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littérature - Page 4

  • Au bout de Céline

    Comme il paraît à peu près impossible de maintenir Céline hors de l'Université, des bibliothèques et des librairies, la tactique consiste à l'ensevelir sous les préjugés divers et variés, afin qu'il soit au bout du compte comme Proust, parfaitement digeste, accessible aux vierges farouches et aux vieillards gâteux. On mastiquera juste les passages où Céline dépeint les résistants comme des branquignols et des lâches. Encore un peu de patience, dans quelques années on ne lira plus qu'Harry Potter !

    D'où l'exigence de redéfinir Céline. Cerné par les bourgeois nazis hypocrites, c'est un nazi sincère au contraire. Il a commis aux yeux des bourgeois le crime suprême : il a dit ce qu'il pensait, sans détours. Lui-même d'ailleurs s'en est voulu de tant de sincérité : ce n'est pas hygiénique.

    Les quelques "inconditionnels" de Céline (Le Bulletin célinien, par exemple, du Belge Marc Laudelout) se recrutent parmi les bourgeois héritiers de Flaubert, une espèce en voie de disparition. Bourgeois ils sont et ils resteront, mais de peur de mourir d'ennui, sous le poids des conventions, ils ne peuvent s'empêcher de sortir la tête de temps en temps de leur carapaçon. En somme, les vagues, ils se réjouissent comme des gosses que Céline les fasse à leur place.

    Quant aux bourgeois entiers, eux, les héritiers de Sartre, Camus, Malraux, ou qui s'en réclament, ils sont moins naïfs et le fait qu'on puisse, à travers Céline, les démasquer, ça les rend blêmes.

    Pourquoi un communiste préfère-t-il un nazi sincère à un nazi hypocrite ? Parce qu'un communiste n'a pas pour principe de fuir la vérité, bien au contraire.

    *

     La seule info que j'ai pu tirer de cette gazette douteuse, Lire, et de ce numéro spécial consacré à Céline, c'est ce jugement de l'auteur de Mort à crédit sur Balzac, que j'avais oublié, et qui est révélateur lui aussi : "Balzac n'a pas de style." Le jugement d'un romantique sur un classique. En réalité ce n'est pas qu'il n'y a pas de poésie chez Balzac, c'est plutôt qu'elle n'est pas ostentatoire. Ce qui est "abstrait" dans la littérature de Balzac, exactement comme dans la peinture classique qu'il aimait, c'est Balzac lui-même. Balzac n'est pas aussi énigmatique pour un bourgeois que ne l'est la peinture de la Renaissance, mais presque.

     

     

     

     

  • Nombrilisme

    Tout le monde a au moins une bonne raison de détester Céline - moi par exemple, c’est son jansénisme et son hygiénisme qui me débecquetent. Et en même temps, tout le monde a aussi une bonne raison d’aimer Céline. Puis il n’y a pas loin du jansénisme de Céline à son esprit rabelaisien, ou de son hygiénisme à son esprit “bohême”. En fait, il est de deux siècles à la fois, un homme du XVIIIe et un homme du XIXe superposés. C’est le secret des plus grands romanciers : le dédoublement. Chez Voltaire, chez Rousseau, chez Balzac, il y a ça. Proust, lui, au contraire, est monolithique, un produit manufacturé de son époque dont il ne révèle rien mais qu’il se contente d’exprimer. Le vrai nihilisme est là. Une poésie pour les temps à venir, Proust ? Je n’en crois rien : une poignée de cendres.

    *
    Même les analphabètes ont une bonne raison d’aimer Céline, vu qu’il leur fait gagner un maximum de pognon. Le magazine Lire, par exemple, spécialisé dans la littérature pour analphabètes, ne peut pas s’empêcher de publier un hors-série sur Céline, histoire de compenser la nullité de ses chroniques habituelles. Ils ont raclé les fonds de tiroir, revomi une vieille interviou truquée de Madeleine Chapsal, vieille peau distendue, puis retendue, puis redistendue… Céline, les derniers secrets : on dirait un titre de Détective ou de Paris-Match. Ça sent le scoop de journaliste raclé dans une poubelle ou négocié au ministère de l’Intérieur. Quand il s’agit de se foutre de la gueule du populo, il y en a qui ne reculent devant aucun moyen. Faut voir aussi le ton moralisateur que prennent les baveux de Lire pour reprocher entre parenthèses à Céline son antisémitisme tous les deux paragraphes, pareil que si on reprochait à un gamin de cinquante ans d’avoir volé un pot de confiture sur une étagère quand il en avait dix. Ce n’est pas “le grand pardon” mais “la grande rancune”. C’est le premier écrivain français “en conditionnelle”. Et après ça il y en a qui osent dire que la démocratie n’est pas “moralisatrice” ! Même Céline, le plus immoral d’entre tous : surtout pas d’alcool, ni de cigarettes.

  • Marx pour les Nuls

    Une poignée d'intellectuels communistes sur un plateau de télé confrontés à François Hollande. Emmanuel Todd, Daniel Bensaïd, pour ne citer que les plus cohérents. Aucun d'entre eux, pas même Todd, n'a l'air d'avoir retenu la leçon d'histoire de Marx. Marx, transformé en fétiche par les communistes. Avec une nuance de mépris chez Bensaïd pour Marx, comme si celui-ci appartenait à la préhistoire. Le même mépris que celui de Guaino pour les Africains ; le mépris de celui qui dépense pour celui qui aurait à peine, selon lui, commencé à penser. L'hôpital qui se moque de la charité - Bernard Kouchner.

    Quant à François Hollande, il ignore lui-même ce qui le distingue réellement de Sarkozy ; que des communistes acceptent de causer avec lui, voilà qui le réconforte. Tant que les communistes, LCR ou PCF, continueront de considérer les bobos de gauche autrement que comme des bobos de droite, ils ne recouvriront par leur crédit.

    Ezra Pound déjà l'avait remarqué : on ne fait pas plus ignorant de la doctrine marxiste qu'un communiste français. Confirmation de Céline, goguenard, qui qualifie son roman Mort à crédit de roman communiste... que les militants communistes sont trop cons pour prendre comme tel.

    *

    Franchouillardise : on confond Marx avec Proudhon. Brièvement, la lutte des classes, dans laquelle la production joue un rôle déterminant, pour Marx, c'est la période 1750-1850. Avec Napoléon III commence une nouvelle ère, qu'on peut qualifier de "totalitaire", même si Marx n'emploie pas cet adjectif. La "lutte des classes" ne permet plus de comprendre l'évolution politique de la France après 1850 selon Marx lui-même.

    Marx écrit Le 18 Brumaire de Louis Napoléon précisément pour cette raison, pour tenter d'expliquer en quoi consiste le changement, pourquoi la lutte des classes en France "a vécu". C'est une chronologie de l'avènement de la société civile bourgeoise, dont l'Etat totalitaire est l'émanation. Ce qui n'empêche pas l'Etat ainsi créé et son appareil administratif, sa bureaucratie, de produire ensuite de manière plus ou moins autonome des droits et des devoirs, des lois, destinées à la société civile.

    Superficiellement, on fera observer que l'Etat existait déjà en France auparavant. Bien sûr, mais ce n'était pas la même organisation ; peu à peu la société civile bourgeoise a modelé l'Etat autrement. Balzac est pour Marx le meilleur peintre de cette nouvelle société.

    *

    Il me semble que la comparaison avec les micro-Etats que constituent les grands sociétés anonymes de production de biens, dirigées par un PDG (non propriétaire), permet de mieux comprendre le schéma tracé par Marx. Le personnel, employés et cadres, jusqu'aux dirigeants, constituent la société civile, dans laquelle les cadres intermédiaires pèsent bien sûr d'un poids plus lourd, pris individuellement. La direction, le PDG et ses lieutenants, forment l'appareil d'Etat. Le nom de la société, ses slogans, ses séminaires de formation, constituent l'aspect religieux, mystique, et les étapes de la promotion interne une voie de progression vers une sorte de Nirvana. Pas très spirituel, il est vrai ; mais Marx explique justement comment dans la société totalitaire le matérialisme est maquillé en spiritualité.

    On ne peut pas dissocier ces sphères, personnel et direction, liées par un même destin et communiant avec plus ou moins de sincérité dans la même religion. L'imbrication est parfaite. Même la vie d'un salarié en dehors de l'entreprise n'est pas distincte du travail de ce salarié dans l'entreprise.

    Ma comparaison est fausse dans la mesure où, au-dessus des SA et des SARL en tous genres, il y a l'Etat français, tandis qu'au-dessus de l'Etat français il n'y a rien... ou presque ; presque, car si la République française ressemble de plus en plus à une société anonyme "managée" par un PDG à coup d'objectifs et de slogans creux, c'est parce qu'elle est dominée de plus en plus par l'Etat européen ; les paysans français, par exemple, sont désormais des bureaucrates qui dépendent au moins autant de l'Etat européen que de l'Etat français.

