christianisation de l'institution païenne du mariage, dont Shakespeare fait voir de la manière la plus moralement incorrecte pour son époque les tenants et aboutissants.

    L'omission d'Hannah Arendt est d'autant plus surprenante que le totalitarisme est son sujet principal d'étude, c'est-à-dire une forme de tyrannie inédite dans l'antiquité, révélatrice du sens de la politique moderne.

    Ce chapitre sur la vérité et la politique aurait dû entraîner rapidement Hannah Arendt à deux conclusions : premièrement à énoncer le rôle-clef des "politiques chrétiennes" dans le totalitarisme (la doctrine satanique ou antichrétienne de F. Nietzsche s'articule autour de cette idée). On voit bien en effet que, dans la démocratie-chrétienne, la perversion est double : elle l'est par rapport à la conscience ancienne, mise en avant par H. Arendt, du mariage entre la politique et la vérité ; et la démocratie-chrétienne est perverse par rapport au christianisme, dont elle renverse la signification, alors même que les chrétiens devraient en principe être les mieux éclairés quant à la nature mondaine ou temporelle de la perspective démocratique.

    Ironiquement, on pourrait dire qu'il n'y a pas de démocratie-chrétienne qui puisse être fondée sur les évangiles et les apôtres, en raison de la défiance exprimée par les apôtres vis-à-vis des banques, qui n'ont jamais eu un poids politique aussi important que dans les nations démocrates-chrétiennes.

    Hannah Arendt cherche dans son essai "Entre passé et futur" à mesurer ce qu'il reste dans le monde moderne de cette ancienne conscience antique de l'opposition entre le plan politique et une vérité moins relative, c'est-à-dire qui ne serait pas conditionnée par les besoins humains temporels, comme l'est la politique.

    Mais, si le jugement porté par Hannah Arendt sur la culture moderne est sans doute juste et aussi sévère que ceux d'Orwell, K. Marx, Nietzsche, ou encore Simone Weil - H. Arendt échoue dans la mission qu'elle s'est fixée d'élucider les raisons de l'inquiétante faiblesse de la culture moderne (pour parler comme Nietzsche). Ses explications sont assez confuses, et on ne peut s'empêcher de voir dans cette confusion la marque, précisément, de la culture moderne.

    Hannah Arendt achoppe notamment sur la notion de science, dont elle est capable de discerner qu'elle a pris, dans les temps modernes, une pluralité de significations incohérentes, parfois contradictoires entre elles. Comme elle ne le dit pas assez radicalement, la science moderne n'est pas pensée, comme fut la science antique par Aristote, ou la science chrétienne humaniste de la Renaissance par Francis Bacon ("Novum Organum") ; elle n'est pas pensée, c'est-à-dire qu'elle n'est pas hiérarchisée. H. Arendt cite même des exemples d'une science évolutive, dont les données présentes contredisent celles qui faisaient foi naguère, et semblent ainsi vouées à se démoder ; cela implique de ne rien prendre pour fondamental et établi dans la science moderne, où le changement fait donc seul office de dogme. C'est ce qui explique que les néo-darwinistes ou les transformistes n'hésitent pas à proclamer "scientifiques" des études portant sur la nature qui comportent de très nombreuses lacunes, quand ces lacunes devraient scientifiquement disposer au scepticisme et à la prudence. On trouve d'ailleurs dans la science évolutionniste cette caractéristique à la fois moderne et religieuse : elle accorde au hasard la valeur de la science. Ainsi la "science économique" peut-elle parallèlement, sans rire, être proclamée une "science". De la même façon, il suffirait de parier sur dieu pour qu'il existe. La conviction que le monde moderne s'appuie sur des vérités scientifiques est une pétition de principe. Pratiquement, c'est le résultat d'une propagande. Mieux que Hannah Arendt, on peut dire que la science moderne fait une très large place à l'hypothèse scientifique, ce qui est le signe d'un mouvement religieux, comme la démocratie l'est sur le plan politique.

    Si Hannah Arendt n'est pas loin de l'intuition de Simone Weil que la science physique moderne n'est qu'un tissu d'inepties, d'équations qui ne veulent rien dire, l'explication qu'elle donne à la révolution scientifique qui s'est produite au XVIIe siècle est largement erronée et pleine de contradictions. On voit ainsi Hannah Arendt souligner la difficulté grandissante de la communauté scientifique à fournir des explications sur ses travaux, difficulté dans laquelle elle n'est n'est pas assez débile pour voir une preuve de progrès scientifique : "Il mériterait d'être noté que, parmi les savants, ce furent principalement des hommes de la vieille génération comme Einstein et Planck, Niels Bohr et Schroedinger qui s'inquiétèrent le plus vivement de cet état de choses AVANT TOUT PROVOQUE PAR LEURS PROPRES TRAVAUX." Je souligne ici la seule partie vraiment intéressante de cette remarque, qui pointe le manque de lucidité ou l'inconscience d'Enstein, Planck, Niels Bohr, etc. - et "a contrario" la lucidité plus grande d'une non-spécialiste, Hannah Arendt, capable de comprendre ou deviner que la science moderne se perd dans des détails, et qu'elle prend la précision de ses instruments pour une avancée scientifique fondamentale.

    Cependant, tout en critiquant la science moderne et interrogeant l'étrange phénomène psychologique au sein de la communauté scientifique (comparable à celui de l'abstraction dans le domaine artistique), Hannah Arendt accorde à celle-ci le penchant naturel pour la vérité, qu'elle refuse aux institutions politiques. En dépit de l'enjeu extraordinaire que la technologie représente en termes de pouvoir et de domination d'une nation sur une autre, H. Arendt ne voit pas de raison de se méfier de la communauté scientifique. De même, H. Arendt rend hommage aux techniciens et ingénieurs, grâce à leurs applications scientifiques, de fournir une preuve du progrès scientifique que les théoriciens purs ne fournissent jamais. Cette manifestation du progrès scientifique sous la seule forme d'avancées techniques doit au contraire conduire à soupçonner la théorie pure qui lui est associée d'être une pataphysique, et non une véritable science fondamentale.