    *

    Dans une France largement bureaucratique, où le secteur tertiaire prend une place toujours plus grande, continuer de parler de "lutte des classes" relève de la part des communistes et des syndicats de la mystification. Ce faisant, les ouvriers sont aussi menteurs que leurs patrons. Mais le plus grave n'est pas là. Si on peut comprendre que pour des raisons tactiques, de mobilisation, l'idée de lutte des classes soit toujours mises en avant par les communistes, en revanche ceux-ci n'ont aucune raison de participer à la mystification laïque, de s'agenouiller devant les "droits de l'homme" totalitaires. Ces "droits de l'homme" virtuels ne sont, comme Marx le démontre, qu'un opium plus fort qu'aucune religion auparavant, une pure fiction qui mène à l'abrutissement. Voyez Mélanchon ou Michel Charasse, Robert Redeker : ce sont des exemples typiques de fanatiques de l'Etat et de sa religion laïque, des mythomanes complets. Si l'on pouvait concevoir la religion laïque en dehors du fanatisme, dans l'absolu elle ressemblerait au bouddhisme ou à l'animisme. Et ce parfait crétin de Mélanchon ne trouve rien de mieux à faire que de dénoncer le fanatisme religieux du Dalaï Lama.

    "Chrétienne, la démocratie politique l'est en ce que l'homme... y est considéré comme un être souverain ; mais l'homme dont il s'agit dans la démocratie politique, c'est l'homme inculte et non social. La chimère (...), le postulat du christianisme [luthérianisme], la souveraineté de l'homme (...) devient dans la démocratie une réalité concrète, une présence, une maxime séculière."

    Et aussi : "L'homme des droits de l'homme est l'individu égoïste et indépendant."

    Karl Marx, in : Critique de l'Etat hégélien.

    Cette critique de l'Etat totalitaire que Benoît XVI s'abstient de faire, bien que les circonstances l'imposent et qu'il soit l'une des rares autorités spirituelles mondialement reconnues, cette critique est dans le marxisme, plus drastique que chez n'importe quel théologien catholique antilibéral, Bloy ou Chesterton.

    On peut déduire aussi que dans la République des traîtres, si Sarkozy est le premier, il est loin d'être le dernier. Ce qui est dépassé, ce n'est pas Marx, ce sont les tentatives des sociaux traîtres et des démocrates crétins de réformer la société civile et l'Etat bourgeois.

  • Pyromanie

    Par une indiscrétion de D. de Villepin, on connaît le mépris affiché de Sarkozy pour la poésie. Etant donné que je ne fais nulle confiance à Villepin et à ses goûts de bourgeois gaulliste pour les poètes les plus pompiers (pompiers-pyromanes, ça va de soi), je préfère dire que c'est la poésie qui méprise Sarkozy, plutôt que l'inverse, spécialement la poésie du poète-critique fachisto-communiste Ezra Pound : 

    Avec l’Usure

    Avec l’usure nul homme n’a maison de bonne pierre

    chacune taillée, puis ajustée

    afin que le décor puisse orner la façade,

    avec l’usure

    nul ne possède un paradis peint aux murs de l’église

    harpes et luz

    ni la vierge qui reçoit le message

    une auréole s’élevant de l’incision,

    avec l’usure

    nul homme ne voit Gonzague, ses héritiers, ses concubines

    un tableau n’est plus fait pour durer, pour vivre avec

    mais pour se vendre et se vendre vite

    avec l’usure, péché contre nature,

    ton pain sera fait de chiffons, toujours plus

    ton pain sera sec, comme du papier

    sans le blé des montagnes, sans la forte farine

    avec l’usure le trait s’empâte

    avec l’usure les contours s’estompent

    et nul homme sur terre ne trouve sa place.

    Le tailleur de pierres est privé de ses pierres

    le tisserand de son métier

    AVEC L’USURE

    la laine ne se vend plus

    avec l’usure les moutons n’apportent plus de gain

    l’Usure est une peste, l’usure

    émousse l’aiguille dans la main de la servante

    éteint le talent de la fileuse. Pietro Lombardo

    ne vient pas de l’usure

    Duccio ne vient pas de l’usure

    Ni Pier Della Francesca ; ni de l’usure Zuan Bellin’

    ni peinte “La Calunnia”.

    Ni de l’usure Angelico ; ni Ambrogio Praedis,

    Ni l’église de pierre taillée signée : Adamo me fecit.

    Ni de l’usure s&int Trophime

    Ni de l’usure saint Hilaire,

    l’usure a fait rouiller le ciseau,

    Rouiller l’art et l’artisan

    Rongé la trame sur le métier

    Nul ne sait plus y mêler le fil d’or ;

    Azur est dévoré par ce cancer ; cramoisi n’est plus brodé

    Emeraude ne trouve plus de Memling

    L’Usure frappe l’enfant dans le ventre de sa mère

    Elle frappe le jeune homme qui fait sa cour

    Le paralyse dans la couche nuptiale, l’usure s’étend

    entre le mari et sa jeune épousée

    CONTRA NATURAM

    Ils ont amené les putains à Eleusis

    Des cadavres prennent place au banquet

    sur mandement de l’usure.

    Cantos XLV

    NB : Usure : droit prélevé pour l’utilisation du pouvoir d’achat sans tenir compte de la production ; souvent sans tenir compte des moyens de production.

    NL : La "plus-value" n'est rien d'autre qu'un "perfectionnement" de l'usure : un prélèvement à la source, hypocrite.

     

  • Finissons-en !

    Pour en finir avec Dieu, c'est le titre du dernier ouvrage de référence signé Richard Dawkins. Vu que ce pavé s'est déjà vendu à des millions d'exemplaires dans le monde, Flammarion s'est dit que ça ne pouvait être qu'une bonne chose de publier les derniers travaux de Dawkins en français, en évitant un titre trop raccoleur, comme il se doit dès qu'on quitte le terrain du journalisme pour entrer sur le territoire de la Science.

    Les éditeurs français ne reculent devant rien pour faire bénéficier au grand public des derniers progrès de la Recherche scientifique où qu'ils se logent, la recherche en général, sur les origines de l'humanité en particulier, où c'est qu'il y a plein d'animaux, c'est plus rigolo. On est en démocratie oui ou crotte de bique ? On est dans un Etat laïc et républicain qui essaie de préserver les enfants de la superstition et du voile islamique, bordel, ou pas ?

     Dawkins est une sorte de Michel Onfray grand-breton. Si je les compare sur le plan scientifique, à vue de nez je donne un léger avantage au Britannique. "A vue de nez" parce que c'est encore la meilleure technique pour jauger les truffes.

    Avantage léger, vu que Dawkins gratifie ses lecteurs tout au long de son bouquin d'arguments de ce niveau : "Newton se disait effectivement croyant. Comme pratiquement tout le monde jusqu'au XIXe siècle (ce qui en dit long à mon avis)." Avec des arguments comme ça, entre parenthèses, la science est VRAIMENT à la portée de tous (à mon avis).

    Assassiner Dieu dans un bouquin tous les dix ans, ça semble le meilleur moyen que la bourgeoisie ait trouvé pour se rassurer sur sa toute-puissance.

    *

     Blague à part, deux remarques sérieuses à propos de Dawkins. D'abord la parenté entre les théologiens qui démontrent par A+B l'existence de Dieu et les athéologiens qui cherchent à établir par A-B qu'il n'existe pas, saute aux yeux. Comme dit Simone Weil, le pari de Pascal relève de l'autosuggestion et pas de la science expérimentale. Pascal = Nitche ; Dawkins = Thomas d'Aquin ; Onfray = mon curé démocrate-chrétien.

    En même temps ce qu'il faut bien voir c'est que malgré sa légèreté dans le domaine des sciences humaines, Richard Dawkins est quand même moins crétin que son homologue évolutionniste yanki Stephen Gould, archétype du kantien inepte, de l'épistémologue forcené, que Dawkins ne peut s'empêcher d'égratigner au passage, respectant ainsi une vieille tradition anglaise de mépris de la science et de l'art étatsuniens, dissimulée derrière des gentlemen agreements commerciaux.

    Car Dawkins postule que si Dieu n'a pas de réalité, si c'est juste une invention humaine, alors la recherche scientifique ne peut pas ne pas en tenir compte. Bravo ! A l'inverse, le scientifique qui croit dans l'objectivité de Dieu, comme Poincaré, ne peut se satisfaire de la théorie du hasard ou de celle du chaos, de la physique quantique mathématique "empruntée" aux nazis par les Yankis. Dawkins n'est pas un scientifique qui fait abstraction, volontairement, comme Gould, de la nature (à l'exception notable du panda).

    C'est-à-dire qu'on doit au moins savoir gré à Dawkins de n'être pas un faux-cul de première comme Gould. Un faux-cul viscéral.

    *

    Et puis j'ai quand même appris un truc dans le bouquin de Dawkins, qui s'est cogné de lire Mein Kampf dans le cadre de ses travaux, ce qui est au-dessus de mes forces.

    Comme Drieu la Rochelle, Hitler relève la convergence entre Karl Marx et saint Paul. Je me dis que si Hitler a été capable de voir cette convergence, il y a une chance pour que Benoît XVI finisse lui aussi par s'en rendre compte et arrête de nous bercer avec saint Augustin, produit de la décadence de l'empire romain.

     

     

  • Créationnisme

    Un phénoménologue sans dieu, c'est comme un climatologue sans soleil.

    Le terme de l'évolution de la mystique laïque, dont Hegel et Marx démontrent qu'elle est une mystification, le terme de cette évolution c'est la mystique du singe.

    C'est un marxiste italien, Labriola, qui a dit à quel point l'idéologie selon laquelle l'homme est un singe achevé est funeste à la compréhension de l'évolution politique de l'humanité, c'est-à-dire aux sciences humaines. Pour un héritier de l'humanisme de la Renaissance, qu'il soit communiste ou catholique, la science s'arrête à Lamarck ; au-delà, on verse dans la propagande ou la "pasquinade", comme dit Marx parlant de la science de Darwin.
    Admettre ne serait-ce que l'hypothèse (hétéroclite) néo-darwinienne, sous la pression du monde, comme l'a fait Benoît XVI, est par conséquent une concession intolérable de plus à la mystique libérale.

    Si l'étiquette de philosophe athée va si mal à Marx, c'est qu'il est au XXe siècle un des très rares penseurs à perpétuer l'humanisme de la Renaissance : un "phare", comme dirait Baudelaire.

  • Contre Proust

    A l'espoir plus ou moins inquiet du paysan dans la moisson prochaine, puis dans la verdeur du printemps, la nostalgie plus étroite encore du néo-païen écologiste fait pendant. A gauche un paganisme futuriste, à droite un paganisme archaïsant.

    "Se vautrer dans le passé c'est peut-être de bonne littérature. En tant que sagesse, il n'y a rien à en espérer. Le Temps retrouvé, c'est le Paradis perdu, et le Temps perdu, c'est le Paradis retrouvé. Que les morts inhument leurs morts. Si l'on veut vivre à chaque instant tel qu'il se présente, il faut mourir à chacun des autres instants."

    Aldous Huxley, Le Génie et la Déesse

    D'où vient ce préjugé que la sagesse et la littérature ne peuvent faire bon ménage ? De Platon ?

  • Entre Ben et Benoît

    Ce que le politologue yanki Samuel Huntington a vaguement discerné, c’est que la société yankie est à peu près dépourvue de conscience politique. Ce qu’on peut résumer ainsi : elle ignore d’où elle vient et elle ignore où elle va. Derrière les slogans positivistes nazis se cachait à peu près la même inconscience, le même angélisme triomphant.

    En revanche l’expression de “choc des civilisations” est un abus de langage ; pour qu’il y ait choc des civilisations, encore faut-il qu’il y ait “civilisations” ; or si l’islam est une civilisation, elle est archaïsante ; et la démocratie yankie n’est pas une civilisation mais la négation de ce qui fait la civilisation, la négation de l’élan. Examinons la flèche de l’art, plus visible encore que celle de la science. Ce n’est que de façon marginale que l’art émerge aux Etats-Unis. Ezra Pound, isolé dans cette nef de fous, réfugié poétique en Italie, eh bien les Yankis n’ont rien trouvé de mieux que de le traiter comme un alien.

    Mais le cinéma, l’architecture, l’art contemporain yankis, sont d’abord mûs par la volonté de propagande commerciale ou morale. Le procédé cinématographique n’a pas été inventé par les Yankis, mais ils en ont fait la plus grande entreprise iconoclaste, la plus légère industrie de destruction de l’imagination jamais conçue.

    *

    Pour emprunter à la cinétique, il n’y a pas téléscopage mais simple friction entre l’islam et le capitalisme, entre deux modèles sociaux inertes. La concurrence se joue au-dessous de la ceinture.
    L’islam est un moralisme qui nie la valeur morale du régime démocratique yanki ; et le régime démocratique yanki se fonde sur un moralisme tout aussi fanatique pour dénier toute valeur morale (actuelle) à l’islam.
    Pour prolonger le parallélisme : idéologiquement l’islam nie toute forme d’évolution, politique autant que biologique ; mais le capitalisme nie aussi l’évolution, de façon plus sournoise, en s’affirmant comme le terminus de l’évolution politique ; pour ce qui est de l’évolution biologique, la société civile yankie l’affirme, mais elle n’a pas de sens, elle n’est anticipatrice de rien en dehors des films de science-fiction de S. Spielberg. Fatalisme contre relativisme, refus d’embrayer contre débrayage.
    Quel régime illustre mieux l’harmonie entre le capitalisme et l’islam que le régime saoudien, qui superpose le capitalisme le plus radical à l’islamisme le plus fanatique et qui a produit Ben Laden ? Pour viser Manhattan et le Pentagone, pour comprendre aussi bien les Etats-Unis, il fallait être Saoudien. La foi dans les mathématiques et la géométrie des musulmans et des Yankis, c’est le point de tangence. On peut anticiper l’absorption de l'islam dans le capitalisme (Houellebecq), aussi bien qu'on peut prévoir l'absorption des Etats-Unis par l’islam.

    *

    Bien sûr il y a des électrons libres, des personnalités intermédiaires. Ainsi Tariq Ramadan.
    Ce que je vais dire est sans doute excessivement théorique pour une fois, mais tant pis. Après tout l’intuition est le sixième sens de l’Occident.
    Je postule l’amour de Tariq Ramadan pour Voltaire. Dans ce cas ce théologien comprend mieux Voltaire que la Sorbonne nouvelle ne l’explique.
    Car Voltaire se situe exactement à la charnière, entre le fanatisme exprimé par Pangloss et la honte du fanatisme exprimée par Candide. Voltaire oscille entre ces deux pôles. On pourrait presque dire : c’est un fanatique, un positiviste honteux, ou un faux fataliste. Du voyage initiatique de Voltaire à celui de Céline, il n’y a d’ailleurs qu’un style qui tient à quelques bains de sang.
    Céline est un faux nihiliste lui aussi, nul besoin d’être un grand psychologue pour le deviner. Le Voyage de Céline est une transposition populaire de voyage de Candide. Bien au-dessus des guides touristiques Chateaubriand ou Proust. Si Ramadan était vraiment byzantin, c’est la littérature de Proust qu’il devrait citer, pas celle de Voltaire.
    Comme l’oscillation de Voltaire est aussi un branle, un mouvement libre, aspiré par cette pente occidentale, vers quoi Tariq Ramadan peut-il évoluer sinon vers un islamisme radicalement différent de l’islamisme fondamental ? Mais ceci est une autre histoire.

  • Pour un art communiste

    Ce qui frappe d’emblée le profane chez Marx, à condition d’aborder ce pan plus discret, c’est la pertinence de sa critique littéraire. Le contraire d’un gugusse foutraque comme Sollers dont les seules lumières consistent à braquer les projecteurs sur sa rotonde personnalité et sa prose éthique (L’éthique du bourgeois est une enflure).
    Il faut ranger un tel fumiste du côté de l’obscurantisme romantique. Au moins Edern-Hallier avait ce geste classique de trier le bon grain de l’ivraie avec solennité, d’appeler un écrivain un écrivain et un maquignon un maquignon.
    Ainsi Marx résout la contradiction apparente entre un Rousseau “positiviste” et un Rousseau “païen”.
    Pour comprendre la façon dont le marxisme s’articule avec la Révolution française, d’ailleurs, la meilleure façon est sans doute de passer par la critique littéraire de Marx.
    Energique contempteur de la religion des Droits de l’homme, Marx a une façon d'envisager Rousseau ou Voltaire beaucoup plus nuancée. Candide, c'est "voyage au bout de la bourgeoisie".
    Pour Marx, Voltaire est fourvoyé dans une impasse, mais il est aussi le premier à s’en rendre compte, c’est-à-dire à explorer cette impasse. Chateaubriand, lui, n’est qu’un menteur, un fuyard. Tous les efforts de la critique bourgeoise consistent d’ailleurs à tenter de justifier les mensonges de Chateaubriand par des sophismes tels que : “Un artiste est forcément un menteur”. Non, l’artiste bourgeois est forcément un menteur : nuance.