    Le plus grave contresens, Hannah Arendt le commet à propos de la science du XVIIe siècle et des savants qui ont contribué à l'avènement des mathématiques modernes. Elle croit en effet cette science mathématique nouvelle, de Copernic, Newton ou Galilée, "purgée de tout élément anthropomorphique", de sorte que le géocentrisme, précédemment, d'Aristote ou Ptolémée, aurait consisté à projeter sur l'univers des catégories mentales naturelles. C'est le contraire qui est vrai : la métaphysique d'Aristote consiste dans un effort pour penser le cosmos en dehors des catégories naturelles auxquelles l'homme est soumis. Il est assorti d'une critique du langage et des figures de la géométrie algébrique qui incitent à croire vraies des notions comme l'infini, alors que celle-ci a une fonction, elle est "efficace", mais c'est une catégorie mentale dont on ne trouve pas d'équivalent dans la nature. Pour Aristote, l'infini est précisément une catégorie mentale. Le géocentrisme, auquel est lié l'idée d'univers fini, est donc une vision scientifique moins anthropomorphique que les modélisations mathématiques modernes de l'univers, qui évoluent constamment, au gré des caprices de la communauté scientifique. La "théorie des cordes", à la mode il y a dix ans, est désormais désuète. 

    Le propos de Hannah Arendt sur ce point, suivant celui de Max Planck, est saugrenu, car il revient à faire de l'art abstrait l'art le moins humain qui soit. Or c'est exactement l'inverse. Humaines, trop humaines les mathématiques modernes pour servir de base à un discours scientifique conscient. "Comme le dit Erwin Schroedinger, le nouvel univers que nous tentons de "conquérir" n'est pas "inaccessible pratiquement", il n'est même pas pensable, car de quelque manière que nous le pensions, il est faux ; peut-être pas aussi absurde qu'un "cercle triangulaire", mais beaucoup plus qu'un lion ailé."

    Les paradoxes qu'engendrent un tel discours, parfaitement ubuesque, est particulièrement anthropomorphique, l'homme étant sans doute de toutes les espèces la plus paradoxale.

    Suivant un préjugé élitiste, Hannah Arendt absout les intellectuels et les universitaires du processus de décadence de la culture, contre l'évidence que le poisson pourrit par la tête et que la culture de masse est un moyen élitiste de domination. Ainsi il n'y a pas de cinéma "populaire", il n'y a qu'un cinéma bourgeois libéral, ou bien populiste.

     

  • Le syndrome Thoreau

    Une fois n'est pas coutume, je cède à la mode qui consiste à employer des termes médicaux en toutes circonstances, mode qui témoigne de l'extrême irresponsabilité de l'homme moderne, en même temps que de la dissolution de l'individualisme dans l'étatisme.

    Tous ces types avec des téléphones portables ! On ose encore parler d'excès d'individualisme, quand la gent masculine adopte de plus en plus des comportements féminins grégaires (on reconnaît aisément dans le port de la cravate un signe de soumission et d'agrégation, proche de la croix de sectes sataniques ou catholiques).

    Le "syndrome Thoreau" désigne le comportement de certains Américains, subissant le poids de la culture germanique en vigueur aux Etats-Unis, au point d'y renoncer pour faire le choix d'une culture moins masochiste. Henry Thoreau est une sorte de Nitche yankee, c'est-à-dire parfaitement inconscient, contrairement à ce dernier, du rôle décisif du christianisme et du judaïsme dans l'histoire de l'humanité. On ne trouve donc pas chez Thoreau de volonté d'éradiquer le judaïsme et le christianisme de la culture à tout prix afin de restaurer la civilisation, et ramener la paix et le bonheur dans le monde. Thoreau s'attarde plus que le philosophe allemand sur le phénomène des banques et de l'argent, qu'il traduit comme un signe de peur et de corruption sociale avancée. Quelques terroristes arabes ont il est vrai fait trembler dernièrement toute une nation armée jusqu'au cou, confirmant le diagnostic pessimiste de Thoreau. La Bible elle-même indique que c'est la peur qui a détourné le peuple juif de la loi et l'a incité à trahir Moïse pour le veau d'or.

    Mais Thoreau ignore à peu près complètement la Bible. L'intense corruption sociale de la nation dans laquelle il vit, qui n'avait pas encore trouvé le moyen de dissimuler l'esclavage derrière des motifs humanistes, l'incite à se tourner vers la nature et le principe d'incorruptibilité de celle-ci, contenu dans la formule nitchéenne de "l'éternel retour". On trouve de plus en plus d'Américains atteints du syndrome de Thoreau, c'est-à-dire plus ou moins en rupture de ban, tâchant de reconquérir un minimum de conscience individuelle, fuyant la culture totalitaire judéo-chrétienne des élites à défaut de pouvoir l'affronter, tant cette mécanique économique est puissante. Déjà, à l'époque des hippies, du temps du déploiement des forces militaires américaines en Asie, Thoreau faisait figure de guide spirituel. Derrière le mobile du terroriste également, on retrouve l'idéal du bonheur. Ce que le terroriste veut faire sauter, c'est le verrou qui l'empêche de jouir.

    L'impasse dans laquelle le raisonnement de Thoreau jette est à peu près la même que l'impasse du bonheur, qui n'est jamais plus stable que l'eau recueillie dans le creux de la paume. Ce dernier revêt une importance capitale pour les personnes qui subissent l'esclavage des élites judéo-chrétiennes capitalistes et leurs foutues doctrines sociales hypocrites, qui pourraient faire l'objet des mêmes pamphlets marxistes aujourd'hui qu'il y a cent ans. Mais pour l'homme en position de jouir normalement, le bonheur est comme le soleil - non pas un dieu, mais un moyen, de sorte que l'homme en position de penser, pour le meilleur comme pour le pire pensera au-delà de sa condition.

    La même obsession du bonheur de la part de Nitche l'incline à nier dieu - pas n'importe quel dieu - pas Satan, qui donne la vie et la mort et auquel tout savoir éthique remonte, mais le dieu métaphysique des juifs et des chrétiens.  

  • Liberté politique

    L'espoir de libération politique est une illusion, nous disent le Messie, ses apôtres et Shakespeare.

    La démocratie-chrétienne est le fer de lance de l'antichristianisme, et il nous faut combattre ses actionnaires chrétiens à l'aide du glaive de la parole de dieu, confronter cette immonde parodie du salut chrétien au message évangélique. Dieu ne viendra pas en aide à des hommes qui ont traîné sa parole dans des lieux de corruption, et s'en sont servi pour berner les peuples.

    Le refus du Messie de cautionner la moindre action politique, ou la moindre action de rébellion afin d'instaurer un nouvel ordre, est doublement contredit par la démocratie (la démocratie, dans les temps modernes, s'appuie nécessairement sur une rhétorique pseudo-chrétienne) : en effet, l'argument démocratique sert de caution à des gouvernements oligarchiques ploutocratiques, en même temps qu'il permet de justifier, à l'aide de la rhétorique la plus spéculative, des mouvements de libération.

    S'il y a bien un type d'homme chez qui le péché n'est pas aboli, c'est bien le politicien, qui doit nécessairement en passer par la trahison et se comporter en bête pour parvenir à ses fins. Si, de surcroît, ce politicien ose se dire chrétien, présenter son pacte avec la fortune et avec Satan comme un pacte avec Dieu, alors il accomplit la part la plus obscure du plan de satan, et son châtiment en portera la marque.

    Shakespeare montre à ses lecteurs et auditeurs chrétiens dans "Jules César" qu'il était encore permis aux antiques romains de se laisser bercer par l'espoir de justice politique, porté par l'honnête Brutus, mais que les chrétiens, eux, grâce au Messie, savent qu'il est vain d'attendre ici-bas autre chose en politique que l'accomplissement des lois naturelles cruelles à travers les institutions.

    (Billet dédié spécialement à Fodio, exilé en Ukraine)

  • Eloge de la faiblesse ?

    Le poncif nitchéen prêtant au christianisme l'éloge de la faiblesse est constamment répété ; je lisais encore ce truc récemment sur un site qui fait la propagande du Pacte Atlantique auprès du public français. Rien ne dit que, malgré sa puissance de feu extraordinaire, le Pacte Atlantique ne sera pas lui-même réduit rapidement à néant un jour ou l'autre, et que ceux qui voient en lui une protection durable de leurs intérêts, ne sont pas de lâches femelles.

    - Pour faire la démonstration de la faiblesse des apôtres, qui se présentent comme les fils du tonnerre, Nitche doit produire une théorie du christianisme incohérente, niant la résurrection, afin d'affirmer la toute-puissance de la nature et du système solaire.

    La thèse de Nitche est incohérente dans la mesure où Nitche postule tantôt l'équivalence du message évangélique et de la morale judéo-chrétienne, tantôt il souligne que cette morale judéo-chrétienne trahit le message évangélique. Ainsi Nitche considère positivement la trahison par l'Eglise catholique romaine du message évangélique. L'Eglise romaine est "athée", au sens où Nitche l'est lui aussi, et il se réjouit par conséquent de cette orientation antichrétienne de la papauté (comme le Français Charles Maurras).

    D'une certaine manière, on peut dire que Nitche ne parvient pas à résoudre la contradiction du christianisme-religion de faibles et de ratés, efféminés, et l'incapacité des élites aristocratiques et bourgeoises antichrétiennes à éradiquer cette religion au cours des derniers millénaires, malgré sa faiblesse supposée, afin de restaurer le droit naturel satanique. Il s'ensuit de la part de Nitche un récit psychologique de l'histoire, assez incohérent pour faire par exemple du seul "moine Luther" honni par ce hobereau allemand, le restaurateur du christianisme. Nitche croit l'éradication du judaïsme et du christianisme près de se produire, ce qu'il prend pour une preuve de la justesse de sa thèse.

    - Il convient de lire Nitche dans le texte ("L'Antéchrist"), car il est trop politiquement incorrect au regard de la science scolastique française, qui pour cette raison n'en présente que des versions truquées ou expurgées, à la manière de Maurras ou de Michel Onfray. La présentation de l'Eglise catholique romaine par Nitche comme l'une des branches actives de l'antichristianisme, est ainsi susceptible de choquer en France comme en Italie.

    - Si le christianisme était un éloge de la faiblesse, il serait un athéisme - ce que la morale judéo-chrétienne est effectivement, qui consiste à substituer à la théologie chrétienne un discours anthropologique. De ce point de vue, il n'y a aucune différence entre les derniers évêques de Rome et la prêcheuse athée Simone de Beauvoir : il faut comprendre que l'éthique judéo-chrétienne réduit dieu à une hypothèse, et que cette spéculation philosophique est la phase préliminaire de l'athéisme moderne occidental.

    La réalité est donc que "l'éloge de la faiblesse" est un discours anthropologique, produit par les élites chrétiennes, contredisant le sens eschatologique des évangiles. Cet éloge de la faiblesse a principalement une fonction féminine ou sociale, alors même que le message évangélique est ABSOLUMENT DEPOURVU DE FONCTION SOCIALE.

    L'éloge de la faiblesse n'est donc pas, comme le prétend Nitche "le discours des faibles", justifiant leurs propres tares - c'est le discours d'une élite afin d'asservir plus facilement à ses intérêts les faibles : progressivement le pouvoir des élites consacré dans l'Etat de droit a pris la place de dieu.

    Quel chrétien peut s'enrôler dans l'armée en tant que chrétien, au service du pacte Atlantique, sans être faible d'esprit, d'une faiblesse soigneusement entretenue par un clergé sournois, et qui ne trouve aucun appui dans les évangiles ? 

  • Du Sionisme

    Avant de parler plus en détail du sionisme, il convient de préciser que ni le judaïsme, ni le christianisme ne sont des points de vue "modernes" ; si les facteurs d'espace et de temps sont essentiels au calcul du progrès moderne, ils n'ont aucune importance spirituelle ou historique. Les prophètes juifs, chrétiens, les apôtres, pensent à contre-courant du monde et non selon sa détermination : c'est un leitmotiv biblique constant.

    Un juif ou un chrétien, en raison de son caractère "moderne", tiendra donc non seulement le propos sioniste, mais tout propos moderne comme un propos idéologique, c'est-à-dire subjectif. Le socialisme, le sionisme, le nationalisme, le communisme, etc. proposent de se soumettre à un idéal, contrairement au christianisme.

    Secundo, Jérusalem a dans l'apocalypse de Jean un double sens, un peu comme Israël précédemment dans l'ancien testament, tantôt chérie de dieu, tantôt blâmée et sanctionnée durement. Jérusalem symbolise dans le nouveau testament l'accomplissement spirituel, en même temps que son nom est associé à Sodome et à l'Egypte, ou encore à Babylone. L'une sera sauvée, l'autre sera détruite ; à chacun de choisir la bonne... ou pas. Pourquoi ce double sens ? L'apocalypse chrétienne contient la révélation du dévoiement (dit "fornication") de la voie spirituelle indiquée par le Christ Jésus sur le plan politique. Cette subversion est systématique tout au long de l'histoire de l'Occident, et contrairement au propos de l'essayiste luthérien Jacques Ellul, bien loin d'y renoncer, l'art politique occidental le plus récent, loin de renoncer à cette subversion, n'a fait que le perfectionner. Bien que l'exemple de la "monarchie chrétienne de droit divin" soit l'exemple le plus frappant de fornication, cet exemple est très loin d'être isolé. Plus subtile, et en même temps plus utile à déceler, la substitution de la "providence" à la parole divine et à son esprit. En effet la parole divine est "libre de droits", tandis que la providence, elle, ne l'est pas, et permet de détruire le catholicisme à l'intérieur du catholicisme. De plus le providentialisme demeure lié à l'invention et à la justification de l'Etat moderne totalitaire dans l'Occident "judéo-chrétien". 