    *

    Un autre aspect positif de Marx, c’est qu’il s’abstient de parler de peinture. La critique, qui contraste avec le journalisme, consiste aussi à ça. Marx est un esprit beaucoup trop “renaissant” pour broder sur des métiers qu’il ne connaît pas. Le contraste est saisissant avec Diderot, dont l’ignorance encyclopédique des tenants et des aboutissants de cet art solide, ne l’empêche pas de pisser des litres de copie afin de divertir la bourgeoisie.
    La différence entre Baudelaire et Diderot, c’est qu’au moins le premier fait des efforts pour comprendre, même s’il y a des contradictions chez Baudelaire, à commencer par son ami Delacroix, pas d’accord sur tout.
    Degas se mettait en rogne dès que Paul Valéry s’avisait de causer de peinture. Que resterait-il de Paul Valéry, si on le passait au tamis ?
    Et même Claudel s’est compromis à ce genre-là.

    Proust, cet imbécile heureux, ni critique ni peintre, n’hésite pas à s’en prendre carrément à Fromentin, critique et peintre. Comme si Sainte-Beuve ne suffisait pas ! On a parfois l’image exclusive du Philistin en bras de chemise qui pue la sueur et réside forcément dans un cul de basse-fosse. Proust est la version gazeuse et parfumée - démocratique - du Philistin. Ni images ni critères chez Proust, mais des stimuli et de la pataphysique. Le principe de “lire pour lire” ne dérange pas le bourgeois qui a l’éternité devant lui. Chirurgie esthétique, psychanalyse et euthanasie ne sont là que pour corriger les mensonges de la réalité, le temps, le progrès et la mort.

    *

    Reste à vaincre un léger paradoxe. Si Marx a l’honnêteté de ne pas parler de peinture, cet art n’en est pas moins l’art communiste par excellence. De fait c’est le plus populaire, celui qui permet la meilleure communication. C’est en tant qu’iconoclaste que le régime soviétique condamne Malévitch ; c’est tout à son honneur.
    Il faut prendre “populaire” dans le bon sens. Céline est un auteur “populaire”. Ne sont pas “populaires” Johnatan Littell, Harry Potter ou Simenon, au seul prétexte qu’ils sont faciles et bâclés.

    Tout ce qui relève en général presque exclusivement du procédé mécanique : le cinéma, la photographie, les romans d’Agatha Christie, ne relève pas de l’art populaire, ni de l’art du tout.

  • L'aveu

    Tandis que je consulte la Critique de l'Etat hégélien de Karl Marx introduite par Kostas Papaioannou en 10/18, mon téléviseur continue d'émettre derrière.

    Même s'il majore l'athéisme de Marx, tic fréquent, ce Papaioannou n'est pas mal. Le marxisme en France a beaucoup souffert d'être tombé entre les mains des philosophes. C'est ce qui explique en partie qu'il se résume aujourd'hui à une vague sociologie post-soixante-huitarde : Machin-truc Badiou.

    Mai 68 n'a pas porté atteinte aux valeurs chrétiennes, déjà éteintes et qui ne survivaient sous De Gaulle qu'à l'état de folklore. Mai 68 n'a pas porté atteinte aux valeurs bourgeoises non plus, qui ne se sont jamais aussi bien portées que depuis. C'est bien Marx qui a pâti le plus de Mai 68. Ce ne sont pas les réactionnaires qui ont eu la peau de Marx, mais bien les sociaux-traîtres, étudiants travestis en révolutionnaires, bourgeois travestis en bobos, trotskiste travesti en Premier ministre.

    *

    ... Quand une bonne femme dans un documentaire attire mon attention : elle vient de dire face à la caméra timidement : "La vérité, souvent, fait peur aux femmes..." Nom d'un chien, ça faisait au moins dix ans que je n'avais pas entendu une parole sincère de femme ! Le trait me frappe tellement que j'en oublie tout le reste, je ne sais même plus sur quoi porte le reportage... la chirurgie esthétique, peut-être ? Bien sûr une femme qui ose un lieu commun plein de bon sens comme celui-là, une critique qui est aussi une autocritique, elle s'élève au-dessus de ses semblables, acharnées bien souvent à étouffer la vérité sous le poids des conventions de toutes sortes, le corset, l'orthographe, la capote, etc.

    Le sexe de l'homme effraie la bourgeoise contemporaine qui veut fuir sa condition féminine, son destin de mère. Le sexe de l'homme devient une vérité concrète dont il faut se préserver d'une manière ou d'une autre. Une vérité solide, lancée par surprise à la tête d'une femme peut lui faire perdre la tête, ne serait-ce que momentanément, comme je l'ai expérimenté : pâmoison ou crise d'hystérie.

    Bien sûr il n'y a pas que la femme qui a peur de la Vérité. La démocratie aussi hait la vérité de toute sa force institutionnelle et de toute la culture de sa société civile, l'enfouit sous des tonnes d'hypocrisie, de propagande, d'interdits, de cinéma, de syllogismes, de traités de philosophie aussi emmerdants que divertissants, de football et de poker.

    *

    Dans La critique de l'Etat hégélien tout est dit de l'interaction entre la société civile et l'Etat bourgeois modernes, d'où découlent la morale bourgeoise, la mystique laïque, le nationalisme et l'athéisme d'Etat. Le démocrate qui n'est pas strictement laïc, nationaliste et athée, mais aussi chrétien, ou communiste, voire déiste ou sataniste, le démocrate dont la morale est altérée par rapport au schéma directeur fait simplement preuve de nostalgie, de son attachement à ce qui fut, dans l'"ancien régime" ou à des périodes instables, un élément de la "culture populaire".

    Le Dieu de la société civile laïque n'est pas un Dieu transcendant, mais immanent. Aussi s'incarne-t-il beaucoup mieux dans la démocratie libérale que dans un homme providentiel, tel que De Gaulle ou Napoléon III ont pu apparaître.

    La nostalgie envahit le bourgeois qui ne croit pas à la Vérité, surtout à la veille de crever, aussi sûrement qu'une femme se penche sur ses jeunes années avec nostalgie dès que les premières rides commencent à chagriner sa peau.

    On peut dire en quelque sorte en 2008 que tout vire à la nostalgie. En clair : ça pue déjà le cadavre, comme ces petits vieux qui ne sont pas encore morts mais presque lorsqu'ils lèvent les bras.

     

  • Itinéraire bis

    Je ne peux pas m’empêcher de considérer le régime démocratique actuel comme un régime “féminin”. Non pas parce qu’il est plus égalitaire et favorable aux femmes ; de ce point de vue, je ne crois pas que les femmes sont plus dupes du féminisme que les afro-américains ne se font d’illusions sur la véritable nature de l’antiracisme. Mais, plus profondément, parce que la démocratie est un moralisme et un sécularisme. La démocratie est un régime anachronique, archaïsant.

    Les idées qui sous-tendent la démocratie, comme la “fin de l’histoire” ou l’existentialisme, l’évolutionnisme, sont des idées typiquement antiscientifiques. On a l’habitude de définir Nitche, approximativement, comme un philosophe néo-païen assez hétéroclite. C’est d’abord une femme sentimentale. Si on se penchait sur l’éducation que les penseurs existentialistes ont reçue, de Pascal à Proust en passant par Kierkegaard, Freud, Nitche - peut-être faut-il ajouter à la liste saint Augustin et Benoît XVI -, je ne serais pas plus étonné que ça si on découvrait le rôle prépondérant et abusif joué par leurs mères.

    *

    Bien sûr il y a des exceptions, des femmes révolutionnaires. Simone Weil est le plus bel exemple contemporain qu’on puisse citer, de femme profondément attachée à la science, à l’histoire, à la politique. Née dans un milieu socialiste bourgeois très patriotique, elle a rapidement évolué vers le communisme, puis du communisme vers le christianisme. On peut regretter qu’elle ait alors été confrontée à des interlocuteurs jansénistes, les pères Couturier et Perrin, ou Gustave Thibon.
    Pourquoi Simone Weil a-t-elle hésité à demander le baptême chrétien ? L’explication est ici : le scepticisme chrétien qu’elle rencontre la laisse sceptique, elle qui aime tant la logique.
    La critique de Pascal par Simone Weil est d’ailleurs radicale. Simone Weil a compris que chez Pascal la foi est de l’ordre de l’autosuggestion (comme l’athéisme de Diderot, au passage).

    Ce n’est sûrement pas l’attachement de Simone Weil à ses racines juives qui l’a fait reculer, comme Bergson. Simone Weil n’écrit-elle pas qu’“Il faudrait purger le christianisme de l’héritage d’Israël.”

    Ce genre de déclaration situe la théologie de Simone Weil à l’opposé de celle de Mgr Lustiger, dans laquelle Jésus finit par n’être plus qu’une sorte de prophète judéo-chrétien.
    On comprend aussi pourquoi les curés démocrates-chrétiens préfèrent citer Nitche dans leurs sermons plutôt que Simone Weil ; ils risqueraient de réveiller leurs auditoires qui préfèrent attendre que la grâce leur tombe du ciel comme les tables de la Loi. Simone Weil est aussi politiquement incorrecte qu’Edith Stein et Jeanne Arendt sont insipides.

    *

    L’antigaullisme de Simone Weil est aussi particulièrement inconvenant à une époque où même les anciens soixante-huitards y vont de leur petite génuflexion au pied de la statue du Général.

    Dans un entretien avec M. Muggeridge de la BBC en 1973 (paru dans la revue Sud, 1990), André Weil, le frère aîné de Simone, fournit des détails sur cet antigaullisme :
    « (…) ce qu’elle détestait par-dessus tout [chez les gaullistes de Londres] était leur intolérance absolue à l’égard de ceux qu’ils appelaient les “collaborateurs” : nombre de ces prétendus collaborateurs étaient des gens parfaitement honnêtes et fréquentables qui faisaient ce qu’ils pouvaient en des circonstances difficiles.
    En fait, ma sœur mentionne dans une lettre qui a été publiée, que les gaullistes la qualifiaient de “pétainiste”, et vice-versa. Il était fatal qu’elle fût en mauvais terme avec presque tout le monde - elle en avait une vieille habitude. Tous la considéraient comme une vieille ennemie car elle les perçait à jour très vite. »

    On imagine le scandale que provoqueraient les propos d’André Weil aujourd’hui, après trente-cinq ans de “progrès démocratique”, s’ils étaient tenus dans un grand média comme la BBC. Difficile de donner des leçons de liberté aux Chinois dans ces conditions.

  • Contre Proust

    Marx n'aimait pas Chateaubriand, qu'il situe justement entre Voltaire et le romantisme dégoulinant de sentiments. Il aurait détesté Proust.

    Proust anticipe en effet cette véritable haine du bourgeois pour la critique et son adoration symétrique de la philosophie, véritable "procès" de justification. La seule fois de son existence bourgeoise où Proust a du nerf, il attaque Sainte-Beuve, qui incarne la critique.

    L'archaïsme vendu pour de la modernité, le vieux vendu pour du neuf, c'est tout Proust et le régime bourgeois libéral à la fois.

    En outre, la critique bourgeoise traduit le principe selon lequel "On ne fait pas d'art avec de bons sentiments", appliqué par Barbey, en : "Seul un menteur ou un hypocrite peut faire un bon artiste."

    Je confesse ce péché de jeunesse qu'étant lycéen j'ai aimé lire Proust. Deux ou trois cent pages, pas plus. C'était pour moi alors comme de la "confiture de groseilles", preuve que j'avais quand même conscience du côté fade et écœurant de Proust. Et puis j'étais fasciné par l'habileté de Proust à dévider sa grosse pelote de phrases ; une dextérité de tapissier persan. Désormais, tant qu'à prendre, je préfère une belle carpette à Proust.

    "Dante et Shakespeare sont soucieux, vraiment très soucieux de la morale et de la justice économique. Les écrivains purement sensuels et dilettantes ne s'en soucient pas du tout. Tout ce souci de la morale donne une dimension à l'oeuvre des premiers. Dimension qui distingue la grande littérature, la littérature profonde, de la décadence."

    Ce critère n'est pas de Marx mais de Pound (In : "Broletto", n°36), qui perpétue miraculeusement le combat humaniste de Marx. "Miraculeusement" vu qu'Ezra Pound est natif de l'Idaho.

  • Croisade moderne

    Le comble de la bêtise haineuse dirigée contre les musulmans a été atteint par Robert Redeker à la Une du Figaro. Rien d’étonnant lorsqu’on sait que cette pelure est actionnée en sous-main par un marchand d’armes pro-américain qui, en tant que marchand d’armes, est tout sauf intéressé à la paix.
    Il paraît que les avions Dassault sont même si mal fichus qu’il faudrait au moins un guerre nucléaire mondiale pour décider la clientèle potentielle à en acheter.

    *

    Mais Redeker n’est qu’un pion, un petit hussard laïc sans raisonnement. Plus sophistiqués sont les arguments du professeur Alain Besançon pour tenter de diminuer l’islam aux yeux du public chrétien de France ; ces arguments ont été publiés récemment dans la revue démocrate-chrétienne libérale Commentaire (Les rares démocrates-chrétiens dotés d’une cervelle lisent cette revue, tandis que les autres se contentent du Figaro ou du Monde comme pain quotidien.)

    Besançon part d’une typologie élaborée par le concile de Vatican II dans le cadre de sa doctrine œcuménique.
    De manière spécieuse, cette typologie fait de la religion juive la religion la plus proche du catholicisme. Ça n’a pas beaucoup de sens. Il suffit de lire les Actes des apôtres pour se rendre compte de la très vive opposition d’une partie des Juifs au christianisme, allant jusqu’à la lapidation de saint Paul (s’adressant aux Juifs : « Prenez donc garde qu’il ne vous arrive ce qui est dit dans les Prophètes : Voyez, contempteurs, soyez étonné et disparaissez, parce que je vais faire en vos jours une œuvre, une œuvre que vous ne croirez pas si on vous la raconte. » Actes XIII, 41.)
    Le Concile de Vatican II a pris la responsabilité d’occulter cette opposition entre Juifs et chrétiens et la mise en garde de Paul (soulignée contre vents et torrents de boue par L. Bloy), mais la gnose du concile est rien moins que discutable.
    L’Ancien Testament est bien sûr la matrice du christianisme, mais pour que le judaïsme et le christianisme soient des religions “sœurs”, il faudrait que les Israélites eux-mêmes reconnaissent l’Ancien Testament comme la matrice du Nouveau, et cela ne se peut sans que les Juifs deviennent chrétiens.

    Rien d’étonnant à ce que Besançon confirme Vatican II sur ce point. En revanche, il infirme le rapprochement opéré par Vatican II entre le catholicisme et l’islam, musulmans et catholiques ayant au moins Abraham, Jésus et Marie en partage.
    Pour Besançon l’opposition est plus radicale entre l’islam et le catholicisme où “les attitudes physiques de l’adoration” ont presque disparu.
    Une remarque significative des idées d’Alain Besançon : « Pour l’islam (…) Dieu est évident. Son existence se constate dans l’ordre du monde sans qu’il soit besoin d’un raisonnement supplémentaire. Il est aussi évident que le soleil dans le ciel bleu. »
    Drôle de prise de position ! Besançon n’a pas l’air de savoir que pour saint Augustin comme pour Duns Scot, Roger Bacon, Francis Bacon, Léonard, Newton, Baudelaire, Bloy, Claudel, pour citer quelques catholiques éminents, Dieu est aussi évident que le soleil dans le ciel bleu ; ainsi que pour beaucoup d’autres encore moins éminents.
    On comprend mieux l’idéologie de Besançon avec cette autre définition. « Dans l’esprit du christianisme, on ne connaît le vrai Dieu que si l’on entre dans les voies par lesquelles il s’est fait connaître. » En effet, si cette phrase ne veut rien dire de très précis, on y reconnaît la mentalité protestante ou démocrate-chrétienne pour qui Dieu est une sorte de quête spirituelle, une sorte d’approfondissement de la foi en Dieu (qui n’est pas évidente au départ).

    Par conséquent on voit que si le parti de Besançon est moins brutal, celui-ci passe par les mêmes raccourcis peu orthodoxes que son corréligionnaire Redeker.

    *

    Mais le plus intéressant est ailleurs. La seule remarque vraiment réaliste de Besançon, c’est que l’indifférence en matière de religion est aujourd’hui en Europe un fait majeur, que les musulmans, les juifs et les chrétiens pratiquants ne représentent qu’un très faible pourcentage de la population. Pour une fois Besançon est à peu près objectif.
    Mais une autre évidence corrélative que Besançon se garde de relever, c’est que la prétendue “indifférence religieuse” n’en est pas une. Il n’est que de voir le fanatisme des autorités laïques à combattre toutes les religions qui ne relèvent pas des autorités laïques, pour comprendre cette ferveur laïque. On pourrait citer cinquante grands-prêtres de cette religion, occupant de hautes responsabilités, et leurs dogmes laïcs, sans peine.
    Et c’est ça qui est intéressant. Pourquoi les démocrates-chrétiens comme Besançon, qui prétendent à un peu de subtilité, refusent-ils de reconnaître le caractère religieux manifeste du régime laïc ? Si réel que certains athéologiens comme Feuerbach le démontrent positivement, et que d’autres comme Diderot ou Nitche, l’incarnent ? (Feuerbach est le Thomas d’Aquin de la religion laïque, et Nitche son Augustin.)
    La réponse est simple. Tous les savants sophismes de Besançon ne servent qu’à masquer cette réalité religieuse laïque, car il n’est pas bien difficile ensuite de comprendre que si le républicanisme est une religion, la démocratie-chrétienne n’est qu’une secte à l’intérieur de cette religion.
    Un exemple frappant d’adaptation de la morale démocrate-chrétienne à la morale laïque, c’est le consensus quasi-général des évêques de France sur l’avortement. Ou encore cette injonction du cardinal Barbarin (le bien nommé), faisant du fait de voter un devoir chrétien, et par conséquent du fait de ne pas voter un péché.