    - Entrons maintenant dans le vif du sujet : le sionisme moderne, en tant qu'idéologie laïque. Avocat zélé et fameux de l'expression du sionisme en France, Bernard-Henry Lévy reconnaît cette définition d'idéologie laïque, quoi qu'il soit plus habile de présenter les idées politiques comme des "idéaux".

    Dans "Les Aventures de la Liberté", dont le titre traduit une conception laïque de la liberté, si ce n'est personnelle, B.H. Lévy précise : le sionisme est un idéal antitotalitaire, né au coeur de l'Europe (Autriche-Hongrie/Mittel-Europa). Le sionisme représenterait, à l'égal de l'européisme, si ce n'est mieux que lui, l'idéal des Lumières et de la Révolution française de 1789, répandu dans toute l'Europe. L'Etat israélien et ses élites dirigeantes seraient donc porteurs du flambeau de la liberté, allumé au coeur de l'Europe, sous la forme du sionisme ; une liberté dénuée du caractère nationaliste ou racial. Je crois avoir à peu près résumé la définition de B.H. Lévy.

    Les actionnaires d'un tel idéal ne peuvent en vouloir à des esprits moins idéalistes de remarquer son côté romantique, et de faire valoir que si l'idéal laïc sioniste est assez neuf et vierge, d'autres idéaux laïcs ont précédemment entraîné au XXe siècle les plus formidables bains de sang que l'humanité avait jamais connus auparavant. C'est donc la philosophie et l'anthropologie qui sont mêlées aux crimes modernes "contre l'humanité" (expression dépourvue de sens chrétien ou juif), non la théologie. Précisons : il faut pour conférer à la théologie chrétienne ou juive un mobile guerrier, la ramener à une culture ou une philosophie.

    Du moins peut-on accorder à B.H. Lévy de ne pas tenter l'accord impossible entre le judaïsme ou le christianisme et l'idéal laïc sioniste, opération de manipulation scandaleuse des esprits menée par certains clercs chrétiens, et à peu près aussi grossièrement chrétienne que le sacre de Napoléon par le pape. En revanche il se moque des faits historiques en attribuant à l'Europe centrale la promotion des valeurs des Lumières. Une telle thèse ne peut que rencontrer l'adhésion d'ignorants. Le nationalisme n'est pas un produit des Lumières françaises ou européennes. C'est une religion mystique qui découle de l'ordre juridique républicain et son appui dans la propriété. Cette religion a été baptisée dans le sang et la guerre, et non par la philosophie des Lumières. Si ce n'était le cas, stalinisme et hitlérisme auraient aussi bien pu se prévaloir de l'héritage des Lumières que l'idéologie sioniste laïque.

    Comme les idéologies sont idéologiques, les idéaux sont idéalistes ; voilà pourquoi il n'y a pas grand-chose à en dire de plus. Un juif ou un chrétien ne sera pas antisioniste, il se contentera d'être juif ou chrétien.

    La difficulté de l'idéal sioniste est à servir de support à une morale s'imposant à tous ; le subterfuge catholique romain qui consistait pour son clergé à dire le droit commun "au nom de Jésus" est difficile à renouveler sous la forme d'une éthique commune "au nom des victimes juives de la choa", ou même des victimes du totalitarisme en général. Le statut de la victime se doit d'être éminent.

    Bien que les victimes juives ne s'opposent pas formellement, comme le nouveau testament, à la fondation d'un ordre royal, laïc, démocratique, ou encore un consortium industriel et bancaire sur leurs reliques, il semble difficile de fonder une morale planétaire sur cet argument, y compris avec des moyens de propagande décuplés par rapport à ceux de l'Eglise romaine jadis. Aucune morale ne s'est jamais imposée dans l'histoire sans l'appui de forces militaires conséquentes. Comme tout romantisme, le sionisme paraît être exposé à un brutal retour à la réalité ; plus que d'autres idéologies laïques, il paraît confus et marqué par l'abstraction.

    (En lien, non pas avec l'idéologie sioniste mais l'histoire du salut chrétien, je propose cette étude de Rodney Sankinka, chrétien congolais sur la grande prostituée de l'apocalypse, dans laquelle celui-ci se demande si elle est une figuration mythologique de Rome ou de Jérusalem ?)


  • L'imposture chrétienne-libérale

    Mgr Dagens, membre de l'épiscopat français et de l'académie française, a le don de cumuler sur sa tête les plus vaines gloires mondaines qu'on puisse faire. Il ne lui manque plus qu'à présider le Rotary-club de son diocèse pour compléter le déguisement.

    - Sur son blog, il fustige l'attitude du parti catholique intransigeant ou réactionnaire, qu'il caractérise comme une volonté de reconquête d'une position dominante au sein de la société française. La sienne, d'attitude, consiste à lécher le bâton merdeux de l'éthique démocratique-libérale. Opposer la servilité à la rébellion, voilà en quoi consiste la tactique du démocrate-chrétien, sur la base d'un existentialisme que Bouddha inventa bien avant le sieur Dagens.

    - Disons deux mots du parti "intransigeant" ou réactionnaire. D'abord, s'il était réellement aussi intransigeant que ça, il y a belle lurette qu'il serait allé botter le cul de Mgr Dagens, ou qu'il lui aurait rappelé que tout porteur de bicorne exprime par-là son allégeance à Satan. Le christianisme de son prédécesseur Jean Guitton, est d'ailleurs le plus diabolique qui se puisse faire - une sorte de bénédiction de la technocratie et des technocrates.

    - Le christianisme libéral justifie toutes les réactions violentes contre lui, non pas chrétiennes mais politiques, en raison de l'infâmie qui consiste à indexer l'éthique sur les valeurs boursières. Et les Juifs qui se croient sous la protection de la démocratie-chrétienne feraient bien de se méfier, s'il n'y a pas derrière leur adhésion quelque motif du même genre que celui de Shylock.

    - Quant à la reconquête d'une position dominante, si elle n'a évidemment rien de chrétien ou d'évangélique, elle est la plus conforme à la théorie catholique romaine d'un christianisme institutionnel, hiérarchisé et militant. Sans cette position dominante, l'institution n'est plus qu'une ruine, fréquentées par ce qu'on peut qualifier de "touristes spirituels". L'Eglise romaine n'a d'ailleurs plus d'emprise, à l'instar de l'islam, que dans les nations ou sur les continents qui n'ont pas connu de véritable révolution industrielle, celle-ci ayant remis les instruments du pouvoir religieux dans les mains d'un nouveau clergé. Plutôt que dangereuse, il faut dire que la démarche des catholiques réactionnaires est vaine, semblable au combat mené par Don Quichotte, imaginé par Cervantès comme le prototype du chrétien qui se démène en dehors de l'histoire, tout en persistant à ignorer que le christianisme est la plus historique des espérances.

    Si le chrétien se détache des contingences morales et politiques, dont le monde ne peut se passer, pas plus que de conflits armés afin de régénérer sa culture, c'est pour la raison que le chrétien a sans cesse à l'esprit la fin du monde, à l'inverse du démocrate-chrétien, disposé à le prolonger le plus longtemps possible. Car le monde justifie le chrétien libéral et non dieu. Coupé du monde, de son bicorne, de sa mitre, de sa crosse et de son anneau, Mgr Dagens n'est RIEN. Qui voudra encore l'écouter en dehors d'affairistes douteux ? Qui lit encore les académiciens en dehors de rombières ?

    Dagens dénigre le don-quichottisme chrétien, mais hélas pour lui il n'est pas Cervantès, mais seulement un de ces nullibistes catholiques comme on ramasse à la pelle dans les coulisses de la culture "judéo-chrétienne".

    Quant à l'éloge par ce prélat des Etats-Unis et de leur simulacre de christianisme - les Yankees les plus honnêtes se réclament de Satan - il est une infâmie. Rien, dans le christianisme, ne justifie la démocratie, millénarisme plus frauduleux encore que la monarchie de droit divin des pharaons. La démocratie est entièrement tributaire de la tyrannie française d'ancien régime. C'est elle qui a opéré la conversion de l'ordre satanique égyptien en apparence d'ordre chrétien. Sans ce tour de passe-passe juridique, il n'y aurait aucun moyen de faire reluire aujourd'hui le mirage de la démocratie. Cracher dans la soupe de cet Hermès trismégiste incarné que fut le cardinal de Richelieu n'empêche pas le sieur Dagens de s'en délecter.

     

  • Eloge de la faiblesse

    Contrairement à l'affirmation de Nitche, il n'y a pas d'éloge de la faiblesse dans le christianisme, faute de quoi le dieu des chrétiens serait effectivement un calcul irrationnel, comme la démocratie.

    Nitche lit les évangiles sans jamais se départir de son élitisme. Effectivement, dans l'ordre naturel et le droit qui en découle, l'homme d'élite est plus puissant. Aussi démocratique soit le monde moderne officiellement, le culte de la personnalité n'a pas fléchi d'un iota. Mais le christianisme ne tient aucun compte de l'ordre naturel et du droit qui en découle. Du point de vue de l'élite et de ce qui la justifie, nécessairement le Christ ne peut qu'être un homme faible ou suicidaire, entêté à mourir plutôt qu'à vivre pleinement.

    Ici, Nitche a sans doute tort de mettre dans le même sac les Romains et les Juifs, et de les féliciter pour leur assassinat dans les règles, au bénéfice de l'ordre public. En effet, si les Juifs avaient pris le Messie pour un homme faible et suicidaire, on peut penser qu'ils n'auraient pas réclamé son exécution.

    La faiblesse est représentée dans les évangiles par le jeune homme riche, qui au contraire occupe la position la plus enviée sur le plan de l'espèce. C'est-à-dire par l'attachement à la nature et au monde qui la reflète avec plus ou moins d'intelligence. Le jeune homme riche ne peut pas briser le cercle de ses usages. Le pauvre, que Nitche appelle faible, est plus près de la porte étroite de sortie du monde, en quelque sorte. C'est pourquoi Molière nous montre l'antéchrist Don Juan s'efforcer de retenir le pauvre à l'intérieur du cercle.

    L'effort surhumain accompli par Nitche est pour sortir d'un monde moderne sur le point de s'écrouler. Mais le chrétien n'a que faire de l'écroulement du monde - là encore, contrairement à ce que prétend Nitche, il n'en est pas actionnaire.

  • Chrétien neuf

    Une fois n'est pas coutume, je tombe en librairie au rayon des "nouveautés" que je dédaigne habituellement, n'ayant pas de goût pour le recyclage mais pour les choses bien dites une fois pour toute, sur un bouquin portant l'estampille chrétienne et tenant un propos chrétien, ce qui est extrêmement rare par les temps qui courent. Le but des nouveaux bouquins chrétiens est le plus souvent de noyer le poisson.

    Le bouquin s'intitule : "La religion crucifiée" et son sous-titre est : "Essai sur la mort de Jésus". Par un certain François Vouga.

    "La mort de Jésus est abusivement interprétée comme un sacrifice destiné à racheter les péchés de l'humanité. Cette conception omniprésente tire son origine du moyen-âge."

    "JESUS EST MORT POUR NOUS LIBERER DE NOUS-MÊMES ET DE LA RELIGION."

    Je m'en tiens pour l'instant à ces "accroches" prometteuses. L'auteur a-t-il poussé son essai jusqu'à s'interroger si le rituel catholique romain du sacrifice de la messe n'est pas le théâtre où s'est principalement échafaudé ce concept frauduleux ? Le théologien anglais John Wycliffe le prétendit au XIVe siècle, traduisant la Bible et fondant la communauté populaire chrétienne des "lollards" sur la remise en cause de principes institutionnels enseignés comme des dogmes. Dans son "Thomas More", Shakespeare nous montre le "saint patron des hommes politiques" (sic) trahissant la promesse faite à un groupe de lollards séditieux d'échapper à l'exécution s'ils déposaient les armes.