    Aux démocrates-chrétiens laïcards comme Redeker ou Besançon, à Mgr Barbarin, musulmans comme chrétiens orthodoxes peuvent opposer le passage des Psaumes juifs où il est dit que “les dieux des nations sont des démons” puisque ceux-ci sont férus d’Ancien Testament.

  • La vierge et la putain

    Je lis dans un magazine littéraire à se torcher l’affirmation comme quoi Drieu La Rochelle ne fréquentait que des prostituées. Il ne fantasmait, selon le criticule de service, que sur les vierges ou les putains.
    Il ne suffit pas à la critique contemporaine de porter aux nues des niaiseries préfabriquées, il faut encore qu’elle enfonce les écrivains déjà traînés dans la boue par la rumeur médiatique, pour faire voir ses muscles.

    En publiant les carnets intimes de Drieu, ses frasques, le but est double : faire du pognon et contribuer à la morale laïque qui met Drieu à l’index. Je regrette les dictatures où on brûle OSTENSIBLEMENT les livres.

    Rectifions les propos du baveux, faute de pouvoir le rectifier lui-même. Drieu désirait vivement être père ; mais il n’a pas pu. Avec les meilleures excuses du monde, que je suis bien placé pour comprendre.
    Que Drieu lui-même fût un bourgeois, il l’a reconnu, pour mieux rejeter ses vieux oripeaux et apostasier la bourgeoisie et ses valeurs, plus nettement que Flaubert ou Sartre. Drieu explique même dans son Journal que c’est son éducation bourgeoise qui l’a poussé à se faire des illusions sur l’Allemagne nazie, avant de se rapprocher du communisme à la veille de mourir. L’inverse de BHL, en somme, qui ne vomit les nazis que pour mieux lécher le cul des nantis Yankis, nazis mous qui misent sur leurs seules forces spéculatives.

    *

    “Vierge ou putain”, parlons-en, puisque c’est le paradigme de la libido bourgeoise. À tel point que la mode consiste désormais pour une gonzesse d’un milieu bourgeois - ou qui s’en inspire -, à se saper comme une pute tout en arborant des airs de pucelle inabordable et en pratiquant une sexualité de gastéropode.
    Vingt-neuf ans, c’est l’âge moyen pour une femme de son premier moutard ! Ce chiffre en dit long à lui seul sur le puritanisme bourgeois…
    On a beau justifier ce retard par le désir de la femme de se cultiver, de “mener sa vie”, d’achever ses études, personne n’est vraiment dupe en dehors des lectrices de magazines féminins ; un petit tour dans un quartier à femmes de la capitale permet de constater qu’on est assez loin de la joie de vivre exubérante et de l’épanouissement sexuel des films publicitaires. Tout au plus relève-t-on une certaine excitation hormonale en période de soldes.
    La propagande de l’épanouissement sexuel est un vaste foutage de gueule conçu par des agences de pub.
    La bobo-type, “Rive-gauche”, androgyne, récurée jusqu’aux amygdales, est tout ce qu’il y a de plus antisexuelle, un vrai “tue-l’amour”, à moins d’aimer le faire avec une savonnette ou un tube de dentifrice - ou de chercher à marier une gosse de riche pour s’affranchir de l’angoisse du lendemain, comme Drieu fit.
    La consommation de produits dopants et de substances “désinhibantes” en tous genres n’a d’ailleurs jamais été aussi forte.

    Dans ce contexte, la mère de famille nombreuse fait office de repoussoir. On souligne combien de fois elle a dû se priver du plaisir de faire l’amour sans capote ou sans stérilet pour en arriver là ! Son statut n’est guère plus enviable que celui d’une prostituée. Comme celle-ci on la soupçonne d’être trop fourrée avec le sexe masculin, sous sa coupe. Dans Plus belle la vie !, pas de mère de famille nombreuse : c’est incompatible avec un certain niveau existentiel. Lorsqu’on réserve un rôle à la mère de famille, c’est un rôle de comique.
    Dans le même temps qu’il proclame sa supériorité sur tous les autres régimes, le régime bourgeois se suicide doucettement.

    *

    Encore une fois, Drieu n’était pas si pervers que ça. Il fréquentait des putes professionnelles, tout ce qu’il y a de plus normales, avec des seins “gonflés comme des grains de raisin”, et parfois des mères de famille délaissées, faute d’aristocrates. On l’imagine mal exhibant sa bourgeoise dans un cabaret pour se faire reluire, comme c’est la tendance chez certains grands bourgeois maintenant.

  • Kritik der Kritik

    L’épaisse fiction de Johnatan Littell n’a pas bénéficié en Allemagne de l’accueil révérencieux que la critique en France lui réserva. Les Bienveillantes a été classé “Gestaporn-Roman” Outre-Rhin. Ça veut-il dire que la critique allemande est plus sérieuse et moins dépendante des lois de la grande distribution ?
    Ou alors est-ce que les Allemands ont été vexés par la caricature de l’officier allemand en homosexuel dépravé ? De ce point de vue-là, il est certain que les Yankis, qui ont créé dans certaines villes de véritables ghettos pour pédés, sont mal placés pour donner des leçons aux nazis. Trier les êtres humains en fonction de leur religion, comme les nazis ont fait, au moins c’est un critère politique qui respecte le choix de l’individu ; les trier en fonction de critères raciaux, ou de leurs goûts sexuels (!), comme font les Yankis, c’est de la barbarie.
    On pourrait imaginer un quartier pour sado-masos, avec des passages cloutés mais pas trop, histoire de se faire renverser de temps en temps. Ce n’est pas la brutalité ou la méchanceté qui caractérise la barbarie, mais la bêtise profonde.

    *

    Du reste on devine que c’est le puritanisme de Littell qui l’a poussé à faire endosser la dépravation et la cruauté à un homosexuel. Or, d’où vient le puritanisme yanki, si ce n’est une importation d’Europe de l’Est et d’Europe centrale, d’Allemagne ?
    Gérard Schröder, en s’opposant à l’envoi de troupes allemandes en Irak a amorcé un mouvement d’émancipation de la tutelle yankie, qui était particulièrement tenace dans le domaine de la politique étrangère et de la culture.
    L’agacement de la classe politique allemande vis-à-vis de Sarkozy est au moins pour partie due aux mêmes motifs. Au moment où l’entente franco-allemande semble pouvoir enfin se concrétiser autrement que par des accords commerciaux, Sarkozy renverse les alliances et fait désormais pencher la France du côté des Anglo-saxons.

    *

    Mais la principale raison de la divergence de jugement sur Les Bienveillantes entre Français et Allemands n’est pas là. Autant le nazisme est tabou en Allemagne où il vaut mieux ne plus en parler, ni en bien ça va de soi, ni en mal, autant le nazisme fascine toujours les Français.
    Quel écrivain, de Robert Merle au pitoyable Moix, quel cinéaste n’a pas fait son beurre sur les nazis ? Comme au XIXe siècle de véritables écrivains se passionnèrent pour Napoléon.
    Je ne me suis pas livré à un calcul, mais je suis prêt à prendre le pari qu’il n’y a pas un jour où un film ayant trait à l’Allemagne nazie n’est diffusé sur une chaîne de télévision française. Spécialement sur “Arte”, paradoxalement censée contribuer au réchauffement des relations franco-allemandes. “L’Europe sera sado-masochiste ou ne sera pas”, telle pourrait être la devise d’“Arte”.

    *

    Ce qui ne colle pas dans la propagande de Littell, Claude Lanzmann l’a très bien compris et réservé d’abord un accueil glacial à Littell, ce n’est pas tant que son héros soit homosexuel, le hic c’est qu’il est “cultivé”.
    En effet, dans le raisonnement laïc français, qui était déjà celui des nazis, plus on est cultivé moins on est barbare. Or on n’imagine pas un officier de l’armée yankie aujourd’hui s’intéresser à Picasso, à Sartre ou à Céline, comme certains officiers nazis naguère. A vrai dire il m’est arrivé de fréquenter un certain nombre d’officiers français au cours de mes études et eux-mêmes étaient plus passionnés de billard ou d’automobile que de littérature ou d’art. Lorsqu’ils lisaient, c’étaient des romans à deux balles, comme la critique du Figaro ou de Libé en recommande chaque semaine.

    Cette faille logique, l’esprit cartésien de Claude Lanzmann l’a détectée immédiatement.
    Sans compter l’esprit religieux dogmatique de Lanzmann. Un dogme c’est comme une planche, s’il y a un nœud au milieu elle finira par se fendre ; qu’on comprenne bien : “Le soldat nazi est et demeurera à jamais la brute sanguinaire la plus terrible.” Pour lui on est même allé jusqu’à inventer la rétroactivité des lois, qui ne s’applique pas à un Dutroux ou un Fourniret. Si vous commencez à entrer dans le détail du dogme, à prétendre que ces types-là étaient des salauds, certes, mais des salauds cultivés, bizarrement, c’en est fini, le doute s’installe et la planche éclate.
    Littell n’a pas du tout pigé cette dimension religieuse. Qui plus est, et ça n’a rien de “freudien”, Littell était persuadé d’écrire un roman historique, sans se rendre compte que sa production est de l’ordre de la propagande, qu’elle n’ajoute rien à l’histoire ni au style.
    C’est le même principe pour Wikipédia. On rédige une note scientifique pompée plus ou moins dans une encyclopédie et on est persuadé de faire de la science.

    *

    Enfin, il faut faire la part de la critique et du succès commercial d’un bouquin. Après avoir vu les Français se précipiter à Noël avec ferveur sur le pavé de Littell, quelques mois plus tard je tombai sur le blogue d’une blogueuse cultivée. La demoiselle désespérait de rencontrer enfin quelqu’un qui ait lu en entier, ou au moins la moitié des Bienveillantes, pour en causer ensemble. Probable que les lecteurs des Bienveillantes sont trop cultivés pour rédiger un blogue.

  • Triste Tropisme

    Deux manières de comprendre le roman populaire de Pierre Boulle, La Planète des singes. Au premier degré, on peut le prendre pour un roman de science-fiction évolutionniste. Dans ce cas il faut plutôt le rattacher à Lamarck qu’à Darwin, étant donné que Lamarck postule le premier l’hérédité des caractères acquis, c’est-à-dire une évolution dépendante de critères sociaux ou politiques, qui amène chez Boulle les singes à se raffiner.
    L’hérédité des caractères acquis est aussi chez Darwin, pour la simple raison qu’il emprunte largement le principal de sa théorie à Lamarck ; mais les néo-darwiniens, en revanche, ont abandonné l’hypothèse lamarckienne d’hérédité des caractères acquis. Et ce n’est pas un hasard.

    À y regarder de plus près, Pierre Boulle, lui, contrairement à Darwin, postule plutôt l’idée d’une régression de l’homme vers le singe. Une hypothèse plus séduisante de mon point de vue créationniste. Je tiens Finkielkraut ou François de Closets, par exemple, pour des prototypes d’hommes-primates. Ils gesticulent, leurs jambes s’agitent, leurs mains tournoient, fouillent à la recherche d’un pou ; Surtout, ils émettent des sons mais ils ne disent rien. Si la fonction crée l’organe, comme croient certains, bientôt ils ne parleront plus.
    Plus rationnellement, il faut faire le distinguo entre la politique-fiction d’un côté - Pierre Boulle -, et la science-fiction - Darwin, de l’autre.
    La vertu de ce roman, La Planète des Singes, c’est qu’il révèle le caractère anthropomorphique de la prétendue “science” darwinienne.
    Quand un créationniste yanki attaque l’évolutionnisme, il le fait au nom de la religion, de la Bible. Un créationniste français, lui, c’est au nom de la SCIENCE qu’il attaque les superstitions néo-darwiniennes (Le démocrate-chrétien, lui, ne dit rien, il subit, se contentant de vagues discours moraux.)

    *

    Pour comprendre que le néo-darwinisme n’est pas une science mais une religion, pour être plus précis un “moralisme”, ça demande juste un peu de bonne foi et un peu de liberté. Un effort pas si bénin par les temps qui courent.
    Un moyen de preuve simple, c’est de feuilleter un bouquin de l’évolutionniste Pascal Picq : on constatera qu’il n’est pas question de science mais de morale laïque.
    En gros l'évolutionnisme néo-darwinien remplit dans la religion laïque la fonction des mythes grecs, de L’Illiade et de L’Odyssée dans la religion païenne gréco-romaine.
    La preuve ? La preuve c’est que les créationnistes yankis et les évolutionnistes du monde entier se livrent une guerre de religions. Sur l’hypothèse scientifique, les créationnistes yankis et les évolutionnistes sont d’accord. C’est sur le mythe qu’ils divergent. Pour les néo-darwiniens, il n’y a pas de finalité, tandis que pour les créationnistes protestants, il y en a une, mais les uns comme les autres sont incapables d’apporter la preuve de ce qu’ils avancent. Même l’hypothèse de l’hérédité des caractères acquis de la science lamarckienne n’est pas infirmée par les hypothèses néo-darwiniennes. Il n’est pas prouvé que l’ARN-messager “encode” l’ADN de façon illogique.
    Le rejet de la science lamarckienne par les religieux néo-darwiniens est également probant. Pour le néo-darwinien F. Jacob, la Bible est entachée de lamarckisme (!?).
    On peut même distinguer la religion laïque “jacobine”, son grand-prêtre Richard Dawkins (ou F. Jacob, J. Monod), de la religion laïque “réformée” et son grand-prêtre Stephen J. Gould.
    Si Lamarck est l’héritier du matérialiste Francis Bacon, Darwin est l’héritier de l’idéaliste E. Kant, et les néo-darwiniens de Karl Popper.
    Si l’on prend le cancer au stade de la métastase, c’est-à-dire au “stade Popper”, on touche du doigt le néant scientifique ; à force de superposer des syllogismes, Popper parvient à postuler l’idée de causalité et à nier l’idée de but simultanément, ce qui en fait sans doute un des esprits scientifiques les plus bêtes que l’Occident ait connu. La recherche scientifique, avec Popper, se résout à une morale. “L’important c’est de participer”. Karl Popper est le Pierre de Coubertin de la science.

    *

    Je me permets de faire observer aux esprits vifs qui m’ont suivi jusque-là que la faille de l’épistémologie de Popper, on la retrouve chez le fondateur de la religion laïque, à savoir l’athéologien Ludwig Feuerbach, qui, en même temps qu’il détruit systématiquement la religion protestante réformée, détruit la nouvelle religion laïque athée qu’il pense fonder sur le roc.
    On peut appeler ça “l’effet-miroir”. De mon raisonnement simple découle la supériorité du mythe grec païen sur le mythe néo-païen. Et découle aussi la supériorité de la politique-fiction de Pierre Boulle sur la science-fiction de Darwin. On peut même dire que le boullisme est un humanisme.
    Bien sûr, si vous dites que vous êtes “boulliste” plutôt qu’évolutionniste, ça fera ricaner les bobos autour de vous. Mais, comme on dit, “les singes hurlent, la science passe.”

  • Le Jansénisme pour les Nuls

    A propos du style de saint Augustin : il est certain qu’on n’entendrait plus parler de la théologie de saint Augustin aujourd’hui sans le style si personnel, si vivant, des Confessions, qui fait appel aux sens du lecteur.

    Les admirateurs de saint Augustin : Calvin, Luther, Jansénius, Feuerbach, Lucien Jerphagnon, Joseph Ratzinger, n’auraient-ils pas mieux fait d’écrire à leur tour leurs confessions, comme Rousseau ?

    L’originalité de Rousseau, c’est que de sa position de puritain genevois, sa biblique frayeur des sodomites, des prêtres catholiques, "a fortiori" des prêtres catholiques sodomites (!), il évolue vers une doctrine quasiment “pélagienne” plus conforme au Nouveau testament, dans laquelle le péché n’est plus l’axe primordial. Il fait le chemin de la morale à la politique.
    Au contraire de son ami Denis Diderot, sympathique catholique langrois aimant la bonne chère et boire dans la compagnie de ses amis,
    qui en théorie est un moraliste acharné, allant jusqu’à théoriser un théâtre moral et une peinture morale.
    L’héritier de Pascal au XVIIIe siècle et des jansénistes, c’est Diderot, non pas Rousseau bizarrement.
    Diderot et Pascal ont en outre ceci en commun d’être de piètres scientifiques. Diderot en est resté à la science de Lucrèce, d’où il tire son athéisme. Quant à Pascal, il est en retard sur les découvertes astronomiques. Tous les deux sont fascinés par la géométrie qu’ils assimilent à l’espace. Diderot est considéré généralement comme un “matérialiste”, mais il n’est pas difficile de voir que son matérialisme est en fait un idéalisme. Diderot a le bon goût, de mon point de vue, de proférer ses blasphèmes à l’extérieur de l’Eglise et non à l’intérieur comme Pascal fait.