    Quelques commentaires autour de ces simples propositions de François Vouga afin de rétablir la logique chrétienne :

    - Le propos débile sur la contribution de Judas Iscariote au salut de l'humanité, celui-ci s'étant fait le vicaire de l'assassinat du Christ, n'est que le prolongement de la fausse doctrine médiévale.

    - L'image du Christ crucifié, ou "de douleur", présenté ainsi comme modèle, est à des fins de direction morale des ignorants par le clergé. Le "masochisme chrétien", sur lequel Nitche a brodé un délire interprétatif, n'existe donc qu'en vertu du sadisme ou de la volonté de puissance de certains clercs.

    - L'idée d'une conception mensongère omniprésente est un avertissement sérieux à se méfier du matériel de propagande chrétien en général, en particulier lorsque celui-ci a l'impudence d'introduire les ratiocinages anthropologiques dans une religion révélée.

    - Du point de vue évangélique, l'homme est essentiellement païen, c'est-à-dire religieux et aliéné au raisonnement éthique.

  • Du Gay savoir

    L'essayiste français Pascal Bruckner impute dans l'un de ses essais le sentimentalisme débordant de la société occidentale au christianisme. C'est un truc récurrent chez les philosophes républicains modernes, et non seulement Nitche, d'imputer au christianisme la décadence des institutions.

    Un peu plus d'honnêteté intellectuelle ou de professionalisme obligerait à accuser l'Eglise catholique, et non le christianisme, de ce mysticisme sexuel débordant et dangereux, dont la demande d'institutionnalisation des relations lesbiennes ou sodomites dérive. Si le mariage gay est bien égal au mariage catholique romain, c'est sur un point : celui des sentiments, exclu des rituels d'union païens. Les militants gays n'ont pas introduit le débordement sentimental, mais l'Eglise romaine elle-même précédemment.

    Pourquoi l'Eglise romaine, et non le christianisme ? Parce que les évangiles ne permettent de fonder AUCUNE DOCTRINE SOCIALE. Le Messie traite les juifs pharisiens de "chiens", parce qu'ils ont commis cette faute contre l'Esprit de dieu.

    Les démocrates-chrétiens commettent une imposture et un blasphème majeur : en effet, rien ne leur permet de décréter à la place de Jésus-Christ dans un domaine où celui-ci n'a jamais cru bon de décréter.

    Si cette nuance majeure entre la docrine sociale catholique romaine d'une part, et la parole de dieu d'autre part, doit être faite, c'est parce qu'elle permet de comprendre la fragilité particulière du néo-paganisme catholique romain. On pourrait quasiment parler de néo-paganisme "schizophrène". Quelques érudits seulement en ont conscience ; il est difficile de croire, par exemple, que Galilée ou Joseph de Maistre ignorent qu'ils proposent des doctrines antichrétiennes, tellement elles sont inspirées par des principes "maçonniques" ou platoniciens contraires au christianisme (l'évangile de Judas Iscariote révèle qu'il était adepte de la philosophie morale de Platon).

    La divagation juridique est donc une marque particulière de l'Occident, qui trouve son origine dans la doctrine sociale de l'Eglise catholique. L'imprécision des philosophes voltairiens, la raison pour laquelle ils ne veulent pas ou ne peuvent pas viser juste, est assez facile à comprendre : les institutions républicaines dérivent des institutions catholiques romaines. La principale différence entre les institutions monarchiques catholiques romaines et les institutions républicaines modernes est d'ordre économique, non pas juridique. La théorie nationale-socialiste ou hégélienne du progrès serait mise à mal si la solution de continuité était mise à jour entre tradition catholique romaine et modernité technocratique républicaine.

    Pour le combat contre la subversion de l'Esprit, il n'est pas inutile de comprendre que Shakespeare, avant même qu'elle ne prenne l'aspect tentaculaire et métastatique qu'on lui connaît, a tranché la gorge à la doctrine sociale de l'Eglise romaine. C'est le sens sans équivoque de la mythologie de Shakespeare. Sous l'apparence païenne ou séculière, Shakespeare met le feu au Capharnaüm catholique romain, véritable paganisme recouvert des oripeaux de la foi chrétienne. Si les universitaires voulaient bien se donner la peine d'être intelligents, ils comprendraient que Shakespeare le fait d'une manière plus complète et qui excède largement en force la manière de Luther. Shakespeare est le découvreur du globe, de sa lâche médiocrité, et il ne faut pas s'attendre à l'éternel retour de Fortinbras. Si les meilleures choses ont une fin, les pires aussi, par bonheur.


  • Saint Molière

    Le culte des saints légendaires dans l'Eglise romaine est un scandale, vu la coïncidence de la propagande et du mensonge. Le témoignage chrétien est l'inverse de la propagande patriotique. Le blanchiment de religieux ayant trempé dans le crime ou la politique n'est pas un scandale moins grand; le cas du sinistre Bernard de Clairvaux est le plus frappant, complice d'assassinats et de manigances politiques.

    Quant aux saints "théologiens", quant ils écrivent n'importe quoi, ce qui est fréquent dans les ordres religieux conventuels, leur canonisation signale la bêtise extrême de ceux qui les ont "canonisés", procédure en soi démentielle, et irrecevable sur le plan spirituel chrétien, car elle relève de l'idolâtrie et du culte de la personnalité.

    L'imbécillité est fréquente chez les moines, à cause des règles de vie qu'ils édictent, et qui vont chez les plus fous se substituer à la parole de dieu. Une caractéristique des évangiles, c'est qu'ils ne fournissent pratiquement aucun règlement de vie. Le point de vue existentiel condamne le christianisme ; le mérite de l'antichrist Nitche est plus grand que de très nombreux prétendus "saints" de le préciser : le Messie des chrétiens n'a aucune considération pour les valeurs sociales, mais ne se soucie que de la vérité.

    Je dois beaucoup à Molière. Il m'a gardé de devenir un intellectuel ou d'avoir du style, ce que j'aurais pu devenir à cause de mon héritage familial et du goût décadent pour l'intellectualisme, qui fait la littérature contemporaine aussi médiocre et fière de l'être que les romans de M. Houellebecq.

    La faiblesse du monde et sa chute imminente probable sont liées au fait qu'il est dirigé actuellement par des intellectuels, c'est-à-dire ceux-là que le Français élevé par Molière voit comme des parasites dans l'ordre de l'esprit, premiers responsables de la bestialité humaine et des génocides. Hitler ? Un irresponsable, mais pas plus que n'importe quel homme politique ; et quelle pureté, à côté de l'extraordinaire duplicité de la haute société britannique.

    Voyez comme les polytechniciens sont blanchis, combien en ce domaine la doctrine nazie de la banalité du mal a plein effet.

    Les intellectuels constituent en quelque sorte l'âme du monde, réalité qu'ils inventent et qui n'existe pas. Rien d'étonnant à ce que Sartre déduise le néant: c'est le territoire de prédilection des intellectuels. L'abstraction fournit un refuge plus sûr aux intellectuels que les postes avancés ou se tiennent les politiciens. Que Marx ait cru bon de démissionner de l'Université afin de pouvoir dire la vérité, c'est quelque chose qu'un esprit français peut assez facilement comprendre.

    L'abstraction ou le langage: on perçoit chez saint Molière qu'il est une chose impure. C'est une notion que les artistes chrétiens authentiques ont toujours tenu à préserver. Ce qui sort de la bouche de l'homme est cause d'impureté, affirme Jésus-Christ, ce qui constitue une condamnation sans appel de l'anthropologie, c'est-à-dire de la foi et de la raison égyptienne ou romaine.

    Aussi peu chrétien en apparence soit L.-F. Céline, cette notion l'explique largement. Si, comme la brute nazie, Céline avait pris le langage pour une chose sacrée, il ne se serait pas permis de le réorganiser. Et d'ailleurs Céline a conscience que la justification du génocide du peuple par les élites, dans les moments où celles-ci se sentent menacées, passe d'abord par le langage, qui sert toujours de caution à la violence. L'ignominie de Bernard de Clairvaux est d'abord d'être un rhéteur, quand la parole de dieu ne fait pas de place à la rhétorique. Et déjà auparavant le combat de Moïse fut celui du mythe contre la rhétorique égyptienne.

     

  • Subversion du christianisme

    L'essayiste Jacques Ellul impute la subversion du christianisme depuis le moyen-âge à l'Eglise catholique et sa doctrine imitant l'islam, ou complètement sous son influence. On peut noter comme une curiosité que Thomas d'Aquin, symboliquement décrété docteur majeur dans l'Eglise catholique, est plus "islamiste" qu'Averroès, dans la mesure où ce dernier traduit mieux Aristote, en particulier la méfiance de ce dernier vis-à-vis des matières spéculatives telles que l'algèbre ou le droit.

    La critique d'Ellul, doublement dirigée contre l'Eglise romaine et l'islam, était prédestinée à faire florès aux Etats-Unis où les catholiques sont peu représentés dans les élites, et les préjugés raciaux importants, comme dans toutes les nations où la science juridique tient les foules en respect, non comme en France où l'on a mieux conscience que le jugement d'autrui implique une forme d'aliénation mentale, et que la conscience scientifique s'érige contre le lien social.

    C'est ce qui fait de Moïse une des premières consciences scientifiques de l'humanité : le fait qu'il discrédite le lien social où Satan se tient tapi. Les Juifs ont restauré le lien social contre leurs prophètes ; c'est ce que leur reproche Jésus-Christ. La méthode des prêtres juifs a été reprise ensuite par l'Eglise catholique.

    La critique de Jacques Ellul n'est pas fausse, dans la mesure où l'islam fait place au droit naturel, que le Messie, anarchiste, ne cesse de remettre en cause en raison de la justification du péché et de la mort à laquelle les païens procèdent en indexant leur conscience au droit naturel.

    Où le jugement d'Ellul est faux, c'est qu'il est psychologique et non historique. Comme un musulman, comme un catholique romain, il se situe sur le plan psychologique ; celui-là même que le point de vue authentiquement chrétien de Shakespeare s'efforce de faire voler en éclat, au profit de l'histoire. L'Eglise romaine a toujours comploté pour empêcher l'histoire : c'est la marque de fabrique de la doctrine catholique romaine.

    C'est ce qui permet à Ellul, après avoir démontré la subversion catholique romaine, par imprégnation de l'islam, de blanchir subitement l'Occident, comme si l'Eglise romaine n'en était pas la matrice, et que l'Occident ne continuait pas de se conduire exactement selon son faux pas.

    Sur le plan individuel seul, la responsabilité est pleine et entière. Le monde seul oblige Thomas d'Aquin à subvertir le message évangélique pour y ajouter ce qu'il juge opportun. Tout mensonge est une concession au monde, et il importe de ne jamais le traduire comme un souhait de dieu.

    On peut se passer d'inculper l'islam pour examiner le procédé de la subversion. L'obligation de travailler est la principale cause pourquoi les foules se détournent de dieu dans les temps modernes. La consécration du travail est donc là où les esprits sataniques ont agi principalement, contre l'Esprit et la lettre des évangiles. La bourgeoisie libérale chrétienne est décrite comme une puissance infernale déterminante par les meilleurs théologiens pour cette raison ; parce qu'elle a rétabli l'esclavage de l'homme, son attachement viscéral à la terre, contre le Messie.

    Pourquoi les philosophes antiques sont beaucoup plus misogynes que les nôtres : parce qu'ils n'ont pas du travail ou du labeur une très haute idée, c'est mathématique. Pour Aristote ou Démocrite, par exemple, le travail est bon pour les animaux, et non pour les personnes humaines. Le travail est un mal nécessaire, et donc le philosophe doit s'efforcer d'échapper à ce mal nécessaire pour pouvoir penser autrement que selon lui, qui ne serait pas penser, mais vouloir en vain ; sinon, tant qu'à faire, autant travailler comme boulanger ou cordonnier. Voilà ce que pensaient Aristote et bon nombre de philosophes antiques du travail. Le libéralisme consiste à l'aide de quelques sophismes évolutionnistes à enchaîner le travail à la pensée. Le nazisme ne se dégage pas de l'influence libérale. Pratiquement le nazisme est une manière de vouloir pratiquer le libéralisme avec honnêteté.

    Pour que vous sachiez, enfants, entre les mains de qui vous êtes, et qui a l'odeur immonde du Danemark.

  • Impossible n'est pas chrétien

    Pour l'anthropologue, le mal est un fait banal. C'est la raison pour laquelle le christianisme vomit l'anthropologie et les anthropologues. Inconsciemment ou peu consciemment, Voltaire défend contre Pangloss-Leibnitz le point de vue chrétien. Ce qui n'est pas chrétien chez Voltaire, et revient à l'anthropologie, c'est de croire que l'on peut lutter contre le mal sur le plan social.