    Ce sont les communistes français qui ont forgé le mythe de l’emprunt du matérialisme de Marx à Diderot. Alors que le matérialisme de Marx vient de Locke, de Shakespeare, de Balzac.
    Benoît XVI perpétue ce mythe dans son encyclique, alors qu’il n’est pas difficile de comprendre que l’idéalisme cauteleux des penseurs libéraux ne fait que servir de prétexte à la gabegie des bâtards capitalistes qui ne jurent que par le gadget : gadget scientifique, gadget littéraire, gadget moral, gadget politique - c’est là que se situe concrètement le matérialisme, chez ces gens qui n’ouvrent leur gueule que pour parler d’éthique.

  • Stèle païenne

    À vrai dire je connaissais assez mal La Rochefoucauld, seulement à travers les petites anthologies de Marx et du parigo-belge t’Serstevens.
    Et si, de loin, La Rochefoucauld paraît fin, de près il est plus épais. On se lasse assez vite de son aigreur trop systématique. Rivarol est beaucoup plus impertinent et La Fontaine bien meilleur poète.
    Est-il toujours vrai aujourd’hui, pour prendre la plus célèbre des maximes, que l’hypocrisie “rend hommage à la vertu” ?
    L’hypocrisie contemporaine est comme "redoublée" et ne rend plus hommage, bêtement, qu’à elle-même, un réflexe et non plus un calcul.

    L’exemple du clown triste Jacques Attali me vient à l’esprit. On peut l’introduire dans certaines maximes :
    « La fidélité retrouvée à François Mitterrand, dont Jacques Attali ne se sépare plus, n’est qu’une invention de son amour-propre pour attirer la confiance ; c’est un moyen de s’élever au-dessus des autres et de se rendre dépositaire des choses les plus importantes. »

    Invraisemblable Jacques Attali qu’une journaliste félicite dans un cocktail mondain pour les quelques noms prestigieux qui l’entourent, et qui répond, impavide :
    - Et encore, ce n’est que la partie émergée de l’iceberg…

    D’où je déduis cette petite maxime personnelle :
    « L’orgueil est le seul vice qui ne requiert aucune intelligence. »

  • Exotisme

    Aux catholiques et aux communistes attachés à l’idée de science et de progrès vers la vérité s’oppose l’argument païen de l’éternel retour du soleil après la pluie et du printemps après l’hiver. Cette idéologie climatique, horizontale, devrait conduire à l’optimisme et ôter toute angoisse aux païens désormais ultra-majoritaires en Occident (l’idéologie démocrate-chrétienne est très proche du paganisme, l'“américanisme” primaire des démocrates-chrétiens le prouve, qui équivaut à la perte de toute conscience politique et artistique).
    Au lieu de ça, curieusement, le païen est plutôt mélancolique qu’optimiste. Ce qui devrait le rassurer l’inquiète.

    (Au passage j’en profite pour redire l’extrême stupidité de la thèse d’un pseudo prof de lettres, Antoine Compagnon, qui classe les auteurs en deux catégories, “modernes” et “antimodernes”, sans tenir compte de critères politiques assez élémentaires ni de l’évolution de la querelle des anciens et des modernes ; pour qualifier Rousseau, Baudelaire (!), Barbey d’Aurevilly, Céline, d’”antimodernes”, il faudrait démontrer que ces auteurs sont hostiles à l’idée de progrès et non qu’ils sont hostiles à l’idéologie dominante depuis le XIXe siècle. Cette thèse est quasiment “orwellienne”, qui revient à démontrer de manière totalement subjective et amphigourique que tous les écrivains dissidents sont à contresens de l’histoire.)

    *

    Ce qui me frappe en tant que catholique c’est la dégradation de la littérature païenne. Autant La Fontaine, La Rochefoucauld, Diderot, impressionnent par la limpidité de leurs styles et leurs saillies, autant les auteurs païens plus récents craquent sous la dent comme une viande trop cuite. Je ne parle même pas de Nitche, qui me fait penser à ces cocktails improbables qu’on sert dans les bars américains ! Paul Valéry, il préfigure Finkielkraut, on a envie de lui botter les fesses ; Cioran fait vite l’effet d’un rabâchage ; la mélancolie, c’est comme un chewing-gum, on ne la mâche pas deux fois. Tant qu’à traduire les moralistes français, autant les traduire en roumain.
    Le cas de Céline est un peu à part, vu qu’il est à la fois païen, communiste, nazi, anarchiste et “bloyen”, c’est sans doute en partie ce qui fait sa force.

    Un tournant dans la mentalité païenne, c’est Darwin. L’amalgame entre l’idéologie climatique horizontale et l’évolution verticale de Darwin. C’est ce qui rend Nitche aussi bouffon, il ne sait pas sur quel pied danser ce Bacchus de salon de thé. Même le matérialisme de Diderot, emprunté à Lucrèce, coïncide mieux avec l’idée de cycle. En somme c’est l’idée de hasard, d’imprévu, à laquelle les néo-darwiniens sont revenus, après l’effondrement de la théorie de Darwin.
    On comprend pourquoi le vieux paganisme bénéficiait de l’indulgence des autorités catholiques, ainsi que de Marx.
    Benoît XVI ne devrait faire aucune concession, en revanche, au paganisme contemporain, complètement délirant et dépourvu de poésie. Lorsqu’un membre est gangrené, on le coupe, comme le figuier qui ne donne pas de figues.
    Je me sens de plus en plus isolé au milieu des païens, étranger dans mon propre pays, et parfois je rêve, comme Bernanos, d’exil en Amérique du Sud, à Cuba, ou en Afghanistan au milieu des Talibans, ou bien à Moscou où l’avenir est peut-être en train de se jouer.

  • Un critique sinon rien

    Un lieu commun qui circule dans le milieu douteux des critiques littéraires dotés d’une carte de presse et qui s’en servent pour aller au cinéma le dimanche, c’est que Philippe Sollers, comme romancier, la cause est entendue, ne vaut pas tripette… mais gare à la sagacité du critique Sollers ! Il sait même le latin, figurez-vous. Tiens donc, se pourrait-il qu’un romancier qui cache l’inconsistance de ses intrigues derrière la graisse d’une syntaxe et d’un vocabulaire rococo-bling-bling fasse un bon critique, après tout ? Comme je n’ai jamais entendu Sollers parler de littérature sur un plateau télé, jamais que de Nitche, de gondoles ou du tailleur taillé pour la victoire de Ségolène Royal, je profite de ce que je suis au BHV pour une bricole pour me faire une idée. Sollers a conscience que la littérature “passe mal” à la télé et qu’il vaut mieux causer d’autre chose, d’autant plus si on n’est pas un auteur. Il a moins conscience en revanche que le téléspectateur pourrait fort bien se passer de ses sketches un peu répétitifs. Le rayon “livres” est toujours désert au BHV ; il semblerait que les gays soient plutôt des bricoleurs hors-pair que de grands lecteurs ; à moins qu’ils préfèrent se fournir chez des libraires spécialisés. Dans la case “Sollers”, il y a son dernier titre. Peu mémorable. Derrière Sollers “invente”, outre Nitche, Dante, Confucius et Joseph de Maistre. Seul ce dernier sort un peu de l’ordinaire d’une bibliothèque municipale. Il y a chez Maistre quelques sensations fortes qui, comme chez Nitche, sont de nature à faire frémir à peu près tout ce que la clientèle de la Fnac compte de bas-bleus. D’Eric-Emmanuel Schmitt à Maistre, il y a comme un pic. Face à Maistre, Sollers est comme le bourgeois emmitouflé dans ses après-ski au pied des pentes de la Haute-Savoie. Un peu essoufflé. Hélas Sollers oublie de replacer Maistre dans son intertextualité. Maistre ne fait que ressusciter Machiavel au XIXe siècle, il fait office de camp de base à Baudelaire et à Bloy, avant les sommets. Le sommet de la poésie-critique pour Baudelaire, celui de la théologie-critique pour Bloy. Comme sujet à disserter, j’aurais plutôt proposé à Sollers, si j’avais été son éditeur : “Expliquez-nous pourquoi Baudelaire écrit qu’”il faut battre sa femme”, en évitant toute digression philosophique et les justifications psychanalytiques oiseuses.” Un autre lieu commun qui circule, c’est que Jean-Edern Hallier, lui, n’était pas un bon critique, et même un malappris qui n’hésitait pas à jeter les livres par terre, sans même les avoir lus ! Ici quelques bas-bleus tombent dans les pommes. Dire qu’Edern-Hallier aurait pu flanquer à la poubelle le bouquin de Littell en 2006 ! On l’a échappé belle. Edern-Hallier est mort, vive Sollers ! Il dit parfois des grossièretés, mais dans l’ensemble, jamais un mot de travers, le critique idéal.