    A cette science-fiction rousseauiste ou voltairienne d'un monde meilleur pour remédier à la tyrannie égyptienne (oedipienne) de droit divin, les idéologies socialistes modernes ont, depuis, ajouté un cynisme extraordinaire, dont on ne peut accuser Rousseau, ni même Voltaire. La démocratie-chrétienne bat des records de cynisme, puisqu'elle défend et justifie ce qu'il est impossible de défendre du point de vue chrétien : la démocratie, c'est-à-dire, en réalité, le totalitarisme, un nouvel ordre oedipien.

    Les Etats-Unis dévoilent peu à peu leur satanisme profond derrière l'apparence démocrate-chrétienne et des parjures odieux cautionnés par Rome.

    La trahison des anthropologues chrétiens vient du fait qu'ils soumettent la parole de dieu à l'ordre civil, ce qui est le pire crime que l'on peut commettre contre l'Esprit.

    Toute tentative d'inventer une éthique chrétienne, suivant la rhétorique nébuleuse des philosophes boches, ou de justifier une politique par des arguments chrétiens, implique nécessairement la négation du péché originel. L'éthique juive consiste exactement dans la même trahison de la loi de Moïse, pire encore que les blasphèmes de Freud ou Einstein contre dieu.

    Le péché originel est effacé par les anthropologues ou les sociologues chrétiens au niveau de la famille, dont ils restaurent le sens sacré, purement païen et romain. Une fois la famille blanchie, comme toutes les institutions découlent de ce modèle -le président de la République française est le "pape" mystique des Français, ce sont toutes les institutions politiques qui sont blanchies par conséquent, quand le Messie ne cesse d'inciter à s'en détacher en raison de leur vice de forme macabre, c'est-à-dire du péché.

    Si le christianisme authentique de Shakespeare est aussi frappant, dans le sens de l'Esprit, c'est parce qu'il dénonce cette subversion du christianisme, qui consiste pour les institutions catholiques romaines à effacer le péché originel et à fermer ainsi la porte à l'apocalypse, qui prend pour symbole de l'Eglise une femme, qui contrairement à toutes les autres, qu'elles soient de chair ou des personnalités morales, n'est pas liée à la terre par le péché, mais liée au ciel par le rejet de l'ordre humain anthropologique ou artistique.

    Autrement dit, le salut chrétien est improbable ou impossible, mais il est le plus sûr, car les promesses des anthropologues ne s'accomplissent qu'après la mort, et elles ne sont rien d'autre que la mort. Toute l'astuce des anthropologues pour séduire le monde consiste à idéaliser la mort et lui prêter le caractère métaphysique qu'elle n'a pas. La morale pure est le baiser des imbéciles sur la bouche de la mort.

  • Besoin d'amour

    La subversion de l'amour procède comme celle du christianisme. Le besoin d'amour est mis à la place de l'amour, comme le besoin de dieu est mis à la place de dieu. Dieu a-t-il besoin de l'homme ? Non. Tandis que la nature est difficilement concevable sans l'homme, quoi qu'en disent les adeptes du transformisme des espèces, hypothèse elle-même inconcevable en dehors du prisme humain.

    Il est donc aussi difficile pour l'homme d'appréhender dieu qu'il lui est facile de faire la démonstration de la grande architecture du monde (666). C'est, en gros, le drame du prophète Job, que cette distance qui le sépare de son dieu - celle de la bêtise humaine -, tandis que les païens reçoivent tous les jours des témoignages de la présence du grand architecte auprès d'eux, "tutélaire" comme un père ou une mère pour un enfant. Même pour Jésus, dieu ne semble pas bouger le petit doigt, ce qui déclenche les sarcasmes des assassins Juifs et Romains, au nom de la loi.

    L'homme a-t-il besoin de dieu ? Non. Les élites ne peuvent se passer d'un principe qui inspire le respect aux masses qu'elles gouvernent, mais l'homme n'a pas plus besoin de dieu qu'un animal requiert d'être domestiqué. Indiqué comme un besoin, dieu n'est que le principe conçu par les élites pour intimer à la masse le respect de ses possessions. Dans les régimes dits "laïcs", c'est la culture qui joue ce rôle. La culture pour les niais, l'argent pour ceux qui le sont un peu moins.

    C'est ce qui explique l'absence de dieu, mais aussi de l'amour, dans un monde bourgeois ou capitaliste organisé en fonction des besoins ou de la nécessité. Pour ce qui est d'exclure dieu des arts et des lettres, c'est-à-dire de la culture, c'est d'abord le clergé catholique qui s'en est chargé. La technique de Pascal est exemplaire, mais elle est loin d'être le seul exemple. La technique de Pascal est typiquement cléricale, et Voltaire ne la caractérise pas ainsi suffisamment : elle consiste à expulser dieu de la conscience humaine au profit d'un principe d'organisation essentiel : le hasard. Dans l'ensemble, il faut dire que la méfiance atavique du Français vis-à-vis des mathématiciens et des mathématiques est bien fondée. Il faut s'en méfier autant que des femmes, car tous leurs raisonnements partent d'eux-mêmes.

    Un monde sans amour est l'enfer. Si Shakespeare inspire parfois le respect, même à ceux qui n'y comprennent rien, c'est parce qu'il écrit au milieu de l'enfer, que les esprits faibles et les esprits manipulateurs s'entendent pour situer au-delà du moment présent. Pratiquement toute la religion ou la culture est faite pour ça : pour mettre l'enfer et la mort à distance. Ce qui dissout presque instantanément la niaise Ophélie, n'est pas le mépris ou le rejet de son fiancé, mais la conscience subite que le monde dans lequel elle vit ne connaît l'amour que sous la forme d'un subterfuge. Ophélie n'est pas, contrairement à ce qu'elle croit, la fille chérie de son père, mais un vulgaire appât ; pire qu'une putain, car la putain sait qu'elle est un appât, et que la société n'est qu'un bras de fer. La putain est animée par l'énergie du désespoir : la petite Ophélie raisonne comme un fromage à pâte molle.

    Shakespeare est l'auteur d'une charge d'une violence inouïe contre la culture occidentale. Les papes sont à quatre pattes dans la boue, cherchant leurs lunettes. Les rois se tiennent la gorge à deux mains, pour tenter de retenir le sang qui s'en écoule. Le cinéma : le cinéma est un invention uniquement pour tenter de cautériser la plaie que Shakespeare a ouverte.

    Ne laissons pas Shakespeare tenir sa position seul à la bataille d'Armagédon. Prenons la milice de Satan à revers.